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Date : 20180611


Dossier : IMM-4902-17

Référence : 2018 CF 607

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

JOEL OSU OSU TARIEL et

DJANNY MAKOBO NSUKA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Tariel et son plus jeune frère, M. Makobo, sont des citoyens de la République démocratique du Congo. Les deux frères ont demandé le statut de réfugié au motif que leur père, qui est un militaire de haut rang, a usé de force pour qu’ils se joignent à l’armée. En effet, ils allèguent que M. Makobo a été grièvement blessé par des militaires, puis hospitalisé. Cette agression a fait en sorte qu’il souffre de troubles mentaux. Dans un ensemble de motifs très détaillés, le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a soutenu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies ni des personnes à protéger selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés du Canada. C’est cette dernière décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[2]  Le tribunal était de l’opinion que la question déterminante en l’espèce était la crédibilité des demandeurs. Cette conclusion doit être examinée dans le contexte de la chronologie des événements.

[3]  Après l’agression dont M. Makobo a été victime, leur mère a obtenu des visas pour les États-Unis. Ils ont accompagné celle-ci aux États-Unis et sont arrivés dans ce pays le 24 août 2015. Des mandats d’arrestation avaient été émis contre eux au Congo.

[4]  Les demandeurs ont prétendu qu’un autre frère, Pierro, est décédé au Congo le 16 septembre 2015. Ils allèguent que Pierro a été battu à mort par des membres des forces militaires. Il existe un certificat de décès, lequel n’indique pas la cause du décès.

[5]  La mère des demandeurs est retournée au Congo quelques jours plus tard. Les trois personnes habitaient chez un ami de la famille. Cependant, une fois la mère partie, cet ami ne voulait plus que les frères demeurent chez lui.

[6]  Ils sont arrivés au Canada en décembre 2015 pour demeurer chez une tante et demander le statut de réfugié au Canada. Ils n’ont pas déposé de demande pour obtenir le statut de réfugié pendant qu’ils étaient aux États-Unis. Les notes de l’agent au point d’entrée indiquaient que les frères ont mentionné que leur père était également persécuté. Ils prétendent avoir affirmé cela parce qu’ils croyaient que les agents des services frontaliers canadiens étaient des militaires et que ces derniers n’apprécieraient pas beaucoup les critiques formulées à l’égard d’autres militaires.

[7]  Au Canada, M. Makobo a été examiné par des médecins. Il souffre apparemment d’un trouble de stress post-traumatique. Il a eu de la difficulté à communiquer avec les médecins de Toronto parce que le français est sa langue maternelle et que ces médecins s’exprimaient en anglais. Certains des événements relatés par les médecins étaient manifestement erronés. Deux raisons peuvent expliquer ces renseignements erronés : l’incapacité de communiquer en raison de la langue et les problèmes de mémoire de M. Makobo.

[8]  Comme l’a souligné le tribunal, M. Tariel a mentionné au cours de son témoignage que son frère [traduction] « ne se souvient pas toujours de ce qu’il a dit, il ne fait que parler pour parler ». Le tribunal a conclu que M. Makobo [traduction] « n’est globalement pas un témoin crédible, puisqu’on ne peut pas se fier à lui pour qu’il dise la vérité, ou même qu’il se souvienne de ce qu’il a dit et du moment où il l’a dit ».

[9]  Le tribunal a conclu que les mandats d’arrestation émis contre les frères étaient faux. Cette conclusion n’a pas été contestée.

[10]  Le tribunal a formulé des doutes concernant le certificat de décès du frère et le rapport d’hospitalisation de M. Makobo parce que ces documents ne contenaient pas de renseignements détaillés. Cependant, ces documents étaient des formulaires qui n’offraient pas vraiment d’espace pour insérer des détails.

[11]  En outre, le tribunal a tiré une conclusion négative au sujet de l’existence d’une crainte subjective parce qu’aucune demande d’asile n’a été déposée aux États-Unis. Toutefois, il faut souligner que les demandeurs possédaient un statut pendant qu’ils étaient aux États-Unis.

[12]  Ainsi, il existe clairement des incohérences sur lesquelles le tribunal s’est appuyé. Les demandeurs ont utilisé les mandats d’arrestation pour étayer leur demande : « pour dorer la pilule », si on peut dire. Par ailleurs, cela ne signifie pas nécessairement que la demande ne soit pas fondée.

[13]  Toutefois, le tribunal a établi le degré d’importance de ces différentes incohérences :

L’incohérence la plus importante est liée au décès de leur frère. Dans leurs formulaires « Fondement de la demande d’asile », les demandeurs allèguent que ce décès est survenu alors qu’ils étaient déjà au Canada, tandis que le médecin a déclaré que le demandeur associé (M. Makobo) lui a affirmé qu’il avait été témoin du décès avant son arrivée au Canada.

[14]  Le tribunal a cependant écarté, à juste titre, l’élément de preuve par ouï-dire du rapport médical. Dans leurs formulaires « Fondement de la demande d’asile », les demandeurs n’ont pas indiqué que le décès de leur frère est survenu après leur arrivée au Canada. Ils ont indiqué qu’ils étaient à ce moment-là aux États-Unis, ce qui coïncide avec le certificat de décès et le retour au Congo de leur mère.

[15]  La seule conclusion qu’on peut tirer est que M. Makobo souffrait d’un trouble de stress post-traumatique, et qu’on ne pouvait s’attendre à ce qu’il dise la vérité, et ce, pas nécessairement parce qu’il mentait sciemment. Supposons qu’il souffrait d’amnésie après avoir été battu sérieusement et que, pour cette raison, il ne se souvenait de rien. Est-ce que cela signifie que les possibilités que sa demande d’asile soit accueillie sont nulles?

[16]  À mon avis, la décision qui porte directement sur la même question est celle du juge Locke dans Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 393, et les décisions qui y sont citées. Dans cette affaire, les inférences négatives clés tirées par le tribunal sont principalement liées au manque de cohérence du récit de la demanderesse, à sa dissociation des événements, et à son incapacité à expliquer les événements dans leur ordre chronologique.

[17]  Voici ce qu’il a dit au paragraphe 36 :

[TRADUCTION]

« Par ailleurs, en présence d’une personne atteinte de TSPT, la preuve médicale est essentielle à l’analyse de la crédibilité d’un demandeur d’asile puisqu’elle permet d’expliquer les troubles de mémoire dudit demandeur; l’omission de la considérer peut s’avérer fatale quant au caractère raisonnable de la décision ».

[18]  En l’espèce, je suis d’avis que cette omission est fatale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4902-17

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvel examen. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4902-17

 

INTITULÉ :

JOEL OSU OSU TARIEL et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Aishah Nofal

 

Pour les demandeurs

 

Leila Jawando

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WazanaLaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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