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Date : 20180404


Dossier : IMM-4234-17

Référence : 2018 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ESTHER OBIAJULU ODIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Odia, est âgée de 53 ans et est citoyenne du Nigéria. Elle a obtenu un visa pour voyager au Canada en juin 2016 en vue d’assister au mariage d’un ami et de rendre visite à sa sœur, laquelle est citoyenne canadienne. Pendant son séjour au Canada, la demanderesse soutient qu’elle a accidentellement envoyé un courriel romantique et sexuellement explicite qui s’adressait à sa partenaire de même sexe à son cousin au Nigéria, qui l’a dénoncée et a fait part de son orientation sexuelle à d’autres membres de la famille. Elle affirme que son époux l’a menacée et qu’elle serait soumise à un rituel de purification si elle devait retourner au Nigéria. Elle ajoute que, si le rituel de purification devait échouer, sa famille la dénoncerait à la police et elle serait passible de sanctions pénales pour sa bisexualité.

[2]  Après la révélation de son orientation sexuelle au Nigéria, la demanderesse a fait une demande d’asile en remplissant un formulaire Fondement de demande d’asile (FDA) daté du 13 octobre 2016. Cependant, dans une décision datée du 15 février 2017, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande d’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés a conclu que la crédibilité de la demanderesse était compromise, puisqu’elle n’a pas été en mesure de bien expliquer la raison pour laquelle il n’y avait aucune mention d’allégations de rituel de purification dans son formulaire FDA, et que son témoignage sur certaines questions importantes, comme ses sentiments lorsqu’elle a pris conscience de son orientation sexuelle et du danger auquel elle et les membres de sa famille seraient exposés, n’était ni fiable ni spontané, et était changeant et contradictoire. La demanderesse a porté la décision de la Section de la protection des réfugiés en appel devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR et, dans une décision datée du 11 septembre 2017, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés, aux termes de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel des réfugiés et de renvoyer l’affaire afin qu’elle soit réexaminée par un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés.

[3]  La norme de contrôle applicable à une décision de la Section d’appel des réfugiés est la norme de la décision raisonnable (voir : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica]). Par conséquent, la Cour doit se garder d’intervenir si la décision de la Section d’appel des réfugiés est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[4]  Selon la demanderesse, l’évaluation effectuée par la Section d’appel des réfugiés de sa crédibilité était déraisonnable. La demanderesse affirme qu’il n’était pas raisonnable que la Section d’appel des réfugiés juge que l’erreur commise par la Section de la protection des réfugiés, en rejetant les photocopies de captures d’écran de divers messages textes, n’était pas fatale pour la décision de la Section de la protection des réfugiés. Selon la demanderesse, il était déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de conclure, comme l’a fait la Section de la protection des réfugiés, qu’elle avait fait une omission importante dans son formulaire FDA en ne fournissant aucun détail sur la persécution alléguée à laquelle elle ferait face concernant le rituel de purification, si elle devait retourner au Nigéria. La demanderesse ajoute qu’il était déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de ne pas tenir compte des lettres du centre communautaire du 519, rue Church.

[5]  Après examen de la décision de la Section d’appel des réfugiés, je ne vois aucun fondement justifiant l’intervention de la Cour. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a précisé et établi de façon appropriée son rôle eu égard à l’arrêt Huruglica (au paragraphe 103), soit d’examiner la décision de la Section de la protection des réfugiés selon la norme de la décision correcte, y compris la question de la crédibilité, et d’effectuer sa propre analyse du dossier afin de déterminer si la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur. La Section d’appel des réfugiés a jugé de façon raisonnable que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas joui d’un avantage dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse, puisque la Section d’appel des réfugiés a été en mesure d’écouter et de comprendre l’enregistrement de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, et d’examiner les conclusions de la Section de la protection des réfugiés dans ses motifs (voir Huruglica, au paragraphe 70).

[6]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés en matière de crédibilité étaient raisonnables. Il n’était pas déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de conclure que la crédibilité de la demanderesse avait été gravement minée, non seulement en raison de l’omission importante dans son formulaire FDA quant aux détails de la persécution alléguée concernant le rituel de purification, mais aussi en raison de son témoignage changeant et contradictoire sur des questions importantes, comme ses sentiments lorsqu’elle a pris conscience de son orientation sexuelle et du danger auquel elle et les membres de sa famille seraient exposés. Il est admis que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’endroit des conclusions de crédibilité (voir : Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, au paragraphe 14, 176 ACWS (3d) 505). Comme l’a souligné la Cour dans la décision Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291 :

[11]  En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[7]  Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse qui affirme qu’il était déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de conclure que l’erreur commise par la Section de la protection des réfugiés, en rejetant les photocopies de captures d’écran de divers messages textes, n’a pas été fatale pour la décision de la Section de la protection des réfugiés. Même si ces messages portent bien directement sur la question de l’orientation sexuelle de la demanderesse, la crédibilité de son affirmation à cet égard n’était pas le fondement sur lequel s’est appuyé la Section d’appel des réfugiés pour rejeter l’appel. Les messages rejetés par la Section de la protection des réfugiés n’expliquaient pas l’omission dans le formulaire FDA de la demanderesse des menaces et mauvais traitements qu’elle craignait si elle devait retourner au Nigéria, ni ne justifiaient son témoignage changeant et contradictoire, et il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure que la demande de la demanderesse n’aurait pas été reçue différemment en dépit de l’erreur de la Section de la protection des réfugiés à cet égard.

[8]  Je suis également en désaccord avec la demanderesse qui affirme qu’il était déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de ne pas tenir compte des lettres du centre communautaire du 519, rue Church. Le caractère raisonnable d’une décision de la Section d’appel des réfugiés ne peut normalement être contesté lors d’un contrôle judiciaire en invoquant une question qui ne lui a pas été soumise. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Abdulmaula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 14, [2017] ACF no 3 :

[15]  Le problème que soulève cet argument est qu’il n’a jamais été présenté à la SAR. Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c R. K., 2016 CAF 272, au paragraphe 6, [traduction] « le caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel ne peut normalement être contesté en invoquant une question qui ne lui a pas été soumise lorsque, comme en espèce, la nouvelle question qui a été soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire concerne l’expertise ou les attributions spécialisées de la Section d’appel (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 aux paragraphes 23 à 25). » L’arrêt Huruglica de la Cour d’appel fédérale est au même effet, au paragraphe 79.

[16]  Étant donné l’argument selon lequel le rapport de 2015 du HCR devait être réputé faire partie du dossier n’a pas été invoqué devant la SAR, il ne peut fonder avec succès une demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[9]  Dans son appel devant la Section d’appel des réfugiés, la demanderesse ne s’est pas opposée à la décision de la Section de la protection des réfugiés d’accorder peu de poids aux lettres d’appui et aux photographies. En conséquence, il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés n’aborde pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés à ce sujet.

[10]  En conclusion, j’estime que la Section d’appel des réfugiés a examiné de façon raisonnable la décision de la Section de la protection des réfugiés, et a mené sa propre analyse du dossier dont elle disposait. Il était raisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de conclure qu’il y avait une omission importante dans le formulaire FDA, laquelle n’a pas été suffisamment expliquée par la demanderesse, et que sa crédibilité a été gravement minée par son témoignage changeant et contradictoire. Les motifs soulevés par la Section d’appel des réfugiés pour rejeter l’appel de la demanderesse sont transparents et intelligibles, et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[11]  Puisqu’aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4234-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4234-17

 

INTITULÉ :

ESTHER OBIAJULU ODIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

Pour la demanderesse

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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