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Date : 20180531


Dossier : T-131-17

Référence : 2018 CF 566

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2018

DEMANDE FONDÉE SUR L’ARTICLE 18.3 DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT UN RENVOI PAR LE COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN DES GRIEFS MILITAIRES FONDÉ SUR LE PARAGRAPHE 18.3(1) DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES, L.R.C. (1985), ch. F-7, PORTANT SUR DES QUESTIONS DE DROIT

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le Comité externe d’examen des griefs militaires présente un renvoi à notre Cour en vue d’obtenir des réponses aux sept questions suivantes :

  1. Une personne établit-elle une relation contractuelle avec la Couronne lorsqu’elle s’enrôle dans les Forces armées canadiennes (FAC)?

  2. Est-il possible pour une personne d’établir une relation contractuelle de préparation au service ou de préparation à l’emploi avec la Couronne avant que cette personne ne s’enrôle dans les FAC?

  3. La Couronne ou les FAC ont-elles un devoir de diligence à l’égard des déclarations faites à une personne avant que celle-ci s’enrôle dans les FAC, devoir pouvant les rendre responsables d’une assertion négligente et inexacte?

  4. Du point de vue du droit, la doctrine de la préclusion peut-elle s’appliquer à la procédure de grief fondée par l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, pour empêcher la Couronne ou les FAC de recouvrer un paiement versé en trop à un membre des FAC?

  5. Si le plaignant d’un grief satisfait aux éléments d’une cause d’action, le chef d’état-major de la défense (CEMD) détient-il expressément le pouvoir légal d’accorder des dommages-intérêts au plaignant à titre d’autorité de dernière instance pour ce grief?

  6. Dans le cas contraire, le CEMD a-t-il la compétence implicite pour accorder des dommages-intérêts à un plaignant à titre d’autorité dernière instance?

  7. Du point de vue du droit, les FAC ne sont-elles pas dégagées de responsabilité pour les déclarations faites à une personne avant que celle-ci ne s’enrôle dans les FAC conformément à l’article 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50?

I.  Le contexte de ces questions

[2]  Le Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité) affirme que les sept questions ci-dessus ont été soulevées dans le contexte d’un grief déposé par un membre des FAC.

[3]  Le plaignant était membre des FAC en 2006 et 2007 et a servi en tant qu’officier de sélection du personnel au grade de lieutenant jusqu’à la date de sa libération. En 2013, le plaignant s’est joint à nouveau aux FAC à titre d’officier de la logistique en soutien aux forces aériennes. Selon lui, il lui avait été promis avant son réenrôlement qu’il réintégrerait les FAC au grade de lieutenant avec un salaire annuel de 56 652 $. Encore selon les affirmations du plaignant, on lui aurait dit qu’il serait admissible à une promotion au grade de capitaine en deux ans environ. Le plaignant affirme que c’est sur la foi de ces déclarations qu’il a choisi de renoncer à un emploi sûr au sein du gouvernement en vue de se réenrôler dans les FAC.

[4]  Près d’une année plus tard, le plaignant a été informé qu’une erreur avait été commise au moment de son réenrôlement, qu’il n’avait pas droit au grade de lieutenant à son réenrôlement et qu’il ne pouvait être enrôlé qu’au grade de sous-lieutenant dont le salaire correspondant est moindre. Par conséquent, le plaignant a reçu un grade inférieur et on lui a ordonné de repayer 2 043,15 $, soit le montant qui aurait été versé en trop.

[5]  Le plaignant a de plus été informé que cette erreur avait une incidence sur son admissibilité à une promotion et qu’une année supplémentaire de service serait nécessaire pour une promotion éventuelle au grade de capitaine.

[6]  Le plaignant a par la suite déposé un grief auprès du commandant de la Base des Forces canadiennes Bagotville, en application du paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, dans lequel il soutient que les FAC n’ont pas respecté l’offre d’emploi qu’elles lui avaient faite. Entre autres choses, le plaignant cherche à annuler sa rétrogradation et à récupérer la somme qu’il avait dû rembourser. Ce grief a été rejeté par le chef du personnel militaire à titre d’autorité initiale dans la procédure de grief des FAC.

[7]  Le plaignant a par la suite demandé que son grief soit étudié et réglé par l’autorité de dernière instance dans la procédure de grief des FAC, à savoir le chef d’état-major de la défense ou son délégué. Comme le grief porte sur une question de rémunération et d’avantages sociaux, il a d’abord été renvoyé au Comité pour examen avant que le CEMD ne l’étudie, conformément à l’article 7.21 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, volume 1, chapitre 7.

[8]  Aux termes du paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale, le Comité a l’obligation d’étudier chaque grief qui lui est renvoyé et de formuler ses conclusions et recommandations au CEMD et au plaignant. Les conclusions et recommandations du Comité ne lient pas le CEMD, mais celui-ci doit motiver sa décision s’il s’en écarte, conformément aux paragraphes 29.13(1) et (2) de la Loi sur la défense nationale.

[9]  Le Comité m’indique dans son avis de demande qu’il a étudié le grief, les documents à l’appui, les observations du plaignant et la décision du chef du personnel militaire et que pour résoudre le grief, il devra, à son avis, obtenir la réponse à sept questions de droit qu’il a cernées. Aucune enquête n’a été menée par le Comité sur les faits à la base du grief et celui-ci ne formule pas de conclusions ou de recommandations avant que le présent renvoi ne soit réglé. Les parties ont cependant soumis un exposé conjoint portant sur certains faits à l’origine du grief, alors que certains autres faits sont contestés.

II.  Objection préliminaire

[10]  Le procureur général du Canada a soulevé plusieurs objections préliminaires contre ce renvoi. À son avis, la procédure prescrite par la loi en matière de règlement des griefs aurait été contournée si la Cour avait dû se prononcer sur les questions mentionnées dans l’avis de demande du Comité, car la Cour empiéterait alors sur la compétence du CEMD, dont le rôle consiste à régler en dernière instance les questions soulevées par le grief en procédant à l’analyse des faits et à l’interprétation des règlements et des politiques des FAC.

[11]  De plus, le procureur général soutient que plusieurs des questions soumises par le Comité ne conviennent pas dans le cas d’un renvoi, car il s’agit de questions de droit et de fait plutôt que de questions concernant uniquement le droit. Pour terminer, le procureur général soutient que ce renvoi est prématuré, en faisant valoir qu’il est demandé à la Cour de répondre à ces questions dans un vide factuel, puisque ni le Comité ni le CEMD n’a tiré de conclusions de fait dans cette affaire. Par conséquent, le procureur général affirme que la Cour devrait refuser de répondre aux questions soulevées par le Comité et rejeter le renvoi.

[12]  Le Comité reconnaît qu’il n’a pas encore tiré de conclusions de fait, s’il y a lieu, sur les déclarations qui ont été faites au plaignant avant son réenrôlement dans les FAC en 2013. Il n’a pas non plus étudié les répercussions juridiques éventuelles, s’il y a lieu, qui découleraient de ces déclarations. Cependant, le Comité affirme qu’il pourrait être nécessaire de répondre aux questions du renvoi dans le contexte de ce grief et que, même s’il n’était pas nécessaire de répondre à toutes les questions pour régler ce grief, les questions du renvoi ont déjà été soulevées dans le passé dans le contexte d’autres griefs et pourraient l’être à l’avenir. Par conséquent, le Comité pense qu’il lui serait utile d’avoir les recommandations de notre Cour en lien avec ces questions.

III.  Discussion

[13]  Pour décider s’il convient à notre Cour de répondre aux questions posées dans le présent renvoi, il faut d’abord tenir compte des principes régissant les renvois comme celui-ci.

[14]  Le paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, prescrit que :

18.3 (1) Les offices fédéraux peuvent, à tout stade de leurs procédures, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.

18.3 (1) A federal board, commission or other tribunal may at any stage of its proceedings refer any question or issue of law, of jurisdiction or of practice and procedure to the Federal Court for hearing and determination.

[15]  Le procureur général admet que le Comité est un « office fédéral ». Il admet également que, même s’il s’agit d’un organisme consultatif et non décisionnel qui n’a pas le pouvoir de mettre fin à un litige, le Comité a néanmoins le pouvoir de renvoyer à notre Cour des questions à trancher lorsqu’il est indiqué de le faire : Commissaire à l’information du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 133, [2014] A.C.F. no 359; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Procureur général), 2015 CF 405, paragraphe 6, 447 F.T.R 267.

[16]  La jurisprudence concernant l’ancêtre du paragraphe 18.3(1) enseigne les quatre conditions que toute question de droit, de compétence ou de procédure doit satisfaire pour faire l’objet d’un renvoi fondé sur la Loi sur les Cours fédérales : voir l’arrêt Immigration Act, Re (1991), 137 N.R. 64, page 65 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 1155. Ces conditions sont les suivantes :

  1. la question doit en être une dont la solution peut mettre fin au litige dont le tribunal est saisi;

  2. la question doit s’être soulevée au cours de l’instance devant le tribunal qui effectue le renvoi;

  3. la question doit résulter de faits qui ont été prouvés ou admis devant le tribunal; et

  4. la question doit être renvoyée à la Cour par une ordonnance du tribunal qui, en plus de formuler la question, doit relater les constatations de faits qui y ont donné naissance.

[17]  Sous l’ancienne disposition de la loi, la procédure de renvoi n’était disponible qu’aux tribunaux exerçant des fonctions décisionnelles. Après modification de la loi en 1992, les offices fédéraux qui n’ont pas de pouvoir judiciaire ou quasi-judiciaire peuvent également présenter un renvoi.

[18]  Il a été suggéré que les quatre conditions établies dans l’arrêt Immigration Act, Re soient abordées avec souplesse, car il pourrait être difficile d’appliquer un critère prévu pour une procédure contradictoire à un contexte purement administratif : voir l’arrêt Air Canada, précité, aux paragraphes 13 et 14. Cela dit, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il est encore nécessaire d’avoir un bon fondement factuel pour permettre à notre Cour de trancher les questions d’un renvoi présenté par un tribunal décisionnel ou administratif : voir l’arrêt Air Canada (Re), (1999), 241 N.R. 157, paragraphes 12 et 13, [1999] A.C.F. no 670 (Air Canada CAF).

[19]  De plus, les décisions rendues avant et après la modification apportée à la disposition sur le renvoi de la Loi sur les Cours fédérales ont rappelé le fait que la Cour nécessite à la fois que le litige soit en cours et que le dossier factuel soit constant pour répondre aux questions dans la procédure de renvoi.

[20]  Contrairement à la Cour suprême du Canada, les Cours fédérales ne peuvent rendre d’avis consultatif découlant d’une question d’un renvoi : voir l’arrêt Public Service Staff Relations Board (Re)(1973), 38 D.L.R. (3d) 437 (C.A.F.), [1973] C.F. 604, motifs concordants du juge en chef Jackett; la décision re Canadian Arctic Gas Pipeline Ltd. et al, [1976] 2 C.F. 20, paragraphe 5, infirmée par d’autres motifs [1978] 1 R.C.S. 369. Voir également l’article 53 de la Loi sur la Cour suprême du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-26, dans sa version modifiée.

[21]  En effet, dans le jugement National Energy Board (Re), [1988] 2 C.F. 196, 48 D.L.R. (4th) 596, la Cour d’appel fédérale a exprimé clairement qu’il faut que les réponses aux questions posées dans un renvoi soient aptes à mettre fin à un litige dont un tribunal est saisi et que, de surcroît, la procédure de renvoi [traduction] « n’englobe pas la résolution de questions de droit exprimées de manière théorique » : p. 204, qui citait la décision précitée Public Service Staff Relations Act (Re), au paragraphe 12. Voir également l’arrêt Re Martin Service Station Ltd. and Minister of National Revenue, [1974] 1 F.C. 398, p. 400 (C.A.F.), confirmé [1976] A.C.S. no 101, [1977] 2 R.C.S. 996; l’arrêt Canada (Labour Relations Board) (Re) (C.A.F.), [1989] A.C.F. no 239.

[22]  Autrement dit, notre Cour ne doit pas répondre à des questions de droit théoriques ni spéculer, car son rôle est « de statuer, par opposition à simplement considérer » : voir les décisions Alberta (Attorney General) et al. v. Westcoast Energy Inc (1997), 208 N.R. 154, paragraphe 16 (C.A.F.), [1997] A.C.F. no 77; Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit (Re), 2016 CF 750, paragraphe 14, [2016] A.C.F. no 717.

[23]  Il en est ainsi, même si le tribunal qui a déposé ce renvoi désire obtenir de bonne foi des réponses aux questions auxquelles il est confronté régulièrement. Comme notre Cour l’a remarqué dans la décision Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit (Re), « le paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales n’autorise pas les offices fédéraux à demander l’examen d’une question de droit simplement parce qu’ils souhaitent élucider la question ». C’est que la procédure de renvoi « n’est prévu[e] que pour la résolution de questions qui découlent d’une procédure en cours devant un office fédéral » : les deux citations sont tirées du paragraphe 16.

[24]  En l’absence de conclusions de fait tirées par le Comité, nous ne savons pas encore s’il existe des questions parmi les sept présentées dans le renvoi qui seront soulevées en l’espèce. En présence des conclusions de fait du Comité, il se pourrait bien que certaines de ces questions deviennent théoriques.

[25]   La Cour se trouve confrontée à un deuxième problème, soit celui d’un fondement de faits insuffisant pour répondre à certaines des questions soulevées par le Comité.

[26]  Comme la Cour d’appel fédérale l’a observé dans son arrêt Loi sur l’Immigration (Re), l’une des conditions à satisfaire pour que la Cour réponde aux questions posées dans un renvoi est que « la question doit résulter de faits qui ont été prouvés ou admis devant le tribunal. » Une autre de ces conditions était que le tribunal, « en plus de formuler la question, doit relater les constatations de faits qui y ont donné naissance ».

[27]  En effet, comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Public Service Staff Relations Act (Re), il est de l’obligation du tribunal qui sollicite par renvoi une réponse à ses questions de présenter à la Cour les conclusions de fait et tout autre élément sur lesquels ce tribunal se fonderait pour trancher lui-même ces questions de droit : précité, au paragraphe 12. Voir également l’arrêt Martin Service Station Ltd., précité, au paragraphe 4.

[28]  En l’espèce, cependant, les faits essentiels ne sont pas constants. Nous ne disposons que de simples allégations qui demeurent non prouvées pour l’instant.

[29]  L’exposé des faits qui sont constants chez les parties relève simplement que le plaignant affirme que certaines déclarations lui ont été faites avant son réenrôlement dans les FAC et qu’il s’est fié à ces déclarations à ses dépens. Le Comité n’est cependant pas arrivé à une conclusion sur la question de savoir si ces déclarations ont bel et bien été faites au plaignant et il n’a pas non plus établi l’auteur de ces déclarations, leur contenu ou le contexte dans lequel elles ont été faites. De plus, le Comité n’a pas encore établi si, de la part du plaignant, il était raisonnable de se fier aux déclarations qui ont pu lui être faites.

[30]  Pour illustrer les difficultés engendrées par cette situation, examinons la deuxième question du Comité, à savoir « [e]st-il possible pour une personne d’établir une relation contractuelle de préparation au service ou de préparation à l’emploi avec la Couronne avant que cette personne ne s’enrôle dans les FAC? » Le procureur général ne conteste pas la possibilité que des membres concluent un certain type de contrat avec la Couronne avant leur enrôlement, puisque l’enrôlement dans les FAC [traduction] « ne prive pas rétroactivement une personne de sa capacité légale de conclure un contrat. » J’en conclus qu’aucune controverse n’est soulevée sur la question de savoir s’il est bel et bien possible qu’un membre des FAC conclue un contrat avec les FAC avant son enrôlement. Là où les parties sont en désaccord, c’est sur la question de savoir, sur les faits en l’espèce, si une relation contractuelle a lié le plaignant aux FAC avant son réenrôlement.

[31]  Le même genre de problème est soulevé par la troisième question du Comité, à savoir « [l]a Couronne ou les FAC ont-elles un devoir de diligence à l’égard des déclarations faites à une personne avant que celle-ci s’enrôle dans les FAC, devoir pouvant les rendre responsables d’une assertion négligente et inexacte? »

[32]  Même si l’existence d’un devoir de diligence peut faire partie d’une question de droit, la réponse à la question dépend fortement des faits et des circonstances de l’affaire. Plus précisément, il faut examiner si les faits de l’affaire montrent suffisamment de proximité dans la relation pour qu’un manquement au devoir de diligence puisse vraisemblablement causer une perte ou un préjudice au plaignant : voir les arrêts Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537; 1688782 Ontario Inc. c. Maple Leaf Foods Inc., 2018 ONCA 407, paragraphe 40, [2018] O.J. no 2417.

[33]  Le Comité n’a pas présenté à la Cour les conclusions de fait sur lesquelles il fonderait ses réponses pour les questions ci-dessus et les autres questions de l’avis de demande, dans le cas où il devrait lui-même répondre à ces questions. En l’absence de conclusions de fait que le Comité aurait tirées lui-même, il n’est pas possible de déterminer si ces questions auraient été prêtes aux fins de jugement par le Comité si celles-ci n’avaient pas été renvoyées à notre Cour : voir l’arrêt Martin Service Station Ltd., précité, au paragraphe 6.

[34]  Je reconnais que la Cour d’appel fédérale a conclu, dans son arrêt Canada Post Corp. (Re) (1989), 59 D.L.R. (4th) 234, p. 239 (F.C.A.), [1989] D.L.R. no 239, que notre Cour ne doit pas [traduction] « prendre à la légère ce qu’un tribunal considère comme nécessaire pour rendre sa décision ». Je comprends bien que les questions posées par le Comité sont celles qui, de toute évidence, reviennent régulièrement et que le Comité aimerait consulter la Cour sur ces questions, mais je n’ai toujours pas le fondement nécessaire pour démarrer l’analyse qui permettrait de répondre aux questions renvoyées à la Cour pour jugement.

[35]  Même s’il ne cite aucune jurisprudence pour appuyer cet argument, le Comité soutient qu’il faudrait présumer de la véracité des allégations du grief pour ce renvoi, comme ce serait le cas avec une requête en radiation de plaidoirie. Cependant, la Cour d’appel fédérale a exprimé clairement que notre Cour n’a pas compétence pour répondre lors d’un renvoi à des questions dont les faits sont contestés : Canada (Registraire, Registre des Indiens) c. Sinclair, 2003 CAF 265, paragraphe 5, [2004] 3 R.C.F. 236; voir aussi l’Article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Re), 2002 CFPI 1000, paragraphes 30 et 34, 225 F.T.R. 55.

[36]  En effet, comme notre Cour le fait remarquer au paragraphe 13 de l’arrêt précité Air Canada, « [l]e bon fonctionnement de la procédure de renvoi, puisque ce dernier en l’espèce vise une question de droit et de compétence, exige qu’il n’existe pas entre les parties un débat réel quant aux faits essentiels qui serviront d’assises aux réponses que la Cour est appelée à donner ». Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[37]  De plus, comme le fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, ce n’est qu’à la fin de la procédure administrative que la cour de révision aura en main toutes les conclusions du décideur. Or, ces conclusions « se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire » (au paragraphe 32). Certes, ces commentaires ont été faits dans un contexte différent, mais ils s’appliquent tout aussi bien en l’espèce. Avant que notre Cour puisse répondre aux questions soulevées par le Comité, il est important que le Comité s’acquitte d’abord de sa tâche et tire les conclusions de fait nécessaires en apportant son expertise dans ce contexte militaire à la fois unique et hautement spécialisé qui a donné naissance au grief.

[38]  Étant donné que les questions renvoyées à notre Cour pour jugement n’ont pas de fondement factuel susceptible d’apporter une réponse, il s’ensuit que la demande doit être rejetée : voir la décision Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit (Re), précitée, au paragraphe 21; l’arrêt Air Canada CAF, précité; l’arrêt Sinclair, précité, au paragraphe 5.

[39]  Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’aborder l’argument subsidiaire du procureur général selon lequel le fait de laisser le Comité poursuivre la procédure de renvoi équivaudrait à un contournement de l’ensemble de lois régissant la procédure de grief militaire. Il vaut mieux aborder cet argument dans un contexte non théorique, c’est-à-dire lorsque le Comité aura tiré les conclusions nécessaires sur les faits entourant le grief en question.

IV.  Conclusion

[40]  Par ces motifs, ce renvoi est rejeté. Je ne vois aucune raison de ne pas fixer le montant des dépens selon les principes correspondant à l’issue de la cause.

[41]  La présente décision ne porte pas préjudice au droit du Comité de déposer une nouvelle demande de renvoi lorsque le Comité aura mené à bien son enquête et qu’il aura tiré les conclusions de fait qui lui permettraient de répondre aux questions posées dans ce nouveau renvoi. Le procureur général aura la liberté de soulever les préoccupations qu’elle pourrait avoir à l’égard d’un nouveau renvoi dans le contexte de la procédure concernée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-131-17

LA COUR rejette le renvoi avec dépens.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-131-17

 

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT UN RENVOI PAR LE COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN DES GRIEFS MILITAIRES FONDÉ SUR LE PARAGRAPHE 18.3(1) DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES, L.R.C. (1985), ch. F-7, PORTANT SUR DES QUESTIONS DE DROIT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Christopher C. Rootham

 

Pour le COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN DES GRIEFS MILITAIRES

 

Gregory S. Tzemenakis

Abigail Martinez

capc Edward Fox

 

Pour le lieutenant-général C.A. Lamarre, le colonel François Malo,

LE GÉNÉRAL J.H. VANCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN DES GRIEFS MILITAIRES

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE LIEUTENANT-GÉNÉRAL C.A. LAMARRE, LE COLONEL FRANÇOIS MALO,

LE GÉNÉRAL J.H. VANCE

 

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