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Date : 20180529


Dossier : T‑1381‑17

Référence : 2018 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

TRACY ANNE DREW

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de rejeter la plainte de la demanderesse étant donné qu’un examen plus poussé n’était pas justifié, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6 (la Loi).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse travaille comme agente correctionnelle au Service correctionnel du Canada (le SCC) depuis 2006. Elle vit en relation conjugale avec une autre femme avec qui elle a une fille âgée de 9 ans.

[3]  La conjointe de la demanderesse est également agente correctionnelle au SCC. En 2011, elle a été mutée au sein de la même unité que la demanderesse – le programme de soins pour les besoins complexes (« PSBC ») à l’Établissement du Pacifique – afin de tenir compte d’une déficience. Même si elles travaillaient au sein de la même unité, la demanderesse et sa conjointe effectuaient des quarts de travail différents et avaient de ce fait peu de jours de congé ensemble.

[4]  La demanderesse a demandé à être affectée au même quart de travail que sa conjointe. Le SCC a donné suite à cette demande en la mutant à un poste sur le même quart de travail, mais au sein d’une unité différente – l’unité Delta à l’Établissement du Pacifique. La demanderesse s’est opposée à cette mutation. Des courriels ont été échangés et une rencontre a eu lieu entre la demanderesse et des membres du personnel du SCC, mais la décision de muter la demanderesse a été maintenue.

[5]  Le 4 décembre 2014, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant avoir fait l’objet de discrimination en raison de sa situation de famille et de son état matrimonial. Essentiellement, elle s’est plainte des points qui suivent :

  • elle a été mutée hors de l’unité PSBC parce que sa conjointe y travaillait;
  • la mutation avait un caractère punitif parce qu’elle avait récemment soulevé des préoccupations relatives à la sécurité au sein de l’unité.

[6]  Le 5 mai 2017, une enquêtrice de la Commission (l’enquêtrice) a rédigé un rapport concernant la plainte de la demanderesse. L’enquêtrice a énoncé que la question était de savoir si le SCC, en mutant la demanderesse, avait traité cette dernière de façon différente et préjudiciable dans le cadre de son emploi en raison de sa situation de famille ou de son état matrimonial. La demanderesse a convenu que la question n’était pas de déterminer si le SCC avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa relation avec une personne du même sexe.

[7]  L’enquêtrice a examiné toute la preuve et interviewé la demanderesse ainsi que deux membres du personnel du SCC. Elle a conclu qu’au moment où la demande a été faite, aucun poste qui aurait permis à la demanderesse et à sa conjointe d’être sur le même quart de travail n’était vacant au sein de l’unité PSBC. Bien qu’un employé ait manifesté de l’intérêt à l’égard d’une mutation, ce qui aurait ouvert un poste pour la demanderesse, cet employé a finalement changé d’avis.

[8]  De plus, l’enquêtrice a constaté que des discussions concernant l’état matrimonial et la situation de famille de la demanderesse avaient eu lieu et que, bien qu’une pratique avait peut‑être cours de ne pas permettre en général à des conjoints de travailler sur le même quart de travail au sein de la même unité pour des raisons de sécurité, aucune politique n’interdisait à des personnes ayant un lien familial de travailler ensemble. L’enquêtrice a également constaté qu’il ne semblait pas y avoir de lien entre la décision du SCC de muter la demanderesse et son état matrimonial ou sa situation de famille.

[9]  L’enquêtrice a conclu que l’état matrimonial ou la situation de famille de la demanderesse ne constituait pas un facteur pris en compte dans la décision de la muter lorsqu’elle a demandé à être affectée au même quart de travail que sa conjointe. Cela a été motivé par le fait qu’aucun poste n’était vacant à ce moment‑là. L’enquêtrice a recommandé à la Commission de rejeter la plainte étant donné qu’un examen plus poussé n’était pas justifié conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[10]  Le 8 août 2017, la Commission a envoyé une lettre à la demanderesse pour l’aviser qu’après avoir procédé à l’examen du rapport de l’enquêtrice, elle avait décidé de rejeter la plainte en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[11]  Le 12 septembre 2017, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

A.  Questions préliminaires

[12]  La désignation « Service correctionnel du Canada » devrait être remplacée par « Le procureur général du Canada » dans l’intitulé. Les ministères gouvernementaux ne constituent pas des entités juridiques, de sorte qu’ils ne peuvent être désignés comme parties. De plus, l’office fédéral visé par la demande ne doit pas être désigné comme défendeur (paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS 98‑106 (les Règles)). Si aucune personne ne peut être désignée en application du paragraphe 303(1), le procureur général du Canada doit être désigné à titre de défendeur (paragraphe 303(2) des Règles).

[13]  Les documents compris dans l’affidavit de la demanderesse, ainsi que dans le [traduction« certificat supplémentaire en vertu de l’alinéa 318(1)a) » déposé par la Commission le 18 octobre 2017, ne faisaient pas partie des documents dont disposait la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte de ces documents. Je suis d’accord.

[14]  En règle générale, le dossier de preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur. Il y a des exceptions à cette règle, dont les suivantes : (1) lorsque la preuve comprend des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; (2) lorsque des informations servent à démontrer des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier dont disposait le décideur; et (3) lorsque la preuve fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur au moment de tirer une conclusion (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20).

[15]  De plus, la Cour a récemment conclu que les documents dont disposait un enquêteur, mais dont ne disposait pas la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision, n’ont pas été dûment présentés à la Cour dans une instance de contrôle judiciaire à moins qu’il soit démontré qu’ils correspondent à l’une de ces exceptions (E.S. c Canada (Procureur général), 2017 CF 1127, aux paragraphes 24 à 45).

[16]  La demanderesse a soulevé une question d’équité procédurale relativement à la rigueur de l’enquête. Après un examen des documents en question afin d’établir s’ils comprenaient des renseignements qui « servent à démontrer des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier dont disposait le décideur », je conclus que rien dans son affidavit ne correspond à cette exception. Il comprend uniquement des renseignements sur l’unité PSBC, les discussions internes du SCC relativement aux préoccupations que la demanderesse avait soulevées en matière de sécurité, les déclarations de collègues faisant l’éloge de son travail, des courriels échangés avec des membres du personnel du SCC concernant sa demande et sa mutation subséquente, et des documents relatifs aux griefs qu’elle a déposés.

[17]  Les documents du certificat supplémentaire de la Commission ne correspondent pas plus à cette exception. Ces documents comprennent : un formulaire de demande, la correspondance entre la Commission et le SCC relativement à la plainte, le rapport fondé sur les articles 40 et 41 relativement à sa plainte, sa réponse à ce rapport et la décision subséquente de la Commission de traiter la plainte, des notes d’information et les notes d’interview de l’enquêtrice.

[18]  La demanderesse affirme que les documents du certificat supplémentaire comportent plusieurs erreurs factuelles. Certaines des erreurs alléguées sont mineures et figurent dans des documents produits par des membres du personnel à la Commission. Les autres erreurs alléguées figurent dans des documents produits par des membres du personnel du SCC et consistent en déclarations que la demanderesse conteste. Aucun de ces documents n’a été présenté à la Commission avant qu’elle rende sa décision.

[19]  L’enquêtrice a examiné tous ces renseignements et a préparé un rapport à l’intention de la Commission. La demanderesse a eu l’occasion d’examiner ce rapport et d’y répondre avant que la Commission rende sa décision. La demanderesse n’a relevé aucune erreur ou omission dans le rapport de l’enquêtrice qui soit à ce point fondamentale que ses observations formulées en réponse ne suffisent pas à y remédier, pas plus qu’il n’y a d’élément de preuve dans le certificat supplémentaire qui me permettrait de mieux comprendre les questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire.

[20]  Ces documents n’ont pas été dûment présentés à la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire et ne seront donc pas pris en compte.

III.  Questions en litige

[21]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La demanderesse a‑t‑elle bénéficié de l’équité procédurale?
  2. La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[22]  La norme de contrôle applicable à une décision rendue en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi est la norme de la décision correcte pour les questions d’équité procédurale et la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne la décision sur le fond de la Commission (Ritchie c Canada (Attorney General), 2017 FCA 114, au paragraphe 16).

V.  Analyse

A.  La demanderesse a‑t‑elle bénéficié de l’équité procédurale?

[23]  La demanderesse fait valoir qu’elle n’a pas bénéficié de l’équité procédurale parce que l’enquête n’a pas été rigoureuse : l’enquêtrice n’a pas interviewé un témoin important et a omis des renseignements pertinents.

[24]  Dans l’exercice de sa fonction d’examen préalable, la Commission se voit confier de vastes pouvoirs discrétionnaires qui ont été décrits comme lui conférant un « degré remarquable de latitude » (Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 230, au paragraphe 19).

[25]  Pour qu’il existe un fondement juste pour que la Commission puisse établir si un examen plus poussé est justifié, l’enquête menée avant cette décision doit être neutre et rigoureuse (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 (1re inst.) (Slattery), au paragraphe 50).

[26]  En ce qui concerne la rigueur, dans le cadre d’une enquête et de la décision subséquente en vertu des articles 43 et 44 de la Loi, les parties ont la possibilité de présenter des observations en réponse au rapport d’un enquêteur et de porter les omissions à l’attention de la Commission. Par conséquent, la Cour ne devrait intervenir que si elle conclut que les lacunes de l’enquête sont fondamentales et que les observations complémentaires ne suffisent pas à y remédier (Eadie c MTS Inc., 2015 CAF 173, au paragraphe 79; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, aux paragraphes 120 et 121).

[27]  Dans le cadre de son enquête, l’enquêtrice a interviewé la demanderesse, Mme Carole Chen et M. Terry Hackett. Mme Chen était directrice adjointe des opérations et M. Hackett était directeur par intérim à l’Établissement du Pacifique du SCC à l’époque pertinente.

[28]  Selon le rapport d’enquête, Mme Chen a expliqué que la demanderesse a été mutée à l’unité Delta parce qu’elle a demandé à être affectée au même quart de travail que sa conjointe, mais il n’y avait aucun poste vacant au sein de l’unité PSBC pour satisfaire à cette demande, alors qu’il y en avait un au sein de l’unité Delta. Mme Chen a ensuite fourni à l’enquêtrice des dossiers indiquant qu’aucun poste n’était vacant au sein de l’unité PSBC pour le quart de travail de la demanderesse ou celui de sa conjointe.

[29]  Mme Chen a également expliqué que c’est seulement au moment où la demanderesse a été informée de la mutation qu’elle a demandé à demeurer au sein de l’unité PSBC. C’est à ce moment‑là que la question des conjoints travaillant ensemble au sein de l’unité PSBC a été examinée. Le rapport de l’enquêtrice énonce ce qui suit à la page 11, aux paragraphes 19 et 20 :

[traduction]

[Ils] lui ont demandé si travailler au sein de la même unité dans le cas de cette unité particulière était le meilleur choix. Les détenus du PSBC sont très difficiles et ont des problèmes de santé mentale. Ils pourraient s’en servir à l’encontre des conjointes. Elle et [le gestionnaire correctionnel] ont discuté avec la [demanderesse] pour savoir pourquoi elle voulait tant demeurer au sein du PSBC. Ils ont exploré la question de savoir s’il s’agissait réellement de la meilleure pratique. Bien qu’il ait été question de la relation conjugale, Mme Chen affirme qu’il s’agissait uniquement d’une discussion secondaire.

Selon Mme Chen, aucune règle ou politique n’interdit que des personnes dans une relation familiale travaillent ensemble, bien qu’une telle situation soit inhabituelle. Il s’agit de la première demande de ce genre dont elle ait eu connaissance. Des conjoints du [SCC] travaillent au même établissement, mais pas au sein de la même unité ni sur le même quart de travail. Bon nombre d’entre eux occupent des postes de direction dont les horaires sont différents de ceux des [agents correctionnels]. Bien qu’elle et [le gestionnaire correctionnel] aient discuté avec la [demanderesse] de son état matrimonial et de sa situation de famille, il ne s’agit pas de la raison ni d’un facteur ayant mené à la décision de ne pas affecter la [demanderesse] avec sa conjointe sur le même quart de travail du PSBC. La raison était qu’aucun poste n’était vacant à ce moment‑là.

[30]  De la même façon, le rapport énonce, à la page 11, au paragraphe 23, que M. Hacknett a dit ce qui suit à l’enquêtrice :

[traduction]

[L]a pratique voulant que les conjoints ne travaillent pas sur le même quart de travail au sein de la même unité existe en raison du fait que les conjoints ne veulent habituellement pas travailler ainsi. Il affirme que c’était la première fois que la question se posait pour lui lorsque la demanderesse a fait une telle demande. Il ne se souvient pas que d’autres employés aient demandé à travailler sur le même quart de travail et au sein de la même unité avant cette demande. Bon nombre de conjoints [au SCC] travaillent au sein du même établissement et sur le même quart de travail, mais généralement pas au sein de la même unité. Dans un cas, un conjoint a fait une telle demande alors que l’autre conjoint a discrètement demandé à ce que ce ne soit pas le cas.

[31]  La demanderesse soutient que l’enquêtrice aurait également dû interviewer Mme Alana Patterson. Mme Patterson était une agente correctionnelle du PSBC qui a offert d’être mutée au sein de l’unité Delta afin qu’un poste se libère pour la demanderesse à l’unité PSBC, mais elle a changé d’avis. La demanderesse allègue que Mme Patterson a été manipulée par la direction pour demeurer au sein de l’unité PSBC.

[32]  Le rapport de l’enquêtrice a également traité cette question, et le rapport énonce ce qui suit à la page 10, aux paragraphes 17 et 18 :

[traduction]

[La demanderesse] a dit au [SCC] qu’Alana Patterson, une CX2 sur son quart de travail à l’unité PSBC (quart de travail 2) était disposée à être déplacée à l’unité Delta. Le 8 septembre 2011, Mme Chen a reçu un courriel de Mme Patterson, dans lequel il était fait mention de la mutation [de la demanderesse] et de questions à l’égard de son déplacement au PSBC. Mme Chen a affirmé avoir alors envisagé la possibilité du déplacement de Mme Patterson à l’unité Delta, ce qui aurait créé une vacance sur le quart de travail 2 du PSBC et aurait ainsi permis à la plaignante et à sa conjointe d’être sur le même quart de travail et au sein de la même unité. Selon Mme Chen, le 15 septembre 2011, elle a rencontré Mme Patterson qui était accompagnée de son délégué syndical. Mme Patterson lui a indiqué qu’elle avait changé d’avis et qu’elle ne voulait pas être mutée à l’unité Delta. Ce jour‑là, Mme Chen a envoyé un courriel à Mme Patterson confirmant la prise de position de cette dernière à l’égard de la mutation. Mme Chen a fourni un courriel du délégué syndical daté du 23 septembre 2011 à l’enquêtrice dans lequel il confirme que Mme Patterson « ne souhaite pas quitter le PSBC pour le moment ».

La [demanderesse] affirme que Mme Patterson a décidé de ne pas donner suite à une mutation à l’extérieur du PSBC en septembre 2011 en raison de la pression exercée par la direction pour qu’elle y reste. La [demanderesse] affirme qu’elle a reçu un courriel de Mme Patterson à cet égard, mais qu’elle n’a pas pu le retrouver. La plaignante admet qu’il n’y avait pas de poste pour elle sur le même quart de travail que sa conjointe au PSBC si Mme Patterson n’était pas mutée à l’extérieur du PSBC. La [demanderesse] a expliqué à l’enquêtrice qu’au cours des deux semaines précédant sa mutation à l’unité Delta, elle et Mme Patterson ont continué de travailler ensemble et que Mme Patterson changeait régulièrement d’avis à l’égard de sa mutation. Lorsque Mme Patterson lui a fait savoir qu’elle ne donnerait pas suite à sa mutation à l’extérieur du PSBC en septembre 2011, la [demanderesse] a cessé de demander au [SCC] de muter Mme Patterson à l’unité Delta et la [demanderesse] à l’unité PSBC.

[33]  L’enquêtrice a tenu compte de l’allégation selon laquelle Mme Patterson avait subi des pressions pour demeurer au sein de l’unité PSBC. Elle a posé des questions sur Mme Patterson à Mme Chen et elle a été mise au courant de la rencontre entre Mme Chen, Mme Patterson et le délégué syndical. On lui a également transmis le courriel du délégué syndical confirmant que Mme Patterson souhaitait demeurer au sein de l’unité PSBC.

[34]  La décision de ne pas interviewer Mme Patterson n’était pas une erreur fondamentale. Aucun élément de preuve n’indique qu’elle a subi des pressions pour rester au sein de l’unité PSBC afin que la demanderesse et sa conjointe demeurent sur des quarts de travail distincts. De plus, le délégué syndical était présent à la rencontre avec Mme Chen, et aucun élément de preuve n’indique qu’il a soulevé des inquiétudes à l’égard de la discrimination dont la demanderesse aurait été victime ni à l’égard d’une pression indue sur Mme Patterson. L’allégation de la demanderesse n’est pas étayée par la preuve au dossier.

[35]  L’enquêtrice n’a pas commis d’erreur en n’interviewant pas Mme Patterson. Elle devait mener une enquête rigoureuse, mais la perfection absolue ne constitue pas la norme (Ritchie, au paragraphe 31). Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 39 :

Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle‑ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. Voir, par exemple, à ce sujet l’arrêt Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), paragraphe 55; Commission canadienne des droits de la personne, Rapport annuel 2001 (Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2002), p. 33.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  Finalement, la demanderesse soutient que l’enquêtrice a omis deux pièces comportant des renseignements cruciaux : les réponses écrites à son grief qui font référence [traduction« à des conjointes travaillant ensemble » pour justifier la mutation et une conversation sur l’application Messenger de Facebook suggérant que Mme Patterson aurait été manipulée par la direction pour demeurer au sein de l’unité PSBC. La demanderesse aurait pu remédier à ces lacunes dans ses observations formulées en réponse. De fait, elle a présenté une copie de la réponse au grief dans sa réponse au rapport de l’enquêtrice. J’estime que cette observation est sans fondement.

[37]  La demanderesse a bénéficié de l’équité procédurale.

B.  La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[38]  Dans les observations écrites qu’elle a présentées à la Cour, la demanderesse conteste seulement la façon dont l’enquête a été menée et le rapport qui a été présenté à la Commission. Ces questions d’équité procédurale sont traitées ci‑dessus. Toutefois, la demanderesse se préoccupe également du bien‑fondé de la décision de la Commission et du caractère raisonnable de celle‑ci.

[39]  Avant que la Commission prenne une décision, la demanderesse a soumis une réponse au rapport de l’enquêtrice dans laquelle elle conteste plusieurs aspects de ce rapport. La plupart de ses observations n’ont pas de répercussions sur la décision qui a suivi, comme l’allégation selon laquelle sa conjointe et elle avaient initialement été affectées au même quart de travail avant que cet arrangement soit annulé, son commentaire concernant la première fois qu’elle a demandé à demeurer au sein de l’unité PSBC ou ses attaques personnelles relativement au caractère de Mme Chen.

[40]  Plus important encore, la demanderesse a contesté la conclusion de l’enquêtrice selon laquelle l’incapacité d’affecter la demanderesse et sa conjointe au même quart de travail au sein de l’unité PSBC constituait principalement une question de vacance de poste. Elle a également contesté les commentaires formulés par Mme Chen à savoir qu’il n’avait été question de son état matrimonial que dans le cadre d’une [traduction« discussion secondaire » et qu’aucune règle ou politique n’interdit que des conjoints travaillent ensemble, ainsi que le commentaire de M. Hackett selon lequel c’était la première fois qu’il était confronté à une situation où des conjoints travailleraient ensemble.

[41]  Les éléments de preuve clés présentés par la demanderesse à l’appui de ses allégations sont deux documents intitulés [traduction] « Décision de la direction concernant les griefs ». Il s’agit de deux documents qui ont été préparés par des représentants du SCC en réponse aux griefs soumis par la demanderesse, dans lesquels elle contestait son retrait de l’unité PSBC et les discussions qui ont suivi avec des membres du personnel du SCC, notamment Mme Chen et M. Hackett.

[42]  Le premier document comprend les déclarations suivantes :

[traduction]

J’ai examiné le grief que vous avez soumis dans lequel vous affirmez avoir eu une rencontre avec Mme Carole Chen, DAO, dans le cadre de laquelle vous avez discuté les raisons pour lesquelles vous avez été retirée du PSBC. La conversation a principalement porté sur votre état matrimonial avec une autre employée du PSBC. Mme Chen, DAO, vous a informée du fait que vous ne devriez pas travailler au sein du PSBC dans ces circonstances. Vous relevez que d’autres employés et agents dans des relations semblables travaillent ensemble.

Vous avez également mentionné une autre rencontre, cette fois avec Warden Hackett, directeur, et le SD Noonward, qui a porté sur le même sujet. Vous avez une fois de plus été informée du fait que vous ne devriez pas travailler au sein du PSBC dans ces circonstances. Vous mentionnez d’autres agents dans des relations semblables qui travaillent ensemble.

[43]  Le deuxième document contient les déclarations qui suivent :

[traduction]

Dans le cadre de votre discussion avec Mme Chen, DAO, et M. Terry Hackett, directeur par intérim, on vous a expliqué que la pratique sur le site était de ne pas affecter des conjoints ou des partenaires au même quart de travail et au sein de la même unité. Les partenaires peuvent travailler sur le même quart de travail, mais ils ne doivent pas être affectés au sein d’une même unité sur une base régulière.

[44]  Les deux griefs ont été rejetés parce qu’ils ont été déposés en dehors des délais obligatoires.

[45]  Les déclarations dans ces documents semblent à tout le moins qualifier la conclusion de l’enquêtrice selon laquelle la décision de muter la demanderesse, ou de ne pas l’affecter au même quart de travail que sa conjointe au sein de l’unité PSBC, constituait principalement une question de poste vacant. Elles suggèrent également une politique informelle ou une décision à l’encontre d’une telle pratique comme facteur pris en compte dans la décision rendue.

[46]  Toutefois, la Commission avait le droit de rendre sa décision en tenant compte des conclusions de l’enquêtrice. Les décisions portant sur les griefs ne fournissent pas un compte rendu exhaustif de ce qui s’est produit au cours des rencontres de la demanderesse avec des membres du personnel du SCC. C’est l’enquêtrice qui a interviewé toutes les parties concernées et qui a examiné les éléments de preuve pertinents. L’enquêtrice a noté dans son rapport que [traduction« des préoccupations ont été soulevées à l’égard du fait que des conjoints travailleraient ensemble au sein de l’unité PSBC » et a conclu que [traduction« [b]ien que l’état matrimonial et la situation de famille [de la demanderesse] aient été discutés et qu’une pratique voulant que l’on évite d’affecter des conjoints au même quart de travail au sein de la même unité puisse avoir été établie, il ne semble pas y avoir de lien entre la décision [du SCC] de muter la [demanderesse] à l’unité Delta et son état matrimonial ou sa situation de famille ».

[47]  De plus, l’enquêtrice a fait référence à des documents fournis par Mme Chen démontrant qu’au moment où la demande a été présentée, aucun poste qui aurait permis à la demanderesse et à sa conjointe d’être affectées au même quart de travail n’était vacant au sein de l’unité PSBC. L’enquêtrice a également mentionné l’insistance de la demanderesse à l’égard du fait que des agents dans une relation semblable ont pu travailler ensemble, ainsi que sa suggestion selon laquelle la décision constituait une forme de représailles pour avoir soulevé des préoccupations relatives à la sécurité, toutes deux minant l’allégation d’une politique à l’encontre de conjoints travaillant ensemble.

[48]  Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve présentés devant la Commission.

[49]  Je conclus qu’il était raisonnable que la Commission conclue qu’un examen plus poussé à l’égard de la plainte de la demanderesse n’était pas justifié.

[50]  Bien que le défendeur ait gain de cause, je suis sensible aux préoccupations de la demanderesse et au retard dans le traitement de la plainte. Je conclus qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1381‑17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’intitulé est par les présentes modifié pour remplacer la désignation « Service correctionnel du Canada » à titre de défendeur par « Le Procureur général du Canada »;

  2. La demande est rejetée;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1381‑17

 

INTITULÉ :

TRACY ANNE DREW c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MAI 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2018

 

COMPARUTIONS :

Tracy Anne Drew

 

Pour la demanderesse

POUR SON PROPRE COMPTE

Sarah Eustace

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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