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Date : 20180305


Dossier : IMM-3058-17

Référence : 2018 CF 246

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MONISOLA OLUWASEYI ADEOYE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, selon laquelle la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Plus précisément, la demanderesse allègue que la Section d’appel des réfugiés a manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a invoqué des motifs différents de ceux de la Section de la protection des réfugiés pour rejeter la demande de la demanderesse et que les conclusions concernant la crédibilité de la Section d’appel des réfugiés étaient mineures ou exagérées. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration s’oppose à la demande.

II.  Résumé des faits

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria âgée de 20 ans. Elle soutient qu’elle a été forcée de se marier avec un homme plus âgé appelé Alhaji Abass (Alhaji) par son père en échange d’une remise de dette de 10 millions de naira que son père avait contractée à l’égard d’Alhaji pour un investissement qui a échoué. Elle décrit Alhaji comme un homme riche et puissant du Nigéria qui a trois épouses et plusieurs gardes du corps. Pour éviter le mariage, la demanderesse dit qu’elle a rencontré un agent par l’intermédiaire de son église pour demander un visa d’étudiant au Canada. Elle a obtenu le visa d’étudiant en août 2016; elle est arrivée au Canada le 11 octobre 2016 et a présenté une demande d’asile le 5 décembre 2016.

[3]  À l’audience du 30 janvier 2017, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de la demanderesse en invoquant un problème de crédibilité comme question déterminante. La demanderesse a interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés, qui, dans une décision du 21 juin 2017, a également rejeté sa demande en raison d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il s’agit en l’espèce de l’examen de la décision de la Section d’appel des réfugiés.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en ce qui concerne certaines conclusions quant à la crédibilité, comme l’analyse de la capacité de la demanderesse à se rappeler le montant exact que son père devait à Alhaji ou sa capacité à se rappeler avoir vu son père et Alhaji sourire après avoir arrangé le mariage. Toutefois, ces erreurs ne sont pas fatales à la décision définitive selon laquelle la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[5]  De plus, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il existait un fondement supplémentaire qui mine la crédibilité de la demanderesse, à savoir des documents qu’elle a présentés. La demanderesse a ajouté une lettre d’acceptation de l’Université de Regina datée du 10 mars 2016, date qui est antérieure à celle à laquelle la demanderesse a dit avoir appris qu’elle devait épouser Alhaji. Selon la Section d’appel des réfugiés, ce document contredisait la prétention de la demanderesse selon laquelle elle a demandé le visa d’étudiant pour éviter d’être persécutée puisqu’elle avait déjà pris des dispositions pour venir au Canada avant de découvrir le projet de mariage avec Alhaji. Cette conclusion a confirmé les problèmes crédibilité de la demanderesse.

[6]  De plus, la Section d’appel des réfugiés a accordé peu de poids à la preuve corroborante de la demanderesse qui comprenait l’affidavit de sa mère, des photographies d’Alhaji et un rapport psychologique.

IV.  Norme de contrôle

[7]  Les parties font valoir, et je suis d’accord, que la norme de contrôle de la décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539, au paragraphe 18; Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074, au paragraphe 10). Selon cette norme, la Cour examinera l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité de la décision de la Section d’appel des réfugiés et la question de savoir si elle appartient aux issues raisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 11; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 47 et 48)).

[8]  De même, les conclusions de la Section d’appel des réfugiés quant à la crédibilité commandent une interprétation déférente et sont également visées par la norme de la décision raisonnable (Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667, au paragraphe 24; Shabab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872, au paragraphe 16; Ahmed v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 763, au paragraphe 14).

[9]  En revanche, la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la Section d’appel des réfugiés s’est fondée sur des conclusions qui n’avaient pas été présentées à la Section de la protection des réfugiés et qui n’ont pas été soulevées par les parties en appel (Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, au paragraphe 19; Ortiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 180, au paragraphe 17). La capacité de répondre aux nouvelles questions en appel concerne l’équité procédurale et notre Cour n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard de la Section d’appel des réfugiés concernant ces questions (Dunsmuir, au paragraphe 50).

V.  Questions en litige

[10]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à l’équité procédurale en examinant une question qui n’a pas été soulevée à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés ou par l’une des parties en appel?

B.  Les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sur la crédibilité tirées envers la demanderesse étaient-elles microscopiques ou exagérées?

VI.  Analyse

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à l’équité procédurale en examinant une question qui n’a pas été soulevée à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés ou par l’une des parties en appel?

[11]  À mon avis, la Section d’appel des réfugiés n’a pas soulevé de nouvelle question pour deux raisons. Tout d’abord, la crédibilité de la demanderesse était déjà une question dont la Section de la protection des réfugiés a été saisie et, ensuite, la nouvelle preuve alléguée, soit la lettre d’acceptation de l’Université de Regina, faisait partie du dossier officiel devant la Section de la protection des réfugiés et a été examinée à juste titre par la Section d’appel des réfugiés.

[12]  De nouvelles questions sont soulevées en appel lorsqu’elles constituent un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision contestée est erronée (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, au paragraphe 67 [Ching]; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876, au paragraphe 30). Ces nouvelles questions doivent être présentées aux parties qui doivent avoir la possibilité d’y répondre au titre de l’équité procédurale.

[13]  En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés n’a pas soulevé de nouvelle question en appel parce que la crédibilité de la demanderesse était déjà en cause devant la Section de la protection des réfugiés. Il n’y a pas de problème d’équité procédurale lorsque la Section d’appel des réfugiés invoque un autre fondement pour remettre en cause la crédibilité de la demanderesse au moyen du dossier de la preuve dont était saisie la Section de la protection des réfugiés (Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, aux paragraphes 27 à 32). La demanderesse avait déjà été informée que la crédibilité était une question à trancher selon la décision originale de la Section de la protection des réfugiés.

[14]  Les conclusions de la Section d’appel des réfugiés selon lesquelles la lettre d’acceptation de l’Université de Regina et le Système mondial de gestion de cas portent sur le paiement des frais universitaires touchent à l’essence même de l’uniformité du récit de la demanderesse et au bout du compte à sa crédibilité globale. Ce n’est pas une nouvelle question parce que les parties savaient déjà que la crédibilité était en cause (Ching, au paragraphe 67).

[15]  Dans l’ensemble, la présente affaire est semblable à celle de la décision Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380, aux paragraphes 21 à 30), où la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il existait de nouveaux éléments de preuve au dossier qui minaient la crédibilité de la demanderesse. En l’espèce, la demanderesse ne peut pas alléguer avoir été prise par surprise lorsque la Section d’appel des réfugiés a examiné les documents mêmes qu’elle a présentés à la Section de la protection des réfugiés.

B.  Les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sur la crédibilité tirées envers la demanderesse étaient-elles microscopiques ou exagérées?

[16]  À mon avis, la Section d’appel des réfugiés n’a ni exagéré ni fait un examen microscopique lorsqu’elle a évalué la crédibilité de la demanderesse. La Section d’appel des réfugiés a plutôt écarté ou nuancé plusieurs conclusions de la Section de la protection des réfugiés qui étaient excessivement minutieuses, mais qui n’étaient pas fatales à la décision dans son ensemble. La Section d’appel des réfugiés a fondé ses propres conclusions concernant la crédibilité sur des incohérences entre le témoignage de la demanderesse, son formulaire Fondement de la demande d’asile et l’affidavit de sa mère et sur ses réponses vagues et évasives lorsqu’elle a été interrogée sur ces incohérences. La Section d’appel des réfugiés a également expliqué pourquoi elle a accordé un poids limité à la preuve corroborante de la demanderesse, et notre Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de ces conclusions.

VII.  Conclusion

[17]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3058-17

 

INTITULÉ :

MONISOLA OLUWASEYI ADEOYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2018

 

COMPARUTIONS :

Daniel Etoh

POUR LA DEMANDERESSE

Amy Lambiris

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Daniel Etoh

Avocats et notaires publics

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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