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Date : 20180323


Dossier : IMM-3717-17

Référence : 2018 CF 332

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SHYAMOL CHANDRA DEBNATH,

MALA PAUL ET

DIPANJALI DEBNATH HRIDI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration principal (l’agent), par laquelle il a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par les demandeurs en application du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Comme je l’explique dans les motifs de décision qui suivent, j’ai conclu que la présente demande doit être rejetée, parce que les demandeurs se présentent à la Cour en n’étant pas sans reproche et, subsidiairement, parce que l’appréciation des éléments de preuve faite par l’agent était raisonnable.

Résumé des faits

[3]  Les demandeurs, Shyamol Chandra Debnath (le demandeur principal), sa femme Mala Paul (la demanderesse), et leur fille de 7 ans, Dipanjali Debnath Hridi (la demanderesse mineure), sont des citoyens du Bangladesh. Ils sont arrivés au Canada le 26 mai 2013 et ont demandé l’asile en qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile dans une décision datée du 22 octobre 2013, la crédibilité étant la question déterminante. Le 12 mars 2014, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés. Le renvoi des demandeurs était prévu le 17 septembre 2014. Ils ont présenté une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux, requête qui a été rejetée le 16 septembre 2014. Les demandeurs ne se sont pas présentés en vue de leur renvoi, et un mandat d’arrestation visant les demandeurs a donc été délivré et exécuté le 18 juillet 2016. Au moment de leur renvoi prévu, les demandeurs n’étaient pas autorisés à présenter une demande d’ERAR. Ils ont présenté une demande d’ERAR le 28 juillet 2016. L’agent a rejeté la demande dans une décision datée du 11 avril 2017, suivie d’un addenda daté du 1er juin 2017.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  L’agent a souligné que les demandeurs affirment craindre d’être persécutés au Bangladesh par le Jamaat-e-Islami (le Jamaat) et le Parti national du Bangladesh, ou de subir un préjudice. Le demandeur principal a déclaré avoir été agressé par cinq personnes le 8 mai 2013. Les agresseurs lui auraient dit qu’ils appartenaient au Jamaat et au Parti national du Bangladesh, qu’ils savaient où il travaillait, qu’ils étaient au courant de sa foi hindouiste, et de sa participation à des activités hindouistes. Un des agresseurs, qui a été identifié comme étant Mizan Rahman par le demandeur principal, a menacé de tuer le demandeur principal et de faire du mal à sa femme et à sa fille s’il ne quittait pas le pays. À la suite de cette agression, les demandeurs ont immédiatement quitté pour Moulvibazar et sont arrivés au Canada le 26 mai 2013.

[5]  L’agent a souligné que la Section de la protection des réfugiés avait indiqué dans sa décision défavorable que la crédibilité était la question déterminante. En rejetant leur demande d’asile, la Section de la protection des réfugiés a souligné diverses incohérences, divergences et contradictions dans le témoignage du demandeur principal et a conclu qu’il n’était pas crédible. Par ailleurs, la Section de la protection des réfugiés a souligné que le demandeur principal avait omis de déclarer l’agression de 2013 à la police et qu’il a quitté le pays immédiatement, malgré son emploi stable, sa vie sociale active et ses nombreux amis et associés. En outre, les demandeurs sont arrivés aux États-Unis le 24 mai 2013 avec un visa de touriste délivré le 10 avril 2013 et ils n’ont pas fait de demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés a conclu que ce comportement était incompatible avec celui de personnes disant craindre avec raison d’être persécutées ou de subir un préjudice dans leur pays d’origine.

[6]  L’agent a conclu que les risques indiqués par les demandeurs dans leur demande d’ERAR étaient essentiellement les mêmes que ceux que la Section de la protection des réfugiés avait évalués. Le demandeur principal a simplement reformulé ses arguments et il n’a pas abordé la question portant sur la crédibilité. L’agent a indiqué que les décisions rendues par la Section de la protection des réfugiés concernant les articles 96 et 97 de la LIPR sont réputées être définitives, sous réserve de nouveaux éléments de preuve montrant que les demandeurs seraient exposés à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait être examiné au moment où la Section de la protection des réfugiés a rendu sa décision. L’agent a conclu qu’une attestation ultérieure de la validité d’un scénario de risque déjà jugé non crédible, dépourvu de tout élément de preuve objectif corroborant, n’aplanit pas les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité et n’établit pas non plus une preuve suffisante de l’existence d’un risque prospectif auquel seraient exposés les demandeurs.

[7]  Les documents présentés par les demandeurs incluaient une lettre d’un ami au Bangladesh. L’agent a conclu que la lettre répétait des événements antérieurs au départ des demandeurs du Bangladesh, décrivait la situation générale dans le pays et précisait qu’il n’était pas sécuritaire pour les demandeurs de retourner au Bangladesh, parce que des terroristes islamistes continuaient à s’intéresser à eux. Même si la lettre était postérieure à la décision de la Section de la protection des réfugiés, elle ne réfutait pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité et ne fournissait pas une preuve objective de l’existence d’un risque prospectif auquel seraient exposés les demandeurs au Bangladesh. L’agent a attribué davantage de poids à la preuve documentaire objective issue d’une recherche indépendante des sources publiques disponibles, laquelle n’appuyait pas les allégations des demandeurs en matière de risques.

[8]  À cet égard, l’agent a examiné les articles de presse fournis par les demandeurs et les rapports sur la situation dans le pays, et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre la situation générale dans le pays et les risques personnels et prospectifs auxquels ils seraient exposés, comme l’exige le paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). En outre, ils n’avaient pas présenté d’éléments de preuve documentaires objectifs étayant l’idée que leur profil au Bangladesh correspondait à celui de personnes exposées à un risque d’être persécutées, à un risque d’être soumises à la torture, ou à une menace à leur vie ou encore au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Les arguments présentés étaient plutôt liés à des conditions auxquelles est exposée la population en général, ou décrivaient des conditions ou des événements précis auxquels font face les personnes qui ne se trouvent pas dans une situation semblable à celle des demandeurs.

[9]  L’agent a cité la preuve documentaire indiquant que le Bangladesh a connu une montée importante des attaques terroristes en 2015, comparativement à l’année 2014, lesquelles ciblent les étrangers, les minorités religieuses, la police, les blogueurs laïques et les éditeurs; il a conclu que, même si le Bangladesh a connu une augmentation des violences extrémistes au cours des quelques dernières années, la preuve indiquait que les cibles de ces attaques étaient des activistes de premier plan et des communautés minoritaires.

[10]  Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, l’agent a conclu qu’il y avait moins qu’une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés s’ils devaient être renvoyés au Bangladesh, et qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire que leurs vies seraient en danger ou qu’ils seraient soumis au risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

[11]  Avant que la décision de l’agent ne soit communiquée aux demandeurs, ces derniers ont retenu les services d’un avocat et présenté des arguments supplémentaires à l’appui de leur demande d’ERAR. Dans l’addenda du 1er juin 2017, l’agent a mentionné les arguments supplémentaires des demandeurs, qui incluaient un affidavit du demandeur principal préparé pour la Cour fédérale dans le dossier IMM-7539-13, son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), des lettres rédigées par des proches au Bangladesh et de longs rapports sur la situation dans le pays et des articles de presse, dont une partie était antérieure à la décision de la Section de la protection des réfugiés. L’agent a conclu que l’affidavit, le formulaire FDA et les lettres des proches n’étaient pas pertinents, puisqu’ils relataient des événements survenus avant que les demandeurs ne quittent le Bangladesh, qu’ils décrivaient la situation générale dans le pays et qu’ils confirmaient que les terroristes islamistes continuaient à s’intéresser aux demandeurs. Même si ces éléments de preuve étaient postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés, ils ne réfutaient pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité et ne fournissaient aucune preuve documentaire objective concernant l’existence d’un risque prospectif auquel seraient exposés les demandeurs. De même, les articles de presse et les rapports sur la situation dans le pays décrivaient les conditions générales au Bangladesh et ils n’étaient pas suffisants pour établir que le profil des demandeurs correspondait à celui de personnes actuellement exposées à la persécution, à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans ce pays. Les arguments étaient liés aux conditions auxquelles est exposée la population en général ou décrivaient des conditions ou des événements précis auxquels font face les personnes qui ne se trouvent pas dans une situation semblable à celle des demandeurs.

Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Les demandeurs soutiennent que les questions en litige sont les suivantes : les conclusions de l’agent sont déraisonnables compte tenu des éléments de preuve présentés; l’agent a omis de justifier ses conclusions, rendant ainsi sa décision déraisonnable; l’agent a commis une erreur en droit en fusionnant les critères juridiques des articles 96 et 97 de la LIPR.

[13]  Le défendeur soulève une question préliminaire soit celle de savoir si la demande des demandeurs devrait être rejetée parce que leur conduite n’est pas sans reproche.

[14]  Je formulerais les questions en litige de la façon suivante :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs devrait-elle être rejetée parce que leur conduite n’est pas sans reproche?
  2. L’agent a-t-il fusionné les critères juridiques des articles 96 et 97 de la LIPR?
  3. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[15]  La norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’agent a fusionné les critères des articles 96 et 97 est celle de la décision correcte (Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166, au paragraphe 17 (Somasundaram); Indrakumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1237, au paragraphe 10). Cette norme n’appelle aucune déférence.

[16]  Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait ou aux conclusions mixtes de fait et de droit de l’agent, y compris les questions relatives au traitement des éléments de preuve, est celle de la décision raisonnable (Chinchilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 265, au paragraphe 13; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 4; Rathnavel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 564, au paragraphe 19; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 (Dunsmuir)). Suivant cette norme, la retenue s’impose face à la décision de l’agent et la Cour interviendra seulement si la décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible ou si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Question 1 : la demande de contrôle judiciaire des demandeurs devrait-elle être rejetée parce que leur conduite n’est pas sans reproche?

[17]  Les demandeurs soutiennent que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une autorisation de contrôle judiciaire, notre Cour a déjà rejeté l’argument du défendeur portant sur la conduite répréhensible des demandeurs soulevé dans la demande d’autorisation. Les demandeurs soutiennent également que la demande de contrôle judiciaire concerne les trois demandeurs et qu’il n’y a aucun fondement qui permettrait à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre la demande afin de punir la demanderesse mineure pour une décision qu’elle n’a pas prise. En outre, l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, 263 DLR (4th) 51 (Thanabalasingham), établit que la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’obligation de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’autre part l’intérêt public à assurer la protection des droits fondamentaux de la personne. Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, la balance penche en leur faveur.

[18]  Le défendeur soutient que les recours offerts dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont discrétionnaires et que la Cour peut refuser d’accorder un recours discrétionnaire en raison de la conduite d’un demandeur. En exerçant ce pouvoir discrétionnaire, la Cour doit maintenir l’équilibre décrit dans l’arrêt Thanabalasingham (Monteiro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322 (Monteiro)). De plus, la théorie de la conduite répréhensible a été appliquée dans des dossiers où le demandeur a échappé aux autorités de l’immigration ou à un mandat d’arrestation, afin de retarder ou d’éviter un renvoi. En l’espèce, l’inconduite des demandeurs était grave et démontrait un mépris total des lois canadiennes en matière d’immigration et des décisions de la Cour les concernant. En outre, au moment où le renvoi des demandeurs était prévu, ils n’étaient pas autorisés à présenter une demande d’ERAR en application de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR. Par conséquent, il y a un lien évident entre la conduite des demandeurs et la présente demande de contrôle judiciaire. De plus, autoriser les demandeurs à aller de l’avant ne découragerait pas d’autres personnes d’adopter une conduite semblable. Par conséquent, peu importe le bien-fondé de la demande des demandeurs, elle doit être rejetée.

[19]  Bien que les demandeurs n’aient pas fait valoir cet argument quand ils ont comparu devant moi, il n’y a aucun fondement à leur thèse selon laquelle la question a été tranchée quand la Cour a accueilli leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le fait que la question a été soulevée par le défendeur dans son mémoire des arguments présenté en réponse à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne signifie pas que la question a été tranchée et rejetée par la Cour lorsque l’autorisation leur a été accordée. L’ordonnance rendue le 1er décembre 2017 accordant l’autorisation d’un contrôle judiciaire ne traite pas de cette question ni d’aucune autre question sur le fond soulevée par l’une ou l’autre des parties. De plus, cette ordonnance a été rendue en application du paragraphe 15(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles d’immigration), qui vise les questions procédurales à régler en vue de l’audition de la demande (Level c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 251, au paragraphe 59; Krishnapillai c Canada, 2001 CAF 378, au paragraphe 11). Et, par analogie, dans le contexte de demandes de prorogation de délai en application des Règles d’immigration, lorsque l’on ne peut conclure à la lecture de l’ordonnance accordant l’autorisation qu’une prorogation de délai a été accordée, le juge de première instance doit déterminer si le critère applicable a été respecté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Heidari Gezik, 2015 CF 1268, au paragraphe 28).

[20]  En ce qui concerne l’application de la théorie de la conduite répréhensible, la jurisprudence établit clairement que les recours offerts dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont discrétionnaires et, selon la conduite d’un demandeur, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser, de juger ou de rejeter des demandes (Homex Reality c Wyoming, [1980] 2 RCS 1011; Canada (Procureur général) c Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 CF 146; Baca Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 658, au paragraphe 14).

[21]  La décision de principe sur l’application de la théorie de la conduite répréhensible est l’arrêt Thanabalasingham. Dans ce jugement, la Cour d’appel fédérale devait examiner la question certifiée suivante : quand un demandeur présente à la Cour une demande de contrôle judiciaire, sans avoir les mains nettes, la Cour devrait-elle, lorsqu’elle s’interroge sur l’opportunité ou non d’examiner la demande au fond, tenir compte des conséquences que risque de subir le demandeur si sa demande n’est pas examinée au fond? La Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec le défendeur en l’espèce, qui affirmait que lorsqu’il est établi qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder. La Cour d’appel fédérale a plutôt conclu que la jurisprudence donnait plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée. De plus :

[10]  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[22]  Les facteurs ne sont pas exhaustifs et ne sont pas nécessairement pertinents dans tous les cas.

[23]  Notre Cour a également conclu que, dans le contexte de l’immigration, lorsqu’un demandeur cherchant à obtenir un contrôle judiciaire n’est pas sans reproche, sa conduite, en soi, justifie le rejet de la demande. En outre, la conduite du demandeur doit être évaluée à la lumière de la théorie de la conduite répréhensible lorsque sa demande est présentée devant la Cour, puisqu’il serait absurde si, au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de décider si elle doit entreprendre ou non le contrôle judiciaire, la Cour ne pouvait examiner tous les faits pertinents, y compris la conduite du demandeur entre la date de la décision contestée et la date du contrôle judiciaire (Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 569, aux paragraphes 10 à 13).

[24]  Dans la décision Djosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1475 (Djosta), la Cour a rejeté la requête en sursis présentée par la demanderesse; alors qu’elle sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision défavorable concernant sa demande d’ERAR, la demanderesse s’est cachée afin d’éviter son renvoi et a continué de vivre dans la clandestinité au moment de l’audience. La Cour a conclu que la conduite de la demanderesse était pertinente et non sans reproche, ce qui constituait un motif suffisant selon la théorie de la conduite répréhensible (ou des mains nettes) pour rejeter la demande de contrôle judiciaire. Cependant, elle a quand même évalué la demande sur le fond (Djosta, aux paragraphes 52 et 55 à 57; voir également Tahiru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 437, aux paragraphes 43 et 44; Gazlat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 532, aux paragraphes 15 à 18; Monteiro, précitée, aux paragraphes 7 à 9; Samaroo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1460, aux paragraphes 13 à 15; Khasria c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 773, aux paragraphes 17 à 23).

[25]  À mon avis, il est évident que, dans ces circonstances, la conduite des demandeurs qui se présentent devant la Cour n’est pas sans reproche. Malgré une ordonnance d’expulsion valide et le rejet de leur requête en sursis, les demandeurs ont omis de se présenter pour leur renvoi et se sont cachés afin d’éviter leur renvoi. Cette inconduite était très grave et compromettait le processus de renvoi valide et montre un mépris à l’égard d’une décision de la Cour. Les demandeurs ont aussi profité de cette conduite, puisqu’ils n’étaient pas autorisés à présenter une demande d’ERAR parce qu’il s’était écoulé moins de 12 mois depuis le rejet de leur demande d’asile, soit le 22 octobre 2013. En ne se présentant pas pour leur renvoi et en se cachant, ils ont prolongé leur séjour au Canada, ce qui leur a donc permis de profiter d’un ERAR, recours auquel ils n’auraient pas eu droit autrement. Ainsi, le fait qu’ils aient échappé aux autorités de l’immigration a eu une incidence sur la demande d’ERAR elle-même, parce qu’ils ont pu surmonter l’interdiction de 12 mois prévue par la Loi. L’on ne peut minimiser la nécessité de dissuader les autres d’adopter une conduite similaire. À l’inverse, il n’y a aucune question de conduite illégale de la part du gouvernement en l’espèce.

[26]  Je ne retiens pas l’argument des demandeurs portant que le lien entre l’objet de la demande et la réparation sollicitée n’est pas suffisant pour soutenir l’application de la théorie de la conduite répréhensible (Access International Automotive Ltd. v Volkswagen Canada Inc., [2001] 3 CF 311 (CA)). Ils soutiennent, plus précisément, que puisque leur conduite concernant leur demande d’ERAR et leur demande de contrôle judiciaire [traduction] « est irréprochable », il n’y a aucun motif justifiant une conclusion de conduite répréhensible. Cet argument, bien sûr, ne tient pas compte du fait qu’ils ont uniquement été capables de demander un ERAR parce qu’ils ont échappé à une ordonnance de renvoi valide, ce qui, à mon avis, est un fait pertinent à prendre en considération au moment de prendre la décision discrétionnaire de rejeter ou non la demande en raison de la conduite répréhensible des demandeurs. De plus, les demandeurs n’ont pas admis ces événements dans leur demande de contrôle judiciaire, ni indiqué, quand ils se sont présentés devant moi, qu’ils comprenaient la gravité de leurs actes. Cela dit, je reconnais également que les demandeurs, une fois écoulé le délai d’interdiction de 12 mois pour présenter une demande d’ERAR, se sont livrés aux autorités de l’immigration, après quoi le mandat d’arrestation a été exécuté. Ils ne vivaient plus dans la clandestinité au moment de l’audition de la présente demande.

[27]  En ce qui concerne les autres facteurs, la solidité apparente du dossier des demandeurs est faible; cependant, les conséquences pour eux si la décision concernant la demande d’ERAR était maintenue et qu’ils étaient renvoyés au Bangladesh, où ils prétendent être exposés à un risque, sont potentiellement importantes. En ce qui concerne l’argument portant que puisqu’un des demandeurs est un enfant mineur, la Cour ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la demande de contrôle judiciaire [traduction] « afin de punir la demanderesse mineure pour une décision qu’elle n’a pas prise », il démontre, au mieux, un manque de compréhension manifeste de la théorie de la conduite répréhensible, qui s’intéresse à l’équité et non à la punition. Quoi qu’il en soit, et comme je l’explique ci-dessous dans le contexte de la question proposée par les demandeurs aux fins de certification, le fait qu’un des demandeurs est un enfant mineur n’est pas un facteur déterminant ni un facteur qui empêche la Cour d’envisager exercer son pouvoir discrétionnaire concernant la théorie de la conduite répréhensible. Au contraire, les intérêts de la demanderesse mineure ont été pris en considération lors du processus de mise en balance, quand les conséquences probables sur les demandeurs ont été évaluées, dans l’éventualité où la Cour n’examinerait pas la décision défavorable concernant la demande d’ERAR, et où la décision serait confirmée.

[28]  À mon avis, en l’espèce, la mise en balance des facteurs énoncés dans l’arrêt Thanabalasingham soutient l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la demande, au motif que les demandeurs ne sont pas sans reproche. Toutefois, au cas où je ferais erreur, j’examinerai l’affaire sur le fond.

Question 2 : L’agent a-t-il fusionné les critères juridiques des articles 96 et 97 de la LIPR?

[29]  Les demandeurs avancent que l’agent a fusionné les normes des articles 96 et 97 de la LIPR en reconnaissant leurs identités religieuses et sexuelles, qui établissent le lien nécessaire avec les motifs de persécution associés à la religion ou à l’appartenance à un groupe social en particulier prévus à l’article 96, puis en comparant les profils des demandeurs à ceux de la population en général au Bangladesh, ce qui ne constitue un facteur pertinent qu’aux termes du sous-alinéa 97b)(ii). Au lieu d’effectuer une analyse au titre de l’article 96, l’agent s’est engagé dans une discussion brève et non pertinente sur la situation au Bangladesh, ce qui concerne l’analyse exigée au titre de l’article 97 et non au titre de l’article 96. En fusionnant les deux critères, l’agent a commis une erreur en droit, parce que les risques que craignent de nombreuses personnes donnent quand même droit à la protection prévue par l’article 96. L’article 96 n’exige pas une crainte personnelle d’être persécuté.

[30]  Le défendeur soutient que l’agent n’a pas fusionné les critères des articles 96 et 97 : ses conclusions indiquent que la preuve documentaire sur la situation dans le pays décrivait simplement les conditions auxquelles est exposée la population en général. L’agent a également conclu que la preuve documentaire décrivait les conditions de personnes ne se trouvant pas dans une situation semblable à celle des demandeurs, et que les demandeurs n’avaient pas établi un lien entre la preuve sur la situation dans le pays et les circonstances qui leur sont propres. L’agent n’était pas non plus tenu d’effectuer une analyse plus approfondie au titre de l’article 97.

[31]  Comme la Cour l’a précisé dans la décision Osama Fi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, au paragraphe 13, pour satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » qui figure à l’article 96 de la LIPR, le demandeur doit démontrer qu’il satisfait à tous les éléments mentionnés dans cette définition, à commencer par l’existence d’une crainte subjective et objective de persécution. Le demandeur doit également établir un lien entre lui et la persécution du fait d’un motif prévu par la Convention. Cette persécution doit être dirigée contre lui d’une certaine façon, soit « personnellement », soit en tant que « membre d’une collectivité », et le demandeur doit craindre, avec raison, d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. En outre, l’existence de la persécution prévue à l’article 96 peut être établie par un examen du traitement de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur, et celui-ci n’a pas à prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir.

[32]  Par conséquent, dans le contexte d’une allégation voulant que les critères des articles 96 et 97 aient été fusionnés, le simple fait d’utiliser le terme « personnellement », ou tout autre terme semblable, n’indique pas nécessairement qu’il y a eu confusion.

[42]  Je souscris aux précédents invoqués par l’avocat du défendeur, pour qui, dans ce contexte, l’emploi d’expressions telles que « personnellement exposé à un risque », « un risque personnalisé », « le risque doit être individualisé » ne signifie pas que l’article 96 est fusionné avec l’article 97. Sur ce point, mon collègue le juge Mosley s’exprimait ainsi dans la décision Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385 (Raza), au paragraphe 29 :

29  L’agent d’ERAR qui examine les nouveaux risques doit tenir compte des articles 96 à 98 de la LIPR. Les articles 96 et 97 exigent que le risque soit personnalisé, c’est-à-dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile. C’est ce que montre clairement l’emploi du terme « personnellement » à l’article 97. Dans le cas de l’article 96, la preuve relative à des personnes placées dans une situation semblable peut mener à la conclusion que le demandeur « crai[nt] avec raison d’être persécuté ». Cela étant dit, seuls les « nouveaux éléments de preuve » sont pris en considération dans le cadre d’une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté, comme il a été expliqué ci-dessus. [Non souligné dans l’original.]

(Pillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1312, aux paragraphes 42 et 44; voir également Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 505, aux paragraphes 37 à 39 (Kaur); Somasundaram, précitée, aux paragraphes 21 à 25).

[33]  En l’espèce, l’agent a examiné la lettre de l’ami du demandeur principal, et puis a fait référence au reste de leurs observations, qui incluaient divers articles de presse et des rapports sur la situation dans le pays, en soulignant que le paragraphe 161(2) du Règlement exige que les demandeurs indiquent en quoi ces éléments de preuve s’appliquent à eux. L’agent a affirmé que les observations des demandeurs décrivaient les conditions générales au Bangladesh, mais que ces derniers ne liaient pas ces éléments de preuve à leurs risques personnels et prospectifs. L’agent a indiqué qu’il est bien établi qu’il ne suffit pas de simplement mentionner la situation dans le pays sans établir de lien avec la situation personnelle d’un demandeur. En outre, le risque que pourrait courir un demandeur d’être persécuté ou de subir un préjudice s’il était renvoyé dans son pays doit faire l’objet d’un examen individualisé. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire que cela représente un risque pour une personne en particulier. L’agent a affirmé que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve documentaire objective appuyant l’idée que leur profil au Bangladesh est semblable à celui de personnes actuellement exposées à un risque d’être persécutées, à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans ce pays. L’agent a terminé en affirmant avoir conclu que les arguments présentés étaient liés à des conditions auxquelles est exposée la population en général, ou décrivaient des conditions ou des événements précis auxquels font face les personnes qui ne se trouvent pas dans une situation semblable à celle des demandeurs.

[34]  L’agent a ensuite décrit certains des éléments de preuve documentaires et a conclu que, même si le Bangladesh a connu une augmentation des violences extrémistes au cours des quelques dernières années, la preuve indiquait que les cibles de ces attaques étaient des activistes de premier plan et des communautés minoritaires. L’agent a tiré une conclusion semblable à l’égard des observations supplémentaires des demandeurs examinées dans l’addenda du 1er juin 2017.

[35]  Comme le montre la jurisprudence citée ci-dessus, aux termes de l’article 96 et de l’article 97, un demandeur doit établir l’existence d’un risque à la fois personnel et objectivement identifiable. Même si l’agent aurait certainement pu mieux diviser son analyse sur les critères des articles 96 et 97, quand je lis la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincue que le paragraphe en cause, comme je l’ai expliqué précédemment, établit que l’agent a fusionné les critères des articles 96 et 97. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la crainte de persécution soit personnalisée aux termes de l’article 96, puisque le demandeur peut démontrer que leur crainte est ressentie par le groupe auquel ils appartiennent selon la définition de la Convention, le profil du demandeur doit être examiné au moment de déterminer s’il existe un risque de persécution bien fondé.

[36]  À mon avis, les conclusions de l’agent, selon lesquelles la preuve documentaire sur la situation dans le pays décrivait simplement les conditions auxquelles est exposée la population en général, et décrivait les conditions de personnes ne se trouvant pas dans une situation semblable à celle des demandeurs, et que le profil des demandeurs ne soutenait pas l’existence d’une crainte bien fondée de persécution, montrent qu’il comprenait les différents critères. De plus, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre les éléments de preuve sur la situation dans le pays et les circonstances qui leur sont propres (voir la décision Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921 (Olah)). L’agent a également fait mention à juste titre des critères des articles 96 et 97 à la fin de ses motifs dans la décision initiale concernant la demande d’ERAR et dans l’addenda.

Question 3 : la décision de l’agent était-elle raisonnable?

i)  L’agent a-t-il omis d’examiner le risque d’être persécutés auquel sont exposés les membres de la minorité hindoue au Bangladesh?

[37]  Les demandeurs soutiennent qu’ils ont présenté à l’agent un certain nombre d’articles de presse postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés, qui établissent qu’il y a eu une augmentation des violences contre la minorité hindoue au Bangladesh et que les hindous sont persécutés. À la lumière de ces éléments de preuve, qui établissent que les demandeurs sont actuellement exposés à un risque, parce qu’ils sont hindous, l’agent ne pouvait logiquement admettre que les demandeurs sont membres de la minorité hindoue et conclure ensuite qu’il y avait moins qu’une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés s’ils devaient être renvoyés au Bangladesh. En outre, la demanderesse et la demanderesse mineure seront exposées à un risque additionnel lié à leur sexe au Bangladesh, puisque la violence contre les femmes a été utilisée comme un outil pour forcer les hindous à quitter le pays.

[38]  Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’ont pas le profil de personnes qui seraient ciblées par les persécuteurs allégués des demandeurs. En outre, les attaques décrites dans la preuve documentaire objective visaient des groupes religieux minoritaires en général, et elles n’établissaient pas que des personnes ou des familles en particulier étaient ciblées. De plus, les demandeurs n’ont pas indiqué en quoi les nouveaux éléments de preuve s’appliquaient à leur situation en particulier, comme l’exige le paragraphe 161(2) du Règlement. Il n’y a eu aucun changement dans le profil des demandeurs, ni dans le risque prospectif, puisque des attaques semblables ont déjà été examinées par la Section de la protection des réfugiés. En ce qui concerne le risque lié au sexe, la Section de la protection des réfugiés était consciente de l’allégation selon laquelle la demanderesse et la demanderesse mineure avaient été menacées de viol et d’enlèvement, mais elle a conclu que les allégations de persécution n’étaient pas crédibles. Lors de l’ERAR, les demandeurs ont fourni des éléments de preuve additionnels sur la situation dans le pays concernant ce point, mais aucun élément de preuve concernant leurs circonstances particulières. L’agent a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour qu’il en arrive à une conclusion différente.

[39]  Dans l’examen de cette question, il faut se rappeler que dans leurs observations initiales relatives à la demande d’ERAR, les demandeurs ont affirmé qu’ils étaient exposés à un risque de persécution de la part d’un groupe extrémiste islamiste du Bangladesh, qui tentait de tuer le demandeur principal et qui avait menacé de violer sa femme et d’enlever sa fille; ils ont présenté le même contexte factuel que lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur principal n’était pas crédible, elle n’a pas cru son histoire, ni que sa crainte d’être persécuté était bien fondée. La Section de la protection des réfugiés a également examiné la participation du demandeur principal aux activités de la communauté hindoue, et elle a conclu que son témoignage contredisait les renseignements contenus dans son formulaire FDA concernant ses activités en tant que pratiquant de la religion hindoue dans son pays. La Section de la protection des réfugiés a affirmé qu’elle ne croyait pas que le demandeur principal était ciblé en raison de ses croyances et de ses activités religieuses, et a conclu qu’il avait tenté d’embellir ses activités à titre d’hindou afin de rendre son allégation de persécution plus convaincante. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les éléments de preuve dont elle disposait n’indiquaient pas une participation importante du demandeur principal à un mouvement religieux ou politique quelconque, qui aurait fait de lui une cible des intégristes. Les allégations de la demanderesse et de la demanderesse mineure étaient fondées sur le même formulaire FDA et sur le même témoignage et ont, par conséquent, été jugées non crédibles.

[40]  L’agent a souligné que les risques indiqués par les demandeurs dans leur demande d’ERAR initiale étaient essentiellement les mêmes que ceux que la Section de la protection des réfugiés avait entendus et évalués. En outre, les nouveaux éléments de preuve proposés ne réfutaient pas les conclusions précédentes de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité, et ne fournissaient pas une preuve documentaire objective d’un risque prospectif auquel seraient exposés les demandeurs au Bangladesh, ou que leur profil au Bangladesh était semblable à celui de personnes actuellement exposées à un risque de persécution. Ainsi, l’agent a examiné le risque fondé sur l’attaque alléguée de la part d’intégristes, laquelle, selon le demandeur principal, découlait d’une insulte perçue envers l’Islam, et la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur principal n’avait pas le profil d’un hindou ou d’un activiste notoire qui l’exposerait à un risque.

[41]  À mon avis, l’agent a également examiné le risque de persécution des demandeurs en tant que membres de la minorité hindoue au Bangladesh, quand il a conclu que les demandeurs ne correspondaient pas au profil de personnes exposées à un risque de persécution. En outre, après avoir examiné les articles de presse et les rapports concernant la situation dans le pays, l’agent a conclu qu’il n’existait pas de lien avec les risques personnels et prospectifs auxquels seraient exposés les demandeurs.

[42]  Par exemple, les demandeurs ont présenté un article du New York Times daté du 16 novembre 2016 (tiré des pages d’opinion, Attacks on Hindus in Bangladesh), qui indique que, pendant presque deux ans, des islamistes radicaux ont lancé une série d’attaques brutales au Bangladesh qui ont tué un grand nombre de blogueurs, d’étrangers et de minorités religieuses. Parmi les victimes, on comptait un tailleur et un prêtre hindous; une autre attaque a tué 22 personnes dont la religion n’était pas connue. L’article indique que, même si le premier ministre et le parti de la Ligue Awami ont accusé l’opposition islamiste de promouvoir le terrorisme, les nouvelles selon lesquelles des politiciens de la Ligue Awami auraient pu être impliqués dans les attaques récentes contre les maisons et les temples hindous étaient profondément troublantes. Les attaques ont été déclenchées par l’indignation provoquée par une image publiée sur Facebook illustrant le dieu hindou Shiva dans un lieu saint musulman de La Mecque. Le 30 octobre 2016, des musulmans ont saccagé 15 temples et les maisons de plus de 100 familles dans un quartier hindou. L’article cite également une source indiquant que les médias sociaux sont utilisés pour alimenter la violence contre les minorités. À la suite de cet incident, des dizaines de suspects ont été arrêtés, un officier de police a été suspendu, ainsi que trois dirigeants locaux de la Ligue Awami, une enquête visant à déterminer qui avait publié l’image offensante a été entreprise, et la Commission nationale des droits de la personne du Bangladesh a ouvert une enquête sur les attaques.

[43]  Un autre article du New York Times, daté du 2 novembre 2016, rapporte que des foules de musulmans ont attaqué des maisons et des temples hindous la semaine précédente, faisant craindre que les autorités ne prennent des mesures pour freiner la montée des tensions religieuses. Faisant référence au même incident lié à la publication d’une photo sur Facebook, l’Institut Gatestone a rapporté que les communautés minoritaires de tout le Bangladesh étaient une fois de plus exposées à la violence et à la persécution aux mains de la majorité musulmane sunnite et qu’au cours du dernier mois, des dizaines de temples hindous avaient été vandalisés et des centaines de maisons incendiées. Le Minority Rights Group International a rapporté que depuis 2013, le Bangladesh a connu une série d’attaques violentes perpétrées par des extrémistes. Parmi les victimes, outre des athées, des blogueurs laïques, des libéraux et des étrangers, figuraient un grand nombre de bouddhistes, de chrétiens et d’hindous, ainsi que des ahmadis et des musulmans chiites.

[44]  Je souligne que d’autres articles figurant dans le dossier présenté par les demandeurs rapportent l’assassinat de blogueurs défendant la laïcité, les meurtres de deux hindous, d’un chrétien et de l’épouse d’un agent antiterroriste, qui ont amené les membres de communautés religieuses minoritaires à craindre pour leur vie, et des attaques distinctes contre des hindous, des chrétiens, des bouddhistes et des athées; un article du Wall Street Journal daté du 7 juillet 2016 soulignait qu’au cours des trois dernières années, des militants islamistes ont tué environ 50 personnes, y compris des blogueurs laïques et athées, des prêtres hindous et bouddhistes et des travailleurs humanitaires étrangers.

[45]  L’agent a affirmé qu’il avait examiné les documents concernant la situation dans le pays présentés par les demandeurs, et il a cité également le rapport national sur le terrorisme (Country Reports on Terrorism 2015) publié par le Département d’État des États-Unis, qui rapporte que le Bangladesh a connu une augmentation importante des attaques terroristes violentes par des extrémistes en 2015, comparativement à l’année 2014, et que des groupes transnationaux, tels que l’État islamique et Al-Qaïda dans le sous-continent indien (en anglais, Al-Qaeda in the Indian Subcontinent, AQIS), ont revendiqué plusieurs attaques visant des étrangers, des minorités religieuses, la police, des blogueurs laïques et des éditeurs. Le rapport indiquait que le gouvernement du Bangladesh attribuait ces attaques à l’opposition politique et aux terroristes locaux. L’agent a conclu que, même si le Bangladesh a connu une augmentation des violences extrémistes au cours des quelques dernières années, la preuve indiquait que les cibles de ces attaques étaient des activistes de premier plan et des communautés minoritaires.

[46]  À mon avis, la preuve documentaire établit clairement que ce n’est pas la minorité hindoue qui est la cible des intégristes et des autres extrémistes, mais des activistes et de nombreuses communautés minoritaires en général. La violence décrite dans la preuve documentaire est sporadique, souvent associée à des événements, ou représentative d’attaques aléatoires ou non dirigées par des intégristes ou autres extrémistes. Cette violence est dirigée contre des activistes de premier plan et elle vise parfois, mais pas toujours, ceux ayant le profil d’un hindou. Ainsi, elle n’est pas représentative d’un risque de violence contre la minorité hindoue en particulier, comme le soutiennent les demandeurs. Autrement dit, comme a conclu l’agent, cette preuve documentaire a établi qu’il existe des problèmes en matière de droits de la personne, mais qu’ils ne concernent pas expressément la minorité hindoue, et n’entraînent pas un risque pour des personnes en particulier. De plus, contrairement aux arguments des demandeurs, le simple fait d’être un hindou au Bangladesh n’est pas, en soi, un motif suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays (Olah, aux paragraphes 14 et 15).

[47]  En outre, la Section de la protection des réfugiés a souligné dans sa décision que la preuve documentaire indiquait que des groupes religieux, de temps à autre, incitaient à la violence ou au harcèlement contre des membres d’autres groupes minoritaires; il s’agissait, le plus souvent, d’actes de pillage et d’incendies criminels commis contre des résidences et des sites religieux, dont un incident qui s’est produit après une pièce de théâtre présentée par des étudiants du secondaire, où l’on aurait insulté le prophète Mohamed. Ces incidents visaient des groupes religieux en général. Ils n’étaient pas liés à une seule famille affirmant être la cible d’intégristes, comme c’est le cas dans le dossier soumis antérieurement à la Section de la protection des réfugiés. Pour cette raison, la Section de la protection des réfugiés a conclu que ces incidents n’étaient pas pertinents pour son analyse. Toutefois, ces événements illustrent que les incidents, comme ceux provoqués par la publication d’une photo sur Facebook et rapportés dans la preuve documentaire présentée par les demandeurs à l’appui de leur demande d’ERAR, ne représentaient pas un risque nouveau ou accru de persécution. La nouvelle preuve documentaire présentée par les demandeurs « comportait simplement d’autres éléments de la même nature, même si elle se rapportait à de nouveaux événements » (Kulanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, au paragraphe 33 (Kulanayagam)).

[48]  En ce qui concerne le risque lié au sexe, la Section de la protection des réfugiés était consciente de l’allégation selon laquelle la demanderesse et la demanderesse mineure avaient été menacées de viol et d’enlèvement. Cependant, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les allégations de persécution sous-jacentes, fondées sur le fait que le demandeur principal était la cible d’intégristes, parce qu’il aurait insulté l’Islam, ou parce qu’il a le profil d’un hindou ou d’un activiste de premier plan, n’étaient pas crédibles, pas plus que ce risque allégué. L’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne réfutaient pas les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité.

[49]  Cependant, pour appuyer leur demande d’ERAR, les demandeurs ont présenté divers documents afin d’étayer leur allégation d’un risque fondé uniquement sur le sexe. Comme l’a souligné l’agent, certains de ces documents étaient antérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés, comme les textes intitulés Women and Girls in Bangladesh, UNICEF (Les femmes et les filles au Bangladesh, UNICEF) (daté de juin 2010) et Hindus in South Asia & the Diaspora A Survey of Human Rights 2011 (Les hindous en Asie du Sud et la diaspora, une enquête en matière de droits de la personne 2011), rédigés par la Hindu American Foundation. L’agent a affirmé que dans la mesure où les nouveaux documents constituaient de nouveaux éléments de preuve répondant aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR, ils ont été lus et pris en considération.

[50]  Je souligne que le dossier indique que les demandeurs ont également présenté un rapport de la Hindu American Foundation, intitulé Hindus in South Asia & the Diaspora A Survey of Human Rights 2014-2015 (Les hindous en Asie du Sud et la diaspora, une enquête en matière de droits de la personne 2014-2015). Entre autres choses, ce document porte sur la violence sexuelle envers les minorités ethniques et religieuses et indique que la violence sexuelle touche les femmes de toutes les origines au Bangladesh et que les femmes de communautés minoritaires, en particulier, ont été plus touchées et de manière disproportionnée et qu’elles font souvent les frais d’une violence sectaire. En outre, les femmes des communautés minoritaires sont souvent particulièrement vulnérables durant les périodes de violence généralisée. Durant la campagne électorale et les élections de janvier 2014, des femmes hindoues auraient été violées et agressées sexuellement par des activistes du Parti national du Bangladesh et du Jamaat, dans une tentative en vue d’intimider la communauté et de les empêcher de voter.

[51]  Bien que les demandeurs soutiennent que cet élément établissait que la demanderesse et la demanderesse mineure sont actuellement exposées à un risque en raison de leur profil de femmes hindoues, les éléments de preuve ont une nature nettement plus générale, et parlent de la violence sexuelle contre les minorités ethniques et religieuses en général, y compris les hindous. Et même si je conviens que l’agent n’a pas fait particulièrement référence à cette preuve documentaire, il n’était pas tenu de citer expressément chaque élément de preuve et il est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve, en l’absence d’une preuve du contraire (Flores c Canada (MEI), (1993) ACF no 598 (CAF); Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074, au paragraphe 64; Kaur, précitée, au paragraphe 42). Je soulignerais également que l’agent n’a pas conclu que les hindous ou les femmes hindoues sont, ou ne sont pas, un groupe religieux ou social particulier aux fins de l’article 96. L’agent n’était simplement pas convaincu que les demandeurs avaient une crainte bien fondée d’être persécutés en raison de leur appartenance à un tel groupe (Kaur, au paragraphe 40) ou en raison de l’absence d’un lien avec leur situation personnelle. Et, plus important encore, l’agent a conclu que les éléments de preuve n’établissaient pas qu’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution. Étant donné le contenu de la preuve documentaire en cause, l’agent pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

ii)  L’agent a-t-il omis de revoir les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité à la lumière des nouveaux éléments de preuve?

[52]  Les demandeurs soutiennent que, même si une demande d’ERAR n’est pas un appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés, l’agent doit évaluer les nouveaux éléments de preuve se rapportant aux faits dont disposait la Section de la protection des réfugiés, afin de déterminer si ces éléments auraient pu influer sur l’issue de l’audience ((Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13 (Raza)). De plus, comme les conclusions en matière de crédibilité ont un effet cumulatif, les éléments de preuve qui auraient pu changer même une seule des principales conclusions de la décision imposent la nécessité d’un nouvel examen de la question de la crédibilité à la lumière des nouveaux éléments de preuve (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 565; Yousif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 753, au paragraphe 51; Nkeshimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1199). En l’espèce, en plus des éléments de preuve sur la situation dans le pays, les demandeurs ont présenté deux déclarations écrites concernant leur situation personnelle et les incidents qui les ont touchés directement. Les nouveaux éléments de preuve concernent des faits postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés et corroborent les allégations des demandeurs présentées devant la Section de la protection des réfugiés; ils imposent donc un nouvel examen des allégations des demandeurs à l’égard des incidents survenus avant leur départ du Bangladesh. Tout au moins, l’agent devait expliquer la raison pour laquelle ces nouveaux éléments de preuve ne réfutaient pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité.

[53]  Le défendeur soutient que, étant donné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, l’agent a à juste titre commencé son analyse à partir de l’hypothèse que les demandeurs n’étaient pas crédibles et il a examiné les nouveaux éléments de preuve afin de déterminer s’ils étaient suffisants pour réfuter les conclusions sur la crédibilité et les autres conclusions de la Section de la protection des réfugiés (Raza; Kulanayagam; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837). En bout de ligne, l’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour réfuter les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité et la crainte alléguée, ou pour établir que les demandeurs sont exposés à un risque (Bicuku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94; Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, aux paragraphes 25 et 26; Parchment c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1140, au paragraphe 23). En outre, si la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’étaient pas persécutés, comme ils le prétendaient, les déclarations montrant la continuation des persécutions alléguées, comme les menaces, seraient insuffisantes. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve avec leur demande d’ERAR qui permettrait d’en arriver à une conclusion différente concernant les allégations de persécution initiales. Par conséquent, l’agent a conclu de manière raisonnable que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que les demandeurs sont actuellement exposés à un risque (Kulanayagam).

[54]  L’agent a pris acte des nouveaux éléments de preuve, qui incluaient la lettre du 7 août 2016 d’Amal Krishna Sala (la lettre de Sala), un ami des demandeurs, la lettre du 3 mai 2017 du frère du demandeur principal (la lettre du frère) et la lettre datée du 2 mai 2017 de la mère de la demanderesse (la lettre de la mère), un affidavit signé par le demandeur principal, le formulaire FDA et d’autres éléments de preuve documentaires. L’agent a souligné à juste titre que l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans une demande d’ERAR est régie par l’alinéa 113a) de la LIPR. Selon la disposition, les demandeurs ne peuvent présenter que de nouveaux éléments de preuve survenus depuis le rejet de leur demande, ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’ils les aient présentés au moment du rejet. L’agent a conclu que les lettres ne réfutaient pas les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité et ne fournissaient pas une preuve objective d’un risque prospectif auquel les demandeurs seraient exposés au Bangladesh et, pour ce motif, ont été jugées non pertinentes. L’agent a déclaré accorder plus de poids aux éléments de preuve documentaires présentés par les demandeurs, lesquels n’étayaient pas les allégations de risques indiquées par les demandeurs. À cet égard, je souligne que le fait de favoriser la preuve objective au détriment des lettres ne constitue pas un refus d’évaluer la crédibilité (Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 522, au paragraphe 85).

[55]  Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les nouveaux éléments de preuve s’ils ne sont pas substantiels, en ce sens qu’il faut se demander si la demande d’asile aurait probablement été accueillie s’ils avaient été portés à la connaissance de la Section de la protection des réfugiés. Puisque l’agent a conclu que les lettres et les autres éléments de preuve n’étaient pas pertinents, puisqu’ils ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité, il n’était pas tenu de les examiner.

[56]  Après avoir examiné ces lettres, je souligne également que leur contenu est vague et, à certains égards, contredit les allégations des demandeurs au lieu de les corroborer. Par exemple, la lettre de la mère indique que parce que les demandeurs [traduction] « sont bien établis dans la société, et ont acquis honneur et réputation très jeunes », ils sont devenus l’objet d’une jalousie sociétale et, [traduction] « sans savoir pourquoi », la cible d’un groupe terroriste non précisé, dont les menaces sont apparues graduellement de plus en plus sérieuses. Ce groupe a continuellement menacé de tuer le demandeur principal, de violer la demanderesse et d’enlever la demanderesse mineure. Face à ces menaces, les demandeurs se sont enfuis. Cependant, cette lettre contredit directement le témoignage du demandeur principal devant la Section de la protection des réfugiés, selon lequel il s’est enfui à Moulvibazar, en abandonnant tout, immédiatement après l’attaque du 8 mai 2013, attaque qui serait attribuable à une offense perçue comme une insulte religieuse alléguée. La lettre indique également que les conspirateurs ont continué de questionner régulièrement les élèves de la demanderesse et sa mère, afin de connaître les allées et venues des demandeurs, et ont vandalisé et incendié la maison des parents du demandeur principal, sans fournir plus de détails concernant ces événements.

[57]  De même, la lettre du frère indique que, pendant ses études universitaires, le demandeur principal a participé à des réunions pour protester contre la torture envers les groupes minoritaires du Bangladesh et [traduction] « c’est comme ça que, sans le savoir, il est devenu la cible de terroristes islamistes ». La lettre ne fait aucunement référence à la foi hindouiste. Elle indique de plus que, après le départ des demandeurs, la famille du demandeur principal a été placée sous surveillance constante dans une tentative en vue de déterminer où se trouvaient les demandeurs, ses parents ont été menacés par des terroristes, et une partie de leur maison a été incendiée. Ses parents ont déménagé et [traduction] « face à une surveillance très étroite et à la torture de la part de terroristes, ma mère et mon père bien-aimés sont décédés ». Le frère affirme que les terroristes sont venus régulièrement le voir pour lui demander où se trouvaient les demandeurs et le menacer, mais la lettre ne fournit aucun détail sur ces points.

[58]  La lettre de Sala indique que le demandeur principal a toujours essayé de protester contre la persécution barbare et brutale des minorités, et c’est la raison pour laquelle un groupe terroriste islamiste voulait le tuer; la lettre cite également les rapports du Département d’État des États-Unis et d’Amnistie internationale indiquant que des membres de la minorité hindoue ont été assassinés, violés, torturés ou intimidés par des groupes musulmans extrémistes qui, selon les rapports, gagnent en force. La lettre indique que même trois ans après le départ des demandeurs du Bangladesh [traduction] « ils continuent de me demander et à quelques autres amis locaux » où sont les demandeurs. La lettre ne donne pas de détails indiquant qui pose ces questions, et aucune explication indiquant comment l’auteur de la lettre a été mis au courant que le groupe extrémiste continuait à demander aux parents du demandeur principal où se trouvent les demandeurs, et que le 2 septembre 2014, le groupe extrémiste islamiste a incendié une grande partie de la maison des parents du demandeur principal.

[59]  Les lettres ne sont pas attestées, elles manquent de détails et elles contredisent certains aspects clés de l’histoire du demandeur principal à propos de la raison pour laquelle il était ciblé par des intégristes. Elles n’étayent pas non plus les allégations selon lesquelles les demandeurs sont visés en raison de leur foi hindoue ou de leur sexe. À mon avis, l’agent a conclu de manière raisonnable que les lettres ne pouvaient réfuter les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité. La Section de la protection des réfugiés a fondé ses conclusions défavorables en matière de crédibilité sur les éléments suivants : le témoignage changeant du demandeur principal concernant la question de savoir si l’attaque alléguée avait eu lieu la nuit; l’absence de raison valable expliquant pourquoi il n’a pas appelé la police après l’attaque; l’absence de crédibilité de ses explications concernant le fait qu’il ait immédiatement quitté Dhaka et de façon permanente parce qu’il craignait pour sa vie; son défaut de demander l’asile à la première occasion à son arrivée aux États-Unis démontrait une absence d’une crainte subjective de persécution; ses affirmations sur la raison de l’attaque n’étaient qu’une simple hypothèse et, par conséquent, n’étaient pas crédibles. Les lettres ne traitent pas de ces conclusions en matière de crédibilité. Par conséquent, l’agent a conclu, de manière raisonnable, que l’attestation subséquente de la validité d’un scénario de risque qui a été jugée non crédible par la Section de la protection des réfugiés, vu l’absence d’une preuve objective à l’appui, ne réfutait pas les préoccupations concernant la crédibilité (Kulanayagam, précitée, au paragraphe 33), ou ne fournissait pas une preuve suffisante d’un risque prospectif. Et, même si les lettres parlent également des menaces alléguées qui auraient été faites après la fuite des demandeurs, l’agent a conclu, compte tenu des préoccupations non résolues concernant la crédibilité, qu’une preuve objective était nécessaire pour appuyer la nouvelle preuve subjective de menaces découlant de l’incident, que la Section de la protection des réfugiés avait rejetées, puisqu’elle n’y croyait pas. De plus, même si je conviens que les motifs de l’agent n’étaient pas parfaits, et que d’autres motifs auraient certainement été préférables, la perfection n’est pas requise et l’examen du dossier et de la décision permet à la Cour de relier les points et de comprendre la conclusion de l’agent (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 570, au paragraphe 13; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14).

Question certifiée

[60]  Les demandeurs proposent la question suivante à des fins de certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR :

La théorie de la conduite répréhensible (ou « des mains nettes ») peut-elle être invoquée pour rejeter la demande de contrôle judiciaire d’un enfant au motif que ses parents ne sont pas sans reproche?

[61]  Le défendeur s’oppose à la question proposée, au motif qu’elle ne transcende pas les intérêts des parties au litige (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9). En outre, dans l’arrêt Thanabalasingham (aux paragraphes 8 à 11), la Cour d’appel fédérale a présenté une réponse complète à la théorie des mains nettes et elle est déterminante de la question proposée par les demandeurs. Des considérations d’ordre public m’obligent à affirmer que les personnes ne sont pas autorisées à bénéficier de leur conduite répréhensible, et le fait que l’une de ces personnes est un enfant mineur n’y change rien.

[62]  La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, a récemment revu les critères qui doivent être satisfaits pour la certification d’une question proposée :

[46]  La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[47]  Malgré ces exigences, la Cour a considéré qu’elle n’est pas limitée dans son analyse par le libellé de la question certifiée, et qu’elle peut la reformuler pour capturer la véritable question juridique présentée (arrêt Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175, 398 D.L.R. (4th) 685, par le juge Rennie, au paragraphe 5, (motifs dissidents, mais pas sur ce point); arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ekanza Ezokola, 2011 CAF 224, [2011] 3 R.C.F. 417, aux paragraphes 40 à 44, confirmé sans remarque sur ce point par l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678). Il est entendu que toute question reformulée doit également satisfaire aux critères applicables à une question dûment certifiée.

[63]  À mon avis, la question proposée ne se prête pas à la certification. Tout d’abord, étant donné ma conclusion portant que la décision de l’agent était raisonnable, la question n’est pas déterminante. Deuxièmement, je suis d’accord avec le défendeur que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Thanabalasingham, a déjà établi l’équilibre que la Cour devrait s’efforcer d’atteindre quand elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si une demande devrait être examinée sur le fond quand les demandeurs se présentent devant la Cour en n’étant pas sans reproche. Ainsi, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Ce dernier facteur incorpore l’importance des droits individuels concernés, et les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée. À mon avis, il faut tenir compte du fait qu’un des demandeurs peut être un mineur qui est innocent concernant la conduite répréhensible de ses parents. Autrement dit, la mise en balance des droits individuels concernés et des conséquences probables que subirait le demandeur englobe les conséquences du renvoi pour le mineur, mais le pouvoir discrétionnaire de la Cour lui permettant de tenir compte de la conduite répréhensible des parents n’est pas empêché parce que l’un des demandeurs est un mineur innocent.

[64]  Par analogie, le défendeur cite l’arrêt Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, aux paragraphes 26 et 27, où la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit, dans le contexte d’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :

[26]  En ce qui concerne le premier argument, je suis convaincu qu’il n’incombait pas à l’agente de souligner le fait que les jumelles n’avaient commis aucune faute. La première décision citée par les appelants à l’appui de cette prétention, Momcilovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 79, au paragraphe 53, ne permet nullement de soutenir une telle chose. La seconde, Mulholland c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 4 C.F. 99, (2001) C.F.P.I. 597, aux paragraphes 29 et 30, appuie seulement l’idée qu’il est déraisonnable de la part d’un agent d’immigration de faire fi de l’intérêt d’un enfant au motif que c’était « le choix » des parents d’avoir cet enfant au départ.

[27]  Dans un cas comme celui-ci, où les enfants sont « laissés derrière » en raison d’une fausse déclaration faite par un parent dans sa demande d’immigration, il est habituellement évident que l’enfant n’est pas complice des fausses déclarations en question. Il est cependant de jurisprudence constante que de telles fausses déclarations font partie des considérations d’intérêt public devant entrer en ligne de compte dans l’appréciation de motifs d’ordre humanitaire (voir, par exemple, Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292, au paragraphe 33). Inévitablement, les facteurs qui militent en faveur de la réunification de la famille au Canada ne l’emporteront pas toujours sur les problèmes d’intérêt public soulevés par une fausse déclaration. Cela n’équivaut pas à faire « porter aux enfants la faute de leur mère » comme c’était le cas dans l’affaire Mulholland, précitée, dans laquelle l’agente n’avait tout simplement tenu aucun compte de l’intérêt des enfants. Dans le même ordre d’idées, j’estime que l’agent n’est pas tenu de mentionner que le renvoi des parents du Canada n’a pas été réclamé à la suite des fausses déclarations qu’ils ont faites. Si les parents faisaient l’objet d’une mesure de renvoi, ils ne seraient de toute évidence pas en mesure de parrainer un enfant. Le fait que les parents ont le droit de demeurer au Canada s’impose comme allant de soi dans le cas d’enfants « laissés derrière ».

[65]  Dans la décision Aslan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 946, au paragraphe 16, le juge Diner a affirmé qu’il était clair, d’après le paragraphe cité ci-dessus, qu’un agent peut soupeser, dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les questions d’intérêt public que soulève une fausse déclaration faite par un parent par rapport à l’intérêt supérieur de l’enfant demeurant au Canada (au paragraphe 16). À mon avis, l’application de la théorie de la conduite répréhensible est également un élément d’intérêt public, et une cour de révision n’est pas empêchée de tenir compte de la théorie simplement parce qu’un des demandeurs est un mineur innocent. Comme je l’ai indiqué précédemment, les circonstances propres à l’enfant mineur sont capturées dans la mise en balance des facteurs énoncés dans l’arrêt Thanabalasingham, lesquels ne sont pas exhaustifs.

[66]  Par conséquent, la question ne découle pas des faits de l’espèce et elle n’est pas non plus déterminante.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3717-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3717-17

 

INTITULÉ :

SHYAMOL CHANDRA DEBNATH, MALA PAUL ET DIPANJALI DEBNATH HRIDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

 

Pour les demandeurs

 

Margherita Braccio

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Le procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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