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Date : 20180321


Dossier : IMM-3447-17

Référence : 2018 CF 320

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

VIKTOR GASPAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 7 juillet 2017 (décision de la Section d’appel des réfugiés), dans laquelle la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue le 10 mars 2016 (décision de la Section de la protection des réfugiés), selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]  Comme expliqué de façon plus détaillée ci-dessous, la présente demande est rejetée, puisque je n’ai décelé aucune erreur susceptible de révision dans la décision défavorable de la Section d’appel des réfugiés en matière de crédibilité dans son évaluation du risque prospectif, ou l’absence d’une analyse de la protection de l’État dans la décision de la Section d’appel des réfugiés.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Viktor Gaspar, est citoyen de la Hongrie âgé de 22 ans et faisant partie de la communauté rome. Il affirme qu’en raison de ses origines romes, il n’a pas pu trouver d’emploi en Hongrie et qu’en 2015, un agent de police l’a agressé physiquement et des étrangers l’ont menacé.

[4]  M. Gaspar a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada en août 2015. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en concluant qu’il n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas prouvé qu’il s’exposait à de graves risques de persécution en Hongrie. M. Gaspar a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés, qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés dans une décision rendue le 8 juillet 2016. Il a ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le juge Campbell a accueilli la demande et a renvoyé l’affaire à la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen (voir Gaspar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1337 [Gaspar]). Dans la décision de la Section d’appel des réfugiés, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la Section d’appel des réfugiés a de nouveau confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés et a rejeté l’appel de M. Gaspar.

[5]  La Section d’appel des réfugiés a souscrit aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité et le risque de persécution de M. Gaspar. Elle a soulevé des contradictions dans le témoignage de M. Gaspar relativement au moment où il a terminé ses études secondaires, ce qui la amenée à conclure qu’il n’avait pas connu une période de chômage de 10 mois avant de venir au Canada comme il l’avait affirmé. La Section d’appel des réfugiés n’a pas non plus cru les allégations de M. Gaspar au sujet des menaces proférées contre lui, le refus des services de police de l’aider relativement à cet incident, et son agression par un policier. Les notes prises au point d’entrée à son sujet ne traitaient pas de l’agression prétendue, et son formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA) renvoyait aux menaces proférées contre le peuple rom dans son village, mais n’indiquait pas qu’il avait été la cible particulière de menaces ni qu’il avait sollicité l’aide de la police et que cette dernière lui avait été refusée.

[6]  En examinant si M. Gaspar s’exposait à un risque de persécution s’il retournait en Hongrie, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’en raison des préoccupations détaillées ci-dessus, il n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas établi de lien entre les conditions ayant cours dans le pays qui sont applicables au peuple rom en Hongrie et sa situation particulière. La Section d’appel des réfugiés a par conséquent confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle M. Gaspar n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[7]  Le demandeur soumet à la considération de la Cour les questions suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement évalué la crédibilité du demandeur?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement évalué le risque prospectif du demandeur?

  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement omis d’évaluer la disponibilité de la protection de l’État?

[8]  Conformément à la formulation de ces questions, le demandeur soutient, et j’y souscris, que la norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable.

IV.  Analyse

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement évalué la crédibilité du demandeur?

[9]  M. Gaspar conteste les évaluations de la Section d’appel des réfugiés concernant sa crédibilité au sujet de son chômage présumé avant de venir au Canada et des incidents de menaces et de violence qui se sont produits en 2015 selon ses affirmations. J’aborderai chacun de ces arguments ci-dessous. Le demandeur affirme aussi dans ses observations écrites que la Section d’appel des réfugiés n’a pas abordé les erreurs présumées dans les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur la question de savoir si sa famille vivait de l’aide sociale et sur sa crainte concernant les réfugiés qui arrivent en Hongrie. Je suis d’accord avec la position du défendeur selon laquelle les deux dernières questions n’ont pas été soulevées devant la Section d’appel des réfugiés et qu’il n’est par conséquent pas approprié pour la Cour d’en tenir compte dans la présente demande de contrôle judiciaire.

1)  Chômage

[10]  Comme indiqué ci-dessus, la Section d’appel des réfugiés a décelé des contradictions dans le témoignage de M. Gaspar concernant le moment où il a terminé ses études secondaires, ce qui l’a amenée à conclure qu’il n’avait pas connu une période de chômage de 10 mois avant de venir au Canada comme il l’a affirmé. Dans ses observations écrites à la Cour, M. Gaspar reconnaît que son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés portait à confusion, mais soutient que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont commis une erreur en fondant leurs décisions sur son défaut de présenter des éléments de preuve documentaire concernant le moment où il avait terminé ses études secondaires. Il soutient que la transcription de son audience devant la Section de la protection des réfugiés démontre qu’il n’a pas déclaré qu’il n’était pas en mesure de présenter de tels documents, mais seulement qu’il ne les avait pas apportés.

[11]  Bien que M. Gaspar n’ait pas avancé cet argument particulier devant la Section d’appel des réfugiés ni dans une plaidoirie orale devant la Cour, j’en ai néanmoins tenu compte, puisque la décision de la Section d’appel des réfugiés est en partie fondée sur sa conclusion de crédibilité au sujet de l’affirmation de M. Gaspar selon laquelle il avait connu une période de chômage de 10 mois avant d’arriver au Canada. Toutefois, je ne conclus pas que cette partie de la décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable. Bien que l’analyse de la Section d’appel des réfugiés comporte une préoccupation concernant l’absence d’éléments de preuve corroborants prouvant le moment où M. Gaspar a terminé ses études secondaires, je comprends que la conclusion principale était essentiellement fondée sur les contradictions de son témoignage. Les notes au point d’entrée indiquent que M. Gaspar a déclaré avoir terminé ses études secondaires en 2015. Toutefois, dans son témoignage oral devant la Section de la protection des réfugiés, il a déclaré avoir terminé ses études secondaires en 2014. Il a par la suite changé sa réponse pour indiquer 2015. Monsieur Gaspar a quitté son pays à destination du Canada en août 2015. Il est par conséquent impossible que M. Gaspar ait terminé ses études secondaires en 2015 et qu’il ait connu une période de chômage de 10 mois avant de venir au Canada. Je conclus que la décision défavorable rendue par la Section d’appel des réfugiés au sujet de la crédibilité à cet égard, ainsi que la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas été au chômage pendant la période, comme il l’a affirmé, est raisonnable.

2)  Incident de la voiture noire en 2015

[12]  La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’ont pas non plus cru les affirmations de M. Gaspar au sujet des menaces proférées contre lui par des racistes conduisant une voiture noire en 2015, ou les affirmations selon lesquelles les services de police avaient refusé de l’aider à ce moment-là. La Section d’appel des réfugiés a tiré cette conclusion parce que ces allégations ne figuraient pas au FDA de M. Gaspar. Ce dernier soutient que cette conclusion était déraisonnable, puisque le paragraphe 6 de son FDA indique ce qui suit :

[traduction]

6.  Il est arrivé à plus d’une reprise qu’une voiture noire traverse le village et que des propos racistes soient prononcés par les occupants de la voiture. Par exemple : « Tu vas bientôt mourir! Nous brûlerons ta maison pendant que tu y es! » Après cet incident, ils ont jeté des bouteilles de verre hors de la voiture. Cette scène se répétait 2 à 3 fois par semaine.

[13]  M. Gaspar soutient que ses explications à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés (selon lesquelles lui et un ami ont été la cible particulière de menaces par les occupants de la voiture noire, et que son ami a appelé la police, mais cette dernière a refusé de les aider) sont des détails supplémentaires adéquatement présentés par témoignage oral qui ne doivent pas être considérés comme contradictoires avec son FDA. J’estime que cet argument est dénué de fondement. La Section d’appel des réfugiés a tenu compte du paragraphe 6 du FDA et a fait remarquer que rien ne faisait référence aux menaces proférées contre M. Gaspar et son ami, ni qu’ils avaient appelé la police et que cette dernière avait refusé de les aider. La Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que cette omission dans le FDA touchait directement la demande.

[14]  M. Gaspar soutient aussi que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en omettant de lui faire remarquer cette omission dans le FDA à l’audience. Toutefois, la transcription de l’audience qu’il a présentée démontre que la Section de la protection des réfugiés a demandé pourquoi il n’avait pas indiqué dans son FDA qu’il avait personnellement subi la non-intervention de la police. Son avocat a alors renvoyé la Section de la protection des réfugiés au paragraphe 6 de son FDA. Par conséquent, je ne peux pas conclure que M. Gaspar n’a pas eu l’occasion d’aborder cette question, et je conclus que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sur cette question sont raisonnables.

3)  Incident au terrain de soccer en 2015

[15]  M. Gaspar a affirmé avoir été agressé par un policier alors qu’il jouait au soccer avec ses amis en 2015. Cet incident a été abordé dans le FDA, mais pas dans les notes au point d’entrée. La Section d’appel des réfugiés approuve les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité à propos de cet incident, puisque M. Gaspar n’a pas abordé la question au point d’entrée.

[16]  En contestant cette conclusion, M. Gaspar soutient qu’il n’y a aucune preuve que l’agent au point d’entrée lui a précisément demandé en cours d’entrevue de donner des détails de chaque incident de persécution physique qu’il avait subi ou au sujet de ses interactions avec les services de police. Il soutient aussi que les éléments de preuve recueillis au point d’entrée ne contiennent aucune contradiction puisqu’il a bien évoqué, à l’entrevue au point d’entrée, les incidents de harcèlement, y compris le fait d’avoir été battu.

[17]  J’ai tenu compte de l’extrait des notes au point d’entrée sur lequel s’appuie M. Gaspar pour appuyer ces affirmations. À mon sens, cet extrait, ne laisse pas entendre une référence générale à l’agression présumée par le policier. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait vécu des situations particulières où il s’était senti persécuté, M. Gaspar a répondu qu’il avait été rapide et qu’il avait réussi à s’enfuir. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait qu’on lui aurait fait subir, il a répondu qu’ils l’auraient au moins battu. Il ne s’agit ni d’une référence à une interaction avec un agent de police ni d’une référence à une agression réelle. Je ne conclus pas que le fait que l’agent au point d’entrée n’a pas posé de questions particulièrement liées aux agressions ou aux interactions avec les services de police nuisent à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le demandeur l’aurait mentionné à l’agent du point d’entrée s’il avait été agressé par un policier en raison de son origine rome tout juste avant son arrivée au Canada, même s’il n’a pas donné de détails.

[18]  Enfin, M. Gaspar conteste la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle on lui a accordé suffisamment de temps devant la Section de la protection des réfugiés pour produire une preuve qui aurait expliqué son omission à l’entrevue au point d’entrée. Il soutient que cette conclusion n’est pas fondée puisque le FDA évoquait précisément qu’il avait été frappé par un policier. Je ne constate aucune erreur dans cette conclusion puisque la Section d’appel des réfugiés n’a pas déclaré que M. Gaspar n’avait pas soulevé cette allégation au cours de la période entre l’entrevue au point d’entrée et l’entrevue devant la Section d’appel des réfugiés. Sa conclusion se rapportait plutôt au fait que M. Gaspar n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas évoqué l’incident au point d’entrée.

[19]  Pour conclure sur cette première question, je conclus que les évaluations défavorables que la Section d’appel des réfugiés a faites de la crédibilité de M. Gaspar sont raisonnables.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement évalué le risque prospectif du demandeur?

[20]  Comme mentionné ci-dessus, en examinant si M. Gaspar s’exposait à un risque de persécution s’il retournait en Hongrie, la Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Gaspar n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas établi le lien essentiel entre les conditions du pays applicables au peuple rom de Hongrie et sa situation particulière. M. Gaspar soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en n’évaluant pas son risque prospectif sur une base prévisionnelle cumulative telle qu’exigée même lorsqu’un demandeur est jugé comme non crédible. Il renvoie à la déclaration suivante faite par la juge Elliot concernant ce principe au paragraphe 5 de la décision Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 507 [Hassan] :

[5]  La SPR a jugé que le témoignage de Mme Hassan n’était pas crédible. La SPR n’a pas admis que la demanderesse principale risquait d’être victime de persécution politique au Soudan ni qu’elle craignait personnellement que ses filles subissent une mutilation génitale féminine. Que cette conclusion soit raisonnable ou non, il incombait à la SPR d’examiner, en se fondant sur les éléments de preuve sur la situation dans le pays en cause, si les filles étaient exposées à une sérieuse possibilité de persécution fondée sur le sexe si elles retournaient au Soudan. En effet, il est un fait bien établi que, lorsqu’un demandeur n’a pas vécu personnellement une forme de persécution, la SPR est néanmoins obligée d’examiner si un risque personnel peut être déduit d’expériences vécues par des personnes se trouvant dans une situation comparable : Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 250, aux paragraphes 16 à 18 (CAF); Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 22. [Non souligné dans l’original.]

[21]  M. Gaspar soutient également que la Section d’appel des réfugiés a tiré ses conclusions sur cette question principalement en se fondant sur la décision rendue dans Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 [Balogh], selon laquelle le simple fait d’être d’origine rome en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur est exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution à son retour au pays. Il soutient que la décision Balogh se démarque, puisque dans ce cas, la Section de la protection des réfugiés n’avait pas reconnu l’identité rome du demandeur.

[22]  Je suis d’accord avec le principe établi dans Hassan. Dans la décision récente que j’ai rendue dans Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921 [Olah], aux paragraphes 14 à 17, j’ai examiné quelques-unes des autorisations applicables, dont Balogh, comme suit :

[14]    Je suis d’accord avec l’argument des demandeurs voulant qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir été victime de ciblage personnel ou d’une persécution antérieure pour établir un risque aux fins de l’article 96. En revanche, la persécution peut être établie en examinant la situation de personnes dans une situation semblable (voir, e.g. Salibian c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 250 au paragraphe 17; Kang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128 au paragraphe 10; Fi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125 au paragraphe 14). Cependant, je ne considère pas que la décision dans Balogh, sur laquelle l’agent s’est fondé, contredit de quelque façon que ce soit ces principes. Comme l’a expliqué le juge LeBlanc au paragraphe 19 de cette décision :

[19]  De plus, bien que la preuve documentaire sur les conditions générales des Roms en Hongrie soulève des préoccupations concernant les droits de la personne, le simple fait d’être d’origine rom en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays (Csonka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1056, aux paragraphes 67 à 70 [Csonka]; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 22 [Ahmad]). Une demande d’asile valide comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective (Csonka, au paragraphe 3). Il appartient au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui lui est propre (Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 17; Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28; Ahmad, au paragraphe 22).

[15]  J’interprète ce raisonnement comme le fait d’indiquer que la jurisprudence concernant les demandes d’asile formulées par des Roms hongrois n’appuie pas une conclusion voulant que la situation générale dans le pays soit telle que tous les Roms en Hongrie sont victimes d’une discrimination équivalant à de la persécution. Il est plutôt nécessaire d’examiner la situation particulière d’un demandeur, en combinaison avec les éléments de preuve documentaire en général, pour déterminer si le demandeur est exposé à un risque de persécution. La déclaration susmentionnée tirée de la décision Balogh ne constitue pas une dérogation aux principes entourant l’article 96 sur lesquels s’appuient les demandeurs, mais plutôt une application de ces principes.

[16]  Comme l’a fait remarquer le défendeur, un raisonnement similaire est manifeste dans la décision rendue dans Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 651 [Csoka] au paragraphe 28, dans laquelle le juge Diner a confirmé l’analyse de l’agent d’ERAR en se penchant sur la preuve objective quant aux difficultés éprouvées par les Roms en Hongrie, mais en tirant la conclusion que les éléments de preuve individualisés liés à la situation personnelle des demandeurs en Hongrie étaient insuffisants pour justifier une conclusion selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque.

[17]  Les demandeurs soutiennent que le lien nécessaire entre leur situation particulière et la preuve documentaire en général est établi par le simple fait qu’ils sont Roms, ce qui distingue leur situation de celle dans Balogh. Ils observent que, dans cette affaire, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas établi son origine ethnique rome, et que cette conclusion n’avait pas été infirmée par la Cour. Cependant, cela signifie uniquement que l’analyse décrite au paragraphe 19 de Balogh constituait une conclusion supplémentaire, car cette analyse reposait manifestement sur une conclusion selon laquelle le demandeur était d’origine ethnique rome. Je fais également remarquer qu’il ne semble y avoir aucun doute quant à l’origine ethnique rome des demandeurs qui a fait l’objet de l’analyse du juge Diner dans Csoka.

[23]  Je suis toujours d’avis que la décision Balogh est bien fondée en droit et qu’elle s’applique à une demande comme celle présentée par M. Gaspar. La question à des fins d’examen par la Cour consiste à savoir si l’analyse de la Section d’appel des réfugiés en l’espèce ne respecte pas ce que les principes étudiés ci-dessus prescrivent. La Section d’appel des réfugiés a reconnu que des renseignements dans ses propres documents ainsi que dans les arguments et documents présentés comme nouveaux éléments de preuve par M. Gaspar font état de nombreux rapports d’incidents, d’intolérance, de discrimination et de persécution des Roms en Hongrie. Toutefois, elle a conclu que M. Gaspar n’avait pas établi le lien essentiel entre sa situation particulière et les conditions objectives du pays. M. Gaspar soutient qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable parce qu’indépendamment des allégations d’expériences antérieures particulières qui ont été jugées comme non crédibles, certains aspects particuliers de son profil établissaient un lien avec les conditions du pays. Il souligne qu’il vient d’une région rurale et qu’il a fréquenté une école ségréguée, comptant principalement des étudiants roms, ce qui, selon ses affirmations, le lie à la preuve objective que 60 % des Roms vivent en campagne dans des régions rurales, ségréguées et éloignées, dans de mauvaises conditions de logement et des ghettos.

[24]  J’ai tenu compte de cet argument, mais je ne peux pas conclure qu’il appuie une conclusion selon laquelle l’analyse de la Section d’appel des réfugiés était déraisonnable. Les observations écrites présentées par M. Gaspar à la Section d’appel des réfugiés n’avancent pas d’arguments sur la façon dont un tel profil, de concert avec les conditions du pays, doit mener à une conclusion selon laquelle il s’expose à plus qu’une simple possibilité de persécution. Ses observations écrites présentées à la Section d’appel des réfugiés exposent de nombreux extraits concernant les conditions du pays, mais n’établissent aucun lien entre ces documents et le profil personnel de M. Gaspar, mis à part le fait qu’il est membre de la minorité rome en Hongrie. Comme la Section d’appel des réfugiés a rejeté ses allégations de persécution antérieure au motif qu’elles n’étaient pas crédibles, et qu’aucun autre lien n’a été apporté à l’appui de son risque prospectif, je conclus que l’approche de la Section d’appel des réfugiés à l’égard de cet aspect de l’analyse fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits en l’espèce, et par conséquent je conclus qu’elle était raisonnable.

[25]  En parvenant à cette conclusion, j’ai aussi tenu compte des arguments de M. Gaspar portant que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte des motifs du juge Campbell dans Gaspar. Le juge Campbell a infirmé la première décision de la Section d’appel des réfugiés au motif que cette dernière avait soulevé une erreur dans la décision de la Section de la protection des réfugiés, mais ne l’avait pas corrigée. Cette erreur était la déclaration de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle elle n’avait pas été en mesure de trouver des rapports d’agressions violentes contre les Roms en Hongrie au cours des deux années précédentes, tandis que des éléments de preuve documentaire indiquaient le contraire. La Cour a conclu que la Section d’appel des réfugiés était tenue d’annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés ou de rendre sa propre décision indépendante après avoir adéquatement tenu compte de tous les éléments de preuve figurant au dossier de la Section de la protection des réfugiés concernant les risques.

[26]  M. Gaspar soutient que la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas conformée aux motifs et aux conclusions de la Cour dans Gaspar, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansané, 2017 CAF 48, ce qu’un tribunal est obligé de faire à la suite d’une demande de contrôle judiciaire accueillie. Il est aussi d’avis qu’il était implicite dans la décision du juge Campbell qu’il avait suffisamment établi un lien personnel avec la preuve relative aux conditions du pays pour justifier une évaluation du risque prospectif. Je ne suis pas d’accord avec cette caractérisation de la décision. Le juge Campbell a décelé une erreur particulière dans le traitement des documents relatifs aux conditions du pays, ce qui a fait en sorte que la décision initiale de la Section d’appel des réfugiés a été annulée. Toutefois, conformément aux motifs du juge Campbell, la Section d’appel des réfugiés a par la suite réalisé sa propre analyse indépendante du risque encouru par M. Gaspar, mais a conclu que le risque était insuffisant pour justifier la protection compte tenu de l’absence de lien avec la preuve sur les conditions du pays.

[27]  M. Gaspar soutient aussi que la décision de la Section d’appel des réfugiés était déraisonnable parce qu’elle n’a pas infirmé les déclarations de la Section de la protection des réfugiés renvoyant à la discrimination que M. Gaspar a subie et a pourtant omis d’examiner si cette discrimination appuyait une conclusion selon laquelle il risquait d’être persécuté de manière prospective. Là encore, je ne constate aucune erreur commise par la Section d’appel des réfugiés qui serait susceptible de révision. La décision de la Section de la protection des réfugiés évoque la discrimination, mais ne donne aucune explication sur ces conclusions. La Section d’appel des réfugiés a réalisé sa propre analyse comme elle devait le faire.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle déraisonnablement omis d’évaluer la disponibilité de la protection de l’État?

[28]  Enfin, M. Gaspar soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse de la protection de l’État. Il souligne qu’au début de la décision de la Section d’appel des réfugiés, cette dernière a accepté d’accueillir les documents concernant les conditions du pays qu’il avait présentés comme nouveaux éléments de preuve et a déclaré qu’elle tiendrait compte de ces documents dans son analyse de la protection de l’État. Toutefois, cette analyse n’a jamais eu lieu. M. Gaspar s’appuie aussi sur la décision du juge Noël dans Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 343, au paragraphe 10 :

[10]  À mon avis, il n’y a pas de contradiction entre les deux passages ci-dessus. La question à résoudre dans chaque affaire de protection de l’État est de savoir si le demandeur d’asile aurait pu obtenir la protection de l’État s’il l’avait demandée. Il faut alors apprécier la preuve pour décider si la présomption relative à la protection de l’État est réfutée dans une affaire donnée. Lorsque, comme cela est mentionné dans Zhuravlvev, il est démontré que l’État est l’agent persécuteur, alors il est inutile de s’interroger sur l’efficacité de la protection de l’État. Cependant, il ne faudrait pas conclure trop rapidement que l’État, pris dans son ensemble, est l’agent de persécution dans une situation donnée. Lorsque les agents de persécution sont de simples membres locaux ou incontrôlés de l’appareil étatique, il convient de vérifier s’il est possible de bénéficier de la protection de l’État, comme le fait ressortir la juge Snider. La question demeure de savoir s’il est objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sollicite la protection de l’État, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

[29]  Ce passage explique la façon de mener une analyse de la protection de l’État lorsque cette dernière est en cause. Toutefois, il ne fait pas référence à la proposition selon laquelle l’analyse de la protection de l’État doit être effectuée dans le cadre de l’évaluation de chaque demande d’asile. Comme le soutient le défendeur, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’aucun risque prospectif en Hongrie n’avait été prouvé. Il était donc inutile qu’elle examine si la protection de l’État était disponible pour intervenir en cas de risque qui n’a pas été établi (voir Mallampally c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 267, au paragraphe 41; Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 659, au paragraphe 14).

[30]  Quant à l’affirmation de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle elle tiendrait compte dans son analyse de la protection de l’État des documents concernant les conditions du pays nouvellement présentés, je l’interprète de la façon suivante : la Section d’appel des réfugiés expliquait son acceptation de nouveaux documents en tant qu’éléments de preuve et indiquait une intention de s’appuyer sur ces éléments de preuve. Une fois qu’elle a mené son analyse du risque (pour laquelle elle a bien tenu compte des documents), et qu’aucun risque prospectif n’a été constaté, il était inutile de réaliser une analyse de la protection de l’État. La Section d’appel des réfugiés aurait pu corriger sa décision pour supprimer cette référence à une intention d’utiliser ces documents dans une analyse qui s’est avérée inutile, mais cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

V.  Conclusion

[31]  En ayant conclu que les arguments de M. Gaspar ne nuisent pas au caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel des réfugiés, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3447-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3447-17

INTITULÉ :

VIKTOR GASPAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mars 2018

COMPARUTIONS :

John Gravel

Pour le DEMANDEUR

Meva Motwani

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Gravel

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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