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Date : 20180709


Dossier : IMM-491-18

Référence : 2018 CF 713

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

NOE GAMA SANCHEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 juillet 2018)

I.  Nature de l’instance

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) de la décision rendue le 30 janvier 2018 par un agent d’exécution de la loi (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) par laquelle la demande de report de renvoi du demandeur a été rejetée.

[2]  Le demandeur et le défendeur soutiennent tous deux que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être autorisée par notre Cour puisque la décision de l’agent est déraisonnable.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur et son épouse sont des citoyens du Mexique et ont trois enfants (l’un d’eux est Canado-mexicain et les deux autres sont Américano-mexicain).

[4]  En 1990, le demandeur et ses parents sont entrés aux États-Unis en tant que visiteurs.

[5]  Le 13 novembre 1996, le demandeur fut accusé de (i) complot en vue de posséder dans l’intention de distribuer et de distribuer une substance contenant de la méthamphétamine, et (ii) possession avec l’intention de distribuer une substance contenant de la méthamphétamine.

[6]  Le 2 juillet 1997, le demandeur a conclu une transaction pénale et a plaidé coupable à l’égard du premier chef d’accusation. Il a été condamné à 60 mois de prison et a accepté d’être expulsé des États-Unis. Le 25 juin 1998, le demandeur a été transféré dans une prison au Mexique. Après avoir purgé sa peine, le demandeur a été libéré en 2001.

[7]  Le 1er juin 2008, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur et a présenté une demande d’asile en décembre 2008.

[8]  Le 26 juin 2012, le demandeur a déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) qui a été rejetée.

[9]  En octobre 2012, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur en vertu de la section F b) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés en raison d’un crime grave de droit commun. Le demandeur a par la suite sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Le 29 août 2013, la Cour fédérale a rejeté la demande, mais a certifié une question touchant l’équivalent canadien d’une infraction commise à l’étranger lors de l’évaluation de la gravité du crime.

[10]  Le 25 septembre 2013, le demandeur a demandé réparation à la Cour d’appel fédérale concernant la question certifiée. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande le 28 janvier 2014. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation d’appel de ce jugement devant la Cour suprême du Canada qui l’a rejetée.

[11]  Le 25 février 2014, à la suite d’un rapport préparé en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, une mesure d’expulsion pour grande criminalité a été rendue contre le demandeur aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[12]  Le demandeur a ensuite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), suivi d’une seconde demande CH. Le 29 juillet 2016, les deux demandes ont été rejetées.

[13]  Le 28 octobre 2016, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR et aux considérations d’ordre humanitaire. La Cour fédérale a rejeté la demande le 16 février 2017.

[14]  Le 6 octobre 2017, le demandeur a présenté une troisième demande CH. La décision n’a pas encore été rendue.

[15]  Le 24 janvier 2018, le demandeur a été informé de son renvoi. La date de renvoi avait été fixée au 12 février 2018.

[16]  Le 28 janvier 2018, le demandeur a demandé que son renvoi soit reporté.

III.  Décision

[17]  Le 30 janvier 2018, l’agent a rejeté la demande de report fondée sur les quatre motifs invoqués par le demandeur dans sa demande de report du renvoi : les difficultés psychologiques auxquelles la famille fera face, la demande CH en instance, la santé mentale de l’épouse du demandeur et le soutien économique qu’apporte le demandeur à sa famille.

[18]  Dans ses motifs, l’agent a répété qu’il avait l’obligation d’exécuter une mesure de renvoi valide dès que possible en application du paragraphe 48(2) de la LIPR.

[19]  L’agent a commencé son évaluation en soulignant les antécédents du demandeur en matière d’immigration. L’agent a ensuite abordé les difficultés psychologiques auxquelles la famille du demandeur ferait face. Compte tenu du diagnostic de syndrome de stress post-traumatique (SSPT) de son fils de 12 ans, l’agent a conclu que cette question était une [traduction] « préoccupation à long terme » et que l’octroi d’un [traduction] « report à court terme » ne ferait que retarder son renvoi du Canada et aurait tout de même une incidence négative sur sa famille, notamment sur son fils de 12 ans, tôt ou tard. L’agent a conclu que les enfants du demandeur demeureraient avec leur mère et, qu’au Mexique, le demandeur pourrait communiquer quotidiennement avec sa famille par Skype.

[20]  L’agent a noté que l’épouse du demandeur souffrait de problèmes psychologiques et que son état régresserait probablement si son mari était expulsé vers le Mexique. L’agent a constaté que l’épouse du demandeur faisait également l’objet d’une ordonnance de renvoi du Canada et pourrait donc accompagner son mari au Mexique. Des services en santé mentale sont également disponibles pour l’épouse et les enfants du demandeur si nécessaire. L’agent est venu à la conclusion que la mesure de renvoi devait néanmoins être exécutée. Son [traduction] « pouvoir de reporter le renvoi est extrêmement restreint, et se limite aux circonstances où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain ».

[21]  Le demandeur a exprimé son inquiétude à l’égard de la situation financière de sa famille, étant donné qu’il apporte un soutien économique à la famille. L’agent a souligné que le demandeur ne peut plus travailler légalement au Canada, parce que son permis de travail devient invalide lorsqu’une mesure de renvoi est rendue contre lui.

[22]  En ce qui a trait à la demande CH en instance, l’agent a conclu que la troisième demande présentée par le demandeur ne différerait pas de ses précédentes demandes qui ont été rejetées. [traduction] « Les facteurs généraux relatifs aux considérations humanitaires ne sont pas pertinents relativement à la latitude accordée à l’agent en vertu de l’article 48 de la LIPR. » Après avoir examiné les motifs du demandeur pour demander un report de son renvoi, l’agent a conclu que [traduction] « une demande CH ne donne pas lieu à l’obligation de reporter le renvoi ».

IV.  Dispositions pertinentes

[23]  Les deux dispositions suivantes sont pertinentes en l’espèce :

48 (2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

48 (2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

V.  Analyse

A.  L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable?

[24]  La norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’exécution à l’égard d’une demande de report de l’exécution d’une mesure de renvoi est celle de la décision raisonnable : Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25; Mota Furtado c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, au paragraphe 27.

[25]  Les deux parties soutiennent que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accordée par notre Cour. La Cour est du même avis. L’agent a passé sous silence les idées suicidaires de l’enfant de 12 ans. D’après le rapport psychologique du 16 août 2017, qui a été envoyé à l’avocat du demandeur le 25 janvier 2018, les éléments de preuve dont disposait l’agent indiquaient clairement que le jeune [traduction] « avait affirmé avoir des pensées récurrentes liées à un acte suicidaire » s’il était renvoyé du Canada ou si la famille retournait au Mexique (dossier certifié du tribunal [DCT], rapport psychologique du Dr Darla Shewchuck, à la page 144). Selon le psychologue, l’enfant [traduction] « a besoin d’un traitement et de soutien psychologiques. [Une] perturbation importante, comme un retour à un pays qu’il lui inspire de la terreur, ne serait certainement pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant » (DCT, rapport psychologique du Dr Darla Shewchuck, page 147). Cette seule omission dans la décision constitue une erreur susceptible de révision (Tiliouine c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1146, au paragraphe 12).

[26]  L’agent est également muet quant à l’incidence du renvoi sur les autres enfants, l’un d’eux souffrant aussi du SSPT. Notre Cour a déjà conclu que l’intérêt supérieur de tous les enfants doit être pris en compte (Pegito London c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 942, aux paragraphes 20 et 23). Les éléments de preuve psychologique indiquent que [traduction] « aucun des membres de la famille ne s’est complètement remis de ses traumatismes passés. Ils sont encore fragiles. […] Le bien-être mental de tous les membres de cette famille ne peut être assuré si cette famille perd Noe Gama Sanchez à la suite d’un renvoi » [soulignement ajouté]. (DCT, rapport psychologique du Dr Darla Shewchuck, page 139).

[27]  La Cour estime que la décision est déraisonnable, car l’agent a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’aborder des aspects importants et primordiaux de la preuve. La décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Conclusion

[28]  La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-491-18

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

Opinion incidente

Voir aussi la décision Faisal c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 685, rendue par le juge soussigné. De graves risques pour la vie et la santé psychologique sont à prendre au sérieux.

Contrairement à ce qu’il en est ailleurs, tout est fait au Canada pour que les membres d’une même famille demeurent ensemble, considérant que la réunification des familles et le regroupement familial constituent des objectifs qui sont reconnus et compris par les trois branches du gouvernement, sauf dans des circonstances exceptionnelles où l’un de ses membres pourrait constituer un risque pour le Canada.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-491-18

INTITULÉ :

NOE GAMA SANCHEZ c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

Pour le demandeur

Edward Burnet

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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