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Date : 20180621


Dossier : T-1147-16

Référence : 2018 CF 644

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

LUCA M. CICIARELLI,

aussi appelé LUCA CICARELLI

1585677 ONTARIO LTD.

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE RELATIVE À LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  Voici les motifs de l’ordonnance que je rends relativement à la détermination de la peine, imposant une amende de 6 000 $ et des dépens de 4 560,66 $, ordonnant la communication des dossiers, une fois de plus, et précisant la peine d’emprisonnement pour le défaut de se conformer au paiement ainsi que les conditions de communication de l’ordonnance relative à la détermination de la peine.

[2]  L’historique de l’outrage commis par les défendeurs est décrit dans mes motifs d’outrage au tribunal en date du 19 avril 2018. L’outrage au tribunal – soit le non-respect de l’ordonnance de communication des dossiers rendue par le juge Brown – perdure malgré le maintien, par la Cour d’appel fédérale, de l’ordonnance rendue par le juge Brown. L’outrage perdure en ce qui a trait à mon ordonnance pour outrage au tribunal, puisque les dossiers n’ont pas été produits, conformément à l’ordonnance.

Bien qu’ils interjettent appel de mon ordonnance pour outrage au tribunal, les défendeurs n’ont pas demandé de sursis d’exécution de cette ordonnance.

II.  Faits

[3]  Même si les principaux faits sont décrits dans mes motifs d’outrage au tribunal et intégrés aux présents motifs, il est utile d’en aborder quelques-uns. Comme il est indiqué dans les motifs de l’ordonnance relative à la détermination de la peine dans l’affaire Montana, les présents motifs correspondent presque à tous égards à ceux dans l’affaire Montana.

[4]  La demande présentée par le ministre en application de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) et de l’article 289.1 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC (1985), c E-14, a été accueillie par le juge Brown le 9 août 2016. L’ordonnance de communication exigeait la production de certains dossiers et renseignements (décrits dans les annexes A à E de cette ordonnance) dans un délai de 30 jours.

[5]  L’appel de cette ordonnance de communication a été rejeté le 21 septembre 2017.

[6]  Malgré l’ordonnance de communication et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, les dossiers et les renseignements n’ont pas été produits.

[7]  Notre Cour, dans l’ordonnance pour outrage au tribunal rendue le 19 avril 2018, a conclu que les défendeurs avaient commis un outrage relativement à l’ordonnance de communication, enjoignant à ces derniers de produire, dans un délai de 10 jours, les dossiers et les renseignements décrits dans ladite ordonnance.

[8]  Les défendeurs n’ont pas respecté l’ordonnance de communication ni l’ordonnance pour outrage au tribunal et n’ont pas présenté d’excuses satisfaisantes justifiant ce non-respect. Comme la Cour l’a conclu, la défense à l’encontre du non-respect de l’ordonnance de communication était fondée sur des questions absurdes présentées au demandeur, visant à retarder la communication des dossiers et des renseignements demandés par le ministre.

[9]  Les défendeurs continuent de se rendre coupables d’outrage au tribunal.

III.  Analyse

[10]  La Cour est confrontée à une situation de non-respect persistant des ordonnances judiciaires.

[11]  En examinant la peine à imposer, la Cour a eu connaissance de l’argumentation et de la jurisprudence des deux parties. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Winnicki c. Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, au paragraphe 17, 155 ACWS (3d) 66, a énoncé les facteurs que l’on doit examiner :

1.  la gravité de l’outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l’espèce relatifs à l’administration de la justice;

2.  la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction;

3.  la présence de facteurs atténuants telles la bonne foi ou des excuses;

4.  la dissuasion d’un comportement semblable.

[12]  Ces facteurs sont conformes à la décision antérieure de la Cour fédérale (citée par les deux parties) dans Canada (Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, 294 FTR 297. Dans cette affaire, le juge a résumé les facteurs pertinents (auxquels je souscris) comme suit :

[16]  En résumé, les facteurs pertinents quant à la détermination de la peine dans un cas d’outrage au tribunal sont les suivants :

i.  Le but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. La dissuasion, particulière et générale, est importante afin de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice soit maintenue;

ii.  La proportionnalité de la peine doit refléter un équilibre entre l’application de la loi et ce que la Cour a qualifié de « clémence de la justice ».

iii.  Les facteurs aggravants comprennent la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal, la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement technique ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales), et, le cas échéant, le fait que le contrevenant ait enfreint de façon répétitive des ordonnances de la Cour.

iv.  Les facteurs atténuants peuvent comprendre des tentatives de bonne foi de se conformer à l’ordonnance (même après le manquement à l’ordonnance), des excuses ou l’acceptation de la responsabilité, ou le fait que le manquement constitue une première infraction.

[13]  En ce qui a trait au respect et à la dissuasion, les défendeurs ont non seulement démontré un mépris, mais également une intention constante de refuser de se conformer aux ordonnances de la Cour. Il est essentiel que les ordonnances de la Cour soient respectées, et il est important de dissuader les contrevenants et de renforcer les condamnations des tribunaux à l’égard des gestes non conformes et du refus d’agir. Il s’agit là d’un facteur important servant à établir le montant de l’amende et la peine d’emprisonnement éventuel.

[14]  Le non-respect des diverses ordonnances judiciaires a une portée d’intérêt public. Le régime fiscal canadien repose sur le principe de l’autodéclaration et de l’autocotisation. Il dépend de la conformité avec les lois fiscales. Les contribuables canadiens se conforment quotidiennement à la loi. En contrevenant à leurs obligations juridiques, les marginaux, comme les défendeurs, portent atteinte à notre régime fiscal.

[15]  En ce qui concerne la peine, il doit y avoir un équilibre entre l’application de la loi et la « clémence de la justice ». Des ordonnances supplémentaires enjoignant aux défendeurs de produire des documents sans l’imposition de sanctions seraient dénuées de sens. D’autre part, l’emprisonnement devrait être la dernière solution, et non la première. Une disposition prévoyant des « excuses raisonnables » justifiant l’inobservation, telle que l’incapacité d’obtenir des dossiers et des renseignements, doit être prise en compte dans l’établissement de la peine, comme cela a été fait en l’espèce.

[16]  En l’espèce, des facteurs aggravants, comme la connaissance, le caractère délibéré, la persistance et la présentation d’excuses tout à fait déraisonnables, l’emportent sur les facteurs atténuants, telle la « première infraction ». Les défendeurs n’ont pas seulement commis un manquement technique, ils ont contrevenu, de façon éhontée, à l’ordonnance de communication rendue par le juge Brown, au maintien de cette ordonnance par la Cour d’appel fédérale et à l’ordonnance pour outrage au tribunal.

[17]  Les défendeurs ont des antécédents de non-conformité, n’ayant pas produit de déclarations de revenus depuis 2000. De plus, ils n’ont présenté aucun facteur atténuant à l’égard de ce non-respect des ordonnances judiciaires. Il n’existe aucune preuve tendant à démontrer la bonne foi ou l’inadvertance. Il n’y a pas eu d’excuses ou de moyens de se disculper de l’outrage au tribunal.

[18]  Par conséquent, j’ai conclu que la peine devrait comprendre :

  • a) une amende suffisamment élevée pour respecter les objectifs de conformité et de dissuasion. Le fait que les défendeurs se soient appuyés sur des affaires où des amendes moins élevées ont été imposées ne reflète pas leur comportement qui leur a valu d’être accusés d’outrage en l’espèce; un montant de 6 000 $ est approprié;

  • b) des dépens adjugés sur une base avocat-client, comme l’indique le ministre;

  • c) l’obligation continue de produire les dossiers et les renseignements, conformément à l’ordonnance;

  • d) une peine d’emprisonnement de 30 jours pour non-respect persistant, en l’absence d’excuses ou d’explications.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 juin 2018


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1147-16

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. LUCA M. CICIARELLI, aussi appelé LUCA CICARELLI 1585677 ONTARIO LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2018

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE RELATIVE À LA DÉTERMINATION DE LA PEINE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Margaret Nott

 

Pour le demandeur

 

Tony De Bartolo

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Tony De Bartolo

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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