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Date : 20180322


Dossier : IMM-3974-17

Référence : 2018 CF 326

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 mars 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ANASTASIA POPOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Anastasia Popova, demande le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de permis d’études. Pour les motifs suivants, j’accueille la présente demande.

II.  Résumé des faits

[2]  Mme Popova est une citoyenne russe. Sa première demande de permis d’études a été acceptée en 2012, elle a donc fréquenté le Seneca College pendant deux ans pour y étudier l’anglais. En 2014, elle a intégré le Centennial College, pour s’inscrire à un programme de trois ans en [traduction] Gestion des communications publicitaires et marketing. Au cours de ses études au Centennial College, elle est tombée enceinte et a donné naissance à sa fille en août 2015. Elle a ainsi mis fin à ses études au Centennial College et en décembre 2015, son statut d’étudiante a été changé en statut de visiteuse, valide jusqu’au 6 juillet 2017.

[3]  En 2016, Mme Popova s’est inscrite à nouveau au programme du Centennial College et a déposé sa deuxième demande de permis d’études. Cette demande a été rejetée par voie de lettre en décembre 2016 (rejet de 2016). Les notes informatiques sous-jacentes à ce rejet de 2016 sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

Femme célibataire de 22 ans ressortissante russe; a une fille née au Canada le 17 août 2015; la demanderesse principale est initialement entrée au Canada avec un permis d'études du 18 novembre 2012 au 30 novembre 2016; elle a étudié au Seneca CAAT, à Toronto jusqu’en septembre 2014; elle a fréquenté le Centennial College jusqu’en janvier 2016; elle s’est vu accorder sa demande de visiteur pour accompagner son nouveau-né jusqu’au 6 juillet 2017; désire maintenant reprendre ses études et soumets une lettre du Centennial College confirmant sa réadmission au programme du diplôme d’études postsecondaires avancées en Communication publicitaire et marketing d’une durée de 3 ans; la date prévue d’obtention du diplôme est en décembre 2017; frais de scolarité s’élevant à 6 792 $ CAN par semestre; soumis des fonds personnels de 9 970 $ CAN le 7 novembre 2016; ses parents en Russie détiennent toutes leurs économies dans un compte bancaire; la DP doit avoir au moins 26 584 $ pour payer les frais de scolarité de la première année, ainsi que les frais de subsistance/transport pour elle-même et son enfant; critères R220 ne sont pas respectés; demande rejetée.

[4]  Après le rejet de 2016, Mme Popova a perdu la place qu’elle avait au sein du programme du Centennial College. Elle a ensuite fait une demande et a été acceptée dans un programme semblable au Humber College, au début du mois de septembre 2017. Le 6 juillet 2017, tout juste avant l’expiration de son visa de visiteuse, Mme Popova a déposé sa troisième demande de permis d’études, accompagnée de plusieurs documents visant à répondre aux préoccupations financières qui avaient mené au refus de 2016.

[5]  La troisième demande de permis d’études de Mme Popova a été rejetée plusieurs semaines plus tard, soit le 28 août 2017 (rejet de 2017). L’agent des visas décideur (agent) a conclu que Mme Popova n’avait pas été en mesure d’établir qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agent a indiqué que trois facteurs ont été évalués avant de tirer cette conclusion : i) le statut d’immigration de Mme Popova dans son pays de résidence, ii) ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, et iii) le but de sa visite. Dans la section [traduction] « Autres raisons », l’agent a ajouté : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous ayez réellement suivi un cours ou un programme d’études au Canada alors que vous déteniez un permis d’études. »

[6]  Les notes informatiques de l’agent accompagnant le refus de 2017 sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

Demande de visiteur expirée le 6 juillet 2017. Aucune preuve valide de statut d’immigration Can. La demanderesse principale est célibataire avec une enfant née au Canada en 2015. Détenu permis d'études pendant 4 ans jusqu’en 2016, pour fréquenter un programme ALS/BA au Seneca College à Toronto. Selon les renseignements contenus dans la demande, elle a fréquenté le Seneca College puis le Centennial College. Preuve insuffisante d’études antérieures/de progrès académique au Canada. Selon les observations, je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale ait réellement suivi un cours ou un programme d’études durant sa visite au Canada en vertu du permis d'études. Tout bien pesé, je ne suis pas convaincu qu’elle soit une résidente temporaire [sic] et qu’elle quittera le Canada à la fin de la période autorisée.

III.  Analyse

[7]  Mme Popova soutient que l’agent a appliqué un critère juridique inapproprié, n’a pas tenu compte des éléments de preuve, a fourni des motifs inadéquats et ne lui a pas donné la possibilité de dissiper ses doutes.

[8]  Je conclus que la question d’équité procédurale soulevée par Mme Popova, devant être évaluée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 49), est persuasive et décisive dans cette demande : l’agent a eu tort de ne pas offrir à Mme Popova une possibilité de dissiper ses doutes à propos de ses études antérieures au Canada. Ma conclusion sur la question d’équité procédurale est tirée des circonstances particulières de la situation de Mme Popova que j’expliquerai maintenant.

[9]  Le rejet de 2016 se fondait sur la situation financière de Mme Popova, sans aucune indication que ses études antérieures soulevaient un doute quelconque. Sa demande ultérieure a abordé les questions financières qui avaient mené au rejet de 2016. Cependant, comme l’admet le défendeur, l’historique des études antérieures de Mme Popova était la question décisive du refus de 2017 — c’est sur ce fondement que l’agent a conclu qu’elle n’était pas une véritable étudiante. Les motifs du rejet de l’agent énonçaient : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous ayez activement suivi un cours ou un programme d’études alors que vous déteniez un permis d’études. » Les notes informatiques connexes concluaient que : [traduction] « Tout bien pesé, je ne suis pas convaincu qu’elle soit une résidente temporaire [sic] et qu’elle quittera le Canada à la fin de la période autorisée. »

[10]  Il est vrai que les exigences en matière d’équité procédurale s’appliquent de manière moins rigoureuse dans le contexte des demandes de visa (Maklakov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 242, au paragraphe 15). Il incombe aux demandeurs de prouver le bien-fondé de leur preuve, et l’agent des visas n’est pas tenu de leur fournir un « décompte du pointage » des faiblesses ni de les aviser des doutes soulevés conformément aux exigences législatives (voir Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au paragraphe 37; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24 [Hassani]).

[11]  Cependant, malgré le fait que l’obligation d’équité soit moins stricte dans le cas des permis d’études, elle subsiste néanmoins. Il existe des circonstances où un agent des visas est tenu d’informer un demandeur des doutes soulevés par sa demande, même si ces doutes proviennent de la propre preuve du demandeur (Rukmangathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 284, aux paragraphes 22 et 23, précité dans Hassani, au paragraphe 23). C’est le cas en l’espèce. Compte tenu des conclusions du rejet de 2016, je conclus que Mme Popova n’avait aucune raison de croire que ses antécédents d’études seraient fatals à sa nouvelle demande; elle devrait donc avoir eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent.

[12]  Enfin, je note que les faits qui m’ont été présentés sont semblables à ceux dans la décision Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 522 [Gu], dans lequel la demande de permis d’études de Mme Gu avait également été rejetée en partie, parce qu’elle n’avait pas suivi d’études en application des permis d’études émis antérieurement. Le juge Mainville a annulé la décision pour cause de violations de l’équité procédurale, selon les motifs suivants :

[22]   Dans les notes du STIDI, l’agent a dit croire que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait terminé des études au Canada en vertu de permis d’études délivrés antérieurement ou qu’elle avait travaillé au Canada en vertu de permis de travail qui lui avaient été délivrés. En fait, si la demanderesse avait utilisé des permis de travail ou d’études à d’autres fins, cela pouvait certainement susciter des doutes valides quant à son engagement de quitter le Canada à l’expiration du nouveau permis d’études dont elle faisait la demande.

[23]   Cependant, ces permis antérieurs avaient été délivrés et renouvelés par les autorités canadiennes de l’immigration, et rien ne prouve que la demanderesse n’a pas respecté la Loi et le Règlement. Comme la question de savoir si la demanderesse s’est conformée par le passé aux exigences dont les permis étaient assortis n’a jamais été soulevée, je conviens avec la demanderesse que l’agent aurait dû l’informer s’il entretenait des doutes à cet égard et qu’il aurait dû lui donner la possibilité de dissiper ceux-ci. Ainsi que le juge Beaudry l’a fait remarquer dans l’affaire Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, paragraphe 35 :

La loi ne prévoit pas de droit à une entrevue Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 151 F.T.R. 1, 79 A.C.W.S. (3d) 140, au paragraphe 28). Cependant, l’équité procédurale exige qu’un demandeur se voie donner l’occasion de dissiper les doutes d’un agent en certaines circonstances. Lorsque l’agent ne s’appuie sur aucune preuve extrinsèque, il n’apparaît pas clairement quand il est nécessaire de faire une entrevue avec le demandeur ou de lui accorder un droit de répondre. Pourtant, la jurisprudence donne à penser qu’il existe un droit de réponse en certaines circonstances.

[...]

[25]   Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où l’agent avait des doutes quant à la demande dont il avait été saisi. L’agent entretenait des doutes quant à des demandes et des permis antérieurs. Compte tenu de ces circonstances, la demanderesse avait le droit de se voir offrir l’occasion de dissiper ces doutes dont elle n’aurait pas pu raisonnablement prévoir l’intérêt pour l’agent. Étant donné que la demande sera renvoyée à un autre agent des non-immigrants pour nouvel examen, la demanderesse sait maintenant parfaitement qu’elle doit dissiper ces doutes auprès du nouvel agent.

[Non souligné dans l’original.]

[13]  Le défendeur fait remarquer à juste titre que les modifications 2014 apportées au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) soulignent qu’il est important qu’un détenteur de permis d’études poursuive activement ses études. Je suis également conscient du fait que l’affaire Gu précède ces modifications.

[14]  Cependant, l’affaire Gu continue d’être citée pour la proposition d’une entrevue pouvant être requise dans les cas de demandes de visas d’étudiants où un agent s’est formé une opinion qui n’aurait pu être anticipée par le demandeur (voir Cayanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1046, au paragraphe 12). Je juge que ce principe s’applique aux faits particuliers en l’espèce, étant donné que les études antérieures de Mme Popova ne posaient aucun problème pour le deuxième agent des visas — qui a analysé sa demande en 2016 à la suite des modifications apportées au Règlement — mais représentaient la principale préoccupation de l’agent ayant rejeté sa demande subséquente.

[15]  En outre, je souligne en passant que les conclusions de l’agent relativement aux études de Mme Popova sont elles-mêmes discutables. Les éléments de preuve indiquent que Mme Popova a poursuivi ses études à compter de 2012 jusqu’à ce qu’elle donne naissance à son enfant en août 2015. Peu après son accouchement, et compte tenu des circonstances, elle a, de façon proactive, changé son statut pour un statut de visiteuse.

[16]  Les commentaires de l’agent selon lesquels Mme Popova a [traduction] « détenu un permis d'études pendant 4 ans jusqu’en 2016 pour fréquenter un programme ALS/BA au Seneca College à Toronto » étaient ainsi erronés, et peuvent laisser entendre une erreur dans l’interprétation des éléments de preuve démontrant si Mme Popova avait activement suivi des études alors qu’elle détenait un statut d’étudiante. De toute évidence, le fait qu’elle ait changé de façon proactive son statut pour indiquer qu’elle n’était plus aux études laisse entendre sa bonne foi pour demeurer en règle, plutôt qu’une non-conformité, ce qui a encore une fois été le fondement du rejet de 2017.

IV.  Conclusion

[17]  Pour les motifs énoncés, la demande de Mme Popova est accueillie.

V.  Question à certifier

[18]  À l’audience, le défendeur a présenté la question suivante aux fins de certification :

Lors de l’analyse d’une demande de permis d’études, un agent peut-il tenir compte des études antérieures au Canada d’un demandeur conformément à l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés afin d’évaluer la conformité anticipée?

[19]  Je ne certifierai pas cette question, puisqu’elle n’est pas déterminante pour la demande (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9). Effectivement, le défendeur a admis que la question proposée ne serait pas pertinente si cette demande était évaluée sur la base de l’équité procédurale, comme cela a été le cas. De plus, je crois que cette question est abordée dans la jurisprudence, y compris dans les paragraphes précités dans l’affaire Gu, et pour cette seule raison, il ne convient pas de la certifier (voir Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 39).

VI.  Les dépens

[20]  Mme Popova demande que les dépens lui soient accordés. En application de la règle 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, les dépens ne seront pas accordés en l’espèce, puisque la demande de Mme Popova ne constitue pas une « raison spéciale ». Le défendeur soutient qu’il n’en existe pas. Le seuil pour l’adjudication des dépens pour « raisons spéciales » est élevé (Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1104, au paragraphe 38). Les dépens ne sont pas justifiés en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3974-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

  3. Aucuns dépens ne sont accordés.

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3974-17

 

INTITULÉ :

ANASTASIA POPOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Leo Rayner

 

Pour la demanderesse

 

Margherita Braccio

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legally Canadian

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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