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Date : 20180504


Dossier : IMM-3493-17

Référence : 2018 CF 480

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MD MOSTOFA KAMAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé

[1]  Le demandeur est un citoyen du Bangladesh âgé de 31 ans. En 2015, il a quitté le Bangladesh et a présenté une demande d’asile au Canada. La demande d’asile a été suspendue. Il a par la suite été déclaré interdit de territoire parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation qui se livrait à des actes de terrorisme et était une instigatrice de subversion violente du gouvernement du Bangladesh. Une mesure d’expulsion a été prise contre lui. À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.  Exposé des faits

[2]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre) soutient qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre du Bangladesh Nationalist Party (BNP). Le ministre allègue également que le BNP se livre au terrorisme et est l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement du Bangladesh par la force, comme énoncé aux alinéas 34(1)c) et b) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[3]  Les conclusions à cet effet ont d’abord été en rendues dans un rapport préparé par un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), agissant en application du paragraphe 44(1) de la LIPR.

[4]  Un délégué du ministre a par la suite déféré le rapport à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vue d’une enquête conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR.

[5]  L’affaire a été renvoyée à la SI en application du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[6]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a pris part à l’audience en étant représenté par un avocat. Le ministre a fait valoir qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du Bangladesh Nationalist Party. Le ministre a également demandé à la SI de trouver des motifs raisonnables de croire que le BNP se livrait au terrorisme et était l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement du Bangladesh par la force, comme l’énoncent les alinéas 34(1)c) et b) de la LIPR.

[7]  La SI a confirmé la thèse du ministre, concluant qu’il existait des motifs raisonnables de croire à la fois que le demandeur était membre du BNP, et que le BNP se livrait au terrorisme et était l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement du Bangladesh par la force. En conséquence, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour des motifs de sécurité en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La SI a par conséquent rendu une ordonnance d’expulsion à l’égard du demandeur.

[8]  Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[9]  La demande soulève deux questions : En premier lieu, le demandeur conteste la décision au motif qu’elle est viciée par un manquement à l’équité procédurale. Selon moi, cet argument n’est pas fondé. En second lieu, le demandeur soulève la question de savoir si la décision est raisonnable, c’est-à-dire, si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit qui s’appliquent en l’espèce. À mon avis, la SI a rendu une décision raisonnable à cet égard. Ainsi, pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

III.  Questions

[10]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

  • a) La SI a-t-elle violé le droit du demandeur à la justice naturelle en refusant d’autoriser un témoin expert à témoigner?

  • b) Le commissaire de la SI a-t-il manifesté une crainte raisonnable de partialité en omettant de se récuser?

  • c) La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le BNP se livrait au terrorisme ou à la subversion par la force aux termes de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR?

[11]  À mon avis, les questions centrales sont les suivantes :

  • (1) La SI a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale concernant le témoignage d’un expert ou à l’égard de l’allégation de partialité?

  • (2) La conclusion de la SI selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait au BNP était-elle raisonnable?

  • (3) La conclusion de la SI selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le BNP s’est livré, se livre ou se livrera au terrorisme était-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[12]  Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Notre Cour a déterminé que les conclusions d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 34(1) de la LIPR sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : A.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 236 [A.K.] par le juge Mosley; S.A. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 494 [S.A.] par le juge Fothergill, et ma décision dans l’affaire Gazi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94 [Gazi], au paragraphe 17.

[13]  Les questions concernant le caractère terroriste d’une organisation et l’appartenance d’une personne à une organisation terroriste doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable : Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 11 (la juge Dawson); Suresh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 28, au paragraphe 44 (juge Mosley; Mirmahaleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, au paragraphe 15 (juge Gascon; et voir ma décision dans l’affaire Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 182 [Ali], au paragraphe 22.

[14]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15]  Un facteur important dans cette analyse est la norme de preuve applicable dans la présente interdiction de territoire. « Des motifs raisonnables de croire » constituent une norme de preuve selon laquelle la SI peut rendre des décisions aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La validité de cette norme a été confirmée par le législateur en 2001. On retrouve cette disposition à l’article 33 de la LIPR :

Interdictions de territoire

Interprétation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Inadmissibility

Rules of interpretation

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[16]  D’autres lois pertinentes ont été établies par notre Cour, par la Cour d’appel fédérale et par a Cour suprême du Canada, tel qu’indiqué dans l’affaire Gazi, aux paragraphes 19 à 22 :

[19] En outre, je tiens également à préciser dès le départ que les agents d’immigration supérieurs possèdent un degré d’expertise reconnue dans ces affaires : Gutierrez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 21 [Gutierrez] :

[21]  La Cour d’appel fédérale a déjà jugé que la question de savoir si une personne est « membre » d’une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable : Poshteh, précité. Il en va de même lorsqu’il s’agit plutôt de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que les organisations en question se sont livrées, se livrent ou se livreront à des actes de terrorisme. En fait, ces deux aspects sont intimement liées et soulèvent tous deux des questions mixtes de droit et de fait sur lesquelles les agents d’immigration ont une certaine d’expertise, comme l’a également reconnu notre Cour à plusieurs occasions : voir, entre autres, Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, aux paragraphes 19 et 20, [2006] 4 RCF 471 [Jalil]; Daud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, au paragraphe 6, (disponible sur CanLII) [Daud]; Omer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 478, aux paragraphes 8 et 9, 157 ACWS (3d) 601.

[mise en évidence ajoutée]

[20]   Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a affirmé au sujet de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR qu’il existe une présomption selon laquelle il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation que la Section d’appel de l’immigration fait de sa propre loi constitutive : Najafi (CAF), précité, au paragraphe 56. Je ne vois pas pourquoi un agent supérieur d’immigration agissant en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR ne devrait pas jouir de l’avantage de la même présomption de retenue, et j’en conclus ainsi.

[21]  La Cour dans l’affaire Gutierrez en ce qui concerne la norme de preuve en vertu de l’alinéa 34(1)f) :

[22]  D’autre part, il convient de rappeler que la norme de preuve que doit appliquer l’agent d’immigration dans le contexte des articles 34 à 37 de la LIPR est celle des « motifs raisonnables de croire » que les faits mentionnés à ces articles sont survenus, surviennent ou peuvent survenir (LIPR, art 33). Il est bien établi que cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais n’équivaut pas à la prépondérance des probabilités exigée en matière civile : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114, [2005] 2 RCS 100; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 39, [2007] 1 RCS 350. Par conséquent, le rôle de cette Cour lorsqu’elle est appelée à réviser la décision d’un agent d’immigration prononçant l’interdiction de territoire n’est pas de déterminer s’il y avait bel et bien des motifs raisonnables de croire que l’individu visé s’est livré ou a été membre d’une organisation qui s’est livrée aux actes qu’on lui reproche, mais bien plutôt de se demander si la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire peut elle-même être considérée comme raisonnable.

[22]  La Cour suprême du Canada a conclu dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114, que l’existence de « motifs raisonnables de penser » exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités :

La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile [citations omises]. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[17]  La Cour suprême du Canada prescrit que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[18]  Les questions d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

V.  Analyse

A.  La SI a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale concernant le témoignage d’un expert ou à l’égard de l’allégation de partialité?

(1)  Questions entourant le témoignage allégué de témoins experts

[19]  À la demande du demandeur, l’audience de la SI a été prévue les mardi et mercredi, 6 et 7 juin 2017. Le vendredi précédant l’audience, le demandeur a sollicité l’autorisation d’appeler un témoin expert à témoigner concernant cinq questions.

[20]  Une allégation de séparation entre le BNP et Jubo Dal ne constituait pas l’une des cinq questions.

[21]  Le ministre s’est opposé à une requête présentée tardivement. À l’audience, et en réponse, le demandeur a sollicité l’autorisation d’appeler le prétendu expert à témoigner relativement à une sixième question supplémentaire, à savoir la présumée séparation entre le BNP et Jubo Dal. La SI a pris la décision de ne pas entendre le témoignage du présumé expert sur l’une ou l’autre des six questions. La SI a cependant admis un long rapport sommaire rédigé par le présumé expert.

[22]  En rejetant la demande, la SI a pris en considération à la fois le retard et la substance du témoignage proposé. La SI a jugé que le demandeur n’avait pas présenté sa requête en temps opportun et a refusé de raccourcir le délai requis pour compenser ce retard. En ce qui concerne le fond du témoignage proposé, la SI a jugé que cet élément de preuve allégué était non pertinent ou inutile.

[23]  Pour ce qui est du préavis, je suis prêt à accepter que la requête a été présentée le vendredi précédant l’audience, et non pas le jour précédant l’audience, comme l’a déclaré l’agent. Le demandeur a soulevé cette question un jour ou quelques jours avant l’audience de contrôle judiciaire. Cela dit, la requête a été déposée dans un délai de moins de cinq jours, soit le préavis énoncé à l’alinéa 32(2)b) des Règles de la Section de l’immigration (DORS/2002-229).

[24]  En ce qui a trait à la séparation alléguée entre Jubo Dal et le BNP, le sixième fondement sur lequel le demandeur voulait que son prétendu expert témoigne, le demandeur a tenté de s’appuyer sur un document de réponse à une demande d’information, qui n’avait pas non plus été déposé plus tôt. L’avocat du demandeur a déclaré qu’il avait trouvé par hasard la réponse à la demande d’information la veille de l’audience. Le demandeur a fait valoir que la réponse à la demande d’information établissait que le BNP et Jubo Dal étaient complètement séparés l’un de l’autre. À cet égard, la SI a déclaré : [traduction]

[19] La réponse à la demande d’information portait sur les rôles et responsabilités des membres de l’exécutif des sections régionales du BNP et de Jubo Dal. L’auteur note que l’information [traduction] « était rare parmi les sources consultées par la Direction des recherches dans les délais prescrits pour répondre ». […] L’auteur cite un quelconque [traduction] « professeur de sciences politiques aux États-Unis, qui est un spécialiste de la politique du Bangladesh ». […] En parlant de la structure du comité exécutif de Jubo Dal, le professeur a déclaré qu’elle est :

une organisation complètement distincte du BNP qui a des comités exécutifs totalement distincts de la structure et du leadership du BNP. La structure des comités exécutifs du [Jatiyatabadi Juba Dal] est similaire à celle du BNP, il n’y a cependant pas de chevauchement entre les deux organisations, puisque la pratique veut que les militants du [Jatiyatabadi Juba Dal] soient « diplômés » pour ensuite passer au BNP. Les comités exécutifs ont les mêmes fonctions et responsabilités que ceux du BNP. […]

[25]  La SI n’était pas d’accord avec l’interprétation faite par le demandeur de la réponse à la demande d’information. La SI a conclu que le demandeur a pris certaines phrases hors contexte. La SI a conclu que la réponse à la demande d’information prouvait que Jubo Dal et le BNP étaient liés :

[20] M. Berger n’a tenu compte que de l’expression « organisation complètement distincte » et l’a interprétée hors contexte. Ce professeur s’est penché sur la séparation de l’ensemble des structures des comités exécutifs, et non pas sur la nature de la relation entre le BNP et Jubo Dal. Ironiquement, cette déclaration a tendance à prouver la parenté des deux organisations en disant que la pratique veut que les militants de Jubo Dal soient « diplômés » pour ensuite passer au BNP. Je ne crois pas que cette réponse à la demande d’information ouvrait une nouvelle voie à l’audition du témoignage de M. Bahar.

[26]  À mon avis, il s’agit d’une bonne analyse de la réponse à la demande d’information. Bien qu’il y eût éléments de preuve de la séparation entre le BNP et Jubo Dal, il y avait également des éléments de preuve démontrant que Jubo Dal est un paravent pour le BNP, que Jubo Dal est sous le commandement et le contrôle du BNP, et qu’une transition harmonieuse se fait de l’un à l’autre.

[27]   À cet égard, le demandeur et ses supporteurs n’ont d’ailleurs allégué aucune différence entre le BNP et Jubo Dal lorsqu’ils ont déposé leurs documents écrits, notamment dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Ils n’ont allégué aucune différence ou séparation jusqu’au jour de l’audience. C’est à l’audience que le demandeur a tenté de se distancier de sa thèse précédente selon laquelle il était un membre du BNP.

[28]  La SI a estimé que les éléments de preuve du demandeur, y compris les déclarations de son formulaire FDA et les lettres qu’il a produites, contredisaient directement le témoignage du prétendu témoin expert. Encore une fois, cette conclusion s’avère juste au vu du dossier. Il était loisible à la SI de préférer le témoignage de source sûre du demandeur par rapport au témoignage du témoin expert proposé.

[29]  À mon humble avis, la décision de ne pas entendre le prétendu témoin expert n’est pas viciée par un manquement à l’équité procédurale; il s’agit de l’exercice motivé d’un pouvoir discrétionnaire.

(2)  L’allégation de partialité de la SI

[30]  Après que la SI eût pris la décision de refuser d’entendre le témoignage du prétendu témoin expert du demandeur, l’avocat de ce dernier a demandé à la commissaire de la SI de se récuser pour des motifs de partialité en alléguant qu’elle avait [traduction] « préjugé de l’affaire » en désaccord avec l’interprétation du demandeur de la réponse à la demande d’information.

[31]  La commissaire de la SI a conclu que l’allégation de partialité était sans fondement et a rejeté la demande de récusation.

[32]  La juge Kane définit le critère applicable à la partialité dans l’affaire Poczkodi c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, au paragraphe 50 :

[50]  Le critère applicable à la partialité a été établi par le juge de Grandpré, qui était dissident dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[48]  Dans R c. S (RD), [1997] 3 SCR 484, 151 DLR (4th) 193 [RDS], au paragraphe 113, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin ont fait référence au critère et souligné la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente, expliquant que « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière ». La Cour a signalé que les allégations de partialité sont graves et ne devraient pas être faites à la légère. Les mêmes principes s’appliquent aux allégations contre les autres décideurs.

[51]  Une crainte raisonnable de partialité exige plus qu’une allégation visant un commentaire mentionné dans la décision. L’allégation doit être accompagnée d’éléments de preuve convaincants (RDS, aux paragraphes 114 et 117). En l’espèce, aucun élément de preuve ne laisse entendre qu’une personne informée aurait une crainte raisonnable de partialité.

[33]  Devant moi, le demandeur a allégué explicitement non seulement une crainte de partialité, mais une partialité réelle :

Cette conclusion de la SI est entachée de partialité puisqu’elle empêche le demandeur de plaider la cause que le ministre a instruite contre lui; en fait, c’est une grave violation de la justice naturelle puisqu’en refusant que [nom du présumé expert] témoigne dans cette affaire, la SI a effectivement porté atteinte au droit du demandeur de plaider sa cause.

[34]  À mon humble avis, les allégations de crainte de partialité et de partialité réelle ne sont pas fondées. La SI a rendu une décision en matière de preuve dans le cadre d’une audience d’interdiction de territoire. Le demandeur a demandé réparation du manquement par la SI aux règles établies par la SI en matière d’admission d’un élément de preuve de vive voix. Il était loisible à la SI, au vu du dossier, de refuser de raccourcir le délai requis; la SI a non seulement pris en considération le retard du dépôt de la demande, mais a aussi considéré la substance du témoignage proposé. La SI a examiné la réponse à la demande d’information découverte depuis peu par le demandeur, que ce dernier a utilisée à l’appui de la demande de témoignage de vive voix. La SI a souligné que le demandeur a trouvé la réponse à la demande d’information très tard dans la journée (le soir précédant l’audience). En outre, la SI a estimé que ce retard n’avait pas été expliqué de façon adéquate.

[35]  À mon avis, et en tout respect, la SI n’a rien fait de plus que de rejeter une demande d’admission d’une déposition orale. La SI a retenu un rapport sommaire du témoin proposé. À mon avis, cet exercice du pouvoir décisionnel de la SI est inattaquable. Le rejet d’une décision interlocutoire relative à la preuve ne constitue pas un motif de crainte de partialité. Les circonstances de la présente affaire ne constituent pas non plus le moindre fondement d’une allégation de partialité réelle. L’une des parties perd inévitablement de telles requêtes. S’il en était autrement, rares sont les décideurs qui échapperaient aux requêtes en récusation.

[36]  Enfin, le demandeur affirme que sa crainte de partialité est renforcée par la conclusion de la SI, au paragraphe 25 de sa décision selon laquelle [traduction] « faire une allégation de partialité non fondée constitue une conduite indigne d’un avocat. »  L’avocat du demandeur affirme que cette « attaque personnelle dirigée contre lui parce qu’il défend son client de façon intrépide et sans frivolité constitue en fait une démonstration supplémentaire de la partialité de la SI ». En tout respect, je ne suis pas de cet avis. On ne peut encourager les attaques injustifiées contre un décideur comme la SI au motif d’un parti pris réel. Je ne suis pas d’avis qu’il s’agit d’une erreur d’affirmer qu’une allégation de partialité non fondée constitue une conduite indigne.

[37]  En résumé, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale selon la norme de la décision correcte.

B.  La conclusion de la SI selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait au BNP était-elle raisonnable?

[38]  Cette nouvelle question a été soulevée à l’audience. Elle a été soulevée parce qu’à l’audience, le demandeur a tenté de se distancier de sa thèse précédente selon laquelle il était un membre du BNP. Devant la SI, et essentiellement à la dernière minute, le demandeur a affirmé qu’il n’était pas membre du BNP, mais plutôt, un membre de Jubo Dal, l’aile jeunesse du BNP.

[39]  La SI a rejeté cet argument. [traduction]

[36] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, il a écrit [traduction] « … J’étais un membre général et le responsable de la publicité du Bangladesh Nationalist Party (BNP) […]. Dans un autre extrait qu’il a écrit [traduction] « Je crains que les membres de la Ligue Awami me blessent ou me tuent à cause de mon affiliation politique au BNP ». […]

[37] Dans le texte joint à son formulaire Fondement de la demande d’asile, il a écrit, [traduction] « En février 2005, j’ai joint Jubo Dal, l’aile jeunesse du Bangladesh Nationalist Party, en tant que membre général. En octobre 2006, je suis devenu secrétaire de la publicité du comité Jubodal de la ville de Comilla. J’ai organisé des réunions et des processions et encouragé les gens à soutenir le BNP. » [...]

[38] Il a aussi décrit une agression qu’il a subie alors qu’il [traduction] « se rendait au bureau du BNP ». Il raconte comment [traduction] « avec mes collègues membres du comité, j’ai participé au programme de piquetage du BNP qui avait lieu ». Après avoir été menacé et attaqué, il a communiqué avec le secrétaire de l’Agriculture du Comité central du BNP et avec un autre dirigeant du BNP pour obtenir de l’aide. […]

[39] Il a fait référence à [traduction] « mes collègues du BNP qui ont également été faussement accusés… ». […]

[40] Il a signé une déclaration dans son formulaire Fondement de la demande d’asile selon laquelle la [traduction] « totalité du contenu de ce formulaire et tous les documents joints ont été interprétés pour moi » et que [traduction] « les renseignements que j’ai fournis dans le présent formulaire sont complets, véridiques et exacts ». Le formulaire était accompagné d’une déclaration signée par un interprète bengali, confirmant que [traduction] « le demandeur m’a assuré qu’il/elle a compris tout le contenu de ce formulaire et tous les documents joints et les réponses apportées, tel qu’interprété par moi ». […]

[41] M. Kamal a également rempli le formulaire Annexe A – Antécédents du demandeur dans lequel il a indiqué qu’il est devenu un membre général du BNP en février 2005, ensuite secrétaire de la publicité du BNP en octobre 2006 et a occupé ce poste jusqu’en août 2015 quand il est venu au Canada. Il a également signé une déclaration jointe à ce formulaire à l’effet que l’information qu’il avait donnée était vraie, complète et correcte. Il a ensuite signé une autre déclaration en présence d’un agent d’immigration le 2 novembre 2015 selon laquelle l’information était vraie, complète et correcte. Un interprète bengali a signé une déclaration dans laquelle il affirme avoir interprété fidèlement et rigoureusement à la personne concernée le contenu de la demande et tout autre formulaire connexe.

[Non souligné dans l’original.]

[40]  En conséquence, la SI a conclu que la tentative du demandeur de se distancier du BNP n’était pas crédible; en fait, la SI l’a jugée fallacieuse. À mon avis, ces conclusions se justifient au regard du dossier.

[41]  Le demandeur a insisté sur son allégation selon laquelle il n’appartenait pas au BNP en faisant référence à la réponse à la demande d’information qu’il a retrouvée le soir précédant l’audience dont il est question ci-dessus. La SI énonce les circonstances et le contenu de la réponse à la demande d’information comme suit :

[43] Tel que mentionné précédemment, [l’avocat du demandeur] a déclaré qu’il avait informé le ministre avant l’audience du fait que M. Kamal avait l’intention de reconnaître qu’il avait été membre du BNP. Ce n’est qu’après que [l’avocat du demandeur] eut trouvé la réponse à la demande d’information le soir avant l’audience que M. Kamal a changé sa position. Cela signifie que M. Kamal ne s’est rendu compte qu’il n’était pas membre du BNP seulement parce que [l’avocat du demandeur] avait découvert la réponse à la demande d’information. Autrement, il a cru à tort pendant les 12 dernières années qu’il était membre et secrétaire de la publicité pour le BNP. Ce n’est pas crédible et je trouve le changement d’attitude de dernière minute de M. Kamal malhonnête.

[44] Lors de son témoignage, M. Kamal a dit qu’il a été secrétaire de la publicité pour Jubo Dal pendant seulement deux ans, soit d’octobre 2006 à octobre 2008, après quoi il est devenu un membre général. Ce témoignage contredit le formulaire Annexe A – Antécédents du demandeur dans lequel M. Kamal a indiqué qu’il était devenu un membre général du BNP en février 2005, et secrétaire de la publicité du BNP en octobre 2006. M. Kamal a indiqué dans son témoignage qu’il avait simplement fait une erreur dans le formulaire en inscrivant le nom du BNP au lieu de celui de Jubo Dal parce qu’il ne parle pas anglais. Cela paraît illogique. Le nom « Jatiyatabadi Jubo Dal » n’est pas anglais alors que le « Bangladesh Nationalist Party » l’est. Mais s’il n’a pas compris la question dans le formulaire, cela n’explique pas pourquoi il a donné la même information dans le récit annexé à son formulaire Fondement de la demande d’asile. Il a même confirmé qu’il avait rempli les formulaires avec l’aide d’un avocat et d’un interprète. Il est resté évasif lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait apporté des corrections à d’autres renseignements dans le formulaire et paraphé ces corrections, mais n’avait fait aucune correction concernant son appartenance au BNP. Il a dit qu’une personne de son bureau d’avocat avait fait les corrections et qu’il ne les avait que paraphées. Il ne pouvait cependant pas expliquer comment cette personne a su apporter ces corrections. Je ne trouve pas cela crédible.

[45] J’estime que l’information des documents de sa demande d’asile est plus fiable puisque c’est l’information qu’il a fournie en premier, par écrit et avec l’aide d’un avocat et d’un interprète, avant le début de cette enquête dans le cadre de laquelle il a avantage à nier son appartenance et son niveau de participation au BNP.

[46] J’estime, pour des motifs raisonnables, que M. Kamal a été membre de Jubo Dal et que, tout au long de son appartenance et au-delà, il comprenait que le fait d’être membre de Jubo Dal signifiait qu’il était également membre du BNP.

[Non souligné dans l’original.]

[42]  En outre, la SI a fait référence à des lettres d’appui que le demandeur a produites, l’une desquelles mentionne : [traduction]

« En février 2005, Md Mostofa Kamal s’est joint au Jubodal, l’aile jeunesse du Bangladesh Nationalist Party, en tant que membre général sous ma direction. Dans un laps de temps très court, il a atteint une grande popularité en tant que membre du Bangladesh Nationalist Party dans sa région de South Chartha. Par conséquent, en octobre 2006, il a été désigné comme un secrétaire de la publicité du Comité exécutif de Jubodal pour le district de Comilla. »

[Non souligné dans l’original.]

[43]  Une autre lettre d’appui au demandeur mentionne : [traduction]

« Md. Mostofa Kamal est devenu un travailleur très populaire dans la région du Chartha Dakkhin du Bangladesh Nationalist Youth Party et il a été secrétaire de la publicité du Comité exécutif du Bangladesh Nationalist Youth Part du district [sic] de Comila.

Puisque Md. Mostofa Kamal était un travailleur profondément engagé du Bangladesh Nationalist Party, il est devenu victime de torture et de persécution …

Puisque tous les membres de sa famille sont des travailleurs et des partisans du Bangladesh Nationalist Party, ils font tous face à des menaces. » [...]

[Non souligné dans l’original.]

[44]  Encore un autre supporteur écrit : [traduction]

« Md. Mostofa Kamal et moi-même, avec tous les autres travailleurs politiques de l’aile jeunesse de Comilla du Bangladesh Nationalist Party participions à toutes les processions et programmes du parti. Md. Mostofa Kamal a gagné en popularité en tant que travailleur politique du Bangladesh Nationalist Party de la région du South Chartha. Et jusqu’à ce qu’il ait quitté le Bangladesh pour se rendre au Canada, il a été le secrétaire de la défense des intérêts du Comité exécutif de l’aile jeunesse de Comilla. Nous participions toujours aux manifestations, aux programmes défensifs et aux barrages routiers du BNP ensemble. […] »

[Non souligné dans l’original.]

[45]  Un autre supporteur déclare : [traduction]

« Mon frère Mostofa et moi-même sommes des membres actifs du Bangladesh Nationalist Party du district de Comilla depuis un bon bout de temps. Tous les membres des familles de mon père et de ma mère sont membres et supporteurs du Bangladesh Nationalist Party.

Mostofa kamal [sic] a connu du succès comme secrétaire de la publicité du Comité exécutif du Bangladesh Nationalist Youth Party de Comilla. . . .

... L’un des oncles maternels de Mostofa, Samsul Huda [l’oncle que M. Kamal a cité comme un membre de Jubo Dal comme mentionné ci-dessus], était un secrétaire général du Comité exécutif du Bangladesh Nationalist Party de Kotowali thana de Comilla ...

À l’heure actuelle, nous avons reçu tellement de menaces puisque nous sommes tous des supporteurs et des travailleurs du Bangladesh Nationalist Party [sic][...] »

[Non souligné dans l’original.]

[46]   La SI disposait aussi d’une réponse à une demande d’information déposée par le ministre comme élément de preuve. Celle-ci conclut en fait que Jubo Dal est une organisation paravent pour le BNP, et que Jubo Dal relève du BNP, malgré que les deux organisations aient des constitutions distinctes. La réponse à la demande d’information conclut qu’en tant que paravent, la mission de Jubo Dal est d’appuyer la [traduction] « mise en œuvre des programmes du parti ». C’est-à-dire, la mise en œuvre des programmes du BNP.

[47]  La SI a examiné tout cela et a conclu que, bien que Jubo Dal bénéficie d’une certaine autonomie, son existence et sa légitimité sont fondées sur la constitution du BNP. La SI a en outre conclu que [traduction] « [l]a raison d’être de Jubo Dal est de faire avancer les intérêts du BNP ». Jubo Dal agit sous la férule du BNP et partage même la gouvernance du BNP en ce que le secrétaire de Jubo Dal siège au comité exécutif national du BNP.

[48]  En ce qui a trait à ce point, et en résumé, la SI a conclu au regard du dossier dont elle disposait :

J’estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que Jubo Dal est une facette du BNP, non pas une organisation distincte. En étant membre de Jubo Dal, M. Kamal était membre du BNP.

[49]  À mon humble avis, cette conclusion se justifie au regard du dossier.

C.  La conclusion de la SI selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le BNP s’est livré, se livre ou se livrera au terrorisme était-elle raisonnable?

[50]  L’étape suivante consiste à examiner le sens de « se livrer au terrorisme » tel qu’énoncé à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. Cette disposition a été adoptée par le Parlement dans le cadre des modifications apportées à la LIPR et faisait partie de la réaction du gouvernement du Canada aux attaques du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center et le Pentagone :

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

[…]

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[51]  Le terrorisme a été défini par la Cour suprême du Canada peu après dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh], au paragraphe 98 :

[98] À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Rien n’empêche le Parlement d’adopter de plus amples ou différentes définitions du terrorisme. La question en l’espèce est de savoir si le terme employé dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés peut à coup sûr être applicable, juste et constitutionnelle. Nous croyons qu’elle l’est.

[52]  En 2001, en tant qu’autre volet de la réaction du gouvernement du Canada aux événements du 11 septembre, le Parlement a créé de nouveaux chefs d’accusation qu’il a regroupés sous la définition d’« activité terroriste » énoncée à l’alinéa 83.01(1)b) du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-46 :

activité terroriste

terrorist activity means

[…]

[…]

b)soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger:

b)an act or omission, in or outside Canada,

(i) d’une part, commis à la fois:

(i) that is committed

(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

(A) in whole or in part for a political, religious or ideological purpose, objective or cause, and

B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada,

(B) in whole or in part with the intention of intimidating the public, or a segment of the public, with regard to its security, including its economic security, or compelling a person, a government or a domestic or an international organization to do or to refrain from doing any act, whether the public or the person, government or organization is inside or outside Canada, and

(ii) d’autre part, qui intentionnellement, selon le cas :

(ii) that intentionally

A) cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l’usage de la violence,

(A) causes death or serious bodily harm to a person by the use of violence,

B) met en danger la vie d’une personne,

(B) endangers a person’s life,

C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,

(C) causes a serious risk to the health or safety of the public or any segment of the public,

D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu’il est probable que l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,

(D) causes substantial property damage, whether to public or private property, if causing such damage is likely to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C), or

E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail qui n’ont pas pour but de provoquer l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).

(E) causes serious interference with or serious disruption of an essential service, facility or system, whether public or private, other than as a result of advocacy, protest, dissent or stoppage of work that is not intended to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C),

Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l’encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l’acte — action ou omission — commis au cours d’un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d’autres règles de droit international. (terrorist activity)

and includes a conspiracy, attempt or threat to commit any such act or omission, or being an accessory after the fact or counselling in relation to any such act or omission, but, for greater certainty, does not include an act or omission that is committed during an armed conflict and that, at the time and in the place of its commission, is in accordance with customary international law or conventional international law applicable to the conflict, or the activities undertaken by military forces of a state in the exercise of their official duties, to the extent that those activities are governed by other rules of international law. (activité terroriste)

[53]  À mon avis, la SI a agi de manière raisonnable en tenant compte à la fois de la définition de « terrorisme » de l’arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada, et de la définition d’« activité terroriste » du Code criminel pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le BNP se livrait à des actes de terrorisme : S.A., au paragraphe 17; Ali, aux paragraphes 39 à 45; Soe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 671, aux paragraphes 22 à 24; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, au paragraphe 102; et Gazi, au paragraphe 27. Mon interprétation m’amène à croire que la décision dans l’affaire A.K. arrivait à la même conclusion.

[54]  Il convient de noter que le Parlement a adopté l’article 83 du Code criminel à la même époque suivant le 11 septembre où il a adopté ce qui constitue maintenant l’alinéa 34(1)c) [se livrer au terrorisme] de la LIPR ; deux modifications entrées en vigueur en décembre 2011. Je ne crois pas que le Parlement ait adopté ces deux dispositions presque simultanément dans l’esprit qu’elles soient par la suite considérées isolément.

[55]  L’essence du terrorisme, comme le juge Mosley l’a déclaré dans l’affaire A.K., au paragraphe 41, c’est l’intention d’avoir recours à la violence ou l’utilisation de la violence à des fins politiques :

J’ai passablement de difficultés à accepter la notion qu’un appel à la grève générale par un parti politique en vue d’inciter le parti au pouvoir à entreprendre des mesures comme proroger le Parlement ou convoquer des élections partielles s’inscrit dans le cadre de « ce que l’on entend essentiellement par “terrorisme” à l’échelle internationale ». Il n’est pas exagéré de prétendre, comme l’a fait le demandeur dans la présente instance que l’interprétation de la loi par le défendeur pourrait comprendre des activités politiques qui, si elles étaient menées au Canada, seraient protégées en vertu de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, en l’absence d’une intention d’avoir recours à la violence à des fins politiques.

[Non souligné dans l’original.]

[56]  Dans sa recherche de motifs raisonnables de croire que le BNP se livrait au terrorisme, la SI s’est concentrée exclusivement sur ce point : l’utilisation de la violence pour atteindre les fins politiques. En effet, la SI a fait référence à la conduite du BNP comme une [traduction« orgie de violence ».

[57]  La SI disposait d’éléments de preuve pour arriver à sa conclusion. Je ne vais pas tout revoir; c’est consigné au dossier. La SI a rendu ses conclusions après avoir examiné l’histoire du BNP à partir de nombreuses sources, notamment le Guardian (un journal), Human Rights Watch, Amnistie internationale. La SI disposait également d’annonces faites par le BNP même.

[58]  En conséquence, la SI a trouvé des motifs raisonnables de croire que le BNP s’était livré au « terrorisme » comme on l’entend aux fins de l’application de l’alinéa 34(1)c) en utilisant les hartals qui, selon l’information dont disposait la SI, étaient devenus synonymes de violence causant la mort ou des lésions corporelles graves. La SI a conclu :

J’estime, pour des motifs raisonnables, que le BNP s’est livré au « terrorisme » au sens de l’alinéa 34(1)c) en utilisant les hartals qui étaient devenus synonymes de violence causant la mort ou des lésions corporelles graves, sans mentionner d’importants préjudices économiques, dans le but de contraindre le gouvernement à satisfaire ses exigences.

[59]  À cet égard, la SI a examiné des événements qui ont eu lieu en avril 2012 : [traduction]

[64]  En avril 2012, le BNP a appelé à un hartal pour protester contre la disparition d’un dirigeant du BNP, Ilias Ali. La grève a effectivement paralysé le pays pendant trois jours au cours desquels « l’opposition a déclenché une orgie de violence dans la région de Dhaka et dans le district nord de Sylhet (où Ali était un ancien député), brisant des véhicules et mettant le feu à 10 autobus. Un chauffeur d’autobus, qui était endormi dans son véhicule, a été brûlé vif. » Il y a eu « de véritables batailles rangées avec la police » et « des affrontements quotidiens entre les manifestants défendant la grève générale et la police ». [...]

[65]  En dépit de sa prise de conscience de ce qui s’est passé lorsque le BNP a appelé à un hartal en avril 2012, le leader du BNP, Khaleda Zia, a appelé à une série de hartals le 25 octobre 2013 pour protester contre la prochaine élection générale en janvier 2014, demandant qu’elle se déroule sous un système de gouvernement intérimaire.

Les grèves et les barrages routiers ont eu un impact important sur l’économie. L’opposition a réussi à empêcher presque tous les déplacements à l’extérieur des grandes villes au cours de cette période, privant de revenus de nombreuses personnes et portant préjudice à l’économie nationale. Les écoles sont restées fermées. Les agriculteurs ont été obligés de jeter le lait et les autres produits frais, car ils ne pouvaient pas les transporter vers les villes. Le coût estimé pour l’économie se chiffre en milliards de dollars.

À plusieurs reprises, des travailleurs des partis de l’opposition ont attaqué ceux qui ne suivaient pas le mouvement de protestation avec des cocktails Molotov, des grenades, et des grenades artisanales sans avertissement ...dans certains cas, les membres des groupes d’opposition ont recruté des enfants de la rue pour effectuer les attaques. […]

[60]  Human Rights Watch a démontré qu’un chef de Jubo Dal a payé des enfants pour lancer des bombes incendiaires dans un autobus : [traduction]

[66] […] Human Rights Watch a interrogé un garçon de 15 ans qui a déclaré qu’à une occasion, un chef de Jubo Dal l’a payé, lui et ses trois amis, 2 000 taka pour mettre le feu à deux autobus à l’aide de cocktails Molotov. […]

[61]  La SI aurait pu continuer à citer le rapport de Human Rights Watch qui est dans le dossier : [traduction]

Un chercheur de Human Rights Watch a interrogé 25 patients ou leurs proches en décembre dans l’unité des grands brûlés au Dhaka Medical College Hospital où de nombreux blessés ont été transportés. Quand Human Rights Watch a visité l’hôpital, il était tellement bondé que certains des blessés étaient obligés de dormir dans les couloirs. La plupart des patients ont déclaré n’avoir pas eu d’avertissement qu’ils allaient être attaqués et n’avaient pas vu qui avait lancé les bombes. D’autres ont identifié leurs agresseurs comme des partisans de l’opposition.

Par exemple, un homme nous a dit que les partisans de l’opposition ont attaqué les membres de sa famille lorsque le camion dans lequel ils se trouvaient traversait Gazipur, au nord de Dhaka, le soir du 10 décembre 2013. Les partisans de l’opposition, qui avaient mis du bois et des briques sur la route, ont lancé des briques sur le véhicule. Adam Ali, un garde de sécurité dans une usine, a dit qu’il les avait exhortés de ne pas lancer des cocktails Molotov. Il a dit à Human Rights Watch : [traduction]

J’ai dit, « Veuillez faire preuve de pitié, ma famille est à l’intérieur, s’il vous plaît, ne lancez pas de bombes ». Ils étaient environ 15, âgés de 20 à 25 ans. Ils ont vu que mes enfants étaient à l’intérieur de la cabine. Ils nous ont crié des jurons et ont jeté des cocktails Molotov à l’intérieur. J’ai sauté à l’extérieur par une porte avec deux de mes enfants et j’ai dit à ma femme, Sumi, de sortir par l’autre porte. Mais elle était coincée à l’intérieur avec mon enfant de 2 ans, Sanjida. La porte était verrouillée et elles ne pouvaient pas sortir. Elles sont mortes dans la fourgonnette. Après cela, j’étais couché semi-conscient par terre quand quelques-un de ces hommes sont venus me voir. Ils m’ont dit « Ce qui est arrivé est arrivé, tu dois t’y faire ».

L’un des pires incidents a eu lieu à Dhaka le 28 novembre 2013. En réponse à l’annonce de la date de l’élection de 2014, le 25 novembre 2013, la coalition de 18 partis d’opposition a annoncé un blocus routier, ferroviaire et maritime de 48 heures. Le blocus a par la suite été prolongé. Une vague de violence a suivi dans l’ensemble du Bangladesh. Autour de 6 h 30 ce jour-là, des attaquants ont lancé un cocktail Molotov sur un autobus, tuant quatre personnes et en blessant 15. Le chauffeur, Hassan Mahbub, qui a subi des brûlures sur 30 pour cent de son corps, a déclaré que l’autobus avait été touché alors qu’il roulait à plus de 70 kilomètres à l’heure. Il a dit à Human Rights Watch : [traduction]

« Tout d’un coup, deux hommes ont lancé une bouteille. Ils étaient âgés de 20 à 30 ans. Ils l’ont jeté à travers le pare-brise. Tout l’autobus a pris feu. J’ai été touché en premier. La bouteille m’a frappé. J’ai sauté hors de l’autobus qui a ensuite frappé un îlot séparateur. Les flammes ont brûlé mon visage et mes bras. Je pensais que j’étais en train de mourir. Il y avait un blocus, mais le gouvernement a ordonné aux propriétaires d’autobus de ne pas interrompre le service. »

Dans un autre cas, Rubel Mia, un conducteur de pousse-pousse motorisé de Comilla, a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait été brûlé à partir de la taille vers le bas après avoir rencontré un barrage routier : [traduction]

« Je conduisais sur une route quand tout à coup je suis tombé sur un piquet de grève. Il y avait beaucoup d’hommes. Je ne savais pas qu’ils étaient là. J’ai essayé de leur échapper, mais ils m’ont pourchassé et ils ont frappé le véhicule avec des bâtons et le véhicule a quitté la route. Ils ont ensuite versé de l’essence dans la cabine et l’ont allumée. Je pense qu’ils voulaient me tuer. Personne n’est venu m’aider. »

[62]  La SI a donné un autre exemple des événements de novembre 2013 : [traduction]

[67] Le 28 novembre 2013 en réponse à l’annonce de la date de l’élection de 2014, une coalition de 18 partis de l’opposition, y compris le BNP, a annoncé un blocus routier, ferroviaire et maritime de 48 heures que le BNP a par la suite prolongé. Un autobus tentant de transporter des passagers a subi une attaque à la bombe incendiaire, tuant quatre passagers, en blessant 15 et causant de graves brûlures au chauffeur. Un conducteur de pousse-pousse motorisé a été brûlé à partir de la taille vers le bas après avoir rencontré un barrage routier et même s’il a tenté de fuir, les hommes ont lancé de l’essence dans la cabine et l’ont allumée. […] En dépit de cette violence liée au hartal, le BNP et ses alliés ont prolongé le hartal un cinquième jour, affirmant qu’il n’arrêterait pas jusqu’à ce que sa demande de gouvernement intérimaire soit satisfaite.

[63]  La SI a abordé la situation en janvier 2015 : [traduction]

[68] À l’anniversaire des élections de janvier 2014, le BNP a appelé à un autre hartal, cette fois d’une durée indéterminée, puisqu’il a continué d’exiger la réinstallation du système de gouvernement intérimaire. Le 29 janvier 2015, Amnistie internationale a signalé que depuis que le BNP avait imposé un blocus des transports, plus d’une vingtaine de personnes avaient été tuées et des centaines, blessées par des cocktails Molotov lancés sur les autobus et les véhicules par des partisans. Amnistie a instamment demandé que le BNP [traduction] « exhorte ses membres et sympathisants à mettre fin à ces actes criminels à caractère politique ... ». […] Le 10 mars 2015, le bilan s’élevait à au moins 115 personnes tuées, dont 60 avaient été brûlées vives. […] Au début d’avril 2015, la perte économique due à ce hartal était estimée à 49 milliards de dollars (630 millions de taka) ou 0,6 pour cent du produit intérieur brut du pays. […] On ne peut déduire de la preuve le moment où le hartal s’est terminé, mais il a duré au moins trois mois.

[64]  La SI a examiné l’argument du demandeur voulant que seuls des membres [traduction« radicaux » ou « corrompus » du BNP se livraient à des actes de violence et qu’ils le faisaient sans l’aval du BNP. La SI a cependant conclu que rien ne démontrait que seuls des membres « radicaux » ou « corrompus » commettaient des actes de violence, au vu des éléments de preuve :

[69] M. Kamal argue que seuls des membres [traduction] « radicaux » ou « corrompus » du BNP se livraient à des actes de violence et qu’ils le faisaient sans la « bénédiction » du BNP. On ne peut donc déduire de cette déclaration que le BNP était une organisation se livrant au terrorisme.

[70] Rien ne démontre que les actes de violence commis n’étaient que le fait de membres « radicaux » ou « corrompus ». Ce que les éléments de preuve démontrent, c’est que le BNP a bel et bien accordé sa « bénédiction » au recours à la violence parce qu’il a continué à en appeler aux hartals malgré que de le faire ouvrait la porte à des actes de violence commis par les membres du BNP, des partisans ou d’autres. La BNP a continué à utiliser les hartals comme un moyen de pression et, même au milieu de la violence découlant des hartals, le BNP les a en fait prolongés.

[71] M. Berger a tenté de soutirer des éléments de preuve de M. Kamal afin de démontrer que le BNP n’était pas responsable des actes de violence commis par ses membres, en lui demandant d’estimer le nombre de personnes au Bangladesh qui sont membres de Jubo Dal et du BNP. M. Kamal a estimé ce nombre à 900 000. M. Berger a demandé à M. Kamal s’il pensait que lorsque le BNP demande un hartal, il peut contrôler les actions de ses 900 000 membres. M. Kamal a répondu [traduction] « ce n’est pas possible ». S’il n’était pas possible que le BNP contrôle ses 900 000 membres, et qu’un appel à l’hartal était devenu synonyme d’appel à la violence, cela m’amène à croire que le BNP est encore plus responsable d’avoir déclenché cette violence de masse incontrôlable.

[72] Il existe des éléments de preuve que Khaleda Zia a dénoncé la violence entourant les hartals, mais manifestement, elle ne l’a fait que dans la mesure où elle [traduction] « a continué à rejeter le blâme entièrement sur les membres de la Ligue Awami en dépit d’allégations crédibles selon lesquelles des membres de son propre parti étaient impliqués dans ces attaques ». [...]

[65]  Comme il ressort de ce qui précède, la SI a également examiné l’argument du demandeur selon lequel le chef du BNP avait dénoncé la violence; mais en se fondant sur le dossier dont elle disposait, la SI a donné à cet argument peu ou pas de poids.

[66]  Le demandeur fait valoir que la définition des activités terroristes énoncée à l’article 83 ne devrait pas être utilisée pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Il invoque l’affaire A.K., où le juge Mosley a déclaré :

[38] Je souscris à la position du demandeur selon laquelle, en se fondant sur la définition d’une activité terroriste du Code criminel, un tribunal administratif qui tranche la question doit être conscient du contexte dans lequel la définition devait être employée. Il faut démontrer hors de tout doute raisonnable l’existence d’une action et d’une omission, ou de plus d’une, comme il est formulé dans la disposition, ainsi que l’élément psychologique requis.

[67]  À mon avis, la décision dans l’affaire A.K. n’appuie pas l’argument du demandeur. C’est une chose de parler du contexte dans lequel le droit criminel canadien est adopté. C’en est un autre d’importer des concepts de droit pénal et le fardeau de la preuve du droit pénal aux procédures instruites en application de la LIPR, notamment lorsque l’alinéa 34(1)f) est en cause. Cette dernière éventualité n’est pas permise.

[68]  La question du fardeau de la preuve en application de l’article 34 de la LIPR a été abordée dans l’affaire S.A. par le juge Fothergill qui a confirmé que la jurisprudence établie de longue date enseigne que les principes du droit pénal ne peuvent pas être directement appliqués aux décisions prises en application de la LIPR :

[21]  Dans ses observations écrites présentées à la suite de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire, le demandeur a demandé que trois questions soient certifiées en vue d’un appel :

Lorsqu’elle a déterminé que le demandeur était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, est-ce que la Section de l’immigration était tenue de déterminer si une organisation impliquée dans des actes de terrorisme selon la définition donnée au paragraphe 83.01(1) du Code criminel, L.R.C. (1985, ch. C-46 incluait les éléments de l’intention criminelle ou de la mens rea puisqu’elle avait choisi cette définition?

[…]

[22]  La Cour ne peut certifier une question que si a) elle est permet de trancher l’appel; b) transcende les intérêts des parties au litige; c) vise des sujets très importants ou d’application générale; d) découle de l’affaire elle-même (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 10 à 12; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, inf. pour d’autres motifs 2015 CSC 61; Liyanagamage c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 1637, 176 NR 4).

[23]  En ce qui concerne la première question qui est proposée, il est bien établi que les principes du droit pénal ne s’appliquent pas directement aux décisions administratives prises en application de la LIPR (voir, par exemple, Harkat, Re, 2005 CF 393, au paragraphe 85; Ahani c. Canada, [1996] ACF no 937, au paragraphe 4). La réponse à cette question ne permettrait pas non plus de régler l’appel. Ayant choisi d’appliquer la définition du terme « terrorisme » donnée dans le Code criminel, la Section de l’immigration a ensuite déterminé si le Bangladesh National Party avait le but et l’intention nécessaires lorsqu’il organisait des hartals.

[69]  L’arrêt Ahani c R., [1996] A.C.F. no 937, cité par le juge Fothergill, est une décision de la Cour d’appel fédérale confirmant une décision de la juge McGillis, en application du paragraphe 40.1 de la Loi sur l’immigration, L.C., 1976-1977, ch. 52. La juge McGillis avait conclu que les principes de droit criminel ne s’appliquent pas au renvoi d’une personne dont on avait précédemment jugé qu’elle avait la qualité de réfugié. Cela étant, je ne vois aucune raison d’appliquer les principes de droit criminel au renvoi d’un demandeur d’asile.

[70]  Dans l’affaire Harkat, Re, 2005 CF 393, également invoquée par le juge Fothergill, la juge Dawson (tel était alors son titre) a conclu que les principes et les politiques de droit criminel ne s’appliquent pas au régime de certificats de sécurité en application de la LIPR :

[85]  Un groupe ou une organisation mû par la malveillance tente constamment de monter des opérations. En matière de renseignement de sécurité, les enquêtes ne se terminent donc pas après l’arrestation ou la mise en détention d’un membre du groupe. Au contraire, il s’agit d’enquêtes qui s’inscrivent dans la durée et qui sont appelées à se poursuivre. C’est là un des principaux facteurs permettant de distinguer les enquêtes de renseignement des enquêtes criminelles. On ne se trouve pas, en outre, face à une « infraction » qui permettrait de bien délimiter l’action des enquêteurs. Voilà pourquoi, entre autres, la Cour a, par le passé, estimé que les principes et les politiques applicables en matière de droit criminel ne s’appliquent pas aux affaires de certificats de sécurité (voir, par exemple, madame la juge McGillis dans l’affaire Ahani, précitée, aux paragraphes 40 et 42), et qu’elle a jugé que la transcription d’écoutes électroniques n’a pas à être divulguée si cela devait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 153 F.T.R. 183.

[71]  En outre, et comme nous l’avons indiqué au début des présents motifs, le fardeau de la preuve à l’égard de conclusions aux termes du paragraphe 34(1) de la LIPR, est codifié à l’article 33 de la LIPR – voir ci-dessous. Ce qui est important, la norme de preuve n’est pas la norme pénale. L’article 33 dispose que la norme de preuve comprend « des motifs raisonnables de croire ». L’article 33 a également été promulgué après le 11 septembre 2001, comme le furent l’article 34 de la LIPR et l’article 83 du Code criminel. Des motifs raisonnables de croire constituent un critère utilisé par la SI; à mon humble avis, c’était le critère approprié et raisonnable :

Interdictions de territoire

Inadmissibility

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[mise en évidence ajoutée]

[Emphasis added]

[72]  A mon humble avis, l’évaluation de la SI et ses conclusions relatives à « se livre au terrorisme » au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, y compris son choix de norme de preuve, se justifient au regard du dossier et du droit.

D.  La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le BNP se livrait à « la subversion par la force » ou en était l’instigateur aux termes de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR?

[73]  J’aborde cette question parce que les parties l’ont soulevée. La question est de décider si le BNP est « l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » au sens de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR. Je ne me pencherai cependant pas sur cette question. Il n’est pas nécessaire d’invoquer une décision en application de l’alinéa 34(1)b) pour appuyer la décision d’interdiction de territoire rendue en application de l’alinéa 34(1)f) compte tenu de la décision que la SI a rendue en application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. La SI a conclu qu’il y avait « juste assez » de preuve pour décharger le ministre de son fardeau de la preuve à cet égard. La SI a déclaré que sa décision [traduction] « reposait principalement » sur la constatation que le BNP s’était livré au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. Comme il n’y a aucune obligation d’examiner cette question, je décline respectueusement de le faire.

VI.  Question à certifier

[74]  Les deux parties ont proposé des questions aux fins de certification.

[75]  Le demandeur a proposé :

Est-ce qu’un parti politique se livre au terrorisme ou à la subversion par la force en appelant à la grève ou à la désobéissance civile sans encourager la violence lorsque la violence survient par la suite?

[76]  Le défendeur a proposé :

Est-ce qu’un groupe ou individu qui appelle à une grève générale ou un hartal ou les tolère comme moyen de contraindre un gouvernement, ce qui, de façon prévisible aboutit fréquemment à la violence, est considéré comme ayant participé à des actes de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR ?

[77]  À mon avis, aucune question de portée générale n’est soulevée. Pour commencer, c’est un truisme de dire que tous les cas comme celui dont notre Cour est présentement saisie sont tranchés en fonction du dossier dont le tribunal dispose. Ces deux questions font précisément référence aux faits consignés dans le dossier dont disposait la SI. En outre, la question proposée par le demandeur ne permet pas de saisir les faits déterminants dans l’affaire, comme il y est fait référence dans les présents motifs. La question du défendeur touche des faits non établis par la SI, et semble demander à notre Cour de transformer la présente instance en renvoi d’initiative privée.

[78]  Il me semble que les questions proposées demandent essentiellement à la Cour d’appel fédérale de rendre une sorte de décision exécutoire à savoir si les alinéas 34(1)b) et c) s’appliquent au BNP d’après les faits de la présente affaire.

[79]  Par conséquent, je refuse respectueusement de certifier une question.

VII.  Conclusion

[80]  Puisqu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, cet aspect du contrôle judiciaire doit être rejeté. En ce qui a trait à la question du caractère raisonnable de la décision de la SI, en prenant du recul et en examinant la décision comme un tout, je ne peux conclure que le demandeur a établi que les conclusions de la SI sont déraisonnables. Les motifs sont justifiables, intelligibles et transparents. De plus, si l’on suit les enseignements de l’arrêt Dunsmuir, la décision appartient à la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la contestation fondée sur des allégations déraisonnables est rejetée.

Je dois ajouter qu’au début de l’audience, le demandeur a indiqué que l’une de ses tâches consistait à [traduction] « changer d’avis », un commentaire fait en référence à l’affaire Gazi. Comme je l’ai dit à ce moment, ce n’est pas la question. La question est plutôt de savoir si la décision de la SI est raisonnable et si les procédures suivies étaient justes dans les circonstances de l’espèce. J’ai dit que je n’ai pas rendu de conclusion « globale » à l’égard des questions déterminantes soulevées dans l’affaire Gazi. Je n’en rends pas non plus aujourd’hui. La présente décision est fondée sur le dossier dont notre Cour disposait.

[81]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3493-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3493-17

 

INTITULÉ :

MD MOSTOFA KAMAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Max Berger

 

Pour le demandeur

 

Alex Kam

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger

Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

 

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