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Date : 20180516


Dossier : IMM-4733-17

Référence : 2018 CF 513

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

MUNASHE JOSEPH GUDU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT :

I.  Aperçu

[1]  La demande d’asile du demandeur, Munashe Joseph Gudu, a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Le fondement de la demande d’asile du demandeur repose sur le fait qu’il a été politiquement actif en ligne depuis 2012, notamment sur Facebook, Twitter, et sur son propre blogue, et il craint par conséquent d’être persécuté par le gouvernement du Zimbabwe et ses partisans.

[2]  Le demandeur a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR, laquelle a rejeté l’appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) qui a établi que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[3]  La présente demande de contrôle judiciaire vise à contester la décision de la SAR. 

II.  Les faits

[4]  Le demandeur est un citoyen du Zimbabwe né en 1991. Il est venu au Canada en avril 2010 pour entreprendre des études en tant qu’étudiant international à l’Université du Manitoba. En février 2012, le demandeur est retourné au Zimbabwe pendant deux ou trois mois.

[5]  Lorsque le demandeur est revenu au Canada, il a joint le groupe d’Amnistie internationale de l’Université du Manitoba et la politique étudiante. Il a créé un blogue, Dzimbabwe, au sujet de la situation politique et des droits de la personne au Zimbabwe.

[6]  Les parents du demandeur sont venus au Canada à l’été 2014 et ont présenté des demandes d’asile qui ont été acceptées par la SPR en février 2015. Après l’expiration de son visa d’étudiant en 2014, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada; cette demande a été rejetée en mai 2016. En septembre 2016, il a présenté une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]  Dans son formulaire de fondement de la demande, le demandeur déclare qu’il craint véritablement de retourner au Zimbabwe, parce qu’il serait arrêté à son arrivée en raison de son blogue. Il craint également d’être pris pour cible en raison de son nom de famille puisque les membres de sa famille ont toujours été considérés comme des opposants politiques du fait du travail de ses parents et de ses grands-parents contre les intérêts du parti ZANU-PF, le parti au pouvoir au Zimbabwe.

[8]  La demande a été instruite par la SPR le 14 novembre 2016. La SPR a conclu que d’importants problèmes étaient soulevés quant à la crédibilité du demandeur puisqu’il était porté à l’exagération et à la présentation erronée de faits à l’égard d’aspects importants de sa demande. La SPR a conclu que certaines affirmations du demandeur sur lui-même étaient tout simplement fausses et que ses allégations n’étaient pas étayées par des éléments de preuve fiables et dignes de confiance.

[9]  En particulier, la SPR a conclu que le demandeur avait exagéré son rôle en ligne. Elle a également conclu que le demandeur a plagié un article qu’il avait publié sur son blogue et qu’il s’était parjuré à cet égard, évoquant d’autres articles qu’il prétendait avoir écrits. En outre, la SPR a considéré que le délai de deux ans pour que le demandeur présente une demande d’asile était troublant et que son comportement n’était pas celui d’un véritable réfugié. Enfin, la SPR a conclu qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) existait pour le demandeur dans certaines parties du Zimbabwe où il ne courrait aucun risque sérieux de persécution ou de préjudice selon la prépondérance des probabilités.

[10]  Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR, qui a examiné la décision de la SPR et mené une évaluation indépendante des éléments de preuve et des prétentions du demandeur. La SAR a conclu que la SPR ne jouissait pas d’un véritable avantage en évaluant la crédibilité du demandeur qui entraînerait la déférence à l’égard de la plupart de ses conclusions. La SAR, en désaccord avec la SPR, a conclu que le retard constaté dans la présentation de la demande d’asile par le demandeur ne pouvait pas être considéré comme déterminant en ce qui concerne sa crédibilité, mais a conclu qu’il y avait d’autres facteurs qui pesaient contre lui. La SAR a convenu que le demandeur avait exagéré son rôle auprès d’organisations politiques qui ont critiqué le gouvernement du Zimbabwe et que l’effet cumulatif de ses exagérations et fausses déclarations minait sa demande. La SAR a également conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombe de contester l’existence d’une possibilité de refuge intérieur et qu’il ne serait pas exposé à plus qu’un simple risque de persécution à son retour au Zimbabwe.

III.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable à l’examen des conclusions de la SAR et de son évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Huruglica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

IV.  Analyse

[12]  Le demandeur fait valoir que de nombreuses erreurs susceptibles de révision ont été commises par la SAR. Après avoir regroupé les erreurs liées, les erreurs alléguées peuvent être énumérées comme suit : 1) le dossier de la SPR n’a jamais été communiqué au demandeur, violant ainsi son droit à l’équité procédurale; 2) les conclusions de la SPR et de la SAR relatives à la crédibilité concernant l’activité sur les médias sociaux et la présence en ligne du demandeur n’étaient pas raisonnables; 3) la SAR a dû renvoyer la demande à la SPR pour qu’elle tienne une audience puisque la SAR contredisait la SPR en concluant que le retard du demandeur dans la présentation d’une demande d’asile ne pouvait pas être considéré comme déterminant en ce qui concerne sa crédibilité; et 4) les conclusions de la SPR et de la SAR quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur au Zimbabwe étaient déraisonnables. J’examinerai chacun de ces points l’un après l’autre.

A.  La divulgation du dossier de la Section de la protection des réfugiés

[13]  En premier lieu, le demandeur soutient que la SAR a l’obligation de lui divulguer le dossier de la SPR. Aucune doctrine ou jurisprudence n’appuie cet argument. Je remarque que le paragraphe 21(2) des Règles de la section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, est muet à cet égard et n’exige pas que la SPR fournisse une copie du dossier aux parties, sans doute parce qu’ils détiennent déjà leurs documents respectifs. L’avocat du demandeur a admis au cours de l’audition de la demande qu’une copie du dossier d’appel n’avait pas été demandée à la SPR ou à la SAR, et que la question n’avait pas été soulevée devant la SAR. Il a également reconnu que tout préjudice qui peut en avoir découlé a été réparé par la production du dossier certifié du tribunal. Dans les circonstances, aucune violation de l’équité procédurale n’a été établie.

B.  Les conclusions relatives à la crédibilité

[14]  En deuxième lieu, le demandeur soutient que les conclusions de la SPR et de la SAR relatives à la crédibilité concernant l’activité sur les médias sociaux et la présence en ligne du demandeur n’étaient pas raisonnables. Le demandeur est en désaccord avec les conclusions, mais n’a cependant relevé aucune erreur particulière que la SAR aurait commise dans son évaluation de la crédibilité. Après avoir examiné attentivement le dossier du tribunal et la décision de la SAR, je conclus que les conclusions de la SAR sont bien étayées par les éléments de preuve.

[15]  Étant donné que les faits ont été examinés en profondeur par la SAR, il n’est pas utile de les reprendre en détail. Je voudrais simplement formuler les observations suivantes.

[16]  La SAR a conclu que l’effet cumulatif des exagérations et fausses déclarations du demandeur avait miné sa demande. La SAR a fait remarquer que certaines n’étaient peut-être pas aussi graves que ce qu’a exposé la SPR, mais étaient bien présentes. La SAR a expliqué que les conclusions relatives à la crédibilité doivent être considérées dans le contexte d’autres préoccupations de crédibilité menant à la conclusion générale qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables.

[17]  La SAR a noté que certaines conclusions de la SPR relatives à la crédibilité étaient graves, notamment la conclusion voulant que le demandeur ait fait une fausse déclaration selon laquelle il était l’auteur d’un article sur son blogue, alors que ce n’était pas le cas, et qu’il publiait beaucoup d’information politique sur Facebook. La SAR a conclu que la SPR a dans l’ensemble fait une distinction appropriée entre les allégations sans fondement, comme l’activité sur Facebook, et celles étayées par des éléments de preuve, comme l’existence d’un blogue et les activités politiques de ses parents. Les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité sont raisonnables et adéquates dans la présente affaire. Les conclusions de la SAR sont par ailleurs étayées par des motifs intelligibles.

[18]  La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que le demandeur avait exagéré ou fait des déclarations trompeuses sur son rôle en ligne en se décrivant comme un [traduction] « partisan », un « défenseur acharné » ou un « militant » des médias. Le demandeur soutient que ces descriptions de lui-même sont simplement des questions [traduction] « d’appréciation » ou « d’opinion », et sont différentes des questions de fait. Il maintient que la SPR et la SAR ont mal utilisé la notion de crédibilité en liant de telles différences aux préoccupations relatives à la crédibilité. Je ne suis pas d’accord. La fonction même de la SPR et de la SAR est d’évaluer la demande présentée par un demandeur d’asile. Le demandeur ne peut pas échapper à l’examen de ses propres propos en les qualifiant simplement d’opinions. Il était raisonnable de la part de la SAR, au vu des éléments de preuve dont elle disposait, ou en l’absence d’éléments de preuve, de conclure que le demandeur avait exagéré son statut et son militantisme politique. La même chose peut être dite à propos de sa description du rôle de « fondateur » de son père dans le Mouvement pour le changement démocratique. Son père était sans doute un membre du Mouvement pour le changement démocratique depuis le début. Il y a cependant une différence importante entre être le fondateur d’un parti politique et en être un simple membre ou un sympathisant.

[19]  La SPR et la SAR ont également vu d’un mauvais œil le fait que le demandeur qualifie [traduction] « d’isolée et reculée » la ville de Gweru, au Zimbabwe, où ses frères et sœurs auraient vécu dans la clandestinité. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que [traduction] « le fait de qualifier Gweru de ville isolée et reculée est une exagération ». Le demandeur fait valoir qu’il voulait simplement comparer Gweru à la capitale Harare. La SAR a cependant rejeté l’explication parce que le choix de mots du demandeur ne constituait pas un énoncé comparatif, mais objectif. Le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer que la décision était déraisonnable. 

[20]  Il était tout à fait acceptable que la SPR et la SAR rejettent la demande et les déclarations non fondées et intéressées du demandeur qui avaient pour but d’étayer sa demande d’asile. En me fondant sur le dossier dont je dispose, je conclus que les éléments de preuve présentés par le demandeur ont été dûment examinés et que les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité du demandeur étaient raisonnables.

C.  La lenteur à soumettre une demande d’asile

[21]  En troisième lieu, comme il est indiqué précédemment, la SAR n’endossait pas la conclusion de la SPR selon laquelle le retard pris par le demandeur dans la présentation de sa demande d’asile avait une incidence négative sur sa crédibilité. Le demandeur soutient que, dans les circonstances, la SAR aurait dû renvoyer l’affaire à la SPR aux fins de réexamen. Je ne suis pas d’accord. La SAR n’est pas tenue de renvoyer une affaire à la SPR lorsqu’elle conclut que la SPR a commis une erreur de fait, ou de fait et de droit et même si la SPR a pu commettre des erreurs dans l’évaluation de la crédibilité si le poids donné à un témoignage ou à un document n’est pas indispensable pour déterminer si la décision de la SPR devrait être confirmée ou infirmée. Dans un tel cas, la SAR peut rendre sa propre décision sans renvoyer l’affaire à la SPR (voir Liao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1163, au paragraphe 39).

D.  La possibilité de refuge intérieur

[22]  En quatrième lieu, le demandeur soutient que la question d’une possibilité de refuge intérieur n’est pas pertinente lorsque l’État constitue l’agent de persécution faisant l’objet de la crainte. La SPR a conclu, en se fondant sur le témoignage et le profil des parents du demandeur, que ce dernier pourrait être exposé à certains risques s’il retournait au Zimbabwe, mais aussi qu’il avait une possibilité de refuge intérieur à Bulawayo. Le demandeur a soulevé le fait qu’une possibilité de refuge intérieur puisse constituer un problème lorsque l’État constitue l’agent de persécution faisant l’objet de la crainte.

[23]  Le demandeur soutient que la SAR n’a pas réussi à exprimer clairement son raisonnement et à examiner de façon juste la possibilité de refuge intérieur au regard de l’identité des agents de persécution, dans le présent cas, l’État lui-même. La SAR a cependant bel et bien abordé cette question. Il est constant que les parents du demandeur n’aient pas eu de possibilité de refuge intérieur lorsque leur demande d’asile a été acceptée. La SAR a cependant raisonnablement conclu que l’absence d’une possibilité de refuge intérieur pour les parents du demandeur n’équivalait pas à l’absence d’une possibilité de refuge intérieur pour le demandeur puisque [traduction] « nous sommes devant des allégations différentes et des faits différents ».  La SAR a noté que le demandeur n’avait fourni aucun document pour contester l’information sur la situation dans le pays indiquant que les rapatriés à Bulawayo ne sont en général pas pris pour cible par le ZANU-PF, même s’ils ont un profil correspondant à celui des membres du Mouvement pour le changement démocratique. Il s’agit d’une conclusion raisonnable à la lumière des éléments de preuve dont disposait la SAR.

V.  Conclusion

[24]  Je suis en essence d’accord avec les présentations orales et écrites du défendeur, que j’adopte et fais miennes, et je conclus que la demande devrait être rejetée.

[25]  Le demandeur a proposé à la Cour une question aux fins de certification : [traduction] « Lorsque la SPR décide qu’un facteur est déterminant quant à la crédibilité d’un demandeur et que la SAR conclut qu’il ne l’est pas, la SAR doit-elle renvoyer la demande à la SPR? » Étant donné que la prémisse de la question n’a pas été établie au regard des faits de la présente affaire, la certification est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4733-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La demande est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4733-17

 

INTITULÉ :

MUNASHE JOSEPH GUDU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Aliyah Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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