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Date : 20180625


Dossier : IMM-5456-17

Référence : 2018 CF 656

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

RICARDO GONZALEZ MARTIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Énoncé des faits

[1]  M. Ricardo Gonzalez Martin est un citoyen du Mexique âgé de 27 ans, qui vit au Canada depuis septembre 2009. Il a d’abord bénéficié d’un visa de visiteur, qui a été prolongé jusqu’en janvier 2011, mais est sans statut depuis. Ses deux frères aînés et leurs familles respectives vivent au Canada. Ses deux parents étant décédés, il n’a plus de famille immédiate au Mexique.

[2]  M. Martin conteste la décision d’un agent d’immigration de rejeter sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les facteurs d’ordre humanitaire pris en compte par l’agent d’immigration étaient la réunification de la famille, la preuve psychologique, l’établissement au Canada et l’intérêt de la nièce et des neveux de M. Martin.

II.  Décision contestée

[3]  L’agent d’immigration a d’abord souligné que le demandeur avait prolongé sans autorisation son statut de visiteur et qu’il travaillait sans autorisation depuis plusieurs années. Bien que son comportement traduise un mépris du régime d’immigration canadien, l’agent d’immigration a noté que les éléments de preuve documentaire démontrent que le demandeur est un employé efficace et fiable et qu’il pourrait obtenir une étude d’impact sur le marché du travail et un permis de travail avant de revenir au Canada dans le futur.

[4]  L’agent d’immigration a admis que le demandeur entretient des liens importants au Canada et que ces relations seraient affectées si le demandeur devait retourner au Mexique. Ses deux frères sont résidents permanents au Canada, son père est décédé lorsqu’il était enfant et sa mère est décédée en 2014; par conséquent, le demandeur n’a plus de famille au Mexique. Reconnaissant la situation, l’agent d’immigration a néanmoins conclu que les liens avec sa famille pourraient être maintenus par l’intermédiaire de courriels, d’appels vidéo et d’appels téléphoniques, et le demandeur pourrait visiter ses frères au Canada dans le futur. L’agent d’immigration a fait remarquer que de toute façon, le demandeur ne vit pas dans la même ville que ses frères et qu’ils doivent faire un trajet en voiture pour se visiter.

[5]  Le rapport psychologique déposé par le demandeur démontre qu’il souffre d’anxiété et de dépression et présente des idées suicidaires. L’agent d’immigration a traité cet élément de preuve en expliquant que même si le demandeur venait à quitter le Canada, il bénéficierait quand même du soutien de ses frères, ce qui, comme l’indique le Dr Weinberg dans son rapport, est essentiel au maintien de la stabilité du demandeur.

[6]  Le demandeur a une nièce et deux neveux et est le parrain d’Isabella. L’agent d’immigration admet que le demandeur et Isabella entretiennent un lien étroit et particulier, mais encore une fois, il a déterminé que la relation pourrait être maintenue par des moyens de télécommunications et des visites occasionnelles. L’agent d’immigration a donc conclu que l’intérêt supérieur d’Isabella et des neveux du demandeur ne serait pas « gravement compromis » par le retour du demandeur au Mexique.

[7]  Finalement, l’agent d’immigration a reconnu et félicité le demandeur pour son engagement à titre de bénévole et pour le fait qu’il a pris des mesures pour parrainer un enfant dans la cadre du programme de parrainage de Plan International Canada.

[8]  Après avoir examiné la situation du demandeur, l’agent d’immigration a conclu que la demande d’exemption n’était pas justifiée par des motifs d’ordre humanitaire.

III.  Questions et norme de contrôle

[9]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. L’agent d’immigration a-t-il examiné et évalué l’ensemble des circonstances particulières du demandeur?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son application de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[10]  La décision d’un agent d’immigration d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable. Tant que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour fera preuve de déférence à l’égard de la décision de l’agent d’immigration et évitera d’intervenir (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 43 et 44).

IV.  Analyse

A.  L’agent d’immigration a-t-il examiné et évalué l’ensemble des circonstances particulières du demandeur?

[11]  À mon avis, l’agent d’immigration n’a pas procédé à une évaluation de l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire pertinents, tel que l’exige la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy. Plus précisément, il a omis de tenir compte de l’avis de l’expert, le Dr Weinberg, à la lumière des circonstances personnelles uniques du demandeur. Il a limité son analyse de ces éléments de preuve à répéter que la relation familiale du demandeur serait affectée négativement par son départ du Canada, tout en réitérant que cette relation pourrait être maintenue par des moyens de télécommunication et des visites occasionnelles.

[12]  L’agent d’immigration a reconnu et accepté les éléments de preuve psychologiques présentés par le Dr Weinberg au sujet de la santé mentale du demandeur, notamment ses conclusions que le demandeur était atteint d’un trouble d’anxiété généralisé et un trouble dépressif majeur. Il a également accepté la conclusion du Dr Weinberg selon laquelle le demandeur entretenait des pensées suicidaires, bien que le demandeur ait indiqué au Dr Weinberg qu’il ne donnerait pas suite à ces idées en raison des répercussions que ces gestes auraient sur sa famille. Finalement, l’agent d’immigration a admis que la relation du demandeur avec sa famille était essentielle pour assurer la stabilité mentale du demandeur et le protéger contre un suicide éventuel. Pourtant, il n’a pas réellement évalué les répercussions qu’aurait le fait d’être seul au Mexique et au moins temporairement sans emploi sur la santé mentale du demandeur.

[13]  Pour minimiser la proximité entre le demandeur et ses deux frères, l’agent d’immigration a souligné qu’ils ne vivent pas dans la même ville. Toutefois, il a omis de mentionner qu’ils résident tous dans la région métropolitaine de Vancouver et qu’ils se visitent chaque semaine.

[14]  Je suis d’accord avec le demandeur que cette évaluation révèle la nature superficielle et déraisonnable de l’approche utilisée par l’agent d’immigration à l’égard de la preuve psychologique et de ses effets sur la décision globale.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur dans son application de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[15]  Le demandeur soutient que l’agent d’immigration a commis une erreur de droit en établissant que la norme déterminant l’intérêt de l’enfant doit être « gravement compromise ». Bien qu’il soit vrai que l’agent d’immigration a utilisé ces termes à la fin de l’analyse, il n’a pas, à mon avis, fait fi de l’intérêt de l’enfant touchée par cette décision. Il a pris en considération, et de façon détaillée, les circonstances qui touchent l’enfant et s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt de cet enfant.

[16]  Il a conclu que l’intérêt des enfants ne serait pas « gravement compromis » par le retour du demandeur au Mexique. Compte tenu du fait que le demandeur n’habite pas avec les enfants touchés par la décision et qu’il n’est pas leur principal fournisseur de soins ou leur principale source de soutien financier, cette conclusion est raisonnable. Le maintien d’une relation par les biais de moyens de télécommunication et de visites occasionnelles pourrait ne pas suffire pour les parents ou le principal fournisseur de soins d’un enfant, mais, à mon avis, cette solution est raisonnable dans le contexte de la famille élargie.

V.  Conclusion

[17]  Comme j’estime que l’agent d’immigration n’a pas évalué adéquatement les éléments de preuve psychologique à la lumière de l’ensemble des circonstances particulières du demandeur, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre agent. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5456-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5456-17

INTITULÉ :

RICARDO GONZALEZ MARTIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 25 juin 2018

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

Pour le demandeur

Tasneem Karbani

Keith Reimer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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