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Date : 20180706


Dossier : IMM-5066-17

Référence : 2018 CF 687

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ANELLA JN FRANCOIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 novembre 2017 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, par laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Comme je l’expliquerai de manière plus détaillée ci-après, cette demande est accueillie, parce que la SPR a commis une erreur dans le traitement de la preuve par affidavit déposée par la demanderesse pour appuyer sa requête.

II.  Énoncé des faits

[3]  La demanderesse, Anella Jn François, est une citoyenne de Sainte-Lucie. Elle est arrivée au Canada en août 2011 et a présenté une demande d’asile plusieurs mois plus tard, disant craindre d’être tuée par son ex-petit ami ou par l’ex-mari d’une femme avec qui elle avait développé une relation romantique à Sainte-Lucie en 2010. Elle dit également avoir été agressée par l’homme qui a été son premier partenaire amoureux. Mme François allègue craindre la violence et les persécutions de la part de la collectivité de Sainte-Lucie en général, parce qu’elle dit qu’on y sait maintenant qu’elle est bisexuelle. La demande d’asile de Mme François a été entendue et rejetée par la SPR dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]  Les questions déterminantes pour la SPR étaient l’identité sexuelle de Mme François à titre de personne bisexuelle et sa crédibilité. La SPR a conclu qu’elle n’avait pas établi son identité sexuelle à titre de femme bisexuelle. Elle a également conclu qu’elle n’était pas un témoin crédible à l’égard des aspects centraux de sa demande d’asile et n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de confiance pour appuyer sa crainte de retourner à Sainte-Lucie ou de la violence qu’elle allègue avoir subi de la part de son ex-petit ami, de l’ex-mari de la femme avec qui elle a eu une relation ou de la collectivité en général.

[5]  La SPR a conclu que la crédibilité de Mme François était affectée de façon négative par le fait qu’elle était venue au Canada deux fois auparavant sans demander l’asile et qu’elle avait attendu avant de demander l’asile à sa troisième visite au Canada. Elle a conclu que, même non déterminante, cette situation indiquait une absence de crainte subjective. Pour arriver à cette conclusion, la SPR s’appuie sur ce qu’elle considère être une divergence entre son formulaire de renseignements personnels et son témoignage à l’audience de la SPR. La divergence porte sur le fait qu’elle soit ou non retournée vivre avec l’homme qui avait été son premier partenaire amoureux sérieux, et dont elle dit qu’il a été violent envers elle, lorsqu’elle est retournée à Sainte-Lucie après sa première visite au Canada. La SPR a également conclu que Mme François avait tenté de tromper les agents des services frontaliers canadiens lors de son deuxième voyage au Canada en arrivant sous un faux nom, ce qui a eu une incidence négative sur sa crédibilité générale. La SPR n’a pas non plus accepté l’explication de Mme François qui ne pas avoir immédiatement demandé l’asile à sa troisième arrivée au Canada parce qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait se prévaloir du droit d’asile ou comment faire une demande d’asile. Selon ses connaissances spécialisées, la SPR a conclu qu’il existait une connaissance générale du processus d’asile au sein de la collectivité de Sainte-Lucie.

[6]  Quant à son identité sexuelle, la SPR a conclu que Mme François n’avait pas démontré qu’elle était une femme bisexuelle, en raison des incohérences dans son récit de la progression de sa relation avec la femme qu’elle a rencontrée à Sainte-Lucie en 2010 et du fait qu’elle n’a pas été en mesure de présenter une preuve de la part de cette dernière et qu’elle n’a pas fait témoigner sa partenaire amoureuse de même sexe actuelle au Canada. La SPR a considéré une lettre d’un groupe de soutien LGBT au Canada, déposée par Mme François, mais a conclu qu’elle avait fréquenté ce groupe principalement dans le but d’étayer sa demande d’asile.

[7]  Enfin, concernant les allégations de violence familiale, la SPR a conclu que Mme François n’avait pas d’éléments de preuve corroborants fiables démontrant qu’elle avait signalé ces abus à la police. Bien qu’elle ait déposé des affidavits de membres de sa famille et d’amis, la SPR ne leur a accordé que peu de poids, parce qu’ils contenaient des renseignements qu’elle a jugé peu crédibles et que la preuve des déposants n’avait pu être vérifiée lors de l’audience. Comme les pires allégations de violence par son ex-petit ami et l’ex-mari de sa partenaire à Sainte-Lucie étaient liées au fait que ces derniers avaient découvert sa relation avec cette partenaire, et puisque la SPR a conclu que cette relation n’avait pas eu lieu, elle n’a accordé aucune crédibilité à ces allégations de violence.

[8]  En rejetant la demande d’asile de Mme François, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles suffisants de sa bisexualité et qu’elle n’avait pas fournir des éléments de preuve suffisants, fiables et dignes de confiance qu’elle avait subi de la violence dans le passé.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[9]  La demanderesse soulève des questions à l’égard des déterminations de crédibilité faites par la SPR et de l’évaluation par cette dernière de la preuve documentaire de la demanderesse. Les parties conviennent, et je suis d’accord, que ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[10]  La demanderesse soulève également des questions d’équité procédurale à l’égard d’éléments de l’analyse faite par le SPR, à propos desquels elle fait valoir qu’elle aurait dû avoir l’occasion de faire des commentaires avant que la SPR ne rende sa décision. Elle fait valoir, et je suis d’accord, que la norme de la décision correcte s’applique aux considérations d’équité procédurale.

IV.  Analyse

[11]  Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur le traitement par la SPR de la preuve par affidavit déposée par la demanderesse pour appuyer sa requête. Elle a fourni des affidavits établis sous serment par son père, sa sœur, son fils et une amie à Sainte-Lucie. Ces affidavits témoignent de la violence passée alléguée par Mme François, des menaces de violence future et de la relation entre Mme François et sa partenaire de Sainte-Lucie. La décision de la SPR indique qu’elle n’accorde que peu de poids à ces affidavits, parce qu’ils contiennent des renseignements qu’elle juge non crédibles et que la preuve des déposants ne peut être vérifiée en salle d’audience.

[12]  Mme François fait valoir que la SPR a commis une erreur dans le traitement de sa preuve en ne lui expliquant pas pourquoi elle avait conclu que les renseignements contenus dans les affidavits n’étaient pas crédibles. Je conviens avec elle que cet aspect de la décision est incompréhensible, et donc déraisonnable, puisque la SPR n’a pas expliqué pourquoi elle en était arrivée à la décision qu’elle a prise concernant la crédibilité des affidavits (voir, par exemple, Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 873, au paragraphe 4).

[13]  Le défendeur fait valoir que cet aspect de l’analyse de la SPR doit être lu comme une conclusion que les affidavits ne sont pas probants, et non comme une détermination de la crédibilité, et qu’une décision de n’accorder que peu de poids à une preuve ne permet pas de conclure qu’il y a lieu de modifier la décision lors d’un contrôle judiciaire. Bien que le défendeur ait raison de dire que la SPR indique qu’elle n’accorde que peu de poids à ces affidavits, elle indique qu’elle ne leur accorde que peu de poids parce qu’ils contiennent des renseignements que la SPR juge non crédibles. Il apparaît clairement qu’une détermination de crédibilité sous-tend le traitement de la preuve par la SPR, et c’est l’absence d’une explication de cette détermination qui mine le caractère raisonnable de ce traitement.

[14]  Le défendeur fait également valoir que la mention faite par la SPR de renseignements qu’elle ne juge pas crédibles a trait à des conclusions de crédibilité faites plus tôt dans la décision, comme celles portant sur l’affirmation de sa bisexualité par Mme François et les divergences dans sa preuve sur l’endroit où elle a vécu lorsqu’elle est retournée à Sainte-Lucie après son premier séjour au Canada. Cependant, comme le fait valoir Mme François, s’il s’agit de l’interprétation correcte de cette partie de la décision de la SPR, cela démontre également une erreur susceptible de révision. Un décideur ne peut pas rejeter la preuve présentée par une personne pour manque de crédibilité et rejeter ensuite d’autres éléments de preuve parce qu’elles sont incompatibles avec cette conclusion de crédibilité (voir, par exemple, Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, au paragraphe 12). La SAR était plutôt tenue de mener une évaluation indépendante de la preuve par affidavits déposée à l’appui de la demande de Mme François.

[15]  La preuve par affidavit ne peut être caractérisée comme un élément mineur de la preuve déposée par Mme François à l’appui de sa demande. En l’absence d’un traitement raisonnable de cette preuve, la décision de la SPR de rejeter sa demande d’asile est aussi déraisonnable et doit être annulée, et la question doit être renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

[16]  Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.

[17]  Enfin, dans une question interne, je note que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire nomme le défendeur de façon incorrecte en l’appelant Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Canada. Il faudrait lire « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Par conséquent, ma décision corrigera l’intitulé de la cause.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5066-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

  3. L’intitulé de la cause est modifié afin de refléter le bon défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5066-17

INTITULÉ :

ANELLA JN FRANÇOIS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Letebrhan Nugesse

Pour la demanderesse

Charles Jubenville

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Letebrhan Nugesse

Avocate

TORONTO (ONTARIO)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

TORONTO (ONTARIO)

Pour le défendeur

 

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