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Date : 20180709


Dossier : IMM-4488-17

Référence : 2018 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

AHMED BALADIE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Ahmed Baladie, présente cette demande en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le délégué du ministre (délégué) a conclu qu’il constitue un danger pour le public au Canada et qu’il est improbable que son renvoi en Iran l’expose à un risque de persécution ou de mauvais traitements, en violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (Charte).

[2]  M. Baladie allègue que le délégué a commis une erreur en : 1) appliquant le mauvais critère pour évaluer le danger qu’il constitue pour le public; 2) arrivant à une conclusion déraisonnable de danger; 3) appliquant le mauvais critère dans son évaluation du risque personnel; 4) arrivant à une conclusion déraisonnable de risque.

[3]  Il m’est impossible de conclure que le délégué a commis une erreur susceptible de révision en concluant que M. Baladie constitue un risque présent et futur inacceptable pour le public canadien et que, selon la prépondérance des probabilités, il ne serait pas personnellement exposé à un risque pour sa vie, sa liberté ou sa sécurité s’il retournait en Iran. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.  Énoncé des faits

[4]  M. Baladie est un citoyen iranien et d’origine arabe. Il est arrivé au Canada en 1990 et a été accueilli comme réfugié au sens de la Convention. Il a obtenu la résidence permanente en 1995. Entre 1993 et 2015, il s’est constitué un lourd casier judiciaire, ayant notamment été reconnu coupable des crimes suivants : agression, méfait de moins de 5 000 $, conduite dangereuse d’un véhicule automobile, vol, vol de moins de 5 000 $, défaut ou refus de fournir un échantillon et trouble de la paix. Selon le casier de M. Baladie, la majorité de ses crimes ont trait au vol de portes-feuilles, de sacs à main et de cartes de crédit d’individus situés à des endroits ciblés.

[5]  En juin 2002, il a été reconnu coupable, entre autres, de deux infractions en lien avec la possession d’une carte de crédit volée. La durée maximale d’emprisonnement pour cette infraction en application du paragraphe 342(1) du Code criminel est de dix ans. En raison des condamnations visées au paragraphe 342(1), M. Baladie a été jugé interdit de territoire pour des motifs de grande criminalité, et une ordonnance d’expulsion a été prononcée contre lui en 2006. En 2007, M. Baladie a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, qui devait être réexaminé en 2012. Il ne s’est pas présenté à l’audience de réexamen en 2012; son appel a été considéré comme abandonné et l’ordonnance d’expulsion a pris effet.

[6]  Le 14 septembre 2017, le délégué a conclu que M. Baladie représentait un danger pour le public au Canada (avis de danger). La Cour est maintenant saisie de cette décision.

III.  Décision contestée

[7]  Le délégué a examiné les dispositions pertinentes de la LIPR et a noté ce qui suit : 1) le paragraphe 115(2) de la LIPR constitue une exception au principe de non-refoulement; 2) même si M. Baladie a été jugé un danger pour le public, l’article 7 de la Charte exige que le danger qu’il constitue soit mis en balance avec le risque auquel il serait exposé à son retour en Iran.

[8]  Le délégué a ensuite examiné les détails de l’historique d’immigration de M. Baladie et a résumé son casier judiciaire. Le délégué a conclu qu’en raison de sa condamnation en lien avec le vol de cartes de crédit, il est devenu interdit de territoire au Canada pour grande criminalité.

A.  Analyse du danger

[9]  Concernant l’activité criminelle de M. Baladie, le délégué a déclaré ce qui suit :

M. Baladie a participé de façon quasi continue à des activités criminelles depuis son arrivée au Canada il y a 27 ans. Il semble être un voleur professionnel, dont le sens moral fait défaut quand il s’agit de crimes contre les biens. Il a travaillé de concert avec plusieurs cocomploteurs, ciblant des emplacements et des victimes [...] Ces vols ne sont aucunement perpétrés spontanément – ils sont planifiés et exécutés de façon soignée et stratégique.

En plus de cette propension au vol, M. Baladie semble être insouciant du bien-être des autres pendant ses tentatives de fuir les situations où ses victimes ou les gardiens de sécurité ont réagi aux vols.

[10]  Le délégué a alors cité dans le détail un rapport d’enquête de la police de 2009 qui portait sur le rôle de M. Baladie dans l’activité criminelle et dans les crimes suivants : vol et usage frauduleux de cartes de crédit qui ont mené, selon le rapport, à la saisie dans son coffret de sécurité de plus de 200 000 $ « dérivés directement ou indirectement des produits des activités criminelles »; violence familiale contre sa conjointe de fait; fraude de compagnies en matière d’assurance; participation au sein d’un « groupe criminel algérien ». Le délégué a ensuite noté ce qui suit :

Bien que je reconnaisse que les constats de police et les accusations ne constituent pas des condamnations, les renseignements ci-dessus permettent de découvrir le mode de vie de M. Baladie. Je remarque que le rapport susmentionné remonte à 2009, mais que M. Baladie a été condamné à plusieurs reprises pour des crimes de nature similaire depuis ce temps, et ce, pas plus tard qu’au milieu de 2015. Il semble également y avoir des accusations de juillet 2017 en instance qui demeurent non résolues.

[11]  Le délégué a conclu que peu d’éléments de preuve soutiennent la conclusion selon laquelle M. Baladie avait abandonné ses activités criminelles et que la preuve de réadaptation était limitée. Le délégué a conclu que M. Baladie n’était pas réadapté.

[12]  Le délégué a ensuite examiné si les activités criminelles de M. Baladie pourraient être considérées comme un danger pour le public. Il a posé la question visant à déterminer si M. Baladie était un « criminel non dangereux de type enquiquineur », et a conclu qu’il ne l’était pas. Le délégué a établi une distinction entre « pickpockets » et « voleurs à l’étalage » en raison de leur interaction avec les victimes de leurs crimes, et a noté ce qui suit :

Une victime peut se rendre compte de ce qui se passe et se mettre en colère, puis la situation peut s’envenimer à un point tel que le pickpocket ou la victime peut sentir le besoin de recourir à la violence – comme dans l’affaire Starbucks de 2001. De plus, M. Baladie se sert de complices et de voitures pour « prendre la fuite » rapidement des lieux où il a commis son vol à la tire. Une conduite dangereuse s’est ensuivie. Comme le décrit la police de Vancouver dans son constat de 2006 : « Il a démontré qu’il est prêt à prendre des mesures extrêmes pour fuir la police, conduisant sans se soucier des conséquences et allant jusqu’à brûler des feux rouges aux heures de pointe. Ce type de comportement met à présent d’innocentes personnes en danger physique grave. »

[13]  Le délégué a conclu qu’il « n’était pas spéculatif, mais facilement prévisible » que le demandeur pourrait causer la mort ou des blessures en fuyant la police, compte tenu de son historique de conduite dangereuse et sa personnalité instable. Le délégué a également conclu que les répercussions financières des crimes du demandeur ont une incidence sur l’ensemble du public, concluant sur ces mots :

Compte tenu de la preuve qui m’a été présentée, démontrant que les activités criminelles de M. Baladie étaient graves et dangereuses pour le public, et de l’absence de preuve de réadaptation, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Baladie constitue un danger actuel et futur pour le public canadien et que sa présence au Canada pose un risque inacceptable.

B.  Évaluation du risque

[14]  Ayant conclu que M. Baladie constitue un danger actuel et futur pour le public canadien, le délégué a ensuite procédé à l’évaluation du risque pour M. Baladie s’il était renvoyé en Iran.

[15]  Le délégué a pris en compte l’identité de M. Baladie comme un iranien d’origine arabe, mais a constaté après un examen de la documentation sur les conditions du pays qu’il ne risquait pas d’être persécuté en raison de son ethnie.

[16]  Le délégué a ensuite pris en compte le rôle antérieur de M. Baladie au sein d’un groupe d’activistes en Iran. Le constat « problématique » en Iran à l’égard du traitement des prisonniers politiques était reconnu, mais le délégué a souligné que le rôle de M. Baladie au sein d’un groupe d’activistes en Iran remonte à plus de 30 ans et qu’aucun élément n’indiquait qu’il jouait un rôle quelconque de dirigeant à ce moment-là. Le délégué a conclu que la preuve n’appuyait pas une conclusion selon laquelle il serait activement recherché par les autorités, et qu’il n’y avait qu’une très mince possibilité qu’il soit arrêté et maltraité en raison de son activisme passé.

[17]  Le délégué aborde ensuite la possibilité que la sortie illégale de M. Baladie de l’Iran occasionnerait sa détention à son retour. Le délégué a de nouveau cité la preuve documentaire pour conclure que le simple fait de quitter le pays illégalement n’occasionne pas de risque de persécution ou de mauvais traitements aux individus. Le délégué a fait remarquer que les personnes d’outre-frontières peuvent s’informer pour savoir si elles sont recherchées par les autorités et si elles feraient l’objet d’une arrestation à leur retour, mais a conclu qu’« il ne semble pas que M. Baladie ait fait d’efforts en ce sens. »

[18]  Le délégué a conclu que « [b]ien qu’il ait possiblement quitté l’Iran en craignant pour sa vie en 1989, les éléments de preuve ne permettent pas de conclure qu’il est plus que probable qu’il subirait de mauvais traitements s’il y retournait maintenant. »

C.  Facteurs d’ordre humanitaire

[19]  Le délégué a également pris en compte les facteurs d’ordre humanitaire, y compris la famille du demandeur, son établissement et sa santé, et a conclu qu’ils ne justifiaient pas un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

D.  Conclusion

[20]  En concluant l’analyse, le délégué : 1) a cité les objectifs de la LIPR, soit protéger les Canadiens et assurer la sécurité de la société canadienne, et refuser aux grands criminels l’entrée au Canada; 2) a pris acte de l’exigence selon laquelle la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui sert les intérêts nationaux et internationaux du Canada et qui respecte les obligations internationales du Canada au chapitre des droits de l’homme. Le délégué a affirmé ce qui suit : [traduction]

Après avoir examiné attentivement tous les aspects de la présente affaire, y compris ceux d’ordre humanitaire, et après avoir soupesé les risques potentiels auxquels M. Baladie pourrait être exposé s’il était renvoyé en Iran et la nécessité de protéger la société canadienne, je conclus que ce dernier facteur l’emporte sur le premier. En d’autres mots, après avoir examiné tous les facteurs énumérés ci-dessus, je suis d’avis que la nécessité de protéger le public canadien joue en faveur du renvoi de M. Baladie du Canada. En conséquence, je crois que M. Baladie peut être renvoyé, conformément à l’alinéa 115(2)a) de la LIPR.

J’estime que le renvoi de M. Baladie ne choquerait pas la conscience des Canadiens, et qu’il peut donc être expulsé malgré le paragraphe 115(1) de la LIPR, puisque, selon la prépondérance des probabilités, son renvoi en Iran ne contreviendrait pas à ses droits aux termes de l’article 7 de la Charte.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[21]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Le délégué a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le danger pour le public?

  2. La conclusion de danger est-elle raisonnable?

  3. Le délégué a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le risque personnel?

  4. La décision du délégué quant à l’analyse du risque est-elle raisonnable?

[22]  En examinant si le délégué a commis une erreur en appliquant le mauvais critère dans son évaluation du danger pour le public et du risque, la norme de la décision correcte s’applique (Galvez Padilla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 247 [Galvez], au paragraphe 31).

[23]  Les questions soulevées quant à l’évaluation du danger et du risque par le délégué sont des conclusions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable (Cheikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 896, au paragraphe 11; Alkhalil c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 976, au paragraphe 16; Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 32; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51). En effectuant un examen selon la norme de la décision raisonnable, ce n’est pas le rôle de la Cour siégeant en contrôle judiciaire de procéder à une nouvelle pondération de la preuve. Lorsqu’une décision reflète les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la cour de révision ne devrait pas intervenir (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 à 67).

V.  Analyse

A.  Droit applicable

[24]  Un résident permanent est interdit de territoire au Canada pour des motifs de grande criminalité s’il est déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans [LIPR, alinéa 36(1)a)].

[25]  Cependant, si l’individu est une personne protégée, le paragraphe 115(1) de la LIPR interdit le renvoi de cet individu du Canada dans un pays où la personne protégée risquerait d’être persécutée. Cela reflète l’obligation du Canada, à titre d’État contractant de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 [Convention], de respecter le principe de non-refoulement.

[26]  La Convention reconnaît une exception au principe de non-refoulement lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire que, après que la personne protégée ait été accusée d’un « crime particulièrement grave », il est raisonnable de déterminer que cette personne constitue un danger. L’exception de la Convention est mise en évidence au paragraphe 115(2) de la LIPR. Les parties pertinentes de l’article 115 sont rédigées ainsi :

Principe

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

Protection

115 (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

[27]  L’article 115 de la LIPR n’exige pas expressément que le Ministre ou un délégué procède à une évaluation du risque au moment d’effectuer une évaluation du danger; cependant, cette exigence a été greffée au processus (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1). Une analyse des risques doit être effectuée pour évaluer si le renvoi d’une personne protégée du Canada « choquerait la conscience au point de constituer une attaque des droits de la personne aux termes de l’article 7 de la Charte » (Galvez, au paragraphe 62).

B.  Le délégué a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le danger pour le public?

[28]  M. Baladie a illustré cette question comme l’application d’un critère juridique incorrect. Le défendeur a fait valoir que la question soulevée nécessite l’application par le délégué du critère aux faits, non pas la désignation ou l’application du mauvais critère. Je suis d’accord avec le défendeur.

[29]  Le délégué a précisément fait remarquer que l’alinéa 115(2)a) de la LIPR crée [traduction] « une exception à la protection générale fournie aux réfugiés au sens de la Convention », et a pris en compte le sens de la phrase « danger pour le public », conformément à l’interprétation dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 CF 646, 147 DLR (4th) 93 (CA). Le délégué a reconnu qu’en évaluant le danger, il fallait se fonder sur la preuve relative à la conduite passée, mais qu’il avait l’obligation d’évaluer le « danger présent et futur pour le public » que constituait M. Baladie. Cela n’était pas une erreur et M. Baladie n’affirme pas le contraire.

[30]  Il ne s’agit pas de déterminer si le délégué a exposé ou interprété le critère d’une manière inexacte, mais bien d’établir si la conclusion du délégué, selon laquelle la nature de sa conduite criminelle relative au vol à la tire était suffisamment grave pour en venir à la conclusion qu’il constituait un danger pour le public. Comme il est précisé dans Galvez, au paragraphe 37, c’est une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable. Cette question est examinée ci-après.

C.  La conclusion de danger est-elle raisonnable?

[31]  M. Baladie allègue que le délégué a déraisonnablement conclu ce qui suit : 1) il n’avait pas été réadapté; 2) le vol à la tire peut mener à la violence, une conclusion selon lui qui repose uniquement sur des allégations infondées consignées dans le rapport de police de 2009, et une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse en 1998.

(1)  Réadaptation

[32]  Dans ses observations écrites, M. Baladie souligne l’absence de condamnation pour crime violent au cours des 15 dernières années en soutenant que la conclusion du délégué à l’égard de sa réadaptation était déraisonnable. Je ne suis pas convaincu.

[33]  En abordant la question de réadaptation, le délégué n’était pas dans l’obligation de restreindre la conclusion d’activité criminelle à des incidents relatifs à des infractions criminelles à caractère violent. Au lieu de cela le délégué était libre d’examiner si la preuve suffisait à le convaincre que M. Baladie avait démontré qu’il était devenu ou devenait un membre de la société respectueux des lois et productif.

[34]  Le délégué a pris en compte l’historique des condamnations de M. Baladie. Il a souligné que des déclarations de culpabilité pour conduite criminelle avaient été prononcées entre 2009 et « aussi récemment que le milieu de 2015 ». Le délégué a également souligné qu’« il semble y avoir des accusations portées contre lui qui remontent à juillet 2017 ». Enfin, le délégué a reconnu l’affirmation formulée par l’avocat, au nom de M. Baladie, selon laquelle aucune nouvelle condamnation n’avait été portée contre lui au cours des deux dernières années et qu’il était réadapté.

[35]  En évaluant cet élément de preuve, le délégué a fait remarquer que la durée de la période exempte de condamnations était « relativement courte », que le casier de M. Baladie démontrait plusieurs autres périodes de durées semblables, et que l’élément de preuve d’adhésion à un programme de réadaptation se limitait à des certificats confirmant l’achèvement de deux cours visant l’amélioration de soi. Le délégué a également reconnu un « ralentissement » au niveau de la criminalité, mais n’était pas convaincu que M. Baladie avait abandonné ses activités criminelles. Cette conclusion est compatible avec la preuve. La conclusion du délégué voulant que M. Baladie n’était pas réadapté ne peut lui être reprochée.

(2)  Le vol à la tire peut mener à la violence

[36]  Se fondant sur Galvez, M. Baladie soutient qu’une exception au principe de non-refoulement doit satisfaire un seuil élevé. Il soutient qu’une conclusion de « danger pour le public » doit reposer sur des actes très graves. M. Baladie soutient également que le délégué a commis une erreur en se fondant sur des allégations de lien avec le crime organisé et de possession d’importantes sommes d’argent dérivé d’activités criminelles qui sont consignées dans le rapport d’enquête de la police de 2009, concluant que sa conduite criminelle établie, qui englobe des infractions du type pickpocket, satisfaisait à ce seuil élevé.

[37]  Dans Galvez, le demandeur avait également un long dossier de déclarations de culpabilité qui avaient été prononcées au cours d’une période de 14 ans en lien avec sa dépendance au crack. Les déclarations de culpabilité comprennent : quinze accusations pour vol de moins de 5 000 $; sept accusations pour défaut de comparaître; trois accusations pour des communications dans le but de se livrer à la prostitution; omission de se conformer à une ordonnance de probation; voies de fait graves; deux chefs pour trafic de cocaïne; profération de menaces; voies de fait dans l’intention de résister à une arrestation. En examinant la décision de danger en l’espèce, le juge de Montigny s’est fondé sur la phrase « crime particulièrement grave » utilisée dans la Convention relative au statut de réfugié de 1951 pour éclairer son interprétation de l’article 115 de la LIPR. C’est ainsi qu’il a conclu que le délégué a commis une erreur en omettant de décrire de quelle façon les condamnations de M. Galvez ont constitué des crimes particulièrement graves, et en accordant beaucoup d’importance à un facteur qui n’était pas clairement criminel (le danger que constitue le demandeur pour le public en raison de sa séropositivité et ses antécédents de prostitution).

[38]  Les faits dans Galvez sont, à mon avis, se distinguent nettement des faits qui m’ont été présentés. Dans cette affaire, le rapport d’enquête de la police, bien qu’il ait été pris en compte, ne forme pas le fondement de la décision du délégué. Contrairement à Galvez, le délégué n’a pas accordé « beaucoup d’importance » à un facteur qui n’était pas clairement criminel. Au lieu de cela, après avoir souligné la valeur du rapport d’enquête dans le but de découvrir le mode de vie de M. Baladie, le délégué a ensuite examiné si la criminalité de M. Baladie pourrait être décrite comme une simple nuisance ou si elle pourrait être qualifiée de danger pour le public. Le délégué a pris en compte le caractère organisé de l’activité criminelle, l’interaction directe avec les victimes, la possibilité de violence lorsqu’une victime résiste et le risque pour le public en cas de fuite. Le délégué a examiné les circonstances entourant les interactions de M. Baladie avec la police lorsque les risques identifiés se sont concrétisés. Cela comprend des incidents de conduite dangereuse qui comprennent « des mesures extrêmes pour fuir la police, conduisant sans se soucier des conséquences et allant jusqu’à brûler des feux rouges aux heures de pointe ».

[39]  C’est sur le fondement de cette analyse, jumelé à une considération des incidences émotionnelles et financières de l’activité criminelle de M. Baladie, que le délégué a conclu que la conduite criminelle devait être qualifiée de danger pour le public. Contrairement aux circonstances dans Galvez, le délégué a bel et bien décrit de quelle façon les condamnations de M. Baladie ont constitué des crimes particulièrement graves. La conclusion du délégué selon laquelle sa présence continue au Canada constituait un risque présent et futur inacceptable faisait partie des conclusions qu’il pouvait raisonnablement tirer.

D.  Le délégué a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le risque personnel?

[40]  M. Baladie soutient qu’en examinant le risque, le délégué a incorrectement limité l’analyse aux risques décrits aux articles 96 et 97 de la LIPR. Il soutient également que le délégué a utilisé un langage qui portait à confusion et était contradictoire en ce qui concerne la norme de preuve et le critère juridique devant être appliqués. Ce faisant, il allègue que la portée de l’évaluation des risques était d’une étroitesse inadmissible et que le délégué a omis d’« évaluer si l’individu, advenant qu’il serait renvoyé dans son pays d’origine, sera exposé à une menace à sa vie ou à un risque à sa sécurité ou à sa liberté, selon la prépondérance des probabilités. » Je ne puis partager ce point de vue.

[41]  M. Baladie a invoqué devant le délégué que la menace à sa vie ou à un risque à sa sécurité ou à sa liberté à laquelle il serait exposé en Iran est due à « son origine ethnique arabe minoritaire, à son opinion politique, à son historique d’échappement illégal à une détention politique en Iran et à sa fuite illégale du pays. » Les risques désignés sont visés par les dispositions sur les risques aux articles 96 et 97. Le délégué a évalué ces risques. À présent, on ne peut pas reprocher au délégué de ne pas avoir tenu compte des risques qui n’ont pas été soulevés. À cet égard, je note et j’adopte les mots du juge de Montigny dans Galvez, où il affirme au paragraphe 67 ce qui suit :

Le fait que la déléguée a mis l’accent principalement sur une évaluation des risques visés aux articles 96 et 97 de la LIPR peut se comprendre aisément dans le contexte du dossier du demandeur. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve concernant des risques autres que ceux que visent ces deux dispositions.

[42]  De même, le délégué a exposé avec clarté et précision le critère à appliquer dans l’évaluation du risque au début de la décision, où il est énoncé :

Si je conclus que M. Baladie constitue un danger pour le public, il pourra être refoulé en Iran, pourvu que cette mesure soit conforme à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Suresh, pour assurer le respect de l’article 7 de la Charte, il faut mettre en balance le risque auquel M. Baladie serait exposé s’il était refoulé en Iran et le danger qu’il constituerait pour le public s’il restait au Canada. Lorsqu’il appert de la preuve que l’intéressé est exposé à un risque sérieux de torture ou à la peine de mort, il ne peut être renvoyé, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

[43]  Je suis convaincu que le délégué a compris et appliqué le critère juridique approprié, ainsi que la norme de preuve qui doit être appliquée. L’analyse du délégué n’était ni confuse ni contradictoire, et elle ne démontre pas une mauvaise compréhension de l’obligation d’évaluer le risque en application de l’article 7 de la Charte.

E.  La décision du délégué quant à l’analyse du risque est-elle raisonnable?

[44]  M. Baladie reconnaît qu’un décideur n’est pas tenu de consulter chaque document au dossier, mais il soutient que, en l’espèce, le délégué a minimisé le risque auquel il est exposé à son retour en Iran en mentionnant de façon sélective la documentation sur la situation du pays. Il se fonde sur la décision de la Cour dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 1998 CanLII 8667 (TD) pour affirmer que le délégué a commis une erreur en n’examinant pas la preuve documentaire contradictoire. En présentant cet argument, M. Baladie souligne des extraits provenant d’une série de rapports qui indiquent que les groupes minoritaires, y compris ceux désignés comme des Iraniens d’origine ahwazie ou arabe, sont démesurément ciblés par des arrestations arbitraires, des détentions et des sévices physiques, et souffrent de discrimination systémique.

[45]  En évaluant le risque, le délégué cite abondamment la preuve documentaire selon laquelle les personnes d’« origine ethnique arabe » en Iran font l’objet d’oppression et de discrimination systémiques, et celles qui prennent part ou sont perçues comme prenant part à de l’activisme sont plus exposées à des arrestations, à des détentions, voire à une exécution. La preuve citée porte sur les pratiques en matière des droits de la personne en Iran, et le délégué a reconnu que l’Iran détient un dossier problématique à cet égard. Le délégué fait également valoir que, malgré le dossier problématique à l’égard des droits de la personne et la discrimination systémique dont font l’objet les personnes d’origine ethnique arabe, la preuve documentaire indiquait qu’« un Iranien des régions arabes ne « ferait pas l’objet d’une persécution pour cette seule raison s’il retournait au pays ».

[46]  À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas où le délégué a omis de tenir compte d’une preuve contradictoire. Le délégué a désigné les risques comme ceux démontrés dans la preuve documentaire. La preuve documentaire citée dans les observations de M. Baladie ne va pas à l’encontre des conditions décrites dans la preuve citée par le délégué. Il n’y avait aucune obligation de faire état de chaque élément de preuve, comme l’a reconnu M. Baladie.

[47]  Le délégué a pris en compte chaque motif de risque désigné et a évalué ces risques par rapport aux conditions en Iran et à la situation personnelle de M. Baladie. Je suis d’accord avec les observations du défendeur à cet égard – l’argument présenté conteste l’appréciation de la preuve du délégué plutôt que le défaut d’aborder des éléments de preuve cruciaux et contradictoires. Il convient de noter que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’a pas à réévaluer la preuve.

VI.  Conclusion

[48]  La décision du délégué reflète les éléments requis de transparence, d’intelligibilité et de justification dans le processus de prise de décisions et l’aboutissement appartient aux issues raisonnables possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande est rejetée.

[49]  Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4488-17

LA COUR rend le JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

Dossier : IMM-4488-17

 

INTITULÉ :

AHMED BALADIE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Robin D. Bajer

 

Pour le demandeur

 

Cheryl D. Mitchell

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin D. Bajer Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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