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Date : 20180515


Dossier : T-944-17

Référence : 2018 CF 512

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

BENJAMIN BOUCHARD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Benjamin Bouchard a été accusé d’avoir pris part à un combat en vertu du paragraphe 40(h) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], par le président indépendant de l’établissement de Warkworth. Cette décision fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que le processus s’est avéré injuste puisqu’il n’a pas eu l’occasion de visionner un enregistrement vidéo de l’altercation ni de résoudre cette affaire de façon informelle. Il ajoute que les motifs au soutien de sa condamnation sont insuffisants. Je rejette sa demande, puisque le processus était équitable et conforme aux règles applicables. La décision de condamner le demandeur était par ailleurs raisonnable.

I.  Faits et décision faisant l’objet du contrôle

[2]  Le demandeur, M. Benjamin Bouchard, est incarcéré à l’établissement Warkworth. Le 9 décembre 2016, il a été accusé de s’être battu avec un autre détenu dans la salle de bain du gymnase.

[3]  La bagarre a été filmée par vidéosurveillance et portée à l’attention des agents correctionnels. Alors qu’il interrogeait M. Bouchard au sujet de l’incident, un agent a observé que ce dernier avait une ecchymose sous l’œil gauche et une coupure près de l’œil droit. M. Bouchard a affirmé que ces blessures avaient été causées lors d’une partie de hockey. L’autre détenu impliqué dans l’altercation a affirmé qu’ils [traduction] « faisaient semblant de se battre ».  L’agent a remarqué que ce détenu ne présentait pas de blessures et ne craignait pas pour sa sécurité physique.

[4]  M. Bouchard a plaidé non coupable et l’affaire a été instruite le 28 février 2017.  Elle a été entendue par un président indépendant [le président] nommé en application de l’article 24 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement], et M. Bouchard y a été représenté par l’avocate de service.

[5]  Le président n’a pas vu la vidéo de l’incident, dont le contenu lui a été rapporté par le témoignage de l’agent correctionnel Bird, qui a visionné la vidéo sans toutefois avoir été témoin de l’incident. 

[6]  La transcription de l’audition montre que M. Bouchard n’a pas demandé à voir cette vidéo ni n’a contredit la description de l’incident faite par l’agent Bird.

[7]  Le président a reconnu M. Bouchard coupable et a rejeté, dans de brefs motifs rendus oralement, l’allégation de M. Bouchard selon laquelle les détenus faisaient semblant de se battre, puisque celui-ci a témoigné lors du procès que l’autre détenu et lui-même s’étaient rendus dans les toilettes afin que les agents correctionnels ne voient pas la bagarre et ne se fassent pas une [traduction] « fausse idée ». Le président a conclu que le fait de se cacher délibérément des autorités [traduction] « n’est pas cohérent avec la prétention qu’ils faisaient seulement semblant ». Le président a également conclu que [traduction] « les fausses bagarres peuvent ressembler à des vraies et, d’un point de vue institutionnel [...] peuvent passer pour de vraies bagarres et il peut être très difficile de les différencier [...] ».

[8]  M. Bouchard a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale.

II.  Analyse

[9]  La Cour examine les décisions disciplinaires concernant les détenus en fonction de la norme de la décision raisonnable (Alix c Canada (Procureur général), 2014 CF 1051, au paragraphe 18). Cela signifie que je dois m’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle est fondée sur une interprétation défendable des principes juridiques applicables ainsi que sur une évaluation raisonnable de la preuve (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[10]  M. Bouchard soulève également des arguments d’équité procédurale. Dans une décision récente, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que les questions d’équité procédurale ne doivent pas être tranchées en fonction d’une norme de contrôle particulière (Canadian Pacific Railway Co v Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, aux paragraphes 32 à 56 [Canadian Pacific]; voir également Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La question de savoir si l’obligation d’équité procédurale a été respectée [traduction] « constitue une question de droit à laquelle il appartient à la Cour de répondre » (Canadian Pacific, au paragraphe 46).

[11]  M. Bouchard affirme que l’équité procédurale commandait que le président voie l’enregistrement vidéo de la bagarre et que ce dernier n’aurait pas dû se contenter d’une description de l’incident par l’agent Bird, qui avait visionné la vidéo. L’article 31 du Règlement établit les exigences applicables à l’audition disciplinaire. Le détenu doit recevoir, dans la mesure de ce qui est raisonnable, la possibilité « d’interroger des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audition, de présenter des éléments de preuve, d’appeler des témoins en sa faveur et d’examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision; » et « de présenter ses observations durant chaque phase de l’audition, y compris quant à la peine qui s’impose ». Bien qu’il eût peut-être été préférable que M. Bouchard ait accès à la vidéo, je suis d’avis que le défaut de ce faire ne l’a pas empêché de comprendre les arguments invoqués contre lui ou de présenter des observations. Son avocate ne s’est d’ailleurs pas opposée à cette façon de procéder lors de l’audition. Il est bien établi que les allégations de vice de procédure doivent être présentées le plus tôt possible.

[12]  En outre, le visionnement de la vidéo de l’incident n’aurait pas modifié la décision du président, qui a conclu que même si la défense de M. Bouchard, selon laquelle il ne faisait que lutter avec l’autre détenu et n’avait pas l’intention de se battre, était vraie, cela n’avait pas pour effet de renverser l’accusation. Pour le président, il n’y a pas de différence, d’un point de vue institutionnel, entre une bagarre pour le plaisir et une véritable bagarre. Par conséquent, le visionnement de la vidéo n’aurait pas changé le résultat de l’affaire.

[13]  M. Bouchard affirme également que le personnel correctionnel ne lui a pas offert la possibilité de résoudre la question de façon informelle, alors que le paragraphe 41(1) de la Loi le requiert. Toutefois, en utilisant le libellé « si les circonstances le permettent », le législateur a laissé au personnel correctionnel le choix de régler un incident de façon informelle ou de porter des accusations (Laplante c Canada (Procureur général), [2003] 4 CF 1118, 2003 CAF 244, au paragraphe 13). Le défendeur a déposé l’affidavit de l’agent Bird expliquant pourquoi il n’a pas été jugé bon d’utiliser la voie du règlement informel. Cet affidavit n’a pas été présenté au président, mais est malgré tout admissible en contrôle judiciaire pour contredire ce qui constitue essentiellement une allégation d’irrégularité procédurale. L’agent Bird y explique que les agents ont décidé de porter des accusations, car ni l’un ni l’autre des détenus ne voulait assumer la responsabilité de ses actes et parce que les altercations physiques constituent de graves préoccupations. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[14]  Enfin, M. Bouchard affirme que les motifs de la décision sont insuffisants et qu’ils le laissent dans le doute quant aux raisons pour lesquelles il a été reconnu coupable de l’infraction disciplinaire d’avoir pris part à un combat. Je ne suis pas d’accord. Le président a brièvement expliqué ses motifs de vive voix à la fin de l’audition. Tant que le dossier permet à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision, ce qui est le cas en l’espèce, les motifs du président n’ont pas à être exhaustifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Plus précisément, le fait que le président ait déclaré : [traduction] « je suis d’avis que l’accusation est prouvée » ne signifie pas qu’il n’a pas exigé que la preuve soit hors de tout doute raisonnable, comme l’exige le paragraphe 43(3) de la Loi.

[15]  En résumé, la décision du président est raisonnable et le processus qui l’y a mené était juste et conforme aux exigences de la Loi et du règlement. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[16]  Lors de l’audition, les parties ont convenu que des dépens de 250 $ seraient appropriés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il est ordonné au demandeur de verser des dépens de 250 $.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-944-17

 

INTITULÉ :

BENJAMIN BOUCHARD c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE :

LE 15 MAI 2018

 

COMPARUTIONS :

John Dillon

 

Pour le demandeur

 

 

Jacob Pollice

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Dillon

Avocat

Kingston (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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