Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180615


Dossier : IMM-5050-17

Référence : 2018 CF 621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

OLAYOMBO MULIKATLAI KASSIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 10 novembre 2017, par laquelle celle-ci a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée ni une personne à protéger.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la demande est rejetée, car la question déterminante pour la SPR concernait la possibilité de refuge intérieur (PRI) au Nigéria, à savoir à Port Harcourt, et la question connexe de la crédibilité. Je n’ai trouvé aucune erreur susceptible de révision dans l’examen par la SPR de ces questions.

II.  Résumé des faits

[3]  Olayombo Mulikatlai Kassim est une citoyenne du Nigéria qui demande l’asile au Canada, en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[4]  Mme Kassim a trois frères et deux sœurs. Un de ses frères a présenté une demande d’asile au Canada qui a été acceptée en raison de sa bisexualité. Sa mère a également obtenu l’asile au Canada. Elle invoquait dans sa demande ses croyances religieuses, car elle s’était convertie de l’islam au christianisme, et son soutien pour le frère de Mme Kassim. Les prétentions de Mme Kassim sont les suivantes.

[5]  Son père, un fervent musulman, est imam adjoint à la mosquée locale d’Ibadan, au Nigéria. Lorsqu’elle était plus jeune, Mme Kassim était attirée par le christianisme, mais son père la punissait pour vouloir s’écarter de l’islam. À une occasion, il l’a confinée pendant deux jours sans nourriture. Son père est également fâché contre elle pour l’appui qu’elle a fourni à son frère et à sa mère en rédigeant des affidavits étayant leurs demandes d’asile. Son père et d’autres membres de sa famille au Nigéria supposent que, parce qu’elle soutient son frère, elle est homosexuelle. Son père a parlé à l’imam et à d’autres membres de la congrégation locale , y compris un fidèle qui est policier, de ses problèmes avec sa fille.

[6]  Mme Kassim a assisté à un mariage aux États-Unis en mai 2012. Elle explique qu’elle n’a pas demandé l’asile à ce moment-là, car elle espérait que les problèmes avec son père se régleraient. Cependant, après son retour au Nigéria, elle a été menacée par le policier qui appartient à la congrégation. Elle s’est rendue au Canada le 22 juillet 2012. Elle prétend n’avoir pas présenté de demande d’asile à son arrivée parce qu’elle ne savait pas comment s’y prendre. Elle a toutefois présenté une demande deux jours plus tard après avoir consulté sa mère et son frère. Elle déclare avoir peur de rentrer au Nigéria, car son père et d’autres personnes, y compris des policiers, la persécuteront pour avoir soutenu son frère, puisqu’ils la considèrent maintenant comme étant homosexuelle, et pour s’être convertie au christianisme.

III.  Décision de la SPR

[7]  La SPR a conclu à l’absence de risque sérieux que Mme Kassim soit persécutée pour un des motifs prévus à la Convention. Selon la prépondérance des probabilités, sa vie ne serait pas en danger et elle ne serait pas personnellement exposée au risque de peines ou de traitements cruels et inusités ou de torture à son retour au Nigéria. La décision de la SPR porte sur la crédibilité de Mme Kassim, le temps que cette dernière a mis pour quitter le Nigéria et l’existence d’une PRI, à Port Harcourt.

[8]  La SPR a constaté que le temps qu’il a fallu à Mme Kassim pour quitter le Nigéria et son prétendu manque de connaissances sur la façon de régulariser sa situation au Canada minent sa crédibilité. Elle n’a pas accepté la raison fournie par Mme Kassim pour expliquer pourquoi elle n’avait pas demandé l’asile dès son arrivée au Canada, étant donné l’éducation de la demanderesse et l’expérience de sa famille en matière de demande d’asile. Tout en déclarant que ces conclusions n’étaient pas déterminantes, la SPR a conclu que cette partie du témoignage de Mme Kassim n’était pas crédible.

[9]  La SPR a rappelé le critère à deux volets servant à déterminer si un demandeur a une PRI. Le premier nécessite que la SPR soit convaincue, selon la prépondérance des probabilités, de l’absence de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée dans le lieu proposé comme PRI. Au regard du lieu proposé comme PRI, à savoir Port Harcourt, Mme Kassim a déclaré que son père la poursuivrait jusque là-bas, parce qu’elle avait terni son image. Elle ne savait pas exactement comment il la retrouverait à Port Harcourt, mais elle a déclaré qu’un policier était allé à sa recherche à Benin City, qui est également située loin d’Ibadan, où elle habite, et croit que son père a des contacts. Elle ne pouvait en dire davantage sur ces contacts ni fournir une preuve corroborant ses prétentions.

[10]  La SPR a souligné que les renseignements concernant la police à Benin City n’étaient pas indiqués dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Kassim. Cette dernière a expliqué qu’elle les avait omis, car elle croyait avoir l’occasion d’en parler à l’audience. La SPR a rejeté cette explication et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de Mme Kassim, en raison de l’omission de renseignements cruciaux dans la demande d’asile, à savoir que son père la poursuivrait partout au Nigéria et qu’il en a les moyens.

[11]  La SPR a soutenu que l’affirmation de la demanderesse, selon laquelle son père la poursuivrait jusqu’à Port Harcourt et pourrait l’y dénicher, était hypothétique et dépourvue de fondement, puisque son père n’entretenait pas de rapports avec les dirigeants de Port Harcourt et que rien ne démontre qu’il possède les moyens ou les contacts nécessaires pour lancer une recherche à l’échelle du pays en vue de la localiser. Par ailleurs, la SPR a soutenu que, comme les habitants de Port Harcourt sont en majorité chrétiens, Mme Kassim pourrait demander la protection de la police locale si son père arrivait à la retrouver là-bas.

[12]  Comme il était satisfait au premier volet du critère servant à déterminer s’il existe une PRI, la SPR a examiné le second volet : était-il raisonnable pour la demanderesse d’asile de s’installer dans le lieu proposé comme PRI? À son avis, la preuve ne permettait pas de conclure que la demanderesse ne disposerait pas de services de garde d’enfants à Port Harcourt ou qu’elle serait incapable d’y trouver un emploi, car elle est une personne avertie qui a fait des études et parle anglais (la langue principale à Port Harcourt).

[13]  La SPR a examiné l’argument de Mme Kassim selon lequel s’installer à Port Harcourt était déraisonnable, car elle n’en était pas originaire. Selon la SPR, bien qu’il y ait une preuve documentaire de discrimination contre les allogènes, rien ne permet de conclure que la demanderesse serait exposée à des risques de difficultés extrêmes du fait de son appartenance ethnique. La SPR a également tenu compte du fait que Mme Kassim est de sexe féminin, mais a conclu que ce facteur ne changeait rien à l’existence d’une PRI.

[14]  Ayant constaté que Mme Kassim avait une PRI à Port Harcourt, la SPR a rejeté sa demande.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[15]  La demanderesse soulève les questions suivantes :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte subjective de la demanderesse?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la PRI?

  4. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte fondée ou risque objectif?

[16]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision de la SPR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

V.  Analyse

[17]  Selon moi, l’issue de la demande de contrôle judiciaire dépend de la question de savoir si l’analyse de la SPR servant à déterminer s’il existait une PRI, était raisonnable, car c’est la question déterminante de la décision de la SPR. Il faut donc examiner l’évaluation de la crédibilité de Mme Kassim par la SPR dans la mesure où elle a influencé l’analyse de la PRI. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’examiner les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées en raison du temps mis par Mme Kassim à demander l’asile, car je suis d’avis qu’elles n’ont pas joué dans l’examen de la PRI. En effet, la SPR indique que ses constatations en matière de crédibilité quant au temps que la demanderesse a mis à présenter sa demande ne sont pas déterminantes.

[18]  Cependant, la SPR a fait une constatation défavorable quant à la crédibilité au premier volet du critère de la PRI. Cette constatation a fortement influencé sa conclusion, c’est-à-dire qu’il avait été satisfait à ce volet du critère. La SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, de l’absence de possibilité sérieuse que Mme Kassim soit persécutée dans le lieu proposé comme PRI. Au sujet du lieu proposé de Port Harcourt comme PRI et en réponse à la question que lui a posée la SPR à l’audience, à savoir comment son père pourrait la localiser là-bas, Mme Kassim a indiqué qu’un policier s’était présenté à deux reprises à la maison d’une de ses connaissances à Benin City pour voir si elle s’y trouvait. La première visite aurait eu lieu pendant qu’elle se cachait dans la maison de cette personne, et la seconde, après son départ du Nigéria. Elle a présenté ces éléments de preuve à l’appui de son argument relatif aux contacts de son père et à sa capacité de la retrouver loin de sa ville natale d’Ibadan. La SPR a rejeté cet élément de preuve, car le FRP de Mme Kassim n’en contient aucune mention, outre un addendum qui renvoie à des lettres reçues d’amis dans lesquelles il n’est aucunement question de la présumée visite du policier précédant son départ du Nigéria. La SPR a conclu qu’une telle omission minait gravement la crédibilité de la preuve de Mme Kassim au sujet de la police à Benin City.

[19]  Mme Kassim affirme que cette évaluation de sa crédibilité n’est pas raisonnable. Elle invoque l’explication du juge Campbell dans l’affaire Diaz Puentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1335, selon lequel il n’est pas nécessaire d’inclure tous les détails dans le FRP d’un demandeur. Mme Kassim soutient que la visite du policier à la maison de sa connaissance à Benin City est une précision et qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de fonder sur cette omission dans le FRP sa conclusion quant au manque de crédibilité.

[20]  Mme Kassim a présenté le même argument devant la SPR, expliquant qu’elle pensait avoir l’occasion d’aborder l’incident à l’audience. La SPR a rejeté cet argument, car elle considère l’affirmation selon laquelle la police l’a repérée à Benin City comme un aspect important de sa demande, c’est-à-dire que son père la poursuivrait et qu’il possède les contacts pour ce faire. Je ne trouve rien de déraisonnable dans cette analyse, car notre Cour a conclu que des omissions importantes dans le FRP du demandeur peuvent porter atteinte à la crédibilité de ce dernier (voir, p. ex., Lopez Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 889, para 14 et 15).

[21]  La SPR a également examiné l’argument de Mme Kassim, qu’elle soulève à nouveau en contrôle judiciaire, soit qu’il n’était pas nécessaire de consigner ce renseignement dans son FRP parce qu’il était contenu ailleurs dans la preuve, notamment dans la correspondance de la connaissance. Toutefois, la lettre de cette personne ne renvoie qu’à la seconde visite. La SPR a conclu que cet argument n’aidait pas Mme Kassim, et je suis d’avis que cette conclusion est raisonnable.

[22]  Mme Kassim fait valoir la présomption voulant que le témoignage d’un demandeur soit honnête (voir Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302, para 5 (CAF)), et le principe selon lequel il est erroné de rejeter une demande en raison de l’absence de preuve corroborante s’il n’y a aucune raison de douter de la crédibilité du demandeur (voir Dayebga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 842, para 28). J’accepte ces principes, mais j’estime qu’on peut difficilement les appliquer en l’espèce. Comme le fait remarquer la SPR, Mme Kassim a déclaré que son père la poursuivrait jusqu’à Port Harcourt, parce que sa mère, son frère et elle-même avaient terni son image. Toutefois, elle ne savait pas exactement de quelle manière il s’y prendrait pour la retrouver, affirmant croire qu’il avait des contacts sans toutefois fournir d’explications. La SPR a conclu à une absence de preuve établissant l’influence et les contacts du père. Il ne s’agit pas d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité ou contraire au principe décrit précédemment concernant les éléments de preuve corroborants, car le témoignage de Mme Kassim démontrait uniquement sa croyance, et non des faits étayant cette croyance, outre la visite d’un policier à Benin City. Comme il est expliqué ci‑après, la SPR a raisonnablement rejeté cette preuve, car elle ne figurait pas dans le FRP.

[23]  Mme Kassim allègue que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui corroborent sa thèse selon laquelle son père pourrait la retrouver à Port Harcourt, y compris les affidavits de deux de ses frères et d’une connaissance. Elle souligne notamment l’affidavit de son frère, signé en octobre 2017, dans lequel il affirmait que la police était toujours à la recherche de Mme Kassim et qu’elle n’était en sécurité nulle part au Nigéria. Mme Kassim n’a toutefois renvoyé à rien dans ces documents qui prouverait que son père était capable de la retrouver à Port Harcourt. À mon avis, rien dans la preuve ne mine le caractère raisonnable de l’analyse par la SPR servant à déterminer s’il existe une PRI.

[24]  Mme Kassim renvoie également aux documents sur la situation dans le pays qui indiquent l’existence de corruption au sein de la police nigériane et allègue que son père pourrait profiter de cette corruption afin d’utiliser la police pour la retrouver. Bien que la SPR ne fasse aucune allusion précise à cet élément de preuve, il est bien établi que le tribunal est présumé avoir pris en compte tous les éléments de preuve (voir Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, para 1; Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 83, para 3). À mon avis, les documents sur la situation dans le pays n’étayent pas suffisamment les allégations précises de Mme Kassim pour que cette présomption soit réfutée.

[25]  Mme Kassim allègue que la SPR a commis une erreur en demandant une preuve définitive de la capacité de son père à la trouver dans le lieu proposé comme PRI, qui, soutient-elle, représente une norme de preuve plus élevée que celle de la prépondérance des probabilités. Elle est d’avis que l’application de cette norme plus élevée par la SPR ressort de la question que cette dernière a posée au cours de l’audience, quant à la capacité de son père à la trouver. Elle affirme qu’il s’agit du même genre d’erreur que celle désignée par la juge Tremblay-Lamer dans la décision Henguva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 483 (Henguva), au paragraphe 16 :

Je conviens également avec la demanderesse que la Commission a commis une erreur dans son analyse en demandant à la demanderesse de prouver que son oncle et son cousin « pourraient » la retrouver à Walvis Bay, car cette exigence assujettissait la demanderesse à un critère plus élevé que celui de la « possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée ».

[26]  La SPR a demandé à Mme Kassim [traduction] : « Comment vous retrouverait-il à Port Harcourt? » Je ne crois pas que cette question soulève le problème exposé par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Henguva. Il était tout à fait légitime pour la SPR, dans son analyse servant à déterminer s’il existe une PRI, de demander à Mme Kassim de quelle façon l’agent de persécution pourrait la retrouver là-bas. Dans la décision en soi, la SPR constate, selon la prépondérance des probabilités, que le père de Mme Kassim serait incapable de lancer des recherches à l’échelle du pays pour la retrouver et qu’il n’existe pas plus qu’une simple possibilité que l’agent de persécution la déniche à Port Harcourt. Je ne constate aucune erreur de la part de la SPR dans la sélection et l’application de la norme de preuve applicable à cet aspect de son analyse.

[27]  Mme Kassim allègue également que la SPR a commis une erreur en évaluant uniquement son risque découlant de la conversion religieuse et qu’elle n’a pas évalué le risque découlant de l’appui à son frère bisexuel. Elle invoque la persécution de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) au Nigéria, mentionne que les personnes qui soutiennent leurs  proches LGBT sont elles-mêmes perçues comme appartenant à la communauté LGBT et allègue que, eu égard à ce risque, son agent de persécution serait, non seulement son père, mais aussi la police.

[28]  Je ne crois pas que l’on puisse dire que la SPR n’a pas tenu compte du risque auquel est exposée Mme Kassim en raison de son soutien à son frère. La SPR a expressément convenu que la société au Nigéria est homophobe et que l’appartenance à la communauté LGBT d’une personne emporte pour les membres de la famille la perception qu’ils appartiennent aussi à cette communauté. La SPR a également mentionné que le frère de Mme Kassim est bisexuel et que ce fait était notoire. Ayant accepté ces faits, et celui que le père de Mme Kassim serait contrarié par la volonté de cette dernière à se convertir au christianisme, la SPR a procédé à l’examen de la PRI. Selon mon interprétation de l’analyse visant à déterminer s’il existe une PRI, il s’agit de savoir si Mme Kassim pourrait éviter la possibilité sérieuse de persécution, dans les deux catégories de risque, si elle s’installait à Port Harcourt.

[29]  Comme Mme Kassim, j’estime que l’analyse servant à déterminer s’il existe une PRI pose effectivement la question de savoir si le père de Mme Kassim aurait la capacité de la poursuivre jusqu’à Port Harcourt, et n’évalue pas les risques auxquels elle est exposée du fait des actes de la police indépendamment de l’intervention de son père. À l’audience, les avocats des parties ont invoqué tous deux, à l’appui de leurs thèses respectives sur le caractère raisonnable de cette analyse, la transcription du témoignage de Mme Kassim devant la SPR. L’avocat du défendeur a fait valoir que Mme Kassim n’avait pas déclaré qu’elle ne pouvait pas déménager à Port Harcourt car la bisexualité de son frère se saurait là-bas et qu’elle pourrait donc être perçue comme étant homosexuelle. L’avocat de Mme Kassim a pris la position contraire, renvoyant à la déclaration selon laquelle Mme Kassim devrait se tenir sur ses gardes si elle vivait à Port Harcourt.

[30]  À mon avis, cette déclaration n’étaye pas l’argument, car elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à la crainte que son père la trouve. Toutefois, avant la déclaration à laquelle l’avocat de Mme Kassim renvoie, la transcription contient les déclarations suivantes :

[traduction]

COMMISSAIRE : Encore une fois, pourquoi la pratique du christianisme serait-elle problématique à – disons à Port Harcourt?

DEMANDERESSE : Cela ne serait pas problématique à Port Harcourt, mais avec une épinglette d’identité et mon nom qui circule au sein de la police en tant que lesbienne qui soutient un bisexuel, je serais en grand danger partout au Nigéria.

COMMISSAIRE : Mais vous n’êtes pas bisexuelle et vous rentriez avec deux enfants. Donc, pourquoi les policiers vous rechercheraient-ils à Port Harcourt, parce qu’ils pensent que vous êtes lesbienne? Je ne comprends pas ça.

DEMANDERESSE : Compte tenu des renseignements sur la famille et mon père étant à la tête de l’iman, iman adjoint –

COMMISSAIRE : À la tête?

DEMANDERESSE : La communauté musulmane, l’iman adjoint.

COMMISSAIRE : Mais ses contacts ne vont pas jusqu’à Port Harcourt, n’est-ce pas? Vous avez dit –

DEMANDERESSE : Non.

[31]  Cette déclaration démontre que Mme Kassim renvoie au risque auquel elle est exposée du fait que la police présume qu’elle appartient à la communauté LGBT, mais elle associe ce risque à l’influence de son père. Dans ce contexte, je n’estime pas qu’il était déraisonnable de la part de la SPR d’avoir procédé à l’analyse qu’appelle le premier volet du critère de la PRI comme elle l’a fait, en examinant la question de savoir si le père avait de l’influence à Port Harcourt, et les moyens de dénicher la demanderesse là-bas.

[32]  Enfin, également au premier volet du critère, Mme Kassim renvoie la Cour au paragraphe 26 de la décision Ogunluya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1203, où le juge Russell souligne que la SPR a accepté comme éléments de preuve incontestés que, si la police nigériane était à la recherche du demandeur, il n’y aurait pas d’endroit où ce dernier serait en sécurité au Nigéria. Le juge Russell constate que le rejet de la demande par la SPR est déraisonnable à la lumière de cette conclusion de fait. Cette jurisprudence n’aide pas Mme Kassim, car elle est fondée sur les faits de l’affaire et les conclusions de la SPR dans ce cas.

[33]  Examinons le second volet du critère visant à déterminer s’il existe une PRI, soit que les conditions du lieu proposé comme PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour la demanderesse, compte tenu de toutes les circonstances et de sa situation personnelle, de s’y réfugier. Mme Kassim affirme que la SPR n’a pas tenu dûment compte de la preuve au sujet de la possibilité qu’elle s’installe à Port Harcourt. Elle mentionne la  preuve relative aux difficultés, notamment économiques, qu’éprouvent les femmes qui tentent de s’installer ailleurs au Nigéria, à la difficulté de trouver un emploi à Port Harcourt pour les Nigérianes qui ne sont pas originaires de cette ville et au coût élevé de la vie dans cette ville. Or, ses arguments sont contraires à l’appréciation des éléments de preuve documentaire par la SPR. La SPR a pris en compte les préoccupations de Mme Kassim au sujet des difficultés d’emploi, du lieu proposé comme PRI compte tenu de son sexe et des éléments de preuve de discrimination contre les Nigérianes allogènes. Toutefois, elle arrive à une conclusion raisonnée, fondée sur son évaluation des éléments de preuve documentaire, qu’il n’était pas déraisonnable que Mme Kassim s’installe à Port Harcourt. Les arguments de Mme Kassim ne soulèvent aucun fondement qui permettrait à la Cour de juger que la conclusion de la SPR est déraisonnable.

[34]  Puisque j’ai conclu que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins de l’appel, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5050-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5050-17

INTITULÉ :

OLAYOMBO MULIKATLAI KASSIM. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUIN 2018

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2018

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

Sarah Boyd

Pour la demanderesse

Prathima Prashad

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys LLP

Brampton (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.