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Date : 20180628


Dossier : IMM-4985-17

Référence : 2018 CF 669

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

CORAZON BAUTISTA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Énoncé des faits

[1]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Corazon Bautista cherche à faire annuler la décision d’un agent des visas de rejeter sa demande de permis de travail temporaire. Mme Bautista, citoyenne des Philippines qui habite à Hong Kong, souhaite venir au Canada pour travailler comme aide familiale dans la maison de son frère, M. Reynaldo Lucas Marayag.

[2]  Cette audience avait été fixée à Vancouver pour le 6 juin 2018; mais le 31 mai 2018, M. Marayag, qui n’est pas un avocat, a présenté une demande de comparution, indiquant que la demanderesse ne détenait pas de visa pour venir au Canada, qu’elle n’avait pas les moyens de retenir les services d’un avocat et que lui-même, son frère et employeur potentiel, M. Marayag, était muni d’une procuration pour la représenter devant la Cour. Le 1er juin, le défendeur a avisé la Cour qu’il contestait cette comparution et que l’avocat du défendeur serait prêt à présenter des observations de vive voix concernant la question soulevée à l’audience. La Cour a ordonné que les deux parties soient prêtes à présenter des observations sur la requête orale de la demanderesse le 6 juin 2018.

[3]  Après avoir entendu les observations des parties, la Cour leur a indiqué que la requête de la demanderesse était rejetée et qu’un résumé des motifs écrits devra être fourni. On leur a demandé s’ils préféraient que la demande de contrôle judiciaire soit reportée et entendue à une date ultérieure ou que le bien-fondé soit traité en fonction des observations écrites. Les deux parties ont reconnu qu’il n’y avait rien d’autre à ajouter à leurs observations écrites (aucune des parties n’a déposé d’autre mémoire des faits et du droit après que la demande d’autorisation a été accueillie) et que la Cour pouvait trancher cette affaire en se fondant sur les documents écrits.

[4]  Par conséquent, les présents motifs traiteront de la requête préliminaire de la demanderesse ainsi que du bien-fondé de l’affaire.

II.  Requête préliminaire

[5]  Aucun élément de preuve n’a été déposé à l’appui de la requête de la demanderesse; en effet, la demanderesse n’a pas déposé d’affidavit stipulant qu’il lui était impossible de se présenter à l’audience au Canada ou qu’elle n’avait pas les moyens d’être représentée par un avocat. La demanderesse n’a pas non plus demandé d’être entendue par la Cour par conférence téléphonique.

[6]  M. Marayag a avisé la Cour qu’à un certain moment, il était avocat aux Philippines et qu’il y a pratiqué le droit de 2007 à 2009. Bien qu’il n’ait pas poursuivi sa carrière juridique au Canada, il a récemment suivi une formation pour devenir consultant en immigration.

[7]  Contrairement à ce que pense M. Marayag, les articles 119 et 121 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sont très clairs. Sauf dans deux cas bien précis, seuls les avocats peuvent faire des observations devant la Cour au nom d’une personne donnée. Dans des circonstances particulières et avec l’autorisation de la Cour, une société, une société en nom collectif ou une association sans personnalité morale peut être représentée par un agent, un partenaire ou un membre, et une partie qui n’a pas la capacité d’ester en justice ou qui agit en qualité de représentant peut aussi déroger de la règle générale, toujours dans des circonstances particulières et avec l’autorisation de la Cour. Aucune de ces exceptions ne s’applique à la demanderesse.

[8]  Il est vrai que, dans les arrêts Erdmann c. Canada, 2001 CAF 138 et Scheuneman c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 439, la Cour d’appel fédérale n’a pas écarté la possibilité que, d’après sa compétence inhérente, la Cour pourrait, dans des circonstances particulières, autoriser une personne autre qu’un avocat à représenter un plaideur lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Cependant, et à mon humble avis, aucun de ces précédents n’a permis de rendre une décision ferme sur la question.

[9]  Dans tous les cas, et comme j’en ai informé les parties à l’audience, je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour permettre à M. Marayag de représenter la demanderesse en l’espèce.

[10]  Premièrement, et comme il est indiqué ci-dessus, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de croire que la demanderesse ne pouvait pas retenir les services d’un avocat ou qu’elle avait envisagé la possibilité de faire entendre sa cause par conférence téléphonique (voir Doret c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 447, au paragraphe 12). Autrement dit, il n’existe aucun élément de preuve indiquant la raison pour laquelle les circonstances de la demanderesse seraient si exceptionnelles que la Cour devrait trancher en sa faveur concernant la requête préliminaire.

[11]  Deuxièmement, dans l’arrêt Scheuneman, le juge Evans a affirmé précisément que, si elle existait, la compétence inhérente de la Cour pour autoriser les observations par des non-juristes ne pourrait être exercée adéquatement que dans un contexte de faits bien précis, y compris le caractère approprié de la personne choisie. En tant qu’ancien avocat aux Philippines qui n’a jamais été reçu par le barreau d’aucune province ni d’aucun territoire du Canada, et en sa qualité de consultant en immigration récemment formé, M. Marayag n’est pas autorisé à faire des observations devant les tribunaux canadiens, à quelque titre que ce soit. La Cour devrait donc tenir compte des différences entre les consultants en immigration et les avocats spécialisés en immigration, et éviter d’encourager la pratique illégale du droit par des consultants en immigration.

III.  Questions et norme de contrôle

[12]  La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si l’agent des visas a commis une erreur en concluant que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de le convaincre :

a)  que son employeur potentiel avait les moyens financiers nécessaires pour l’employer;

b)  qu’elle retournerait dans son pays à la fin du séjour autorisé.

[13]  L’évaluation d’une demande de permis de travail sous-tend l’exercice du pouvoir discrétionnaire et exige une grande déférence de la part de la Cour. Par conséquent, la décision de l’agent des visas doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Tant que ses conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles, la Cour n’interviendra pas (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Ansari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849, au paragraphe 12).

IV.  Analyse

A.  Évaluation des finances de l’employeur par l’agent des visas

[14]  La demanderesse affirme que le tribunal ou l’organisme investi du pouvoir et de l’autorité pour déterminer si l’employeur satisfait ou non aux exigences financières d’Emploi et Développement social Canada (EDSC). En outre, elle soutient qu’en examinant l’étude d’impact sur le marché du travail d’EDSC, i) l’agent des visas a outrepassé sa compétence et ii) à tout le moins, l’équité procédurale exigeait que l’agent des visas fournisse à l’employeur potentiel l’occasion de répondre. Enfin, elle maintient que les seules raisons motivant le refus de sa demande de permis de travail sont celles décrites à l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement), et ne s’appliquent qu’aux demandeurs qui sont incapables d’exécuter le travail qui leur est demandé ou qui sont inadmissibles au Canada.

[15]  Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. La principale mission d’EDSC est d’évaluer les répercussions de l’embauche d’un travailleur étranger temporaire sur le marché du travail canadien. Ce faisant, il ne peut usurper le pouvoir discrétionnaire d’un agent des visas ni son obligation d’évaluer la capacité de l’employeur à respecter les modalités de l’offre d’emploi (Sulce c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 29; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115, au paragraphe 20).

[16]  À mon avis, l’agent des visas a effectué une analyse raisonnable du revenu familial total de l’employeur potentiel, et il a conclu que ce revenu était inférieur au seuil de faible revenu pour la famille et n’était donc pas suffisant pour payer le salaire de la demanderesse. De plus, l’agent des visas a examiné les économies familiales ainsi que les niveaux de revenus des deux dernières années. L’agent des visas n’était pas tenu de formuler des hypothèses, comme le suggère la demanderesse, ni d’envisager la possibilité que le revenu familial pourrait augmenter avec l’aide d’une aide familiale. Non seulement il n’existe aucun élément de preuve indiquant que la famille n’avait jamais eu recours à une aide familiale, mais l’évaluation de la capacité de l’employeur à verser un salaire ne devrait pas être fondée sur des hypothèses.

[17]  Je n’étais pas non plus convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent des visas aurait dû donner à l’employeur l’occasion de réfuter ses conclusions avant de refuser la demande de permis de travail de la demanderesse. Il incombe à la demanderesse de convaincre l’agent des visas par rapport à tous les éléments de sa demande. En général, offrir la possibilité aux demandeurs de permis de travail de répondre aux préoccupations d’un agent des visas ne consiste pas en une exigence d’équité procédurale. Cela est d’autant plus vrai lorsque, en l’espèce, rien ne laisse croire que la demanderesse subira de graves conséquences découlant du refus de sa demande de permis de travail, étant donné qu’elle peut refaire une demande, et rien n’indique que cela lui causerait préjudice (Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, au paragraphe 5; Singh Grewal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, au paragraphe 19). Il n’appartient pas à l’agent des visas d’interroger la demanderesse ni de prendre d’autres mesures pour répondre à ses préoccupations découlant de tout document présenté par la demanderesse.

[18]  La décision de l’agent des visas était fondée sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par la demanderesse, plutôt que sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis; dans un tel cas, l’équité procédurale permet généralement au demandeur de répondre. À mon avis, les conclusions tirées par l’agent des visas à la lumière des éléments de preuve fournis par la demanderesse sont raisonnables.

B.  Évaluation par l’agent des visas de la probabilité que la demanderesse quitte le Canada à la fin de son séjour autorisé

[19]  À mon avis, les préoccupations de l’agent des visas concernant les liens familiaux de la demanderesse aux Philippines et le but de sa visite sont raisonnables. Alors que le mari et le fils de la demanderesse vivent aux Philippines, elle travaille à l’étranger (Singapour et Hong Kong) depuis le début des années 2000. La demanderesse ne possède pas de biens aux Philippines et n’a présenté aucune preuve indiquant qu’elle entretenait des liens étroits avec le pays. En revanche, l’agent des visas a conclu que la demanderesse avait de proches parents au Canada et qu’elle avait des motivations financières d’y rester.

[20]  Il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent des visas qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Je ne trouve aucune raison d’intervenir dans l’évaluation de l’agent des visas concernant le manque d’établissement de la demanderesse dans son pays natal qui la motiverait à rentrer du Canada.

[21]  Se fondant sur la décision rendue dans l’affaire Nazir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 553, la demanderesse affirme qu’il est déplacé pour un agent des visas de déterminer si un demandeur entend retourner ou non dans son pays à l’expiration de son permis de travail. Dans cette affaire, la Cour a annulé la décision d’un agent des visas en concluant que le Programme des aides familiaux résidants permettait aux aides familiaux résidants de présenter une demande de résidence permanente au Canada à condition qu’ils satisfassent aux exigences établies, énoncées dans le Règlement.

[22]  Cependant, dans l’arrêt Nazir, la Cour a réexaminé une décision concernant une demande de permis de travail présentée par un aide familial résidant, conformément à l’article 112 du Règlement (depuis abrogé); cette demande n’était donc pas régie par l’article 200 du Règlement, comme c’est le cas de la demande actuelle de la demanderesse. L’exigence habituelle selon laquelle la demanderesse doit quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé s’applique, comme l’énonce l’alinéa 200(1)b) du Règlement.

V.  Conclusion

[23]  Pour ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4985-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4985-17

INTITULÉ :

CORAZON BAUTISTA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2018

COMPARUTIONS :

Reynaldo Marayag

Pour la demanderesse

Brett Nash

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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