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Date : 20180704


Dossiers : IMM-2806-17

IMM-2664-17

IMM-2727-17

Référence : 2018 CF 681

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

Dossier : IMM-2806-17

ENTRE :

CLARISSE BUYU LUEMBA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

Dossier : IMM-2664-17

ET ENTRE :

RAFIQUE JOSEPH

REHANA JOSEPH

SHERISH JOSEPH

SHUN JOSEPH

SHARAL KINZA JOSEPH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2727-17

ET ENTRE :

BELIZAIRE JOINIS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs revendiquent le statut de réfugié. Leur demande a été rejetée par la Section de protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR]. Puisqu’ils sont entrés au Canada en vertu d’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs, l’article 110(2)(d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], les prive d’un droit d’appel devant la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la CISR.

[2]  L’article 110(2)(d) a fait l’objet d’une contestation constitutionnelle. Dans la décision Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 481 [Kreishan], notre Cour a rejeté cette contestation et a déclaré l’article 110(2)(d) conforme à la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Notre Cour a cependant certifié une question en vertu de l’article 74(d) de la LIPR, ce qui a permis aux parties de porter l’affaire en appel devant la Cour d’appel fédérale. Cet appel sera entendu de manière accélérée et l’audience aura lieu soit durant la semaine du 17 septembre 2018, soit durant la semaine du 1er octobre 2018.

[3]  Dans le dossier Luemba (IMM-2608-17), une ordonnance a été rendue afin de suspendre la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire jusqu’au trentième jour suivant la décision de notre Cour dans l’affaire Kreishan. Une ordonnance semblable, mais ne prévoyant pas un délai de 30 jours, a été rendue dans les dossiers Joseph (IMM-2664-17) et Joinis (IMM-2727-17).

[4]  Les demandeurs sollicitent maintenant une ordonnance suspendant les présents dossiers jusqu’à ce que la Cour d’appel rende jugement dans l’affaire Kreishan. Le Ministre s’y oppose.

[5]  Selon les informations dont je dispose, une situation semblable se présente dans plusieurs dizaines d’autres dossiers.

I.  Cadre d’analyse

[6]  L’article 50(1)(b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, permet à notre Cour de suspendre une instance « lorsque l’intérêt de la justice l’exige ». Dans la décision Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada, Inc, 2011 CAF 312, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a indiqué que le critère normalement appliqué en matière de sursis, issu de l’arrêt RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR], n’était pas directement pertinent. La Cour possède entière discrétion pour statuer sur la demande. J’estime cependant que dans l’exercice de cette discrétion, certains des critères de l’arrêt RJR demeurent des guides utiles. Ainsi, lorsque le demandeur démontre qu’il subirait un préjudice irréparable si l’instance n’était pas suspendue, cela constitue un motif convaincant de suspendre l’instance. De même, pour déterminer si une suspension est dans l’intérêt de la justice, il est utile de comparer les inconvénients subis par chaque partie.

[7]  Par contre, j’estime qu’il ne m’appartient pas, à ce stade-ci, d’évaluer les chances de succès de l’appel dans l’affaire Kreishan. Il me suffit d’observer que notre Cour a certifié une question selon l’article 74(d) de la LIPR. Je ne peux donc pas accepter la prémisse de l’argumentaire du Ministre, qui affirme que la décision de notre Cour dans l’affaire Kreishan constitue l’état du droit et qu’elle doit être appliquée immédiatement aux présents dossiers.

II.  Préjudice irréparable

[8]  Les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si leurs dossiers n’étaient pas suspendus. En effet, si la Cour d’appel fédérale renverse le jugement de notre Cour dans l’affaire Kreishan, cela signifie que les demandeurs ont le droit de porter leur cause en appel à la SAR. Or si leur dossier n’est pas suspendu, le Ministre soutiendra sans doute, comme il le fait dans le cadre des présentes requêtes, que le jugement Kreishan constitue l’état du droit et doit être appliqué. Il demandera donc le rejet des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs. Si c’est ce qui se produit, les demandeurs auront été privés du droit d’appel à la SAR.

[9]  Notre Cour a déjà examiné les effets de la privation du droit d’appel à la SAR lorsque la SPR estime qu’une affaire ne présente pas un minimum de fondement (article 107(2) de la LIPR). Elle a noté qu’une telle conclusion « a des conséquences graves puisqu’elle prive les personnes concernées d’un appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) et d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. C’est pourquoi la rigueur dont il faut faire preuve pour tirer ces conclusions doit être élevée » : Shukriya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1375 au paragraphe 24. En effet, la SAR examine les décisions de la SPR en ne faisant preuve de déférence qu’à l’égard de catégories précises de questions: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93. Il est donc évident que l’appel à la SAR permet la correction de plusieurs types d’erreurs qui ne donneraient pas lieu à un contrôle judiciaire devant notre Cour.

[10]  Puisqu’ils impliquent la compétence même d’un tribunal administratif d’appel, les présents dossiers se distinguent de certaines décisions citées par le Ministre à l’appui de sa position. Dans ces affaires, il semble que la question portée devant la Cour d’appel ou la Cour suprême n’était pas identique aux questions qui devaient être tranchées dans les dossiers dont on demandait la suspension. Il existait une jurisprudence bien établie au sujet de ces questions, que l’affaire portée en appel aurait pu modifier ou non. De plus, aucune de ces affaires ne portait sur la privation d’un droit d’appel.

[11]  Par contre, on peut tracer un parallèle avec l’affaire Monla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1280, dans laquelle un nombre important de demandes présentées à notre Cour ont été suspendues dans l’attente d’une décision sur certaines causes types. Sans cette suspension, les demandeurs auraient pu être privés du droit de contester devant notre Cour la révocation de leur citoyenneté.

III.  Pondération des inconvénients

[12]  L’intérêt de la justice exige habituellement qu’il soit statué le plus rapidement possible sur les affaires soumises à notre Cour. Cela est d’autant plus vrai en matière d’immigration : les demandeurs d’asile devraient savoir le plus rapidement possible s’ils obtiennent le statut de réfugié ou s’ils doivent quitter le Canada. Il n’est dans l’intérêt de personne que les demandeurs d’asile demeurent au Canada durant une période prolongée dans l’attente d’une décision finale.

[13]  Néanmoins, les demandes d’asile doivent être tranchées de façon juste et en conformité avec la Charte. Comme je l’ai noté plus haut, cela requiert que les procédures soient suspendues dans l’attente du jugement de la Cour d’appel fédérale.

[14]  Par ailleurs, cette suspension ne causera pas d’inconvénient important au Ministre. On sait maintenant que la Cour d’appel fédérale entendra la cause rapidement. Bien sûr, il faudra attendre quelques semaines ou quelques mois de plus avant qu’une décision finale ne soit rendue à l’égard des demandeurs. Cependant, ce délai est nécessaire pour s’assurer du respect des droits garantis par la Charte.

[15]  De toute manière, si la suspension n’était pas accordée, les demandeurs et les personnes dans une situation semblable devraient mettre en état leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le Ministre devrait répondre à chacun d’entre eux. La Cour devrait ensuite étudier et trancher tous ces dossiers. Le temps et les ressources que cela exigerait seront vraisemblablement gaspillés. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est parvenue ma collègue la protonotaire Mandy Aylen dans un dossier semblable : Mukhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-1405-18, ordonnance du 11 juin 2018. J’ai bon espoir que ces démarches deviendront inutiles une fois que la Cour d’appel aura rendu son jugement, quelle qu’en soit l’issue.

[16]  Je suis donc d’avis que l’intérêt de la justice exige que les présentes demandes soient suspendues jusqu’à ce que la Cour d’appel rende jugement dans l’affaire Kreishan.

 


ORDONNANCE dans IMM-2806-17 et IMM-2664-17 et IMM-2727-17

LA COUR ORDONNE que :

1.  Les présents dossiers soient suspendus dans l’attente du jugement de la Cour d’appel fédérale rendra son jugement dans l’affaire Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), A-153-18;

2.  Les demandeurs devront signifier et déposer leur dossier dans les trente jours suivant le jugement de la Cour d’appel fédérale.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2806-17

 

 

 

INTITULÉ :

CLARISSE BUYU LUEMBA c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 juin 2018

 

requêtes considérées par téléconférence le 3 juillet 2018 à ottawa (ontario)

 

DOSSIER :

IMM-2664-17

INTITULÉ :

RAFIQUE JOSEPH, REHANA JOSEPH, SHERISH JOSEPH, SHUN JOSEPH, SHARAL KINZA JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-2727-17

 

INTITULÉ :

BELIZAIRE JOINIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Jacqueline Bonisteel

 

Pour la demanderesse

(CLARISSE BUYU LUEMBA)

Gabrielle White

Pour le défendeur

 

 


PRÉTENTIONS ORALES ET ÉCRITES :

Stéphanie Valois

Pour leS demandeurS

(RAFIQUE JOSEPH, REHANA JOSEPH, SHERISH JOSEPH, SHUN JOSEPH, SHARAL KINZA JOSEPH)

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

Myriam Harbec

 

Pour le demandeur

(BELIZAIRE JOINIS)

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Corporate Immigration Law Firm

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

(CLARISSE BUYU LUEMBA)

 

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

(RAFIQUE JOSEPH, REHANA JOSEPH, SHERISH JOSEPH, SHUN JOSEPH, SHARAL KINZA JOSEPH)

 

 

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

Myriam Harbec

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

(BELIZAIRE JOINIS)

 

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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