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Date : 20180620


Dossier : T-1806-17

Référence : 2018 CF 639

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

JUN LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Li sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 octobre 2017 du juge de la citoyenneté (le juge), qui a conclu que Mme Li n’était pas admissible à la citoyenneté puisqu’elle n’avait pas satisfaisait aux conditions de résidence énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi). Le juge a calculé que Mme Li n’avait pas été physiquement présente au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente de quatre ans. Par les motifs qui suivent, je conclus que le juge a rendu une décision raisonnable fondée sur les éléments de preuve dont il disposait et la présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

I.  Énoncé des faits

[2]  Mme Li est une citoyenne de la Chine qui est devenue résidente permanente du Canada le 17 septembre 2010. Elle a présenté une demande de citoyenneté le 20 décembre 2014. La période de quatre ans pertinente aux fins de sa demande de citoyenneté est donc celle comprise entre le 20 décembre 2010 et le 20 décembre 2014 (1 460 jours). Dans sa demande de citoyenneté, elle a déclaré 1 124 jours de présence effective pendant les quatre années pertinentes. Dans son questionnaire sur la résidence, elle a déclaré 339 jours d’absence, ce qui signifie qu’elle a été présente au Canada pendant 1 121 jours.

[3]  En raison des préoccupations soulevées au sujet de la résidence au cours d’une entrevue avec un agent de la citoyenneté, sa demande a été renvoyée au juge et une audience a eu lieu le 23 août 2017. À l’audience, Mme Li a complété la preuve documentaire et elle a livré un témoignage.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Dans la décision, le juge commence par souligner que la période de quatre ans prévue par l’alinéa 5(1)c) de la Loi court de décembre 2010 à décembre 2014 (1 460 jours). Mme Li était tenue d’être présente au Canada pendant 1 095 jours ou trois ans au cours de cette période de quatre ans.

[5]  Le juge a souligné qu’il appliquait le critère établi dans l’affaire Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122 (1re inst.) [Pourghasemi]. Il a entrepris l’analyse en trois volets visant à établir une base de référence quant au nombre de jours de présence effective de Mme Li au Canada : 1) il a recherché le nombre d’absences déclarées et si les dates de départ et de retour de ces absences pouvaient être vérifiées selon la prépondérance des probabilités; 2) il a examiné s’il y avait des éléments de preuves démontrant des voyages non déclarés; 3) dans l’affirmative, il devait rechercher la durée des voyages non déclarés selon la prépondérance des probabilités.

[6]  En ce qui a trait aux absences déclarées, le juge a examiné les documents et les observations de Mme Li et a conclu qu’elle avait déclaré 34 voyages. Pour ce qui est des dates de retour, le juge a constaté qu’un rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) indiquait que Mme Li était revenue au Canada 31 fois pendant la période pertinente de quatre ans. Le juge a noté que Mme Li n’était pas au Canada à la fin de la période pertinente de quatre ans, puisqu’elle a quitté le Canada pour les États-Unis le 19 décembre 2014 et est restée aux États-Unis jusqu’au 1er janvier 2015. Le juge a analysé trois voyages effectués par Mme Li et vérifié les 34 dates de retour déclarées.

[7]  Le juge a examiné les dates de départ et a observé que trois dates de départ déclarées ne pouvaient être confirmées – à savoir le 24 juillet 2011, le 6 novembre 2011, et le 16 mars 2012. Relativement à la date de juillet 2011, il a été démontré que la dernière présence de Mme Li au Canada était le 12 juillet 2011. En ce qui concerne le 6 novembre 2011, la preuve documentaire relative à la dernière présence de Mme Li au Canada, soit le rapport de l’ASFC, indique une entrée au Canada le 16 octobre 2011. Le juge a noté que Mme Li n’avait produit aucun relevé de carte de crédit comme élément de preuve démontrant quelque activité au Canada en novembre 2011. Enfin, en ce qui a trait à la date de départ alléguée du 16 mars 2012, le juge a observé que la dernière entrée au Canada de Mme Li était le 2 février 2012 et qu’une transaction par carte de crédit avait été effectuée le 3 février 2012.

[8]  S’appuyant sur cette analyse, le juge a été en mesure de vérifier 32 absences, mais n’a pas pu vérifier trois dates de départ en raison d’un manque d’éléments de preuve. Le juge a également constaté que Mme Li minimisait de façon constante ses absences dans sa demande et dans ses observations. Le juge n’a donc accordé aucun poids aux allégations de Mme Li concernant ces trois dates de départ.

[9]  Le juge a conclu qu’en calculant la durée des 32 absences connues, Mme Li avait accumulé 359 jours d’absence, ce qui signifie qu’elle ne pouvait déclarer que 6 jours d’absences supplémentaires avant de tomber sous le seuil des 1 095 jours. Le juge a noté que s’il tenait compte de la dernière présence connue au Canada parmi les trois dates de départ qu’il ne pouvait pas confirmer, la demanderesse se retrouverait sous le seuil des 1 095 jours.

[10]  Le juge a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Li n’avait pas respecté l’obligation de résidence, car il n’avait pas pu établir une base de référence quant aux jours de présence effective au Canada au cours de la période pertinente applicable, et que par conséquent, Mme Li n’avait pas respecté l’obligation de résidence prescrite à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

III.  Questions en litige

[11]  Les questions soulevées par la demanderesse peuvent se résumer ainsi :

  1. Le juge a-t-il commis une erreur en calculant les jours de présence au Canada de la demanderesse?
  2. Le juge a-t-il fait erreur en concluant qu’aucun élément preuve n’étayait les dates de départ alléguées?

IV.  Norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision du juge qui établit si l’exigence en matière de résidence visée à l’alinéa 5(1)c) a été satisfaite est celle de la décision raisonnable (Farghal c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 3, au paragraphe 12).

[13]  De plus, la nature très discrétionnaire de l’analyse du juge quant à la résidence appelle à une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Al-Askari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 623, au paragraphe 18).

V.  Analyse

A.  Le juge a-t-il commis une erreur en calculant les jours de présence au Canada de la demanderesse?

[14]  Mme Li soutient que l’approche du juge quant au calcul de ses jours de présence effective au Canada était déraisonnable. Elle soutient que le juge a utilisé l’évaluation des dates d’arrivée et de départ contre elle dans le calcul global. Elle fait également valoir que le juge a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant une politique de calcul établie par Immigration, Réfugiés, et Citoyenneté Canada (IRCC).

[15]  La demande de Mme Li a été reçue avant le 11 juin 2015, par conséquent, conformément à la politique d’IRCC en vigueur à ce moment, lorsqu’une personne s’absente du Canada, soit le jour du départ, soit le jour du retour est compté comme un jour d’absence du Canada.

[16]  Dans le cas présent, si le juge s’est fondé uniquement sur la politique sans faire référence à la loi applicable, cela pourrait constituer une erreur susceptible de contrôle puisque le juge peut avoir entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Thamotharem, 2007 CAF 198, au paragraphe 62)).

[17]  Cependant, comme il ressort de la décision, le juge n’a pas fondé ses calculs uniquement sur la politique. En fait, le juge ne fait même pas référence à la politique. Il a plutôt pris sa décision en se fondant sur les dispositions de la Loi et sur le fait que Mme Li n’a pas cumulé le nombre requis de jours de présence effective au Canada.

[18]  Le juge peut choisir d’utiliser le critère d’établissement de la résidence développé dans l’affaire Pourghasemi, un exercice strictement quantitatif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Gharbi, 2017 CF 1141, au paragraphe 5)). Ainsi, Mme Li a déposé sa demande en se fondant sur le calcul du nombre de jours de présence au Canada. Elle aurait pu demander que le juge s’écarte de cette méthode particulière d’établissement de la résidence, mais rien au dossier n’indique qu’elle l’a fait.

[19]  En conséquence, l’argument voulant que le juge ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’est pas fondé. En outre, l’utilisation de la politique dans l’établissement de la résidence a été acceptée comme raisonnable (Cheema c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1170 [Cheema]). Comme énoncé dans l’affaire Cheema, le juge peut à bon droit s’appuyer sur la politique. Par conséquent, la décision du juge est raisonnable quant à ce point.

[20]  En outre, ce n’est pas le rôle de notre Cour de se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de preuve ou de se livrer à un nouveau calcul des arrivées et départs du Canada de Mme Li selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)), 2018 CSC 31, au paragraphe 55).

B.  Le juge a-t-il fait erreur en concluant qu’aucun élément preuve n’étayait les dates de départ alléguées?

[21]  Mme Li allègue qu’il manque des pages à son dossier de citoyenneté et que le dossier dont le juge disposait était incomplet. Elle soutient que l’information manquante aurait fourni des éléments de preuve confirmant les dates de départ du 6 novembre 2011 et du 16 mars 2012. Dans son affidavit, elle affirme qu’elle a fourni l’information manquante. Elle affirme que la présomption de véracité s’applique à son affidavit (Jack c. Canada (Immigration, Réfugiés, et Citoyenneté Canada), 2018 CF 2, au paragraphe 11; Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248, au paragraphe 5)).

[22]  L’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés prescrit que le tribunal a une « obligation » de produire un dossier certifié comprenant tous les « documents pertinents qui sont en la possession ou sous le contrôle du tribunal » (Yadav c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, au paragraphe 44; alinéa 17b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés). L’article 17 prescrit que le dossier de la preuve soumis à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19).

[23]  Dans le cas présent cependant, nonobstant son allégation voulant qu’il manque des éléments de preuve au dossier, Mme Li n’a pas joint l’élément de preuve manquant (relevé de carte de crédit) à son affidavit déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Elle aurait probablement été en mesure d’obtenir d’autres copies du relevé de carte de crédit qu’elle affirme être manquant. Il incombe à Mme Li de démontrer que le décideur disposait d’information qui ne figure pas au dossier (Ogbuchi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764, au paragraphe 15).

[24]  Mme Li ne s’est pas acquittée de ce fardeau. À part l’énoncé de son affidavit, elle n’a produit aucun autre élément de preuve démontrant que le décideur disposait des relevés de carte de crédit qui auraient pu étayer ses allégations relatives aux dates de départ, et qu’ils ne figuraient pas au dossier en raison d’une erreur. La simple affirmation de Mme Li voulant qu’il manque de l’information ne sera pas suffisante pour l’acquitter du fardeau de démontrer que le dossier est incomplet (El Dor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1406, au paragraphe 32)).

[25]  Même si l’on droit présumer de la véracité de son affidavit, cette présomption « trouvera application jusqu’à un certain point » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Pereira, 2014 CF 574, au paragraphe 30). Elle ne s’applique en l’espèce que dans la mesure où la demanderesse peut démontrer que l’élément de preuve a été envoyé et aurait dû être à la disposition du juge.

[26]  L’examen de la décision démontre que le juge a fondé sa décision sur les éléments de preuve dont il disposait. Le juge a recherché des éléments de preuve corroborant les dates de départ, mais n’en a pas trouvé au dossier. Le juge n’a aucune obligation expresse de tenter de combler les lacunes de la preuve ni de donner à Mme Li le bénéfice du doute. C’est Mme Li qui avait l’obligation de présenter des éléments de preuve fiables et complets, mais elle n’a pas réussi à le faire.

[27]  Par conséquent, le juge n’a pas commis d’erreur en fondant son calcul des dates sur le dossier dont il disposait et en concluant qu’il y manquait des éléments de preuves fiables sur lesquels fonder sa décision.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1806-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire de la décision du juge de la citoyenneté est rejetée.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1806-17

INTITULÉ :

JUN LI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mai 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juin 2018

COMPARUTIONS :

Steven Tress

Pour la demanderesse

David Joseph

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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