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Date : 20180628

Dossier : T-1774-17

Référence : 2018 CF 673

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SIMON JAMES ELLIOTT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision [la décision] rendue par la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] qui a rejeté l’appel de la décision [la décision de la Commission] de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] ayant révoqué la libération d’office du demandeur.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée avec dépens.

II.  EXPOSÉ DES FAITS

[3]  Le demandeur, Simon James Elliott, purge actuellement une peine de huit ans et quatre mois pour une série d’infractions. Sa peine a débuté le 1er mars 2011. La date d’expiration de son mandat était le 30 juin 2019. La date initiale de sa libération d’office était le 19 septembre 2016. Le 8 septembre 2016, la Commission a rendu une décision relative aux conditions à imposer pour la libération d’office du demandeur. Ces conditions incluaient une assignation à résidence obligeant le demandeur à rentrer tous les soirs, l’interdiction d’être en possession d’alcool et de drogues non médicamenteuses et d’en consommer, l’observation d’un plan de traitement et l’interdiction de fréquenter certaines personnes. Le demandeur a été libéré du centre de détention provisoire d’Edmonton le 15 septembre 2016. Il a été mis en liberté dans la collectivité à Edmonton le 24 octobre 2016.

[4]  Le 8 novembre 2016, un mandat d’arrestation a été délivré contre le demandeur. Le Service correctionnel du Canada [SCC] a suspendu la libération d’office du demandeur pour avoir omis de fournir un échantillon d’urine conformément aux instructions et pour avoir tenté de camoufler un échantillon et de l’utiliser pour l’analyse. Le SCC a alors recommandé que la libération d’office du demandeur soit révoquée, car elle a conclu que le demandeur ne pouvait plus être géré dans la collectivité. En formulant cette recommandation, le SCC a noté que, durant sa libération d’office, le demandeur :

a.  a été exigeant, arrogant et revendicateur;

b.  a menti à un agent de soutien de l’Alberta, en tentant d’obtenir du financement auquel il n’avait pas droit;

c.  a eu des comportements témoignant de l’usage de méthamphétamine;

d.  a fait valoir que tout résultat positif à un test de dépistage de drogues indiquerait une consommation en milieu carcéral;

e.  a tenté de dissimuler un flacon d’urine dans son veston lorsqu’il s’est présenté au bureau de libération conditionnelle d’Edmonton pour une analyse d’urine et n’a produit cet échantillon que lorsqu’on l’y a contraint;

f.  a tenté d’utiliser l’urine dans ce flacon pour l’analyse d’urine;

g.  n’a pas fourni de nouvel échantillon d’urine même après qu’on lui a fait boire de l’eau;

h.  a nié avoir dû fournir précédemment des échantillons d’urine, même si les dossiers indiquaient le contraire;

i.  a insisté sur le fait qu’il était logique d’apporter un flacon d’urine pour le test d’urine.

[5]  Le demandeur a présenté des observations écrites à titre de réponse, par voie de lettre datée du 8 novembre 2016 dans laquelle il contestait les renseignements indiqués dans l’évaluation en vue d’une décision du 19 mai 2017 concernant son transfèrement vers un autre établissement.

[6]  Une audience devant la Commission a eu lieu le 9 février 2017. En vertu d’une décision rendue le même jour, la libération d’office du demandeur a été révoquée. Le demandeur a interjeté appel de cette décision. Aux termes d’une décision rendue le 14 avril 2017, la Section d’appel a accueilli l’appel et ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant la Commission.

[7]  Une nouvelle audience a eu lieu devant la Commission le 27 juillet 2017. En vertu d’une décision rendue ce même jour, la Commission a révoqué la libération d’office du demandeur, en concluant que celui-ci présentait un risque inacceptable. À l’appui de cette décision, la Commission a mentionné notamment les éléments suivants :

a.  Les rapports psychologiques indiquent que le demandeur présente un haut risque général de récidive;

b.  Le refus du demandeur de reconnaître que la victime de l’infraction répertoriée a été traumatisée est préoccupant, parce que cela témoigne d’un manque d’empathie envers la victime et d’un refus d’admettre les conséquences de son comportement criminel;

c.  La raison fournie par le demandeur, pour expliquer pourquoi il a apporté un flacon d’urine pour l’analyse d’urine durant sa libération d’office, est préoccupante et difficile à accepter, en particulier compte tenu du fait que le demandeur avait déjà fourni des échantillons d’urine auparavant;

d.  Le demandeur a eu des comportements négatifs dans divers établissements, dont plusieurs fois après la suspension de sa libération d’office, ainsi que lors de l’audience devant la Commission;

e.  Le demandeur a montré qu’il pouvait avoir recours à des supercheries;

f.  Le demandeur n’a pas semblé vouloir ni pouvoir utiliser des stratégies de gestion des risques dans la collectivité;

g.  Le demandeur comprenait les conditions de sa mise en liberté.

[8]  Le 10 août 2017, la Section d’appel a reçu l’appel interjeté par le demandeur de la décision de la Commission. Elle a ensuite reçu d’autres lettres du demandeur datées du 11 octobre 2017 et du 26 octobre 2017.

[9]  Le 20 novembre 2017, la Section d’appel a rendu sa décision rejetant l’appel et confirmant la décision de la Commission. La Section d’appel a examiné les motifs de l’appel du demandeur, à savoir si la décision de la Commission était raisonnable et si elle était fondée sur des renseignements erronés ou incomplets. La Section d’appel a conclu que la décision de la Commission était fondée sur des renseignements pertinents, fiables et convaincants, et qu’elle était raisonnable.

[10]  Le demandeur cherche maintenant à obtenir un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[11]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle devant s’appliquer aux questions soulevées dans la présente demande?
  2. Les membres de la Commission ou de la Section d’appel ont-ils fait preuve de partialité envers le demandeur?
  3. Le demandeur a-t-il eu droit à un niveau approprié d’équité procédurale?
  4. La décision de la Section d’appel était-elle raisonnable?
  5. Les droits du demandeur garantis par les articles 7, 9 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte] ont-ils été violés?

A.  Norme de contrôle

[12]  Les arguments relatifs à l’équité procédurale doivent être évalués en regard de la norme de la décision correcte (Abraham c. Canada (Procureur général), 2016 CF 390, au paragraphe 12).

[13]  Quant aux décisions de la Section d’appel, elles doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

[14]  Cependant, comme la Section d’appel possède une expertise dans les affaires tranchées par la Commission, ses décisions commandent la déférence de la Cour. Pour cette raison, le caractère « raisonnable » signifie que, même si les motifs qui ont été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la Cour doit d’abord chercher à les compléter, en présumant que le décideur a pris en compte les facteurs soulevés par une partie même s’il n’en est pas expressément fait mention dans les motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 12).

[15]  Lorsqu’elle doit revoir une décision de la Section d’appel ayant confirmé une décision de la Commission, la Cour doit être convaincue de la légalité de la décision de la Commission (Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au paragraphe 10). Qui plus est, la Cour fédérale a reconnu l’expertise de la Commission et de la Section d’appel dans les affaires liées aux décisions portant sur la libération conditionnelle, de sorte que leurs décisions appellent une grande retenue (Fernandez c. Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au paragraphe 20; Boucher c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1342, au paragraphe 11).

B.  Les membres de la Commission ou de la Section d’appel n’ont pas fait preuve de partialité envers le demandeur

[16]  Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve ni aucun argument raisonnable pour étayer ses allégations de partialité à son endroit de la part de la Commission ou de la Section d’appel.

[17]  Son principal argument est que la commissaire a soulevé une crainte raisonnable de partialité à son endroit, [traduction] « en concluant essentiellement que le demandeur présente actuellement un risque inacceptable et en révoquant sa libération d’office ». Le demandeur prétend notamment que la commissaire n’a pas tenu compte de ses observations lorsqu’il a allégué que son agent de libération conditionnelle et les travailleurs de la maison de transition [traduction] « l’avaient piégé » en exigeant une analyse d’urine. Il a décrit comme suit la réponse de la commissaire [traduction] : « elle n’a fait que parler de mon dossier et de mes antécédents criminels, du fait que j’étais fiché et de mes démêlés avec la police; elle n’a cessé de m’interrompre et elle s’est montrée très manipulatrice, même lorsque je lui ai mentionné que je n’avais pas d’antécédents de consommation de méthamphétamine […] ».

[18]  De même, il prétend que la commissaire a tenté de le piéger et il cite notamment la déclaration qu’elle lui a faite à la page 8 de la décision : [traduction] « [p]lus précisément, vous contestez les renseignements dans votre dossier et dites que la victime de votre infraction répertoriée n’a pas été traumatisée », puis a conclu [traduction] « il vous reste encore beaucoup à faire en ce qui a trait à l’empathie témoignée à la victime et à l’admission de toutes les conséquences de vos comportements criminels ».

[19]  Le demandeur n’a présenté à la Cour aucun extrait de l’enregistrement de l’audience devant la Commission, demandant plutôt à la Cour d’écouter l’enregistrement. C’est ce que la Cour a fait, dans la mesure nécessaire, et elle n’a trouvé aucun élément de preuve permettant d’appuyer les observations du demandeur. Elle a au contraire constaté que le demandeur avait souvent interrompu l’instance et avait refusé de suivre les directives de la Commission qui tentait de maintenir des procédures ordonnées durant l’audience.

[20]  Il semble en outre que le demandeur n’ait pas compris que la Commission des libérations conditionnelles n’exerce ni des fonctions judiciaires ni des fonctions quasi judiciaires, et qu’elle est tenue de suivre une procédure d’enquête qui lui confère un vaste mandat d’inclusion des renseignements. Elle doit prendre en compte « toute l’information pertinente dont elle dispose ». Qui plus est, les « éléments de preuve » ne sont pas présentés sous serment, et il est possible que le tribunal qui préside l’audience n’ait aucune formation en droit : Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, 132 DLR (4th) 56 aux paragraphes 25 et 29; Mitchell c. La Reine, [1976] 2 RCS 570, 61 DLR (3d) 77, à la page 593.

[21]  Ce que le demandeur décrit comme de la partialité semble en fait être une situation où la commissaire s’acquitte de son obligation de mener une enquête complète, notamment en posant des questions pour l’aider à comprendre les éléments de preuve présentés et en devant parfois remettre en question les déclarations du délinquant qui soulèvent des doutes quant à leur validité.

C.  Le demandeur a eu droit à un niveau approprié d’équité procédurale

[22]  Hormis l’allégation de partialité, les autres allégations du demandeur ne sont pas les plaintes classiques portant sur l’absence d’un préavis adéquat pour informer le demandeur des arguments à réfuter ou encore sur l’absence d’une occasion adéquate de répondre. Le demandeur allègue plutôt qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que la Section d’appel n’a pas rendu sa décision concernant l’appel aussi vite qu’elle aurait dû le faire selon lui, dans les cas où un délinquant voit sa période de libération d’office raccourcie à cause d’un retard dans l’examen de la contestation de la révocation de sa libération d’office. Comme la Cour conclut que l’ordonnance de révocation ne doit pas être annulée, cette observation n’a qu’une valeur conjecturale.

[23]  Bien que justice différée puisse être justice refusée, la Cour est d’avis que les délais dans le processus décisionnel ne sont pas des questions d’équité procédurale pouvant justifier l’annulation d’une décision. Ces questions concernent plutôt l’amélioration de l’administration des procédures de la Section d’appel. En général, la mesure de redressement prévue en cas de retard inacceptable dans le processus décisionnel consiste en la délivrance d’un bref de mandamus.

[24]  Quoi qu’il en soit, la Section d’appel a répondu à la demande d’information du demandeur qui voulait savoir à quel moment se ferait l’instruction de son appel. La Section d’appel lui a indiqué qu’il lui était impossible de lui donner une date d’instruction précise, étant donné que, sauf certaines exceptions, les affaires sont traitées dans l’ordre, en fonction de la date à laquelle les motifs d’appel sont reçus. L’administration de cette politique est laissée à la discrétion de la Section d’appel, sauf lorsque cela va manifestement à l’encontre de l’intérêt de la justice. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[25]  À titre d’exemple, dans l’arrêt Perron c. Tremblay, 2017 QCCA 1407, au paragraphe 19, la Cour d’appel du Québec a conclu que la Commission et la Section d’appel sont autorisées à faire un examen complet, exhaustif et expert de ces questions, et que les cours d’instance supérieure doivent décliner juridiction sur la requête en habeas corpus concernant les affaires de la Commission, malgré le délai de quatre mois et demi avant que la Section d’appel rende une décision.

[26]  Par conséquent, la Cour rejette l’allégation du demandeur que la Section d’appel l’a privé de son droit à l’équité procédurale.

D.  La suspension et la révocation de la libération d’office du demandeur étaient raisonnables

1)  Libération d’office

[27]  La protection de la société est le critère prépondérant dans toutes les affaires dont est saisie la Commission (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLC], article 100.1).

[28]  Sous réserve d’autres dispositions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, un délinquant est admissible à une libération après avoir purgé les deux tiers de sa peine et il demeure en liberté jusqu’à l’expiration de sa peine. Cette libération d’office est toutefois assujettie à certaines conditions (LSCMLC, articles 127 et 133).

[29]  Les principes suivants s’appliquent à la libération d’office :

  • a) La libération d’office peut être suspendue lorsque le délinquant enfreint une condition de sa libération ou lorsque la suspension est nécessaire pour empêcher la violation des conditions de la libération ou pour protéger la société (LSCMLC, paragraphe 135(1)).

  • b) Cette suspension doit faire l’objet d’un examen par la Commission (LSCMLC, alinéas 135 (3)b) et 107(l)c)).

  • c) Lors de l’examen, la Commission peut révoquer la libération d’office si elle est convaincue qu’une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge présentera un risque inacceptable pour la société (LSCMLC, paragraphe 135 (5)).

  • d) Il s’agit d’une question sur laquelle la Commission a toute compétence et latitude (LSCMLC, alinéa 107(1)c)).

[30]  La Section d’appel a compétence pour examiner un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Commission si, en rendant cette décision, la Commission :

  • a) a violé un principe de justice fondamentale;

  • b) a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

  • c) a contrevenu aux directives établies aux termes de l’article 151 de la LSCMLC ou ne les a pas appliquées;

  • d) a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

  • e) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer (LSCMLC, paragraphe 147(1)).

2)  Analyse

[31]  La Section d’appel a indiqué, à juste titre, que son mandat d’intervention se limitait aux situations où la décision de la Commission est manifestement déraisonnable et non fondée. Le cas échéant, la Section d’appel peut exercer son pouvoir discrétionnaire et substituer son opinion à celle du commissaire de la Commission. C’est toutefois au commissaire qu’incombe la responsabilité initiale d’évaluer le risque de récidive et de rendre une décision quant à la capacité de gérer le risque que présentera le demandeur dans la collectivité. L’examen par la Section d’appel porte généralement sur des décisions de la Commission qui sont fondées sur une interprétation erronée des faits ou sur une mauvaise application de la loi et il s’étendrait aux situations où la Commission a grandement manqué à son obligation de fournir des motifs raisonnables pour expliquer sa décision. Selon la Cour, il n’y a en l’espèce aucun motif justifiant l’intervention de la Section d’appel.

[32]  La Section d’appel a d’abord décrit les observations du demandeur, puis y a répondu d’une manière exhaustive et logique, en plus de souligner d’autres éléments de la conduite déplacée du demandeur venant étayer la décision de la Commission.

[33]  Elle a ainsi mentionné que l’incident où le demandeur a refusé de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse pouvait raisonnablement être considéré comme un refus de sa part de se conformer à une condition de sa libération conditionnelle. Les faits indiquent que le demandeur a d’abord essayé de camoufler un flacon d’urine dans sa poche, puis a tenté de soumettre cet échantillon aux fins de l’analyse d’urine. Or, le demandeur savait que, pour qu’un test d’urine soit fiable, il faut avoir la garantie que l’échantillon fourni provient bien de la personne devant subir le test. Les actions et les explications du demandeur étaient déraisonnables et constituaient des éléments de preuve à partir desquels la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur avait refusé de fournir un échantillon d’urine parce qu’il craignait que le résultat d’analyse soit positif.

[34]  Dans un ordre d’idées comparable, le demandeur soutient que la Commission et la Section d’appel auraient dû prendre en compte certains aspects positifs de son comportement, notamment le fait qu’il a subi plusieurs analyses d’urine négatives, avant et après l’incident du 7 novembre 2016. Ces éléments ont été cités dans les décisions. Il n’a pas été établi clairement que le demandeur ne consommait pas de drogues avant sa libération, dans la mesure où celui-ci a déclaré durant l’audience que la dernière fois où il avait consommé des drogues pouvant, selon lui, être confondues avec des drogues illicites était la dernière journée de son incarcération, avant sa libération.

[35]  Cependant, le fait pertinent demeure que le défaut de se soumettre à un test, en particulier si tôt après avoir été libéré dans la collectivité conformément aux conditions de sa libération interdisant la consommation de drogues illicites, est en soi largement suffisant pour justifier la suspension de la libération d’office. Il s’agit également d’un élément de preuve venant étayer la décision de révocation.

[36]  Durant l’audience devant la Cour, le demandeur a fait beaucoup d’efforts pour contredire ce qu’il considérait comme une exagération, à savoir que ses transfèrements avaient été rendus nécessaires à cause de son comportement violent. Durant cette argumentation, le demandeur a relaté à la Cour son long historique d’incarcération, en décrivant plus particulièrement ses nombreux transfèrements entre établissements partout au pays qui, a-t-il allégué, n’avaient pas pour la plupart été motivés par des comportements violents de sa part, mais avaient au contraire été sollicités. Il a déclaré avoir été victime d’agressions à trois reprises et avoir été exposé à des risques lors de son incarcération au sein de la population carcérale générale, parce que des membres de sa famille étaient apparemment des membres haut placés des Hells Angels. Par conséquent, bon nombre de ses transfèrements visaient à le faire sortir de l’isolement cellulaire, mais le demandeur finissait lui-même par demander d’être isolé partout où il était transféré.

[37]  Dans sa réponse à ces observations, la Cour conclut que le demandeur a présenté un résumé erroné de la description faite par la Section d’appel des préoccupations de la Commission, lesquelles préoccupations étaient liées aux [traduction] « longs et violents antécédents criminels » du demandeur et à [traduction] « ses nombreux transfèrements sollicités et imposés en raison de ses comportements violents et pour réduire son isolement ». Bien que cette caractérisation des antécédents criminels du demandeur, comme facteur ayant contribué à ses transfèrements sollicités et imposés, ne soit pas inexacte lorsqu’on l’examine à la lumière des éléments de preuve au dossier cités par la Commission, il semble que la cause première de ses transfèrements ait vraisemblablement été l’incompatibilité du demandeur avec les autres détenus.

[38]  En ce qui a trait à son caractère violent, le demandeur purgeait sa quatrième peine fédérale de huit ans et quatre mois. Il avait commis un certain nombre de crimes graves au cours desquels il avait fait usage d’une grande violence et fait preuve d’une grande insouciance. Selon la description de la Commission, ces crimes incluaient les suivants : homicide involontaire coupable, vol, introduction par effraction, agression, prise de possession par la force, infractions relatives à la conduite d’un véhicule (conduite avec facultés affaiblies et malgré la suspension du permis de conduire), fraude, infractions contre des biens et abus de confiance. Dix de ses condamnations précédentes concernaient des infractions prévues à l’Annexe I, dans le cadre desquelles le demandeur a fait usage d’armes, notamment de couteaux, de pistolets et d’un morceau de cadre de porte. Il a aussi menacé les victimes d’actes de violence pour obtenir leur coopération.

[39]  La Commission a en outre cité un rapport faisant état d’une agression violente non provoquée de la part du demandeur à l’endroit d’un détenu, qui est survenue en mai 2016 et durant laquelle le demandeur a attaqué et frappé un autre détenu par derrière. Le demandeur a continué de frapper l’autre détenu sur la tête et le haut du corps, lui assénant environ 41 coups, même si la victime gisait sur le sol et ne se défendait pas. Il a été condamné pour cet incident et reçu une peine d’une journée. Le demandeur soutient qu’il n’était pas coupable, car la victime l’avait attaqué précédemment; la Cour n’a toutefois pas jugé qu’il s’agissait d’un motif acceptable de légitime défense, notamment compte tenu du degré de violence manifesté par le demandeur lors de l’agression. Le demandeur a aussi fait valoir que, compte tenu des circonstances et de la peine infligée, il ne valait pas la peine de contester les accusations. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve corroborante au dossier étayant la raison invoquée par le demandeur pour agresser le détenu ou les motifs pour lesquels il n’a pas contesté ces accusations.

[40]  De plus, l’allégation du demandeur, selon laquelle il a lui-même sollicité ses transfèrements pour éviter d’être agressé par des détenus parce que des membres de sa famille sont des haut placés au sein des Hells Angels, semble douteuse. Le défendeur a fait valoir qu’un agent de renseignements de sécurité avait étudié la situation du demandeur en 2017, mais n’avait pu trouver aucun élément de preuve étayant son allégation que le demandeur était exposé à des risques. De plus, l’évaluation en vue de la décision datée du 19 mai 2017, concernant un transfèrement, contient un passage où il est indiqué que [traduction] « les interactions du demandeur avec les détenus ont parfois été assez préoccupantes. Il a été agressé à quelques reprises par des détenus, une situation qu’il attribue au fait “qu’il ne se laisse pas faire” ».

[41]  Le demandeur allègue que ses nombreux transfèrements entre établissements l’ont empêché de terminer d’importants programmes qui l’auraient préparé à sa réinsertion dans la collectivité. La Cour conclut toutefois que c’est principalement l’aversion du demandeur pour la fraternisation avec la population carcérale générale, à qui ces programmes sont principalement destinés, qui l’a empêché de participer à ces programmes.

[42]  Cette explication qui laisse croire que les incompatibilités personnelles du demandeur avec autrui seraient à l’origine de ses nombreux transfèrements est également conforme aux éléments de preuve indiquant qu’il a demandé une chambre individuelle quelques jours seulement après son arrivée à la maison de transition, lors de sa libération dans la collectivité en octobre 2016. Dans son rapport, la Commission note que le demandeur a critiqué la conduite des autres résidents de l’établissement, alléguant que l’un d’eux était impliqué dans des crimes liés à la drogue et que l’autre avait un comportement bizarre, qu’il faisait de la magie et [traduction] « s’était inventé une identité ». Le directeur de la maison de transition a refusé d’accéder à sa demande, laquelle n’a pas été appuyée par le fonctionnaire du SCC.

[43]  Ces éléments sont conformes aux autres éléments de preuve cités dans le rapport de la Commission au sujet des problèmes psychologiques liés au comportement du demandeur dans la collectivité et en établissements. Selon un rapport du SCC, lorsqu’il était dans la collectivité, le demandeur est apparu comme une personne exigeante, arrogante et revendicatrice. Lorsqu’il a été libéré pour la première fois dans la collectivité, le demandeur a indiqué à l’agent chargé de son cas qu’il n’avait pas eu le temps de remplir la documentation du SCC, car il avait dû consacrer tout son temps libre à ses nombreuses poursuites en instance contre le SCC. Il a également indiqué à l’agent du SCC qu’il n’avait pas à produire de curriculum vitæ, car il n’aurait aucun problème à trouver de l’emploi.

[44]  Durant l’audience, le demandeur a allégué que les agents du SCC, et plus particulièrement son agent de libération conditionnelle, n’avaient pas été sincères en décrivant ces faits et d’autres événements. Le demandeur n’a toutefois produit aucun élément de preuve ni aucune justification raisonnable pour étayer cette allégation selon laquelle les agents du SCC n’avaient pas donné un compte rendu sincère du comportement du demandeur. Rien n’empêchait la Commission ou la Section d’appel de préférer les éléments de preuve des agents du SCC à ceux du demandeur, au sujet des allégations infondées du demandeur quant à la mauvaise foi de la part des employés du SCC ou des gestionnaires des maisons de transition. Il s’agit d’un principe qui s’applique généralement à toutes les allégations de mauvaise foi contre des personnes.

[45]  Le demandeur conteste également la confirmation, par la Section d’appel, de la conclusion de la Commission concernant le manque d’empathie du demandeur envers la victime. Il conteste la réputée affirmation selon laquelle il a causé à sa victime un grave préjudice psychologique lors du vol, en faisant valoir que le dossier ne contient aucune déclaration de la victime ni aucun autre renseignement corroborant cette conclusion. Cependant, comme l’a souligné la Section d’appel, ce n’est pas la question qui a été soulevée par la Commission. Les préoccupations de la Commission étaient plutôt liées au manque d’empathie du demandeur et à sa méconnaissance des conséquences de son comportement criminel; la remise en question de la gravité du préjudice psychologique est donc un facteur non pertinent.

[46]  De plus, les victimes de crimes violents ont souvent de bonnes raisons d’éviter de faire des déclarations, l’une de ces raisons, et non la moindre, étant leur crainte raisonnable de représailles de la part d’une personne ayant déjà manifesté un penchant pour les comportements criminels violents et téméraires. La Commission a noté que le demandeur avait été incarcéré pour une série d’événements au cours desquels il s’était introduit dans une bijouterie en pointant une arme à plombs. Il a ensuite sauté par-dessus la vitrine en verre et empoigné une employée. Il a ordonné à l’employée d’ouvrir la vitrine, en laissant implicitement planer la menace qu’il lui ferait du mal si elle n’obéissait pas. Lorsque l’employée a essayé de s’enfuir, il l’a pourchassée et l’a plaquée au sol, lui causant des blessures mineures.

[47]  L’incident s’est poursuivi après son départ de la bijouterie, par une poursuite policière à haute vitesse à travers la ville. Sa course a pris fin lorsque sa voiture volée a embouti une autre voiture. Le demandeur a ensuite tenté à deux reprises de voler un autre véhicule, en essayant notamment d’expulser une femme de sa voiture. Sa conduite dangereuse n’a pris fin que lorsqu’on a réussi à le maîtriser par la force, à l’aide d’un pistolet Taser. Il ne s’agit pas là de circonstances où le demandeur peut, ou même devrait, alléguer que ces crimes n’étaient pas graves, ou n’auraient pas de conséquences psychologiques graves sur les citoyens ayant aléatoirement souffert des conséquences de ses comportements violents.

[48]  Le demandeur s’est aussi plaint que la Commission n’avait pas tenu compte d’une opinion dissidente mentionnée dans un rapport du 13 avril 2017 qui avait conclu que le demandeur devrait recevoir la cote de sécurité maximale pour son placement dans un établissement. La Cour note que cette opinion dissidente laissait entendre qu’il serait dans l’intérêt public d’envoyer le demandeur dans un établissement à sécurité moyenne afin de lui offrir la possibilité d’acquérir des compétences en gestion des risques, manifestement parce que l’on croyait qu’il était prêt à participer à ces programmes. Il se pourrait que l’opinion dissidente ait été rejetée parce que le demandeur a manifesté une réticence à résider avec la population carcérale générale.

[49]  L’agent a aussi noté que le demandeur [traduction] « sera probablement libéré d’office le 13 août 2018 et qu’il présente un haut risque de récidive violente » [non souligné dans l’original]. Ces commentaires appuient la conclusion selon laquelle la révocation de sa libération d’office était justifiée.

[50]  Hormis les arguments précis invoqués devant la Cour, qui étaient souvent identiques ou comparables à ceux présentés devant la Section d’appel, la Cour note de nombreux autres facteurs et éléments de preuve pouvant appuyer la décision de la Commission selon laquelle le niveau de risque de récidive de la part du demandeur était devenu inacceptable. Ces éléments incluent 78 chefs d’accusation en établissement, dont 29 étaient liés à divers rapports et évaluations psychologiques faisant état de déficits affectifs et comportementaux personnels à améliorer, d’abus d’alcool ou d’autres drogues, de préoccupations au sujet de la capacité du demandeur de fonctionner dans la collectivité et de difficultés sur le plan de l’éducation et de l’emploi.

[51]  La Cour conclut que le demandeur lui demande d’apprécier à nouveau la preuve dans cette affaire, ce qui n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. La Commission disposait de renseignements plus que suffisants pour conclure que les risques associés au demandeur ne pourraient plus être gérés si celui-ci était libéré dans la collectivité. La Cour convient également avec le défendeur qu’il était loisible à la Commission et à la Section d’appel de considérer qu’il était préférable de se fier à l’information versée au dossier qu’aux explications du demandeur qui contestait la bonne foi des agents du SCC et d’autres intervenants du système correctionnel.

[52]  Par conséquent, la Cour conclut que les décisions de la Commission et de la Section d’appel, selon lesquelles il était dans l’intérêt de la protection de la société de suspendre, puis de révoquer, la libération d’office du demandeur, appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elles reposent sur des motifs transparents et intelligibles.

E.  Aucune violation des droits garantis au demandeur par la Charte

1)  Article 7

[53]  Bien que le demandeur ait été privé d’une partie de la période de liberté à laquelle il aurait autrement eu droit, n’eut été la révocation de sa libération d’office, rien n’indique que cette privation de liberté était contraire aux principes de justice fondamentale.

[54]  Il semble que la seule allégation soit que la Commission n’a pas tenu compte des accusations portées contre lui. Il ne s’agit pas d’un motif pour invoquer l’article 7 de la Charte. Le rôle de la Commission est d’évaluer la conduite d’un délinquant et de déterminer, d’après les facteurs énoncés dans les dispositions de la loi, si la libération d’office du délinquant devrait être suspendue ou révoquée en raison des risques qu’il présente pour la collectivité.

2)  Article 12

[55]  Il n’existe aucun élément de preuve ni motif qui permette de conclure que le demandeur a fait l’objet de peines ou de traitements cruels et inusités. Le demandeur a été déclaré coupable et incarcéré pour de multiples infractions. La réincarcération d’un délinquant pour purger une peine d’une durée indéterminée en établissement, après la révocation de sa libération conditionnelle, ne viole pas les droits garantis à ce délinquant au sens de l’article 12 de la Charte (Aney c. Canada (Procureur général), 2005 CF 182, aux paragraphes 65 à 69).

IV.  CONCLUSION

[56]  La demande est rejetée avec dépens.

[57]  Durant l’audience, le demandeur a demandé que des dépens d’un montant minimal de 750 $ lui soient accordés, ce montant, ayant-il fait valoir, étant principalement lié aux débours ainsi qu’à la photocopie et à la préparation de son dossier. Le défendeur a fait valoir que ses frais, calculés conformément à la colonne III du tarif, justifieraient l’adjudication de dépens d’environ 3 000 $. Dans les circonstances, la Cour accorde au défendeur des dépens d’un montant total de 1 000 $, taxes et débours inclus.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1774-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens d’un montant total de 1 000 $ comprenant les débours et les taxes payables par le demandeur au défendeur.

Conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, l’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre de défendeur.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1774-17

INTITULÉ :

SIMON JAMES ELLIOTT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2018

COMPARUTIONS :

Simon James Elliott

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Robert Drummond

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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