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Date : 20180406


Dossier : IMM-3234-17

Référence : 2018 CF 372

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2018

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

ARZU OZKOSE,

ALARA GUMRUKCU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a rejeté la demande d’asile des demandeurs principalement pour des raisons de crédibilité.

II.  Résumé des faits

[2]  Les demandeurs ont affirmé avoir été victimes de persécution en Turquie en raison du profil politique, ethnique et religieux de la demanderesse principale et du profil politique de son époux. Plus précisément, la demanderesse invoque son origine ethnique kurde et ses convictions religieuses alévies, ainsi que les actions politiques de son époux et d’elle-même en tant qu’opposants au régime actuel.

[3]  La demanderesse a déclaré avoir été placée en détention et menacée à plusieurs reprises par les autorités, et avoir été battue et agressée sexuellement lorsqu’elle était détenue.

[4]  Dans la décision de la Section de la protection des réfugiés, le commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et que son histoire était en grande partie inventée. À de nombreuses reprises, la demanderesse n’a pas fourni les détails relatifs à un événement allégué, prétextant qu’elle pourrait les présenter ultérieurement.

[5]  Après avoir conclu que la demanderesse manquait de crédibilité, le commissaire a indiqué ce qui suit au sujet des éléments de preuve documentaire :

[traduction]

[127]  Le tribunal accepte la déclaration faite par la demanderesse au paragraphe 3 du formulaire Fondement de la demande d’asile, à savoir que de nombreux membres de la communauté alévie, incluant des membres de sa famille, ont été assassinés dans les années 1980 par la milice paramilitaire de droite soutenue par le gouvernement. La définition de réfugié est orientée vers l’avenir. Le tribunal conclut que les éléments de preuve présentés ne sont pas suffisamment crédibles et dignes de foi pour conclure que la demanderesse ou sa fille étaient la cible des autorités avant la tentative de coup d’État ou que la demanderesse pourrait être ciblée et persécutée par les autorités en raison de ses origines kurdes, de ses convictions religieuses alévies ou pour toute autre raison.

[128]  Le tribunal a conclu que la demanderesse n’était généralement pas crédible. Dans la décision Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, aux paragraphes 7 et 8, la Cour a conclu que les préoccupations de la Commission concernant la crédibilité ou la fiabilité des éléments de preuve d’un demandeur l’amenaient parfois à douter de l’essence même de la demande. La Cour a conclu que dans ces circonstances, la Commission n’avait pas besoin d’examiner les éléments de preuve concernant la situation générale du pays pour décider si la demande était fondée : Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, aux paragraphes 7 et 8.

[129]  Dans la décision Ozbay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 674, la Cour a conclu que les éléments de preuve documentaire généraux, face à une version des faits qui n’était pas crue, ne suffisaient pas pour changer la situation. Le tribunal conclut que ces principes sont applicables en l’espèce. Selon le tribunal, la demanderesse a inventé plusieurs fois, tout au long de sa demande, des allégations importantes au sujet des forces de l’ordre et de mauvais traitements qu’elle aurait subis. Cette invention constante d’éléments de preuve importants amène le tribunal à douter de l’essence même de la demande. Il revient à la demanderesse de présenter des éléments de preuve crédibles et dignes de foi afin d’étayer sa demande et d’établir un lien plausible avec les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle s’appuie. Dans les deux cas, le tribunal conclut que la demanderesse n’y est pas parvenue.

[6]  La demanderesse a soutenu que 1) les conclusions portant sur la crédibilité étaient déraisonnables et sans perspective, et que 2) le refus de tenir compte de la situation du pays constituait une erreur de droit et était par ailleurs déraisonnable.

III.  Analyse

[7]  La norme de contrôle de cette décision mixte de droit et de fait est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190). Sur la question du refus d’examiner la situation du pays, la demanderesse a également présenté un argument purement juridique en affirmant que le commissaire avait commis une erreur de droit en s’appuyant sur certaines décisions.

A.  Crédibilité

[8]  Aux fins du présent contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire de présenter chaque conclusion de fait étayant le manque de crédibilité. Seuls quelques exemples suffiront.

En guise de conclusion générale, le commissaire a abordé chaque allégation et, sur la foi d’une justification convaincante et pertinente, a rejeté les éléments de preuve au motif qu’ils n’étaient pas crédibles ou n’avaient pas un poids important.

[9]  Le commissaire a par exemple accordé peu de poids aux rapports d’expertise médicale puisqu’ils s’appuyaient sur des faits qui, selon lui, n’étaient pas crédibles.

[10]  Le commissaire a relevé, dans le formulaire Fondement de la demande d’asile rempli par la demanderesse, de nombreuses contradictions et omissions qui ont remis en cause la présomption de véracité. Il s’agissait d’incohérences quant au nombre d’arrestations dont la demanderesse aurait fait l’objet, ainsi que d’omissions importantes dans ses allégations portant sur une prétendue connivence des musulmans fanatiques avec la police, ses allégations de persécution religieuse, ses allégations relatives aux interrogatoires de la police et ses allégations quant à son profil sur les médias sociaux.

[11]  Tenant compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la Section de la protection des réfugiés n’a pas accepté les explications de la demanderesse quant à son omission d’un viol présumé dans son formulaire Fondement de la demande d’asile.

[12]  La Section de la protection des réfugiés n’a accordé que peu de poids, entre autres, à un [traduction] « témoignage d’un suspect » et à une citation à comparaître, puisque la provenance de ces documents ne pouvait être établie.

[13]  Cette décision détaillée et complète a également abordé plusieurs autres éléments semblables.

[14]  La demanderesse aimerait que la Cour évalue après-coup les conclusions de la Section de la protection des réfugiés qui a pu entendre les témoignages, voir le témoin et examiner en détail les éléments de preuve présentés. Les motifs de la Section de la protection des réfugiés étaient logiques, pertinents, exhaustifs et équitables. Rien ne justifie l’intervention de la Cour.

B.  Situation du pays

[15]  La demanderesse soutient que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte, à tort, des documents sur la situation du pays qui indiquent que les alévis d’origine kurde sont la cible de discrimination et de persécution en Turquie. Elle prétend que la Section de la protection des réfugiés aurait dû examiner la situation du pays dans le cadre de son analyse prospective des risques auxquels pourrait faire face la demanderesse, en dépit des conclusions défavorables quant à la crédibilité de cette dernière.

[16]  La jurisprudence n’appuie pas les prétentions de la demanderesse. Aux paragraphes 2 et 3 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, 384 NR 163, la Cour d’appel fédérale a présenté de la façon suivante l’obligation d’examiner la situation du pays malgré les conclusions défavorables quant à la crédibilité :

[2]  Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : Lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit-elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[3]  À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[17]  Au paragraphe 31 de la décision Fernando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1349, 153 ACWS (3d) 958, le juge Blais a résumé la question de la façon suivante :

[L]e facteur clé pour établir s’il est nécessaire pour la Commission d’apprécier la preuve documentaire dont elle est saisie, même si le demandeur d’asile est jugé ne pas être digne de foi, sera la nature de cette preuve de même que son lien avec la demande d’asile.

[18]  Cette même approche générale a été utilisée dans des décisions telles que Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, 127 ACWS (3d) 528, et Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 548, 202 ACWS (3d) 806.

[19]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés n’a pas fait fi des éléments de preuve documentaire ni des allégations de dommage éventuel, comme il ressort clairement du paragraphe 127 de la décision de la Section de la protection des réfugiés, précitée. Au paragraphe 129, la Section de la protection des réfugiés a abordé la nécessité d’établir un lien entre la situation véritable de la demanderesse et la situation du pays.

[20]  Il appartient à la demanderesse de démontrer l’existence d’un tel lien, ce qu’elle n’a pas fait. Les alévis d’origine kurde ne sont pas tous victimes de persécution ou de sévices corporels; la Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse n’en avait pas été victime par le passé. Bien que certains alévis d’origine kurde aient été victimes de mauvais traitements, la demanderesse n’a pu établir pourquoi elle encourrait ce risque à l’avenir si elle n’en a jamais été victime. La seule façon d’établir le lien serait de croire au récit de la demanderesse, mais elle n’a pas réussi à établir qu’il était crédible.

[21]  Par conséquent, la proposition juridique de la demanderesse est erronée et les faits ne confirment pas qu’elle serait victime de persécution, comme elle le prétend, parce qu’elle est alévie d’origine kurde.

IV.  Conclusion

[22]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3234-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3234-17

 

INTITULÉ :

ARZU OZKOSE, ALARA GUMRUKCU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

James Lawson

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Hillary Adams

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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