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Date : 20180608


Dossier : IMM-4786-17

Référence : 2018 CF 588

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2018

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MAKADOR ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Makador Ali est un citoyen de la Somalie qui est arrivé au Canada en tant que réfugié alors qu’il était âgé de 8 ans. À l’adolescence, M. Ali a commencé à se livrer à des activités criminelles, et s’est forgé un important dossier criminel depuis 2004. Son dossier criminel indique qu’il a été reconnu coupable d’avoir troublé la paix, de vol de moins de 5 000 $, de résistance à l’arrestation, de méfait et d’entrave à un agent de la paix. Il a également été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation de voies de fait, de possession de marijuana et de défaut de se conformer à une condition d’une promesse.

[2]  En 2015, le représentant du ministre a rendu un avis de danger concluant que M. Ali représentait un danger pour le public canadien. Le représentant du ministre a conclu également que le danger que représentait M. Ali pour la sécurité des Canadiens l’emportait sur les risques auxquels il serait exposé en Somalie, ou sur les facteurs d’ordre humanitaire. Il semble que l’événement qui a déclenché la préparation de l’avis de danger est la participation de M. Ali, avec d’autres membres du gang de rue les « Bloods », à une invasion de domicile qui a duré 34 jours.

[3]  En 2017, M. Ali a demandé que le représentant du ministre réexamine l’avis de danger de 2015. Le ministre a rejeté cette demande, et cette décision est celle qui fait l’objet du contrôle dans la présente demande.

[4]  Après le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire, la demande de sursis du renvoi de M. Ali a été rejetée par la Cour : Ali v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2018 FC 76. Il a depuis été expulsé vers la Somalie.

[5]  M. Ali soutient que la décision en réexamen a été rendue d’une façon inéquitable sur le plan de la procédure et que le représentant du ministre a commis une erreur de droit en déterminant que la décision de la Cour suprême dans l’affaire Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 ne s’appliquait pas dans le contexte d’avis de danger. De plus, le demandeur prétend que la façon dont le représentant du ministre a évalué les nouveaux éléments de preuve qu’il a déposés à l’appui de sa demande de réexamen a rendu la décision déraisonnable.

[6]  Pour les motifs suivants, je ne suis pas convaincue que le représentant du ministre ait commis une erreur telle qu’alléguée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Ali doit être rejetée.

I.  Arguments de M. Ali en ce qui a trait à l’équité procédurale

[7]  Dans la mesure où la demande de M. Ali soulève une question d’équité procédurale, le rôle de la Cour est de déterminer si le processus suivi par le décideur respectait le degré d’équité requis en toutes circonstances, en d’autres mots, si ce dernier a appliqué la norme de la décision correcte : voir Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 R.C.S. 502; Canadian Pacific Railway Company v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, au paragraphe 34, [2018] A.C.F. no 382.

A.  Critère utilisé par le représentant du ministre pour évaluer les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Ali

[8]  M. Ali soutient qu’en refusant sa demande de réexamen, le représentant du ministre s’est appuyé sur des critères liés à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve qui faisaient partie d’un manuel des politiques qui est entrée en vigueur seulement le 21 novembre 2017 (voir l’article 7.16 du manuel des politiques d’IRCC ENF 28 – « Avis ministériels sur le danger pour le public au Canada, la nature et la gravité des actes passés et le danger pour la sécurité du Canada ». Cette date d’entrée en vigueur est située un mois après la décision de ne pas réexaminer l’avis de danger de 2015.

[9]  M. Ali affirme que c’est inéquitable, parce que le manuel des politiques révisé a créé une norme pour l’admission des nouveaux éléments de preuve qui est plus exigeante que les critères présents dans le manuel précédent. En effet, ces critères exigeaient seulement que le décideur tienne compte « des faits ou d’une preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision ».

[10]  Par contre, M. Ali allègue que le nouveau manuel utilise un langage plus précis, en énonçant qu’il faut déterminer si les éléments de preuve sont crédibles, pertinents ou substantiels, et s’ils sont « nouveaux » au sens qu’ils reflètent la situation courante dans le pays d’origine de la personne, s’ils prouvent un fait qui était inconnu au moment de la décision initiale et s’ils contredisent une conclusion de fait du décideur d’origine.

[11]  M. Ali prétend qu’il ne pouvait pas prévoir que le représentant du ministre utiliserait les critères du manuel des politiques révisé pour évaluer ses nouveaux éléments de preuve, plutôt que ceux du manuel qui était en vigueur au moment de sa demande de réexamen. En conséquence, M. Ali affirme qu’il a été traité injustement, puisqu’on ne lui a pas donné l’occasion d’aborder les critères révisés dans ses observations.

[12]  Il n’y a aucun renvoi au manuel des politiques révisé dans la décision de 2017 du représentant du ministre, et je suis d’accord avec le ministre sur le fait qu’aucun élément de preuve au dossier ne démontre que le représentant du ministre s’est appuyé sur la nouvelle version du manuel des politiques pour arriver à sa décision.

[13]  Au moment d’évaluer les « nouveaux éléments de preuve », le représentant du ministre a examiné la jurisprudence qui s’est établie concernant les situations dans lesquelles des documents soumis à l’appui d’une demande liée à l’immigration sont admis comme « nouveaux éléments de preuve ».

[14]  Tel que l’a souligné le représentant du ministre, pour qu’un élément de preuve soit admissible en tant que « nouvel élément de preuve », [traduction] « la jurisprudence établit que cet élément doit être crédible, pertinent, substantiel et nouveau en ce sens qu’il peut prouver un changement dans les conditions du pays ou prouver un fait qui était inconnu au moment de la décision d’origine, ou contredire une conclusion de cette décision ». Ce sont essentiellement les critères établis par la Cour d’appel fédérale dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 370 NR 344.

[15]  Selon moi, le fait qu’aucun avis de danger n’est lié à l’arrêt Raza ne signifie pas que le critère indiqué dans cet arrêt n’est pas pertinent à la demande de M. Ali, ou que le représentant du ministre a agi injustement en tenant compte de ce critère au moment de déterminer s’il devait ou non considérer les éléments de preuve fournis par M. Alison à l’appui de sa demande de réexamen. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 43, [2016] 4 R.C.F. 230, « les critères retenus dans l’arrêt Raza sont conformes aux tests généralement retenus par les tribunaux judiciaires et les instances administratives, et ont essentiellement pour objet de préserver l’intégrité du processus judiciaire ».

[16]  Ainsi, M. Ali aurait dû être en mesure de prévoir que le représentant du ministre tiendrait compte de la jurisprudence pertinente pour le guider dans l’évaluation des éléments de preuve qu’il a soumis à l’appui de sa demande de réexamen, et aucun manque à l’équité procédurale n’a été démontré à cet égard.

B.  Invocation par le représentant du ministre d’accusations ultérieurement retirées

[17]  M. Ali allègue qu’il y a eu un manquement additionnel à l’équité procédurale dans ce cas, puisque le représentant du ministre a tenu compte d’une accusation de tentative de meurtre déposée contre lui en 2013 pour conclure dans l’avis de danger de 2015 qu’il représentait un danger pour le public au Canada. Dans sa demande de réexamen de la décision de 2015, M. Ali a informé le représentant du ministre que l’accusation de tentative de meurtre avait été retirée en mars 2016 et que, par conséquent, l’avis de danger devrait être réexaminé.

[18]  Comme je l’ai constaté dans Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, 251 F.T.R. 282, au paragraphe 35), même si la preuve sous-tendant l’accusation peut être suffisante pour justifier qu’un avis selon lequel une personne constitue un danger présent ou futur pour autrui au Canada soit émis de bonne foi, le simple fait qu’une personne a été accusée d’une infraction ne prouve rien : il s’agit seulement d’une allégation.

[19]  Il est cependant évident qu’à partir de l’avis de danger de 2015, le représentant du ministre était au fait de la différence entre être accusé d’une infraction criminelle et être reconnu coupable de celle-ci, puisqu’il a clairement exprimé ce qui suit : [traduction« conformément au principe de présomption d’innocence, je ne tiendrai pas compte du fait que le demandeur doit présentement répondre d’une accusation de tentative de meurtre ».

[20]  Cependant, le représentant du ministre poursuit ses observations en prenant en considération le fait que M. Ali était en contact avec les services de police concernant son accusation de tentative de meurtre, et qu’il avait eu quelque 75 interactions avec la police au fil du temps. Selon le représentant du ministre, ces interactions avec les services de police témoignent du style de vie adopté par M. Ali en tant que membre d’un gang de rue.

[21]  Je suis d’accord avec M. Ali sur le fait qu’il peut être problématique de considérer la fréquence des interactions d’une personne avec la police comme étant une preuve du comportement criminel de cette personne : Balan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 691, au paragraphe 21, 482 F.T.R. 49. En outre, il est généralement admis que les forces policières sont plus importantes dans les communautés racialisées que dans les communautés à majorité blanche : Nassiah v. Peel (Regional Municipality) Services Board, 2007 HRTO 14, au paragraphe 126, 61 C.H.R.R. D/88; voir également les observations sur le profilage racial dans R. v. Brown, 170 O.A.C. 131, aux paragraphes 7-9, 105 C.R.R. (2d) 132 (Ont. C.A.). Par conséquent, il pourrait être injuste pour les décideurs de tirer des conclusions au sujet du « style de vie » d’une personne racialisée en se fondant sur le nombre d’interactions de cette personne avec les services de police.

[22]  Cela dit, il faut garder à l’esprit que cette demande de contrôle judiciaire n’est pas liée à l’avis de danger de 2015, et que la décision faisant l’objet du contrôle est celle de 2017 du représentant du ministre qui concluait de ne pas réexaminer la décision de 2015.

[23]  Si M. Ali avait des inquiétudes concernant le fait que le représentant du ministre utilise la fréquence de ses interactions avec la police comme éléments prouvant son comportement criminel et sa participation aux activités d’un gang de rue, il aurait dû aborder ces inquiétudes par l’entremise d’un contrôle judiciaire de la décision de 2015, et non pas en préparant une attaque collatérale contre cette décision par le biais de la présente procédure.

[24]  En examinant l’argument de M. Ali voulant que l’avis de danger de 2015 devrait être réexaminé en raison du retrait ultérieur de l’accusation de tentative de meurtre qui pesait contre lui, le représentant du ministre a souligné que, dans la détermination de l’avis de danger de 2015, cette accusation a été considérée seulement comme étant l’une des multiples interactions qui ont eu lieu entre M. Ali et la police. En outre, le représentant du ministre a mentionné qu’il avait exprimé clairement dans la décision de 2015 que, conformément au principe de présomption d’innocence, l’accusation de tentative de meurtre pendante n’était pas utilisée comme élément de preuve pour démontrer que M. Ali avait en fait commis cette infraction.

[25]  Qui plus est, il est évident que la décision de 2015 ne reposait pas uniquement sur les interactions de M. Ali avec la police, et que le représentant du ministre s’est largement fondé sur l’important dossier criminel de M. Ali et les faits associés à l’invasion de domicile pour laquelle il a été reconnu coupable.

[26]  Ainsi, M. Ali n’a pas réussi à démontrer de quelle manière il avait été traité inéquitablement sur le plan de la procédure en raison de l’approche utilisée par le représentant du ministre pour aborder cette question.

II.  Argument de Kanthasamy

[27]  Au moment de formuler un avis de danger, un représentant de ministre doit évaluer la nature et la sévérité des actes commis par une personne pour déterminer si cette personne représente un danger pour le public au Canada, ainsi que le risque de préjudice auquel cette personne est exposée dans son pays d’origine. Le représentant du ministre doit alors mettre en balance la nature et la gravité des actes commis ou le danger pour la sécurité du Canada et le degré de risque, en tenant également compte de tout autre facteur d’ordre humanitaire applicable : arrêt Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 44 [2009] 2 R.C.F 52.

[28]  En 2015, M. Ali a fait valoir que les considérations d’ordre humanitaire l’emportaient sur le risque qu’il représentait pour le public au Canada. Les facteurs indiqués par M. Ali incluaient sa famille au Canada et son manque de liens familiaux en Somalie, ainsi que son établissement au Canada, sa méconnaissance de la Somalie et les conditions difficiles dans ce pays.

[29]  Dans l’avis de danger de 2015, le représentant du ministre a examiné chacun de ces facteurs, en acceptant que le retour de M. Ali Somalie représenterait un « défi important » pour lui, et que le fait de briser les liens familiaux entraînerait également des problèmes pour M. Ali et les membres de sa famille. Parallèlement, le représentant du ministre a déterminé que la présence en Somalie de l’un des frères de M. Ali [traduction] « faciliterait son adaptation » dans la société somalienne.

[30]  Le représentant du ministre a en outre déterminé qu’en raison de son passé criminel, M. Ali n’avait pas développé de liens importants avec le monde du travail au Canada et que son degré d’établissement au Canada était peu élevé.

[31]  Tout en reconnaissant que certains facteurs positifs d’ordre humanitaire ont été relevés par M. Ali, le représentant du ministre a conclu que ces facteurs ne contrebalançaient pas [traduction] « le poids des arguments d’interdiction de territoire qui pèsent contre lui [M. Ali] ». Le représentant du ministre a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour conclure que le retour de M. Ali en Somalie lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

[32]  La décision de l’avis de danger de 2015 a été publiée plusieurs jours après que la Cour suprême ait rendu sa décision dans l’arrêt Kanthasamy, mentionné ci-dessus. Dans cette décision, la Cour suprême a critiqué l’utilisation des termes « inhabituelles, injustifiées ou démesurées » dans le cadre d’une analyse des facteurs d’ordre humanitaire, comme s’il existait des exigences absolues qui limitent le pouvoir discrétionnaire à vocation équitable que les agents peuvent exercer lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient, qui leur est conféré en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés paragraphe, LC 2001, c 27; Dans la décision Kanthasamy, la Cour indique que l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » est de nature descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le paragraphe 25(1) de la LIPR.

[33]  Dans sa demande de réexamen de 2017, M. Ali a mentionné qu’il fallait réévaluer ses facteurs d’ordre humanitaires à la lumière des conclusions de la Cour suprême dans Kanthasamy. Il a également relevé des considérations d’ordre humanitaire additionnelles, que j’aborderai au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de 2017.

[34]  Le représentant du ministre a accepté la critique que la Cour suprême a faite dans Kanthasamy concernant le critère de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Cependant, conformément aux commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 74, 23 Admin, L.R. (6th) 185, le représentant du ministre a conclu que le critère pour motifs d’ordre humanitaire révisé ne s’appliquait pas en application du paragraphe 115(2) de la LIPR.

[35]  La décision de 2017 souligne également que l’avis de danger de 2015 indique clairement que le représentant du ministre avait examiné tous les facteurs d’ordre humanitaire soumis par M. Ali avant de conclure que ces facteurs ne l’emportaient pas sur le danger que représentait le demandeur pour le public au Canada.

[36]  M. Ali soutient que le représentant du ministre a commis une erreur de droit en concluant que l’arrêt Kanthasamy ne s’appliquait pas au contexte d’un avis de danger. M. Ali soutient que dans l’affaire qui le concerne, il fallait tenir compte de toutes les considérations d’ordre humanitaire dans le contexte d’un avis de danger, et que le représentant du ministre a commis une erreur de droit en ne suivant pas l’orientation donnée par la Cour suprême dans Kanthasamy lorsqu’il a évalué les facteurs d’ordre humanitaire.

[37]  Je n’ai pas à décider si les commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lewis s’appliquent au contexte d’avis de danger. J’arrive à cette conclusion parce que je suis convaincue que même si le représentant du ministre a utilisé les termes « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », son évaluation dans l’avis de danger de 2015 répondait néanmoins aux exigences établies dans l’arrêt Kanthasamy.

[38]  En effet, l’examen de la décision de l’avis de danger de 2015 montre que le représentant du ministre a adopté une approche globale au moment de considérer toutes les circonstances personnelles de M. Ali, en conformité avec l’approche utilisée par la Cour suprême dans Kanthasamy. En conséquence, il n’existe aucun fondement justifiant une intervention de la Cour à cet égard.

III.  Caractère raisonnable de la décision de 2017

[39]  Cela nous amène à l’argument final de M. Ali voulant que la décision de 2017, qui refusait le réexamen de l’avis de danger de 2015, soit déraisonnable sur trois points. M. Ali soutient que le représentant du ministre a traité de façon déraisonnable les nouveaux éléments de preuve concernant sa santé, tout comme ceux touchant la sécheresse en Somalie. M. Ali ajoute que le représentant du ministre a erré une autre fois en se fondant sur les conclusions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au sujet de l’allégation qu’il était membre du gang de rue les « Bloods ».

[40]  En examinant une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit prendre en considération la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, (2008) 1 CSC 190, et arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, (2009) 1 CSC 339.

[41]  Pour ce qui est des éléments de preuve concernant la santé de M. Ali, ce dernier a soumis une preuve médicale indiquant qu’il souffrait d’« orteils en marteau » et d’un kyste au cou. Le représentant du ministre a accepté les nouveaux « éléments de preuve », mais a déterminé que ceux-ci étaient insuffisants pour démontrer que ces conditions auraient été suffisantes pour entraîner une modification de l’évaluation de 2015.

[42]  M. Ali soutient que le représentant du ministre a traité de façon déraisonnable les éléments de preuve liés à sa santé, et que ce simple fait aurait justifié un réexamen de la décision. Il s’agit essentiellement d’une invitation à réévaluer le poids des éléments de preuve soumis au représentant du ministre et à arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle réexamine une décision administrative comme un avis de danger.

[43]  M. Ali soumet en outre que dans Clarke c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 393, [2017] A.C.F. no 389, la Cour a déclaré que [traduction] « si les critères relatifs aux nouveaux éléments de preuve sont remplis, les éléments de preuve doivent être transmis au représentant du ministre aux fins d’examen, après quoi le représentant ‘réexaminera’ l’avis initial » La Cour a également précisé ce qui suit : [traduction] « Aucune disposition de la LIPR, du Règlement ou du guide ne donne à penser que le représentant du ministre a le pouvoir discrétionnaire de modifier le processus établi dans le guide, ni, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de définir et d’imposer des critères de preuve autres que ceux qui sont spécifiés » : (ces deux citations sont tirées du paragraphe 31).

[44]  À mon avis, la décision dans Clarke se distingue de celle en l’espèce. Dans Clarke, la Cour a conclu factuellement que le représentant du ministre n’avait pas effectué un réexamen de l’avis de danger initial. Le représentant du ministre a plutôt simplement déterminé que les éléments de preuve n’étaient pas [traduction] « particulièrement nouveaux » et a ainsi refusé de réexaminer la décision.

[45]  Il est vrai qu’en l’espèce, le représentant du ministre a conclu la décision de 2017 en indiquant : [traduction] « la demande de réexamen de l’avis de danger est refusée ». Cependant, il est évident dans les huit pages à simple interligne, que la décision de 2017 était en fait un examen approfondi et complet de l’avis de danger de 2015.

[46]  Pour ce qui est des éléments de preuve concernant la sécheresse continue en Somalie, cette preuve a été expressément examinée par le représentant du ministre, qui a conclu que même si cette sécheresse était [traduction] « très inquiétante » et que [traduction] « des centaines de personnes » ont dû être déplacées, les articles soumis par M. Ali [traduction] « ne décrivaient pas une situation de crise persistante ». Le représentant du ministre a déterminé en outre que la situation météorologique en Somalie [traduction] « ne constitue pas une preuve suffisamment substantielle en termes de risques ou de considérations d’ordre humanitaire directement liés à la question pertinente pour appuyer le réexamen de l’avis ». M. Ali soutient que cette conclusion était déraisonnable, puisque la preuve de sécheresse pointait vers la conclusion que les conditions du pays n’étaient pas les mêmes qu’au moment de l’avis de 2015.

[47]  L’examen de l’avis de danger de 2015 indique clairement que le représentant du ministre était bien conscient que les conditions en Somalie étaient très difficiles. Le représentant du ministre a expressément évalué les éléments de preuve soumis par M. Ali à l’appui de sa demande de réexamen de la décision de 2015, y compris les éléments de preuve liés aux conditions météorologiques en Somalie. Ainsi, ces éléments de preuve n’ont pas été ignorés et, encore une fois, les éléments soumis par M. Ali sont essentiellement une demande pour que notre Cour soupèse de nouveau les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Ali.

[48]  Enfin, même si l’avocate de M. Ali a mentionné qu’elle [traduction] « n’insistait pas » sur ce point, elle a également affirmé que le représentant du ministre avait erré dans la décision de l’avis de danger de 2015 en s’appuyant sur des conclusions factuelles de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant l’appartenance de M. Ali au gang de rue les « Bloods », dont les membres ont été reconnus coupables de l’invasion de domicile. Selon M. Ali, sa participation à l’invasion de domicile était « limitée », et on ne devrait pas le tenir responsable des actions des autres, en faisant essentiellement valoir qu’il a été victime de culpabilité par association.

[49]  M. Ali n’a pas réussi à me convaincre que le représentant du ministre avait erré en 2015 en déterminant qu’il était membre d’un gang criminel en s’appuyant sur les conclusions de 2012 de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui avait conclu que M. Ali était interdit de territoire au Canada pour sa participation à la criminalité organisée.

[50]  Premièrement, il faut encore une fois garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une demande de contrôle judiciaire de conclusions tirées dans le contexte de la décision de 2015 rendue par le représentant du ministre. Si M. Ali avait des préoccupations au sujet du fait que le représentant du ministre s’est appuyé sur les conclusions de la Section de l’immigration concernant sa participation aux activités du gang de rue les « Bloods », la bonne façon de procéder pour lui aurait été de demander un contrôle judiciaire de la décision de 2015, et non pas d’attaquer de façon collatérale ces conclusions en déposant une demande de réexamen de cette décision, deux ans plus tard.

[51]  En outre, j’ai examiné les motifs de la détermination de la peine du juge qui a statué sur les accusations criminelles découlant de l’invasion de domicile. Même s’il est vrai que le juge a conclu que, dans ce groupe de quatre personnes, M. Ali avait joué le plus petit rôle dans l’événement, il a néanmoins trouvé M. Ali coupable d’avoir agressé le fils adolescent de son propriétaire. Il a également déterminé que les quatre individus, y compris M. Ali, [traduction« participaient à des activités de trafic de crack » à partir du domicile. Il est ainsi évident qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un cas de [traduction] « culpabilité par association », et que M. Ali était tenu responsable de ses propres actions, et non pas seulement des actions des autres.

IV.  Conclusion

[52]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4786-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4786-17

 

INTITULÉ :

MAKADOR ALI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

 

Pour le demandeur

 

Jennifer S. Bond

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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