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Date : 20180618


Dossier : T-1974-17

Référence : 2018 CF 633

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

NADA ELROUMI

ET

9147-1425 QUÉBEC INC.

collectivement, les « demanderesses » ou, individuellement, la « demanderesse »

et

SHENZHEN TOP CHINA IMP & EXP CO.,

LTD CHINA,

FOSHAN HAOJIA CRAFTS CO., LTD.,

HAOJIA INDUSTRY CO LIMITED,

CHINA PACIFIC PROPERTY INSURANCE, CO., LTD.

JET-SEA INTERNATIONAL SHIPPING INC.

ET

ENTREPOT CANCHI

collectivement, les « défenderesses » ou, individuellement, la « défenderesse »

et

CMA CGM

mise en cause

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu et faits pertinents

[1]  Entrepot Canchi et CMA CGM ont chacune présenté une requête sollicitant une ordonnance de radiation à l’égard de la demande des demandeurs contre Entrepot Canchi et la mise en cause d’Entrepot Canchi contre CMA CGM, respectivement. Les deux parties font valoir que cette Cour n’a pas compétence pour entendre la cause contre Entrepot Canchi. Si cette dernière tombe, il en sera de même pour la mise en cause d’Entrepot Canchi contre CMA CGM.

[2]  Dans leur demande, les demanderesses déclarent avoir acheté certaines marchandises auprès des défenderesses Haojia Crafts Co., Ltd. et Hoajia Industry Co. Limited et payé pour l’expédition de ces marchandises de Huang Pu (Chine) à Montréal (Québec).

[3]  Les trois connaissements, émis par King Freight International Corp., indiquent que le conteneur contenant les marchandises des demanderesses a été chargé à bord du navire Hai Bang Da. Le port de Montréal a été désigné comme lieu de déchargement et de livraison, et la demanderesse Nada Elroumi a été nommée consignataire et partie notifiante.

[4]  Quelques jours plus tard, une lettre de voiture maritime a été émise par CMA CGM. Ce document nommait King Freight International Corp. comme expéditeur et Jet-Sea International Shipping Inc. [Jet-Sea] comme consignataire et partie notifiante. Il désignait également le port de Hong Kong comme lieu de chargement, le port de Vancouver comme lieu de déchargement et le port de Montréal comme lieu de livraison.

[5]  Les marchandises achetées ont été transportées de Vancouver à Montréal en train. Les demanderesses ou Jet-Sea ont embauché Entrepot Canchi pour ramasser les marchandises arrivées à la destination finale et les livrer à la résidence de Madame Elroumi, à Laval (Québec).

[6]  Après le dédouanement, on a annoncé à Mme Elroumi que les marchandises achetées étaient endommagées et qu’Entrepot Canchi devait livrer le conteneur à sa résidence, car elle était responsable de décharger les marchandises.

[7]  Les demanderesses ont présenté une demande de règlement à l’assureur de la défenderesse et reçu une compensation partielle pour leur perte.

[8]  Ignorant quand, comment et par qui les marchandises avaient été endommagées, les demanderesses ont émis leur déclaration contre les fournisseurs/expéditeurs, l’assureur, le transitaire et l’entreprise d’entreposage terrestre et de transport près de trois ans après la réception de l’envoi. Initialement, ni l’un ni l’autre des transporteurs maritimes, dont les noms figuraient sur les connaissements, n’ont été nommés comme défendeurs.

II.  Droit applicable

[9]  Pour déterminer si cette Cour a compétence sur l’objet de l’instance, le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752 [ITO], à la page 766, doit être respecté :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[10]  L’attribution légale de compétence de la Cour fédérale en droit maritime se trouve à l’alinéa 22(2)(f) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [loi] et se lit comme suit :

22 (1) …

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants…

(f) une demande d’indemnisation, fondée sur une convention relative au transport par navire de marchandises couvertes par un connaissement direct ou devant en faire l’objet, pour la perte ou l’avarie de marchandises en cours de route;

[11]  La jurisprudence établit que la compétence de cette Cour pour entendre des causes contre des transporteurs maritimes va au-delà du transport maritime lorsque des marchandises couvertes par un connaissement direct poursuivent leur route après avoir été déchargées. Autrement dit, une demande relève de l’alinéa 22(2)(f) de la Loi quand elle est présentée en application d’une convention de connaissement direct (Matsuura Machiner Corp c. Hapag Lloyd AG, [1997] ACF no 360 [QL] au paragraphe 7; Garfield Container Transport Inc c. Uniroyal Goodrich Canada Inc, [1998] ACF no 584 [QL] au paragraphe 4; Marley Co c. Cast North America (1983) Inc, [1995] ACF no 489 [QL] au paragraphe 9; Certains souscripteurs de la Lloyd’s c. Mediterranean Shipping Company S.A., 2017 CF 893, aux paragraphes 50 et 51).

[12]  Compte tenu de circonstances exceptionnelles, la Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt ITO que la compétence de cette Cour s’étend à la responsabilité de l’exploitant du terminal. Ces circonstances exceptionnelles sont énoncées aux pages 775 et 776 des motifs de la Cour :

Il est clair, à mon sens, que cet entreposage accessoire par le transporteur lui-même, ou par un tiers lié par contrat avec le transporteur, est aussi une affaire d’intérêt maritime en vertu du « rapport étroit existant en pratique entre le transit et l’exécution du contrat de transport » (le juge Le Dain en Cour d’appel). On peut donc conclure que la manutention et l’entreposage accessoire, avant la livraison et pendant que la marchandise reste sous la garde d’un acconier dans la zone portuaire, sont suffisamment liés au contrat de transport maritime pour constituer une affaire maritime qui relève du droit maritime canadien, au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale.

Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l’espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d’acconage se déroulent à proximité de la mer, c’est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l’acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l’entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.

III.  Analyse

[13]  En l’espèce, les connaissements directs couvrent la responsabilité des transporteurs maritimes, King Freight International Corp. et CMA CGM, du port de chargement au port de déchargement, c’est-à-dire le port de Montréal. Si les demanderesses avaient poursuivi l’un deux, leur demande aurait été valable peu importe si les dommages sont survenus pendant le transport maritime de Huang Pu à Vancouver ou pendant le transport en train de Vancouver à Montréal, et cette Cour aurait eu la compétence d’entendre cette cause.

[14]  Toutefois, le fait que les transporteurs maritimes étaient responsables de l’intégralité du segment couvert par les connaissements ne permet pas d’élargir la compétence de cette Cour à entendre des causes contre des parties d’autres contrats de transport, par exemple des transporteurs ferroviaires et terrestres (Marley Co, précité, au paragraphe 17).

[15]  Entrepot Canchi est un transporteur terrestre régi par les lois provinciales. La Cour supérieure du Québec (ou la Cour du Québec, si la valeur du litige ou le montant réclamé sont inférieurs à 85 000 $, hors intérêts) a la compétence exclusive d’entendre une demande fondée sur un contrat de transport liant les demanderesses et Entrepot Canchi, un transporteur terrestre.

[16]  Il est donc évident et manifeste que cette Cour n’a pas la compétence requise pour statuer sur la demande des demanderesses contre Entrepot Canchi et que, par conséquent, elle n’a pas la compétence requise pour statuer sur la mise en cause d’Entrepot Canchi contre CMA CGM. Les articles 193 et 194 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, énoncent clairement qu’une mise en cause est une réclamation dans le cadre de laquelle le défendeur a ou peut avoir une obligation envers le tiers à l’égard de tout ou partie de la réclamation du demandeur. Si la réclamation de la demanderesse à l’égard de la défenderesse ne s’inscrit pas dans la compétence de cette Cour, il en va de même pour la mise en cause de la défenderesse.

IV.  Conclusion

[17]  Pour ces motifs, les requêtes d’Entrepot Canchi et de CMA CGM sont accueillies et la demande de la demanderesse contre Entrepot Canchi et la mise en cause d’Entrepot Canchi contre CMA CGM sont radiées.


ORDONNANCE dans l’affaire T-1974-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Les requêtes d’Entrepot Canchi et de CMA CGM sont accueillies.

  2. La demande des demanderesses contre Entrepot Canchi est radiée.

  3. La mise en cause d’Entrepot Canchi contre CMA CGM est radiée.

  4. Des dépens de 500 $ sont accordés à Entrepot Canchi et à CMA CGM, y compris les débours et les intérêts.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1974-17

INTITULÉ :

NADA ELROUMI ET AL. c. SHENZHEN TOP CHINA IMP & EXP CO., LTD CHINA ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juin 2018

COMPARUTIONS :

Giovannina Diodati

POUR LA DEMANDERESSE

Alessandra Ionata

POUR LA DÉFENDERESSE

Jean-François Bilodeau

POUR LA MISE EN CAUSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Giovanna Diodati

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

Gasco Goodhue St-Germain LLP

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

Robinson Sheppard Shapiro LLP

Montréal (Québec)

POUR LA MISE EN CAUSE

 

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