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Date : 20180608


Dossier : IMM-4434-17

Référence : 2018 CF 600

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 8 juin 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ZHUO PU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision du 25 septembre 2017 (décision) par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé d’autoriser l’appel d’une décision de la Section de l’immigration (SI).

[2]  J’ai examiné les arguments formulés par la demanderesse dans sa demande de contrôle judiciaire. Même si ma conclusion n’est pas forcément celle de la SAI, la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas à la décision contestée. Dans les circonstances, et pour les motifs que j’expose ci-après, je rejette la présente demande parce que je n’ai pas été convaincu que la décision de la SAI n’appartient pas à l’éventail des issues raisonnables.

II.  Énoncé des faits

[3]  La demanderesse est citoyenne de la Chine. Elle est entrée au Canada en 2003, munie d’un visa d’étudiant. En 2004, elle a contracté un mariage de convenance avec un homme rencontré au Canada (M. Y) par l’intermédiaire d’un agent. La mère de la demanderesse a versé 10 000 $ à M. Y pour qu’il épouse et parraine sa fille. En 2005, la demande de parrainage de la demanderesse a été accueillie et elle est devenue résidente permanente du Canada. La demanderesse et M. Y ont divorcé en 2007.

[4]  Apparemment, en 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a lancé une enquête après un contrôle de permis de conduire qui aurait mis en doute la cohabitation de la demanderesse avec M. Y. De plus, à peu près à la même époque, l’ASFC a reçu une lettre dans laquelle une connaissance de la demanderesse affirmait que celle-ci l’avait mise en contact avec l’agent. Dans la foulée de ces événements, au cours d’une entrevue avec l’ASFC, la demanderesse a nié que son mariage avec M. Y en était un de convenance.

[5]  Dans un rapport produit en 2012 en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, il était allégué que la demanderesse devait être interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) au motif qu’elle avait payé pour contracter un mariage de convenance. Après l’audience tenue devant la SI en 2014, l’interdiction de territoire de la demanderesse en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR a été confirmée et une mesure d’exclusion a été prise à son égard.

[6]  Lors de l’audition de son appel devant la SAI, la demanderesse a reconnu la validité de la mesure d’exclusion. Par conséquent, la question soulevée en appel était celle de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales.

[7]  Dans sa décision, la SAI examine le dossier de la demanderesse en fonction des facteurs établis dans la décision Ribic v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1986), [1985] IABD No 4 (SAI), adaptés en vue de leur application aux cas de fausses déclarations (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, au paragraphe 11) : 1) la gravité des fausses déclarations et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu; 2) les remords exprimés; 3) le temps passé au Canada et le degré d’établissement; 4) la présence de membres de la famille au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour eux; 5) l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché; 6) le soutien que l’appelant peut obtenir de sa famille et de sa collectivité; 7) l’importance des difficultés que pourrait entraîner un renvoi.

[8]  La SAI a rejeté l’appel au motif que la gravité de l’infraction commise par la demanderesse jouait grandement en défaveur de sa demande de mesures spéciales. Qui plus est, la sincérité des remords exprimés par la demanderesse a été mise en doute par la SAI, qui a jugé que ses réponses aux questions de l’ASFC en 2009 n’étaient ni fluides ni franches, et qu’elle avait cherché à décliner toute responsabilité pour ses actes lors de l’audition de son appel. La SAI a accordé peu de valeur probatoire à ce facteur.

[9]  En revanche, elle a conclu que le temps passé au Canada par la demanderesse, son emploi et ses liens financiers ici militaient en sa faveur. La SAI a aussi pris en considération les éléments de preuve fournis par la demanderesse pour attester son engagement auprès d’organismes de bienfaisance mais, après vérification, il s’est avéré que celui-ci [traduction« se réduisait essentiellement » à des dons en argent. Par conséquent, la SAI a reconnu une importance modérée à ce facteur. Lorsqu’elle a examiné les lettres d’appui transmises par des amis et des collègues de la demanderesse, la SAI a conclu qu’elles démontraient son établissement social au Canada, et qu’elles jouaient modérément en sa faveur. Ces lettres visaient à démontrer que la demanderesse était honnête et intègre, mais la SAI a jugé qu’elles étaient peu utiles à cet égard, notamment parce que leurs auteurs n’étaient pas disponibles pour répondre à ses questions.

[10]  La SAI a rejeté les arguments de la demanderesse comme quoi il lui serait difficile de trouver un emploi et de retourner aux études en Chine. Elle n’a pas été convaincue non plus par les prétentions voulant que les mères célibataires seraient victimes de discrimination en Chine ou que la demanderesse y serait exposée à des difficultés associées à la pollution. La SAI a admis que la citoyenneté canadienne du fils de la demanderesse constituait un motif d’ordre humanitaire pesant en sa faveur, mais elle a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et conclu qu’il pourrait s’intégrer à la société chinoise et qu’il n’y serait exposé à aucune des difficultés alléguées par la demanderesse.

III.  Norme de contrôle

[11]  La demanderesse soulève plusieurs questions dans sa demande. Selon elle, et je suis d’accord, la plupart des arguments mettent en cause le caractère raisonnable de la décision. Je tiens à préciser que dans le cas notamment des décisions de la SAI, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] a force contraignante :

[4]  L’arrêt Dunsmuir nous enseigne que le contrôle judiciaire devrait accorder moins d’importance à la formulation de différentes normes de contrôle et s’intéresser davantage au fond, en particulier à la nature de la question soumise au tribunal administratif en cause. Pour rendre sa décision en l’espèce, la SAI devait appliquer des considérations de politique générale aux faits dont elle avait elle-même constaté la pertinence et soupesé l’importance. C’est à la SAI et non aux tribunaux judiciaires que le législateur avait confié la tâche de déterminer si M. Khosa avait établi l’existence de « motifs d’ordre humanitaire justifiant » la levée de la mesure de renvoi le concernant, dont toutes les parties reconnaissaient la validité. Je conclus que, selon les principes généraux du droit administratif, y compris le récent arrêt Dunsmuir de notre Cour, le juge des requêtes a eu raison de manifester à l’égard de la décision de la SAI une déférence plus grande [...]

[12]  Dans cette optique, il m’importe surtout de soupeser l’intelligibilité et la transparence de la décision, ainsi que son appartenance à un éventail d’issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[13]  La demanderesse pose en outre la question de savoir si la SAI a fondé son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant sur un critère inadéquat. Il s’agit d’une question susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte (Ngyuen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 20; Lu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 175, au paragraphe 14).

IV.  Analyse

[14]  J’examinerai alternativement chacun des arguments avancés par la demanderesse.

i.  Remords

[15]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur dans son évaluation des remords qu’elle a exprimés. Elle affirme que la SAI n’a pas tenu compte d’un affidavit qu’elle a souscrit, dans lequel elle dit être embarrassée à l’idée d’avoir fait de fausses déclarations et soumet des éléments de preuve expliquant les circonstances dans lesquelles elle les a faites, y compris sa situation familiale difficile en Chine et les pressions exercées par sa mère. Selon la demanderesse, ces éléments de preuve, ainsi que les déclarations étayant sa bonne réputation dans les lettres soumises par ses amis et collègues, attestent l’authenticité de ses remords. La demanderesse ajoute qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de chercher à établir si ses remords étaient sincères en 2009 et non au moment où elle les a exprimés, c’est-à-dire lorsque celle-ci a entendu sa demande.

[16]  Pour ma part, je ne puis qualifier de déraisonnable l’évaluation qu’a faite la SAI des remords exprimés. À cet égard, je trouve très éclairant le raisonnement suivi par le juge Shore dans la décision Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 517, [Krishnan] :

[25]  M. Krishnan n’a pas démontré que la Section d’appel a commis une erreur dans son examen des remords de M. Krishnan pour les nombreux crimes qu’il a commis. La Section d’appel a fourni bon nombre d’exemples illustrant les raisons pour lesquelles elle n’a pas reconnu que M. Krishnan avait des remords, dont le fait qu’il n’a pas cessé de minimiser son implication et sa culpabilité. Il était loisible à la Section d’appel d’arriver à cette conclusion eu égard à la preuve. Les « erreurs » alléguées par M. Krishnan ne concernent pas ses remords, mais plutôt les raisons qu’il a données relativement à sa participation aux activités criminelles. Les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de M. Krishnan concernant ses remords ont été examinés par la Section d’appel. Le fait qu’elle ait tiré sur ce point une conclusion défavorable à son endroit ne justifie pas, sans autres motifs sérieux, une demande de contrôle judiciaire.

[17]  À l’instar de celle qui a été produite dans l’affaire Krishnan, j’estime que la preuve contextuelle fournie par la demanderesse nous en dit plus long sur les raisons qui l’ont poussée à se marier que sur l’authenticité de ses remords. Par ailleurs, je ne souscris pas à sa prétention comme quoi la SAI aurait ignoré ces éléments de preuve. Il faut présumer que la SAI a pris en compte l’ensemble de la preuve avant de rendre une décision (Islam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 80, au paragraphe 20, citant Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (Section d’appel de la Cour fédérale du Canada). Malgré les éléments de preuve que la demanderesse a portés à l’attention de notre Cour, la SAI a estimé à juste titre que ses fausses déclarations étaient [traduction] « délibérées et préparées », et qu’elles étaient par conséquent gravissimes.

[18]  La SAI a conclu que les remords exprimés par la demanderesse n’étaient pas authentiques, pour les raisons suivantes : a) elle a réitéré les fausses déclarations faites en 2009; b) lors de l’audience de la SAI, elle a tenté de se disculper de sa conduite antérieure pour les gestes commis auparavant. La SAI a pris acte des remords exprimés par la demanderesse lors de l’appel, mais elle a conclu que depuis 2009, celle-ci avait eu amplement de temps pour en venir à admettre et à assumer la responsabilité de ses actes. Or, elle s’est dite contrite uniquement après avoir été prise en flagrant délit lors de l’audience, soit très longtemps après l’entrevue initiale de l’ASFC, au cours de laquelle elle avait réitéré ses fausses déclarations à propos des circonstances de son mariage.

[19]  Même si la demanderesse nie avoir tenté de minimiser sa responsabilité lors de l’audition de son appel, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SAI de parvenir à cette conclusion compte tenu de la preuve à sa disposition. Je souligne en outre que la SAI a suivi un raisonnement conforme à celui qui est appliqué dans d’autres domaines du droit, selon lequel l’admission tardive de la responsabilité joue en défaveur d’une partie sollicitant une mesure de réparation discrétionnaire.

[20]  Pour clore ce volet de mon analyse, je citerai les remarques formulées par la SAI dans la décision Lin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 26505 (CA CISR), qui m’apparaissent très à propos en l’espèce :

51  Les remords sont définis ainsi : [traduction] « vif regret ou culpabilité d’avoir mal agi » et [traduction] « un sentiment de regret d’avoir commis quelque chose de mal dans le passé : un sentiment de culpabilité ». Dans le contexte d’une fausse déclaration, les remords ont deux composantes : la première concerne les actions antérieures à l’appel devant la SAI; et l’autre, l’expression des remords lors du témoignage au moment de l’appel lui-même. L’expression des remords lors de l’appel devant la SAI est moins significative si l’appelante a continué d’avoir une conduite malhonnête au cours de l’enquête en application de l’article 44 et pendant l’audience devant la SI.

[Références omises.]

ii.  Crédibilité

[21]  La demanderesse reproche en outre à la SAI d’avoir mal évalué sa crédibilité. À son avis, la SAI a commis une erreur en tranchant que ses fausses déclarations antérieures avaient entaché sa crédibilité lors de l’audience. Aux dires de la demanderesse, la SAI aurait dû présumer de la véracité de son témoignage et des éléments de preuve présentés dans son affidavit.

[22]  Cependant, étant donné la gravité des fausses déclarations en cause, il m’apparaît raisonnable de la part de la SAI d’avoir jugé que ce facteur pouvait être révélateur de la crédibilité générale de la demanderesse (voir Chow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1492, au paragraphe 16). Il est aussi évident que les réserves de la SAI découlaient autant des fausses déclarations de la demanderesse que de sa conduite subséquente lors de ses interactions avec les autorités de l’immigration.

[23]  Après avoir pris connaissance du texte intégral de la décision, je ne trouve aucune raison de conclure que la SAI a donné trop d’importance aux fausses déclarations initiales de la demanderesse dans son évaluation de la crédibilité. Comme le souligne le défendeur, la SAI a quand même accordé le bénéfice du doute à la demanderesse pour certaines parties de son témoignage reposant sur des éléments de preuve somme toute assez minces, et notamment ceux qui concernent la présence de son partenaire dans la vie de son fils.

[24]  Par conséquent, j’estime que les conclusions de la SAI sont raisonnables dans l’ensemble eu égard à la solidité de la preuve, et je souligne qu’elle a même demandé des documents corroborants sur des sujets débordant les connaissances personnelles de la demanderesse comme la discrimination infligée aux mères célibataires en Chine.

iii.  Lettres de soutien

[25]  La demanderesse soutient par surcroît qu’il était déraisonnable pour la SAI de donner aussi peu de poids aux lettres de soutien qui lui ont été transmises au motif qu’elle n’a pas eu la possibilité d’en interroger les auteurs. Selon la demanderesse, il appartenait à la SAI de convoquer les auteurs si elle voulait les interroger. L’avocat de la demanderesse n’a pas invoqué de jurisprudence précise pour valider cet argument, mais il a mentionné que la décision Phara Delille v. Canada (Immigration, Refugees and Citizenship), 2017 FC 508 [Delille] (aux paragraphes 54 et 55) pouvait se révéler pertinente.

[26]  La partie pertinente de la décision se lit comme suit :

[traduction]

[15]  Je souligne également que les nombreuses lettres de soutien rédigées par des amis et associés de l’appelante indiquent qu’elle est bien établie socialement au Canada. Bien que les auteurs des lettres soumises en appui à l’appelante fassent état de l’intégrité de sa conduite, de sa fiabilité et de son honnêteté, les éléments de preuve attestant ses fausses déclarations disent le contraire. Les auteurs des lettres n’étaient pas disponibles pour être interrogés à titre de témoins ou en contre-interrogatoire, de sorte que je ne peux pas accorder beaucoup de valeur probante à ce qui reste après tout des opinions personnelles. En revanche, j’estime que les lettres soumises démontrent l’établissement social de l’appelante au Canada, et peuvent donc faire pencher l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire en sa faveur, ne serait-ce que modérément.

[Notes de bas de page omises.]

[27]  En premier lieu, comme il a été mentionné précédemment, l’avocat de la demanderesse n’a présenté aucune jurisprudence établissant que le fait pour la SAI d’avoir accordé trop peu d’importance à des témoignages d’opinion non vérifiés au sujet de la réputation d’une demanderesse constitue une erreur susceptible de contrôle. À mon sens, ce n’est pas la SAI, mais bien la demanderesse qui devait établir la véracité de ces témoignages, mais elle n’a pas appelé de témoins. Sur ce point, je trouve très judicieuses les remarques de la juge Mactavish dans la décision Dhinsa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 232 :

[17]  Ce que la SAI a estimé important, c’est le fait qu’aucun élément de preuve indépendant n’a été fourni pour établir l’existence de Gurpreet, de sa troupe de danse ou de la Lovely University. Mme Dhindsa affirme qu’il était loisible à la SAI de convoquer Gurpreet comme témoin, si elle avait des doutes à son sujet. Toutefois, ce n’est pas le rôle de la SAI. Il incombe à la demanderesse de défendre son affaire et de déposer en preuve tout élément qu’elle souhaite voir examiner : V.S. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 109, au paragraphe 25, [2017] A.C.F. no 86.

[28]  En deuxième lieu, je remarque que la SAI a jugé que la réputation de la demanderesse était directement en cause en raison de ses antécédents en matière d’immigration. Je conviens avec le défendeur qu’aucune lettre de soutien ne reconnaît ni ne commente les fausses déclarations de la demanderesse, alors que c’eût été essentiel pour leur donner une valeur probante étant donné que l’intention était d’établir sa bonne réputation. Cela étant, la SAI pouvait à bon droit conclure que ces lettres lui étaient de peu d’utilité pour se prononcer sur la réputation de la demanderesse au vu de ses agissements antérieurs.

[29]  Je considère en outre qu’il faut distinguer l’analyse de la SAI de celle que critique le juge Roy dans la décision Delille. Dans celle-ci, le juge Roy se dit préoccupé surtout par le fait que le tribunal [traduction] « n’a pas même tenté d’analyser la lettre » (au paragraphe 54). En l’espèce, la SAI a bel et bien analysé les lettres et elle a conclu qu’elles démontraient les liens sociaux tissés par la demanderesse au Canada. Toutefois, elle a à juste titre donné peu de poids à leur contenu dans son appréciation de la réputation de la demanderesse.

iv.  Idée préconçue

[30]  La demanderesse soutient également que la SAI avait une idée préconçue de l’issue de sa demande de mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle souligne que la SAI a conclu qu’un [traduction] « sursis assorti de conditions » ne serait pas approprié puisque la demanderesse avait déjà obtenu sa résidence permanente, et qu’elle ne pouvait donc pas [traduction] « récidiver ». Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que la faible probabilité qu’elle récidive ne [traduction] « justifie pas qu’on lui refuse un sursis ».

[31]  À mon avis, la conclusion de la SAI sur ce point est raisonnable. Comme l’a fait remarquer la juge Gleason dans Liv c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 998 [Li 2015] :

[29]  Ce recours au pouvoir d’octroyer un sursis dans des cas de criminalité reflète la distinction fondamentale entre un comportement criminel après l’admission, pour lequel il y a eu une décision initiale valide et légitime quant à l’admissibilité, et les cas de fausses déclarations, pour lesquels la décision initiale quant à l’admissibilité a été rendue par erreur, en raison des fausses déclarations. Dans les cas de criminalité, la SAI peut exercer son pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire prévu au paragraphe 68(1) de la LIPR afin de surseoir à la mesure de renvoi et de permettre à la personne de démontrer qu’il est peu probable qu’elle récidive. Une telle considération n’existe habituellement pas dans les cas de fausses déclarations, dans lesquels il n’y a pas de motivation à la récidive tant que la personne visée est autorisée à demeurer au Canada. En d’autres termes, ce sont les circonstances entourant les fausses déclarations qui ont mené à la conclusion d’interdiction de territoire qui présentent le plus d’intérêt dans les cas de fausses déclarations, pas la possibilité de réadaptation : (Tai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 248, [2011] ACF, aux paragraphes 82 et 83).

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Si un sursis est demandé et que les faits justifient une décision favorable, le demandeur a le droit de savoir pourquoi on le lui a refusé (Li 2015, au paragraphe 25; Mcintyre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351, au paragraphe 42). Dans le cas qui nous occupe, la SAI a examiné la demande de sursis de la demanderesse et a expressément expliqué pourquoi les circonstances ne lui permettaient pas d’accéder à cette demande.

[33]  Par ailleurs, la demanderesse invoque de manière générale la décision Li c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451 [Li 2016], dans laquelle le juge Shore explique que, parce qu’elle avait pour dessein de punir les fausses déclarations du demandeur, la SAI n’avait pas fait une analyse raisonnable des motifs d’ordre humanitaire (au paragraphe 35).

[34]  Or, il convient de distinguer la décision Li 2016 sur le plan des faits. Dans cette affaire, les remords exprimés par le demandeur n’étaient pas mis en doute, car il avait accepté de collaborer pleinement à l’enquête et admis sur-le-champ ses fausses déclarations (au paragraphe 27). Ici, par contraste, la SAI a conclu que la demanderesse avait trompé les autorités en 2009 et n’avait pas corrigé la situation lors de l’audience de 2017 puisqu’elle a continué de décliner toute responsabilité pour ses actes.

[35]  En conclusion, je ne suis pas d’accord avec l’allégation comme quoi la SAI a abordé son appel avec une idée préconçue ou a tenté de punir la défenderesse pour ses fausses déclarations. Je crois au contraire que, après avoir diligemment examiné le dossier de la demanderesse, la SAI est parvenue à la conclusion que les arguments et les éléments de preuve produits ne justifiaient pas la prise d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire. Je réitère que cette évaluation et cette appréciation des facteurs pertinents relèvent de la SAI, et non de notre Cour (Khosa, au paragraphe 4).

v.  Appréciation des autres éléments de preuve

[36]  La demanderesse a soulevé d’autres questions dont notre Cour ne saurait connaître puisqu’ils touchent à la pondération des facteurs dans l’analyse de la SAI (voir Khosa, au paragraphe 61). Par exemple, la demanderesse fait valoir que la SAI n’a pas considéré l’importance de sa participation à des organismes de bienfaisance ou de ses activités bénévoles, ni dans quelle mesure elle était établie au Canada. Je souscris à l’affirmation du défendeur selon laquelle la SAI a pris ces facteurs en considération, mais qu’elle a tiré la conclusion qu’ils ne faisaient pas le poids dans une analyse globale de la question de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise d’une mesure spéciale.

vi.  Intérêt supérieur de l’enfant

[37]  En dernier lieu, la demanderesse soutient qu’en centrant son évaluation de l’intérêt supérieur de son fils sur les « difficultés » qui l’attendaient si jamais la demanderesse devait retourner en Chine, la SAI n’a pas appliqué le bon critère. À son avis, ce biais a eu pour conséquence que la SAI a complètement occulté la question de l’intérêt supérieur de son fils dans son analyse.

[38]  Je ne suis pas persuadé que la SAI s’est trompée de critère. Dans son arrêt de principe Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada reproche au décideur d’avoir appliqué un critère trop rigide (au paragraphe 33). Il m’est impossible de reprocher la même erreur à la SAI dans son évaluation de l’intérêt supérieur du fils de la demanderesse. De fait, il n’existe pas de formule ni de critère précis pour évaluer l’intérêt supérieur d’un enfant (Esahak-Sahmmas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 461, au paragraphe 38; Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, aux paragraphes 25 à 27).

[39]  En l’espèce, comme le souligne le défendeur, après avoir dûment soupesé les avantages de vivre au Canada pour l’enfant, la SAI a souligné qu’une comparaison directe fait normalement pencher la balance en faveur du Canada, citant Yuan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 578 :

[26]  En l’espèce, je suis attentif au fait que comparer la vie au Canada, où il est fort possible qu’il y ait moins de pollution, une meilleure éducation et des aliments plus salubres que dans la plupart des pays du monde, à la vie dans le pays d’origine ne peut être déterminant de l’intérêt supérieur d’un enfant, puisque le résultat favorisera toujours le Canada.

[40]  En fin de compte, la SAI a tranché qu’il serait dans l’intérêt supérieur du fils de la demanderesse de vivre en Chine avec sa mère et toute la famille de celle-ci. Je souligne au passage que la demanderesse a déclaré devant la SAI qu’elle n’avait pas identifié le père de son fils, un travailleur étranger temporaire, sur son certificat de naissance. Je conviens également avec le défendeur que si la SAI a centré son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant sur les « difficultés » qui l’attendaient, c’est tout simplement parce qu’elle s’est collée à l’orientation donnée par la demanderesse à ses observations et à son témoignage durant l’audition de son appel.

[41]  Finalement, la demanderesse conteste précisément le peu d’importance accordée par la SAI à sa déclaration comme quoi son fils ne pourrait jamais avoir de statut juridique permanent en Chine. La SAI a tiré cette conclusion parce que, hormis son témoignage, la demanderesse n’a fourni aucune preuve liée aux lois en vigueur en Chine.

[42]  À l’audition de la demande, l’avocat de la demanderesse a fait valoir qu’il était pour ainsi dire de notoriété publique que la double nationalité n’est pas autorisée en Chine, et que la SAI aurait dû lui donner le bénéfice du doute à ce sujet. Après tout, il suffisait de faire une recherche sur Google pour trouver la réponse.

[43]  Malgré la sympathie que m’inspirent les arguments de la demanderesse, la SAI a judicieusement fait valoir que la teneur des lois étrangères est une question de fait, citant à cet égard l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311 (au paragraphe 26). La demanderesse a eu plusieurs années pour se préparer en vue de son appel, et elle était représentée par un avocat devant la SAI – qui certes n’était pas le même que celui qui la représente dans le cadre de la présente demande. Sachant qu’il s’agissait d’un élément pivot de son dossier, elle a choisi de s’en remettre uniquement à son témoignage, à ses propres risques.

[44]  Je ne trouve donc aucune raison d’intervenir dans la décision de la SAI au motif qu’elle aurait mal soupesé l’intérêt supérieur de l’enfant.

V.  Conclusion

[45]  En dépit des allégations judicieuses et convaincantes de l’avocat de la demanderesse dans le cadre de la présente demande, je ne puis me résoudre à qualifier de déraisonnable la décision de la SAI. Je trouve important de répéter que la question n’est pas de savoir quelle aurait été ma propre décision, mais si les conclusions de la SAI appartenaient à un éventail d’issues raisonnables au vu des faits et des éléments de preuve. À mon avis, c’est le cas. La demande de la demanderesse est par conséquent rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4434-17

LA COUR ORDONNE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

  2. qu’aucune question ne soit certifiée;

  3. qu’aucuns dépens ne soient accordés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4434-17

 

INTITULÉ :

ZHUO PU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

Pour la demanderesse

 

Manuel Mendelzon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WazanaLaw

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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