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Date : 20180215


Dossiers : T-389-11

T-1668-10

Référence : 2018 CF 181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2018

En présence de monsieur le juge Locke

Dossier : T-389-11

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

ASTRAZENECA CANADA INC.

défenderesse

Dossier : T-1668-10

ET ENTRE :

ASTRAZENECA AKTIEBOLAG, ASTRAZENECA CANADA INC. et ASTRAZENECA UK LIMITED

demanderesses/
défenderesses reconventionnelles

et

APOTEX INC. ET

APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses/
demanderesses reconventionnelles

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente décision suit un procès qui s’est déroulé sur plusieurs semaines en mai et en juin 2017 en ce qui concerne deux actions. Des observations supplémentaires ont été présentées en janvier 2018 après une décision de la Cour suprême du Canada qui a eu une incidence sur les deux actions.

[2]  Dans l’action principale (dossier de la Cour no T-389-11), Apotex Inc. (Apotex) demande des dommages-intérêts aux termes de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (modifié depuis) (le Règlement) pour les pertes qu’elle a subies pendant la période où sa version de l’ésoméprazole magnésien (comprimés de 40 mg et de 20 mg) a été tenue à l’écart du marché en raison de l’application du Règlement. Le produit pharmaceutique d’Apotex est appelé Apo-Esomeprazole.

[3]  En février 2007, Apotex a entrepris des démarches pour obtenir la permission de commercialiser une version générique de l’ésoméprazole magnésien commercialisé par AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) sous le nom de Nexium en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Dans le cadre de ce processus, Apotex devait traiter 10 brevets qu’AstraZeneca a indiqués sur la liste des brevets associés à son produit aux termes du Règlement. Apotex s’est acquittée de cette obligation en signifiant sept avis d’allégation à AstraZeneca le 17 janvier 2008, dans lesquels elle soutenait, pour divers motifs, que les brevets inscrits sur la liste ne devraient pas l’empêcher d’obtenir un avis de conformité (AC) requis pour l’accès au marché. En réponse aux avis d’allégation (AA) d’Apotex, AstraZeneca a déposé sept demandes distinctes aux termes du Règlement le 7 mars 2008 (dossiers de la Cour nos T-371-08, T-372-08, T-373-08, T-374-08, T-376-08, T-377-08, T-378-08), dans lesquelles elle demandait d’interdire au ministre de la Santé d’accorder un AA à Apotex. En raison de l’application du Règlement, la délivrance de l’AC à Apotex a été suspendue en attendant le règlement des demandes d’AstraZeneca.

[4]  Finalement, ces demandes ont toutes été abandonnées ou rejetées. Plus précisément, les dossiers de la Cour nos T-374-10, T-376-10, T-377-10 et T-378-10 ont été abandonnés le 16 octobre 2008, le dossier de la Cour no T-373-10 a été abandonné le 17 février 2009, le dossier de la Cour no T-372-10 a été rejeté sur consentement le 25 mai 2010 et le dossier de la Cour no T-371-08 a été rejeté le 16 juin 2010 par une décision de la Cour (2010 CF 714). Dans cette décision, la Cour a jugé que les allégations d’Apotex concernant l’invalidité du brevet canadien no 2 139 653 (le brevet 653) pour cause d’absence d’utilité et pour cause d’évidence étaient justifiées. Apotex a obtenu son avis de conformité le 17 juin 2010.

[5]  La période pendant laquelle Apotex a déclaré ses pertes (période de délai) commence le 11 décembre 2009, la date à laquelle Santé Canada a certifié que son examen de la PADN était terminé et qu’elle ne délivrerait un AC que lorsque les exigences du Règlement seraient respectées. On appelle souvent cette période de délai la date de mise en attente de brevet. La période de délai prend fin au règlement de la dernière des procédures intentées aux termes du Règlement, le 16 juin 2010.

[6]  Dans sa défense dans le dossier de la Cour no T-389-11 (l’action fondée sur l’article 8), AstraZeneca invoque de nombreuses raisons pour lesquelles Apotex ne devrait pas se voir accorder d’indemnité ou pour lesquelles tout montant accordé à cet égard devrait être réduit. Parmi ces raisons figurent les allégations selon lesquelles, si Apotex n’avait pas été écartée du marché pendant la période de délai, tout produit d’Apo-Esomeprazole qu’elle aurait vendu aurait contrevenu au brevet 653 et au brevet canadien no 2 193 994 (le brevet 994). Apotex répond que ces brevets sont invalides et qu’elle n’y a donc pas contrevenu. Apotex allègue également que son produit n’était pas visé par les revendications du brevet 994. Apotex ne conteste pas le fait que son produit était visé par les revendications du brevet 653.

[7]  Pour ce qui est du brevet 994, les parties s’entendent maintenant pour dire que le produit d’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen d’un procédé qui emploie le catalyseur de titane (le procédé au titane) était visé par les revendications du brevet 994, alors que le produit d’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen d’un procédé qui emploie le catalyseur de zirconium (le procédé au zirconium) n’est pas visé. De plus, la validité du brevet 994 n’est plus contestée. Il semble être admis de part et d’autre que tous les produits d’Apo-Esomeprazole qui ont été vendus commercialement dans le monde réel ont été fabriqués selon le procédé au zirconium qui ne constituait pas de la contrefaçon.

[8]  Le récit concernant le brevet 653 est plus intéressant et il est expliqué à partir du paragraphe  [11] ci-dessous. Il suffit pour l’instant de dire qu’il n’est pas contesté que le procédé au zirconium et le procédé au titane entraînent la fabrication de l’Apo-Esomeprazole qui est visée du moins en partie par les revendications du brevet 653.

[9]  Dans l’autre action à examiner dans le cadre de la présente décision (dossier de la Cour no T-1668-10), AstraZeneca, ainsi qu’AstraZeneca Aktiebolag (AstraZeneca Sweden) et AstraZeneca UK Limited (AstraZeneca UK), demande des dommages-intérêts et d’autres réparations de la part d’Apotex, ainsi que de la part d’Apotex Pharmachem Inc. (Pharmachem), pour avoir contrevenu aux brevets 653 et 994 lorsqu’Apotex a obtenu son AC pour l’Apo-Esomeprazole. Tout comme dans l’action fondée sur l’article 8, Apotex et Pharmachem allèguent dans le dossier de la Cour no T-1668-10 (l’action en contrefaçon) que les brevets 653 et 994 sont invalides et que l’Apo-Esomeprazole n’était pas visé par les revendications du brevet 994. Là encore, Apotex ne conteste pas le fait que l’Apo-Esomeprazole est visé par les revendications du brevet 653.

[10]  Pour ce qui est du brevet 994, les parties s’entendent sur le libellé d’une déclaration de contrefaçon aux termes de laquelle les seules questions en litige sont i) celles de savoir si, et dans quelle mesure, les exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon sont applicables; et ii) si la responsabilité d’Apotex ou Pharmachem, le cas échéant, s’évalue en dollars. Ces questions seront abordées dans le cadre d’une audience ultérieure.

A.  Historique judiciaire du brevet 653 dans l’action en contrefaçon

[11]  Je reviens maintenant au brevet 653. Dans le cadre de l’action en contrefaçon, les parties se sont entendues pour écarter les questions suivantes : i) toute exception liée à l’usage expérimental et réglementaire, ii) le montant de tous dommages-intérêts ou bénéfices, et iii) toutes les questions liées au brevet 994. Par conséquent, les parties ont procédé à une première instruction qui portait essentiellement sur le brevet 653. Comme il n’a pas été contesté que l’Apo-Esomeprazole était visé par les revendications du brevet 653, les seules questions en litige dans le premier procès sur l’action en contrefaçon concernaient la validité du brevet 653.

[12]  Le juge Donald J. Rennie (alors juge de la Cour) a présidé ce procès tenu de septembre à novembre 2013. Les questions en litige sur la validité du brevet 653 étaient i) l’utilité (ou l’absence d’utilité), ii) la nouveauté (ou l’antériorité), et iii) l’inventivité (ou l’évidence). Le juge Rennie a rendu sa décision (2014 CF 638) le 2 juillet 2014. Il a conclu que le brevet 653 possédait le caractère requis de la nouveauté et de l’inventivité, mais qu’il était invalide pour absence d’utilité. Le fondement de la conclusion d’absence d’utilité portait que le brevet 653 promettait un certain bienfait thérapeutique qui n’avait pas été démontré et qui ne pouvait pas être valablement prédit à la date du dépôt de brevet.

[13]  AstraZeneca et ses sociétés affiliées ont interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel fédérale en faisant valoir que le juge Rennie avait mal interprété la promesse en question. Pour leur part, Apotex et Pharmachem ont fait valoir que le juge Rennie avait commis une erreur lorsqu’il a conclu que le brevet 653 possédait le caractère de la nouveauté et de l’inventivité. Le 6 juillet 2015, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel concernant l’absence d’utilité, et elle a conclu qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner les questions de la nouveauté et de l’inventivité soulevées par Apotex. Cette décision porte le numéro de référence 2015 CAF 158. Par conséquent, la décision du juge Rennie est demeurée inchangée après l’appel.

[14]  AstraZeneca et ses sociétés affiliées ont obtenu l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada. L’appel devant la Cour suprême du Canada a été entendu en novembre 2016. Sa décision (2017 CSC 36, la décision de la CSC) a été rendue le 30 juin 2017. Elle a conclu que la doctrine de la promesse appliquée par le juge Rennie n’est pas l’approche appropriée pour établir l’utilité d’un brevet. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel, elle a annulé les décisions du juge Rennie et de la Cour d’appel fédérale et elle a déclaré que le brevet 653 n’est pas invalide pour absence d’utilité.

B.  Instruction de 2017 des présentes actions

[15]  Pour ce qui est des questions liées au brevet 994 réglées en grande partie, le procès devant moi concerne principalement l’action fondée sur l’article 8.

[16]  Pendant l’instruction en mai et en juin 2017, la décision de la CSC n’avait pas encore été rendue. Par conséquent, le brevet 653 était considéré comme invalide, malgré la compréhension que la CSC se pencherait sur la question. Sans le brevet 653, les moyens de défense d’AstraZeneca dans l’action fondée sur l’article 8 étaient limités. La majeure partie de l’instruction a été consacrée à la preuve portant sur le montant de l’indemnité (le cas échéant) à accorder à Apotex, y compris ce qu’il serait advenu dans un monde hypothétique où AstraZeneca n’a jamais intenté de procédures contre Apotex aux termes du Règlement (demandes d’interdiction), les ventes de l’Apo-Esomeprazole qu’Apotex aurait réalisées durant la période de délai et les coûts associés à ces ventes.

[17]  La décision de la CSC a profondément changé le caractère de l’action fondée sur l’article 8. Dans ses observations supplémentaires, AstraZeneca allègue que le brevet 653 a maintenant été déclaré valide. Selon elle, à cet égard et en raison du fait que la contrefaçon n’a jamais été contestée, toutes les ventes d’Apo-Esomeprazole qu’Apotex aurait réalisées dans le monde hypothétique auraient contrevenu au brevet 653 d’AstraZeneca et qu’Apotex devrait donc se voir priver de toute indemnité fondée sur l’article 8 du Règlement.

[18]  Apotex n’est pas d’accord. Tout d’abord, Apotex fait remarquer que dans sa décision, la CSC n’a pas déclaré que le brevet 653 était valide, mais simplement qu’il n’était pas invalide pour absence d’utilité. Elle soutient que le brevet 653 demeure en fait invalide, mais pour d’autres motifs. Ensuite, Apotex note que, même s’il y avait eu une déclaration selon laquelle le brevet 653 est valide, elle serait peu pertinente puisque l’action fondée sur l’article 8 doit porter sur le monde hypothétique et non sur le monde réel. Apotex soutient que rien dans la preuve n’indique que dans le monde hypothétique i) AstraZeneca aurait poursuivi Apotex pour contrefaçon d’un brevet, ii) les parties n’auraient pas réglé l’affaire avant le procès, iii) la CSC aurait autorisé le pourvoi ou iv) la CSC aurait tranché l’appel de la même façon.

[19]  Fait peut-être le plus important, Apotex allègue que la décision de la CSC donne une raison de croire que le « méfait » que constitue la promesse non respectée concernant le brevet 653 demeure un fondement d’invalidité pour des motifs autres que l’absence d’utilité. Apotex soutient que d’autres éléments de preuve sont nécessaires en ce qui concerne les autres motifs d’invalidité et qu’il est prématuré de rendre une décision en ce qui concerne l’action fondée sur l’article 8 tant que ces éléments de preuve supplémentaires n’ont pas été reçus. En outre, Apotex note qu’elle a modifié sa réponse en octobre 2017 pour alléguer que, dans le monde hypothétique, elle aurait trouvé une solution de rechange pour éviter la contrefaçon du brevet 653 (un produit de substitution non contrefaisant ou PSNC). Elle allègue qu’une preuve supplémentaire est requise sur cette question également. Apotex demande à avoir la possibilité de fournir d’autres éléments de preuve avant que je rende une décision.

II.  Question préliminaire : Les parties devraient-elles avoir la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve?

[20]  La demande d’Apotex pour déposer d’autres éléments de preuve devrait être examinée en premier parce que, si une preuve supplémentaire est reçue, il est en effet prématuré de rendre cette décision. D’un autre côté, si aucun autre élément de preuve n’est déposé, il n’y a alors aucune raison de retarder ma décision.

A.  Apotex peut-elle encore attaquer de façon méritoire la validité du brevet 653?

[21]  Si la validité du brevet 653 demeure en litige, il peut alors être pertinent de permettre le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires. D’un autre côté, si l’effet de la décision de la CSC consistait à interdire d’autres attaques à la validité du brevet 653, il s’ensuit que cette contrefaçon (du moins par l’Apo-Esomeprazole d’Apotex dans le monde hypothétique) a donc été établie et qu’aucun autre élément de preuve n’est nécessaire ou approprié. Je dois donc établir l’incidence de la décision de la CSC.

[22]  Au paragraphe 2 de la décision de la CSC, le juge Malcolm Rowe (s’exprimant unanimement au nom de la Cour) a résumé ainsi l’affaire devant la Cour :

Dans le présent pourvoi, il s’agit avant tout de déterminer si le brevet d’AstraZeneca est invalide suivant l’art. 2 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c. P‑4, pour absence d’utilité en application de la doctrine de la « promesse du brevet » (doctrine de la promesse). Il ne fait aucun doute qu’un brevet est invalide s’il n’a pas d’utilité. Cependant, pour les motifs qui suivent, je conclus que l’application de la doctrine de la promesse n’est pas la bonne approche pour établir si un brevet a ou non une utilité suffisante. Si le juge de première instance n’avait pas appliqué cette doctrine, il aurait été contraint de conclure que le brevet 653 avait une telle utilité et aurait maintenu sa validité. Par conséquent, je suis d’avis d’infirmer les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, qui ont invalidé le brevet 653 pour absence d’utilité.

[23]  Le paragraphe 64 de la décision de la CSC est ainsi rédigé : « Le pourvoi est accueilli. Le brevet 653 n’est pas invalide pour absence d’utilité. AstraZeneca a droit à ses dépens devant la Cour et devant les juridictions inférieures ».

[24]  Le jugement de la CSC dans cet arrêt est le suivant :

[traduction] L’appel interjeté à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, numéro A-420-14, 2015 CAF 158, daté du 6 juillet 2015, entendu le 8 novembre 2016, est accueilli avec dépens devant toutes les cours. Le brevet 2 139 653 détenu par les appelantes n’est pas invalide pour absence d’utilité.

[25]  Les parties semblent être d’accord pour dire que je dois interpréter l’intention de la CSC dans sa décision et non la modifier.

[26]  Apotex allègue que la CSC a délibérément limité son jugement à la question de l’utilité et que sa conclusion ne porte pas sur la validité dans son ensemble. Apotex note que, malgré le rejet de la doctrine de la promesse (qui s’applique à l’utilité du brevet), la CSC a reconnu que la formulation de promesses excessives constitue un méfait (paragraphe 45) et elle a déclaré que « [l]e régime de la Loi [sur les brevets] s’attaque au méfait des promesses excessives de plusieurs façons » (paragraphe 46). Plus loin dans le même paragraphe, la CSC a indiqué trois motifs précis aux termes desquels un brevet pourrait être déclaré invalide pour promesses excessives : i) les revendications excessives, ii) l’insuffisance de la divulgation et iii) l’omission ou l’addition inutile dans le mémoire descriptif volontairement faite pour induire en erreur.

[27]  Apotex note également que la CSC n’a jamais abordé les questions de la nouveauté (ou l’antériorité) et de l’inventivité (ou l’évidence) que la CAF n’a pas jugé bon d’examiner. Comme la conclusion d’absence d’utilité a été écartée, Apotex allègue que ces questions sont devenues pertinentes une fois de plus.

[28]  Apotex fait également remarquer qu’une grande partie de la réparation qu’AstraZeneca souhaitait expressément obtenir devant la CSC n’a pas été accordée dans son jugement. Cela comprenait une déclaration de contrefaçon, l’octroi de dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices au gré d’AstraZeneca, et les intérêts. Apotex allègue que cela indique l’intention par la CSC de ne pas accepter que le brevet 653 soit valide.

[29]  Il est important de noter qu’Apotex a formulé des arguments semblables à ceux-ci devant la CSC elle-même dans une requête en vue d’obtenir i) une modification du jugement de la CSC pour renvoyer certaines questions relatives à la validité du brevet 653 à la Cour fédérale et d’autres à la CAF et ii) une nouvelle audience devant la CSC. Cette dernière a rejeté la requête sans donner de motifs.

[30]  Il ne semble pas contesté que l’affaire qui a été entendue par le juge Rennie avait pour but d’aborder toutes les questions relatives à la validité du brevet 653. Il convient également de comprendre qu’un brevet est présumé valide : paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4. Le seul motif d’invalidité que le juge Rennie a accepté était l’absence d’utilité fondée sur la doctrine de la promesse. Cette conclusion ayant maintenant été écartée par le plus haut tribunal, cette Cour ayant également refusé explicitement d’examiner d’autres motifs d’invalidité, je conclus qu’Apotex n’a plus de possibilité de contester la validité du brevet 653.

[31]  À mon avis, la CSC a indiqué que la validité du brevet 653 a finalement été tranchée dans sa décision lorsqu’elle a déclaré au paragraphe 2 que « [s]i le juge de première instance n’avait pas appliqué [la doctrine de la promesse], il aurait été contraint de conclure que le brevet 653 avait une telle utilité et aurait maintenu sa validité » (non souligné dans l’original).

[32]  Le fait que certaines demandes de réparation précises qui ont été incluses dans les observations d’AstraZeneca n’ont pas été mentionnées dans le jugement de la CSC ne modifie pas mon opinion. Rien n’indique que la CSC avait l’intention de refuser une déclaration de contrefaçon et tout indique qu’elle avait l’intention d’accorder une telle réparation.

[33]  Pour ce qui est des renvois dans les paragraphes 45 et 46 au fait que les promesses excessives constituent un méfait qui peuvent être abordés d’autres façons, je ne suis pas convaincu que je devrais inférer que le brevet 653 lui-même est invalide pour d’autres motifs. Si la CSC avait souhaité que la validité du brevet 653 demeure en litige pour d’autres motifs, je me serais attendu à ce qu’elle le dise.

[34]  Rien n’indique non plus que la CSC avait l’intention de modifier l’état du droit portant sur d’autres motifs d’invalidité du brevet. Je suis d’accord avec mon collègue le juge Henry S. Brown qui a récemment fait observer que, si la CSC avait voulu dire que la doctrine de la promesse était toujours fondée en droit pour d’autres motifs d’invalidité du brevet, elle l’aurait fait; or, elle ne l’a pas fait : décision Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CF 774, au paragraphe 360.

[35]  Apotex allègue que le juge Brown et AstraZeneca ont mal compris les modifications de la loi qu’Apotex invoque. Elle semble alléguer que ce n’est pas le droit lui-même qui a changé en ce qui concerne les autres motifs de validité mentionnés au paragraphe 46 de la décision de la CSC, mais plutôt l’application de la promesse excessive à ces motifs. Je dois admettre que je ne comprends pas la distinction qu’Apotex tente d’établir en l’espèce. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que les autres motifs d’invalidité du brevet 653 doivent être examinés davantage.

[36]  Enfin, tout doute qui pouvait subsister quant à l’intention de la CSC dans sa décision au sujet de la validité du brevet 653 a été éliminé, à mon avis, par le rejet de la requête d’Apotex par la CSC.

B.  Argument d’Apotex au sujet du PSNC

[37]  Dans sa troisième réponse modifiée en date du 16 octobre 2017, Apotex ajoute l’allégation suivante au paragraphe 21 :

[traduction] Apotex déclare que dans le monde hypothétique et pendant toute la période pertinente, elle aurait pu et aurait fourni dans le marché pharmaceutique canadien le produit Apo-Esomeprazole qui ne contrevenait pas aux revendications du brevet 653 si on l’avait enjoint de le faire aux termes d’une conclusion de contrefaçon. En particulier, Apotex aurait pu facilement fabriquer et a fabriqué des sels d’ésoméprazole magnésien dont la pureté est inférieure à celle précisée dans les revendications du brevet 653 y compris environ 90 % d’ee comme celle expliquée dans l’art antérieur.

[38]  Il semble que ce soit l’allégation qui appuie l’argument d’Apotex relatif au PSNC.

[39]  AstraZeneca note que le droit d’Apotex de modifier ses réponses s’explique par la modification par AstraZeneca de sa défense afin de déposer de nouvelles allégations liées à la validité rétablie du brevet 653 après la décision de la CSC. AstraZeneca allègue qu’il n’était pas approprié pour Apotex de déposer de nouvelles allégations qui allaient au-delà de la portée des modifications apportées à la défense d’AstraZeneca. Elle soutient qu’Apotex aurait dû présenter une requête pour demander ces modifications et, qu’en l’absence d’une telle requête, les nouvelles allégations d’Apotex sur le PSNC ne devraient pas être prises en considération.

[40]  Apotex répond que ses allégations modifiées concernant le PSNC sont au dossier et que les parties et la Cour doivent aborder les actes de procédure ainsi qu’ils sont présentés. Apotex ajoute que, si AstraZeneca croyait que l’une des nouvelles allégations dans la réponse n’était pas appropriée, elle aurait dû demander sa radiation.

[41]  Je suis d’accord avec Apotex pour dire que les parties et la Cour doivent aborder les actes de procédure ainsi qu’ils sont présentés. Par conséquent, Apotex soulève une allégation relative au PSNC qui devrait être prise en considération. Toutefois, il s’agit d’une nouvelle allégation à l’égard de laquelle Apotex assume le fardeau de la preuve. Tout comme je dois aborder les actes de procédure ainsi qu’ils sont présentés, je dois également examiner la preuve telle qu’elle a été déposée. Il ne suffit pas pour Apotex de formuler certaines allégations sans les appuyer par une preuve adéquate.

[42]  Bien entendu, l’absence d’éléments de preuve au soutien des allégations sur le PSNC est une raison essentielle pour laquelle Apotex demande maintenant la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve. En l’espèce, je me préoccupe de la question de savoir si Apotex a agi de façon diligente pour présenter cette demande.

[43]  La date d’audience du 11 janvier 2018 pour les nouvelles observations en l’espèce à la lumière de la décision de la CSC a été fixée trois mois plus tôt, le 10 octobre 2017. En dehors d’une discussion générale pendant une conférence de gestion de l’instruction plus tôt la même journée en octobre quant à la nécessité possible de déposer de nouveaux éléments de preuve, Apotex n’a jamais fait d’effort avant l’audience de janvier pour déposer ces éléments de preuve ou indiquer qu’elle demanderait le report de l’examen de ces nouvelles observations. Il en est ainsi malgré le fait que durant les trois mois dans l’intervalle, Apotex a déposé de nombreuses observations écrites en ce qui concerne l’action fondée sur l’article 8 et l’action en contrefaçon.

[44]  En outre, selon mon souvenir, la discussion du 10 octobre 2017 sur la nécessité possible de déposer de nouveaux éléments de preuve portait sur le contexte de la requête d’Apotex devant la CSC, qui n’avait pas encore été entendue. Cette requête portait sur l’invalidité du brevet et non sur le PSNC. Selon ma compréhension à ce moment-là, dans l’éventualité où la CSC aurait rejeté la requête d’Apotex, il ne serait pas nécessaire de déposer de nouveaux éléments de preuve.

[45]  Malgré le manque de diligence d’Apotex pour demander la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve, j’ai entendu les arguments des parties quant à la demande pendant l’audition des nouvelles observations. En l’espèce, je me préoccupe qu’Apotex m’a donné peu de raisons de croire que ses allégations sur le PSNC ont une chance raisonnable de succès. Le seul effort concret d’Apotex à cet égard a été un bref renvoi à une décision de la Haute Cour du R.-U. dans Ranbaxy (UK) Limited v AstraZeneca AB, [2011] EWHC 1831, qui porte sur l’un des concurrents d’Apotex, Ranbaxy, et son utilisation apparente d’un PSNC au R.-U. Cela est loin de suffire. J’accepte qu’il puisse être déraisonnable de s’attendre à ce qu’Apotex défende sa thèse relativement au PSNC selon la prépondérance des probabilités à cette étape-ci. Toutefois, Apotex me demande d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour reprendre le procès afin de recevoir de nouveaux éléments de preuve. Avant d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, je m’attends à être convaincu que ce ne sera pas une perte de temps. À mon avis, Apotex avait clairement le fardeau de m’en convaincre. Elle n’y est pas parvenue. Par exemple, elle n’a fait aucune tentative pour démontrer que le produit de Ranbaxy au R.-U. (ou un produit fabriqué au moyen d’un procédé semblable) aurait pu être et aurait été utilisé au Canada par Apotex pendant la période de délai plutôt que l’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen du procédé au titane ou du procédé au zirconium (comme l’a établi la preuve déposée pendant le procès).

[46]  Les observations orales brèves et non convaincantes d’Apotex sur la question démontrent qu’une requête officielle pour déposer de nouveaux éléments de preuve, accompagnée par une preuve et des observations écrites au soutien, aurait été préférable. Même si je ne peux pas dire si une telle requête aurait été plus convaincante, elle aurait au moins donné la possibilité d’obtenir des éléments de preuve plus détaillés et de faire un examen plus approfondi de la question.

[47]  Apotex soutient qu’AstraZeneca n’aurait pas subi de préjudice par un retard causé par le dépôt de nouveaux éléments de preuve (puisqu’Apotex est la demanderesse dans l’action fondée sur l’article 8) et qu’Apotex aurait présenté à la Cour sa question relative au PSNC. Ma préoccupation quant à cet argument est que le 11 janvier 2018 était la journée où elle se serait adressée à la Cour. L’absence de préjudice ne change pas ce fait.

[48]  En raison du manque de diligence d’Apotex pour présenter ses arguments au sujet du PSNC ou de demander la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve, je conclus qu’Apotex n’était pas sérieuse quant à ces allégations relatives au PSNC.

C.  Conclusion sur la question préliminaire

[49]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les parties ne devraient pas avoir la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve. Pour décider du bien-fondé de cette question, j’ai tenu compte de toutes les allégations au dossier, mais également du manque d’éléments de preuve sur certaines questions.

III.  Analyse de l’action fondée sur l’article 8

[50]  Ayant maintenant entendu les observations supplémentaires des parties en ce qui concerne la décision de la CSC et le brevet 653 et après avoir décidé qu’elles ne devraient pas avoir la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve, je suis maintenant en mesure d’examiner le bien-fondé de la prétention d’Apotex dans l’action fondée sur l’article 8.

[51]  En guise d’introduction à cette analyse, j’aimerais faire remarquer qu’une grande partie de la preuve qui a été déposée au procès n’est plus pertinente à ma décision puisqu’elle concerne ce qu’Apotex aurait fait et aurait pu faire dans le monde hypothétique et le montant des ventes, des dépenses et des bénéfices d’Apotex dans le monde hypothétique. Selon ma conclusion qui suit, ces questions sont en grande partie dénuées de pertinence. Pour cette raison, un grand nombre des impressions que je me suis forgées quant à la preuve se passent de commentaire dans la présente décision.

A.  Incidence de la décision de la CSC

[52]  Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la CSC a établi que le brevet 653 est valide. Comme il n’a jamais été contesté que l’Apo-Esomeprazole, ainsi qu’il a été fabriqué et vendu dans le monde réel, est visé par les revendications du brevet 653, la contrefaçon n’est pas remise en question, sauf pour la question relative au PSNC soulevé dans la réponse récemment modifiée d’Apotex.

B.  Cadre juridique de la prétention d’Apotex aux termes de l’article 8

[53]  La version applicable de l’article 8 du Règlement est reproduite en l’espèce :

8 (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

(4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

(6) The Minister is not liable for damages under this section.

[54]  Tel qu’il s’applique à l’action fondée sur l’article 8, le paragraphe 8(1) porte qu’AstraZeneca est responsable envers Apotex de toute perte subie pendant la période de délai. Le paragraphe 8(2) porte sur l’action d’Apotex en vue d’obtenir une indemnité. Selon le paragraphe 8(3), je peux ordonner une telle indemnité sans tenir compte du fait qu’AstraZeneca a institué ou non une action en contrefaçon. Le paragraphe 8(4) indique que si j’accorde une telle indemnité, je peux rendre l’ordonnance que je juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte. Selon le paragraphe 8(5), pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, je dois tenir compte des facteurs que je juge pertinents. Le paragraphe 8(6) n’est pas pertinent en l’espèce.

[55]  Les parties ne s’entendent pas sur l’effet de la contrefaçon du brevet dans le monde hypothétique sur une demande fondée sur l’article 8 du Règlement. AstraZeneca est d’avis que la contrefaçon du brevet dans le monde hypothétique entraîne la responsabilité d’Apotex à l’égard d’AstraZeneca de sorte que toute responsabilité de cette dernière envers Apotex aux termes du paragraphe 8(1) est complètement réduite et la perte d’Apotex aux termes du paragraphe 8(1) est nulle.

[56]  De son côté, Apotex allègue que la contrefaçon n’est pas pertinente à la perte envisagée au paragraphe 8(1) et qu’elle doit plutôt être examinée parmi les questions pertinentes à prendre en considération pour déterminer le montant de l’indemnité conformément au paragraphe 8(5).

[57]  La position selon laquelle la contrefaçon du brevet d’une seconde personne aurait pour effet de la priver de l’indemnité aux termes du paragraphe 8(1) du Règlement a souvent été désignée par la maxime latine ex turpi causa non oritur actio (on ne peut fonder un recours sur une cause immorale).

[58]  La CAF a eu l’occasion d’examiner la pertinence de la contrefaçon d’un brevet par rapport à une demande fondée sur l’article 8 du Règlement dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co. Inc, 2011 CAF 364 [Lovastatin]. Dans cet arrêt, la CAF a déterminé deux exigences relatives à la responsabilité fondée sur le paragraphe 8(1) : i) que la demande de la première personne aux termes du paragraphe 6(1) soit retirée, fasse l’objet d’un désistement ou soit rejetée, et ii) que la seconde personne ait subi la perte au cours de la période de délai (paragraphes 34 et 35). La CAF a refusé de voir dans le paragraphe 8(1) une exclusion lorsque la perte de la seconde personne a été subie du fait qu’elle a été empêchée de contrefaire plus tôt le brevet de la première personne. La CAF a conclu qu’« il n’est pas […] nécessaire d’intégrer une exception ex turpi causa dans le paragraphe 8(1) pour empêcher les contrefacteurs de brevet de se faire indemniser injustement par la première personne » (paragraphe 36). La CAF a ajouté ce qui suit :

[37]  Il en est ainsi parce que le paragraphe 8(5) confère un large pouvoir discrétionnaire au tribunal lorsqu’il s’agit d’évaluer le montant de l’indemnité que la seconde personne doit verser. Le paragraphe 8(5) prévoit que, pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal « tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin », y compris, le cas échéant, de la conduite de l’une ou l’autre personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande d’interdiction présentée par la première personne. À mon avis, cette disposition habilite la Cour à déterminer, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si l’indemnité demandée par la seconde personne devrait être réduite ou éliminée, et dans quelle mesure elle devrait l’être.

[38]  Le vaste pouvoir discrétionnaire dont elle dispose en vertu du paragraphe 8(5) permet à la Cour, lorsqu’elle examine des arguments fondés sur l’exception ex turpi causa, de considérer la situation factuelle en son entier, dans toutes ses nuances. [...] Le tribunal sera sans doute mieux en mesure d’appliquer le principe ex turpi causa dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire plutôt qu’en appliquant des règles délimitant la responsabilité. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, le tribunal est en mesure de déterminer le montant approprié de l’indemnité à accorder (lequel peut être égal à zéro) d’une manière qui tient dûment compte de tous les faits pertinents.

[59]  La CAF a clairement favorisé le paragraphe 8(5) par rapport au paragraphe 8(1) quant au contexte de prise en compte du principe ex turpi causa.

[60]  AstraZeneca allègue qu’elle n’invoque pas le principe ex turpi causa en l’espèce. Selon elle, tout bénéfice qu’Apotex pourrait avoir obtenu des ventes perdues aurait été complètement réduit par sa responsabilité à l’égard d’AstraZeneca pour la contrefaçon du brevet 653 et ainsi l’exigence du paragraphe 8(1) selon laquelle Apotex doit avoir subi une perte n’est simplement pas respectée parce que cette perte est nulle. AstraZeneca affirme que la CAF n’a pas exclu cet argument.

[61]  L’argument d’AstraZeneca semble à première vue favorisé par la décision de mon collègue le juge Robert L. Barnes dans AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CF 726 [Losec]. Dans cette décision, la Cour a conclu que les ventes perdues d’Apotex auraient été contrefaisantes. Au paragraphe 219, le juge Barnes a déclaré qu’« Apotex n’a pas droit à un recouvrement aux termes de l’article 8 du Règlement, car elle n’a subi aucune perte pour avoir été écartée du marché » (non souligné dans l’original). Toutefois, d’autres passages de la décision Losec indiquent que la « réduction » de la responsabilité d’Apotex en matière de contrefaçon par rapport à ses pertes fondées sur l’article 8 a été faite conformément à la disposition discrétionnaire du paragraphe 8(5). Au paragraphe 214, le juge Barnes a déclaré qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de la contrefaçon. Le pouvoir discrétionnaire s’applique aux termes du paragraphe 8(5), mais non aux termes du paragraphe 8(1). De plus, au paragraphe 218, le juge Barnes a cité l’opinion émise dans l’arrêt Lovastatin selon laquelle « il n’est pas nécessaire d’appliquer la théorie de l’illégalité pour trancher cette question » et que de fait, l’« application stricte de ce principe peut, dans certains cas, entraîner une indemnité insuffisante pour une partie ».

[62]  À mon avis, il est préférable, du moins en l’espèce, de tenir compte de la contrefaçon d’Apotex dans le monde hypothétique aux termes du paragraphe 8(5) plutôt que du paragraphe 8(1). Cette approche permet l’exercice du pouvoir discrétionnaire et semble être ce que la CAF avait à l’esprit dans l’arrêt Lovastatin.

[63]  De plus, je note que le Règlement prévoit que je détermine non pas le montant de la perte, mais bien celui de l’indemnité (le cas échéant) qui devrait être accordée à Apotex relativement à cette perte. Même si la perte est une exigence du paragraphe 8(1), son montant est secondaire.

[64]  Au bout du compte, en l’espèce, la question de savoir si les ventes contrefaisantes d’Apotex dans le monde hypothétique sont prises en compte au paragraphe 8(1) ou au paragraphe 8(5) a peu d’importance. L’élément important est que ce facteur soit pris en considération.

C.  Que serait-il arrivé dans le monde hypothétique?

[65]  Comme je l’ai mentionné, l’évaluation de l’indemnité attribuée dans le cadre de l’action fondée sur l’article 8 nécessite la détermination de ce qui serait arrivé dans le monde hypothétique.

[66]  Un principe clé est que le monde réel est à la base de la construction de la situation hypothétique et que le comportement dans le monde réel est très important au regard de ce qui se serait passé dans la situation hypothétique : arrêt Apotex Inc c Merck & Co, Inc, 2015 CAF 171, au paragraphe 90. Toutes les mesures qui ont été réellement prises l’ont aussi été dans le monde hypothétique sauf s’il existe des éléments de preuve qui permettent au juge des faits de conclure raisonnablement que des mesures différentes auraient été prises : Teva Canada Limitée c Sanofi-Aventis Canada Inc, 2014 CAF 67, au paragraphe 145.

[67]  D’un autre côté, la prise en compte de ce qui s’est passé dans le monde réel ne doit pas se traduire par un parti pris a posteriori de ce qui se serait passé dans la situation hypothétique : Airbus Helicopters, S.A.S. c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2017 CF 170, au paragraphe 295.

[68]  Il incombe à Apotex d’établir le monde hypothétique, selon une prépondérance des probabilités : Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161 [Venlafaxine], au paragraphe 54.

[69]  La construction du monde hypothétique constitue une recherche concernant les faits d’une manière décisive et logique : Venlafaxine, au paragraphe 55.

[70]  Dans la construction du monde hypothétique, la Cour doit déterminer ce qu’une partie aurait fait et ce qu’elle aurait pu faire si les procédures d’interdiction n’avaient pas été intentées. Comme l’a déclaré la CAF dans l’arrêt Venlafaxine, au paragraphe 51 :

Les deux éléments doivent être présents. « Aurait pu » ne prouve pas « aurait eu »; « aurait eu » ne prouve pas « aurait pu » :

  Les éléments de preuve qui indiquent qu’une partie aurait fait quelque chose n’établissent pas qu’elle aurait pu faire quelque chose. Je pourrais jurer sur tous les saints que j’aurais couru dans un marathon à Toronto le 1er avril, mon but étant de le terminer, mais cela ne dit rien à savoir si j’aurais pu le terminer. Je ne suis peut-être pas suffisamment en forme pour le terminer.

  La preuve voulant qu’une partie ait pu faire quelque chose n’établit pas qu’elle aurait fait quelque chose. Un entraîneur pourrait témoigner et dire que j’étais suffisamment en forme pour terminer un marathon à Toronto le 1er avril, mais cela n’indique pas si j’aurais pu le terminer. Peut-être que le 1er avril j’aurais laissé tomber le marathon et j’aurais assisté à une partie de baseball à la place.

[71]  Dans la construction du monde hypothétique, il est important de garder à l’esprit que la décision de la CSC dans le monde réel au sujet de la validité du brevet 653 n’est pas encore rendue. Cette décision peut avoir des conséquences importantes sur le montant de l’indemnité accordée, mais elle n’a pas d’incidence sur les événements antérieurs dans le monde réel. Par conséquent, la preuve du monde hypothétique qui a été déposé pendant le procès (avant la décision de la CSC) demeure aussi crédible maintenant qu’elle l’était à ce moment.

[72]  Dans sa plaidoirie finale en juin 2017 (avant la décision de la CSC), Apotex était d’avis que dans le monde hypothétique elle aurait lancé l’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen du procédé au zirconium en décembre 2009. Elle a également reconnu qu’elle avait effectué des tests en utilisant l’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen du procédé au titane. Elle n’a déposé aucune preuve en ce qui concerne l’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen d’un autre procédé.

[73]  La position d’AstraZeneca en juin 2017 était que la preuve d’Apotex ne suffisait pas pour établir qu’elle aurait lancé l’Apo-Esomeprazole pendant la période de délai. Subsidiairement, AstraZeneca a allégué que les ventes par Apotex de l’Apo-Esomeprazole pendant la période de délai auraient été moindres que ce qu’affirmait Apotex. AstraZeneca a contesté la question de savoir si Apotex aurait pu obtenir suffisamment de quantités d’Apo-Esomeprazole fabriqué au moyen du procédé au zirconium pour effectuer les ventes invoquées.

[74]  Rien dans la preuve n’appuie l’affirmation d’Apotex selon laquelle elle aurait commercialisé l’Apo-Esomeprazole pendant la période de délai qui n’aurait pas contrefait le brevet 653. En fait, l’âme dirigeante d’Apotex, M. Bernard Sherman, a indiqué dans son témoignage que le brevet 653 ne pouvait être évité. Même si Apotex fait remarquer à juste titre que le point de vue de M. Sherman n’est pas déterminant quant à la question de la contrefaçon, il est très instructif sur la question de savoir si Apotex aurait trouvé (ou même cherché) un PSNC.

[75]  Je conclus donc qu’il est plus que probable, dans le monde hypothétique, qu’Apotex aurait lancé son produit Apo-Esomeprazole et que ce produit aurait contrefait le brevet 653. En raison de mes conclusions qui suivent, il n’est pas nécessaire que je décide à quel moment Apotex aurait pénétré le marché.

[76]  Comme je l’ai mentionné, Apotex soutient que rien dans la preuve n’indique que l’un des éléments suivants serait survenu dans le monde hypothétique : i) AstraZeneca aurait poursuivi Apotex pour contrefaçon d’un brevet, ii) les parties n’auraient pas réglé l’affaire avant le procès, iii) la CSC aurait autorisé le pourvoi ou iv) la CSC aurait tranché l’appel de la même façon. Par conséquent, Apotex soutient, aux fins de la construction du monde hypothétique, que le brevet 653 aurait été jugé invalide, tout comme il l’était dans le monde réel pendant la période de délai.

[77]  AstraZeneca conteste la pertinence d’une telle procédure juridique dans le monde hypothétique. Elle allègue que nous savons maintenant que le brevet 653 était valide durant la période de délai et qu’il aurait dû être considéré à ce titre pour l’évaluation de l’indemnité aux termes de l’article 8 du Règlement, peu importe la question de savoir s’il aurait été jugé valide dans le monde hypothétique. Selon mes conclusions ci-dessous, il n’est pas nécessaire que je tranche cette question. Dans les paragraphes qui suivent, je vais examiner la question de savoir si les événements énumérés au paragraphe qui précède seraient survenus dans le monde hypothétique.

[78]  En ce qui concerne la question de savoir si AstraZeneca aurait poursuivi Apotex pour contrefaçon du brevet 653, Apotex allègue que je devrais tirer une conclusion défavorable contre AstraZeneca en raison de l’absence d’éléments de preuve puisqu’elle contrôle toute la preuve sur la question. À l’appui de cet argument, Apotex cite le paragraphe suivant de la décision MacMaster (Litigation guardian of) v York (Regional Municipality) (1997), 42 OTC 167, 42 MPLR (2e) 90, au paragraphe 28 (C.J. Ont, Div. gén.) :

[traduction] Une conclusion défavorable accompagnée d’un poids variable peut être tirée dans un cas où une partie n’appelle pas un témoin important et qu’il est évident, selon l’ensemble des autres éléments de preuve dans l’affaire, que le témoin, qui était à la disposition de cette partie, aurait pu aider la Cour en témoignant sur une question importante.

[79]  Je refuse de tirer la conclusion que demande Apotex. Pour tirer une telle conclusion, je m’attendrais à être convaincu qu’AstraZeneca ne souhaitait pas déposer d’éléments de preuve sur cette question parce qu’ils ne lui étaient pas favorables. À mon avis, l’omission par AstraZeneca de déposer une preuve selon laquelle elle aurait poursuivi Apotex pour avoir contrefait le brevet 653 s’explique probablement parce que ce fait semblait peu important pendant le procès avant que la CSC annule l’invalidité du brevet 653. Je ne vois aucune raison de croire qu’AstraZeneca ne souhaitait pas déposer d’éléments de preuve sur cette question parce qu’elle ne lui était pas favorable.

[80]  Ce qui est peut-être plus important, le propre témoin d’Apotex, M. Sherman a déclaré qu’il était inconcevable qu’AstraZeneca cherche à faire respecter ses droits de brevetée dans le monde hypothétique comme elle l’avait fait dans le monde réel. Je ne vois aucune raison de douter de cet argument et j’ai toutes les raisons de l’accepter.

[81]  Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que dans le monde hypothétique, AstraZeneca aurait poursuivi Apotex pour contrefaçon d’un brevet peu de temps après le lancement par Apotex de l’Apo-Esomeprazole, comme elle l’a fait dans le monde réel. Apotex soutient que si AstraZeneca l’avait poursuivie dans le monde hypothétique, elle l’aurait fait environ six mois plus tôt qu’elle l’a fait dans le monde réel. Cela semble raisonnable.

[82]  Je me penche maintenant sur l’argument d’Apotex selon lequel, même si AstraZeneca l’avait poursuivie pour contrefaçon du brevet 653 dans le monde hypothétique, rien dans la preuve n’indique que les parties ne seraient pas parvenues à une entente avant le procès, de sorte que l’applicabilité de la doctrine de la promesse n’aurait jamais été débattue. Là encore, je ne vois aucune raison de douter du fait que ce qui s’est passé dans le monde réel serait survenu dans le monde hypothétique. Je conclus qu’il n’y aurait probablement pas eu de règlement. Selon la différence d’environ six mois quant au moment du début de l’action dans le monde hypothétique par rapport au monde réel, je conclus que l’affaire se serait probablement rendue au procès environ six mois plus tôt que dans le monde réel. Je reconnais que la différence quant au moment aurait pu être plus ou moins importante, mais je n’ai aucune raison de conclure de façon définitive qu’il en aurait été de même.

[83]  Apotex allègue, et je suis d’accord, que dans le monde hypothétique, un juge autre que le juge Rennie aurait pu être assigné pour se prononcer sur la validité du brevet 653 en première instance. Bien qu’il soit possible qu’un autre juge ait conclu que le brevet 653 était invalide pour cause d’antériorité (absence de nouveauté) ou d’évidence (absence d’inventivité), je ne suis pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que c’est ce qui serait survenu. À mon avis, il est plus que probable, dans le monde hypothétique, qu’un juge de notre Cour (le juge Rennie ou un autre juge) aurait conclu que le brevet 653 était invalide uniquement pour cause d’absence d’utilité (en vertu de la doctrine de la promesse) environ six mois plus tôt que dans le monde réel.

[84]  De même, je n’ai pas de raison de croire que la décision de la CAF qui a rejeté l’appel d’Apotex aurait été différente dans le monde hypothétique, même s’il est probable qu’elle aurait été rendue environ six mois plus tôt.

[85]  À la CSC, l’autorisation d’interjeter appel a été accordée dans le monde réel en mars 2016. Conformément à mon raisonnement qui précède, je m’attends à ce que la décision concernant l’autorisation ait été rendue environ six mois plus tôt que dans le monde hypothétique (vers septembre 2015). Apotex fait remarquer que la CSC a rejeté une demande d’autorisation d’interjeter appel en avril 2015 dans une autre affaire qui aurait porté sur la doctrine de la promesse (Mylan Pharmaceuticals ULC c Pfizer Canada Inc, CSC no 36228, en date du 23 avril 2015, 2015 CanLII 20820). Cette décision n’a été rendue qu’environ cinq mois avant la décision sur l’autorisation dans un monde hypothétique. Selon Apotex, la CSC aurait pu rejeter l’autorisation si AstraZeneca l’avait demandée six mois plus tôt que dans le monde hypothétique, auquel cas le brevet 653 serait demeuré invalide. Apotex renvoie également à des statistiques qui indiquent qu’environ seulement 10 % des demandes d’autorisation ont été accordés par la CSC en 2015 et en 2016.

[86]  La CSC ne fournit en général pas de motifs pour expliquer pourquoi elle accorde ou rejette les demandes d’autorisation d’interjeter appel. Il est donc difficile de savoir si la CSC, à qui une demande d’autorisation aurait été soumise en ce qui concerne la doctrine de la promesse à un moment situé à mi-chemin entre le rejet en 2015 et un octroi en 2016, aurait accordé l’autorisation. À mon avis, la balance penchait en faveur de l’octroi de l’autorisation dans le monde hypothétique. La demande d’autorisation qui a été rejetée en avril 2015 portait sur un appel d’une décision de la CAF dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2014 CAF 250. Dans cet arrêt, la CAF a refusé d’appliquer la doctrine de la promesse et de conclure que le brevet en cause était invalide, et ce sont les opposants au brevet qui avaient demandé l’autorisation. Fait important, rien n’indique que l’existence même de la doctrine de la promesse était en litige comme c’était le cas en l’espèce. Il semble plutôt que la question principale était, comme l’indique Apotex [traduction] « la façon dont l’utilité promise par le brevet doit être déterminée ». Ce n’est pas le même débat que celui portant sur la question de savoir si la doctrine de la promesse était fondée en droit. À mon avis, cela peut très bien avoir contribué à la décision de rejeter la demande d’autorisation dans ce cas et de l’accorder en l’espèce.

[87]  Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la CSC aurait accordé l’autorisation dans le monde hypothétique, comme elle l’a fait dans le monde réel.

[88]  La question finale est celle de savoir si la CSC, après avoir accordé l’autorisation dans le monde hypothétique, serait parvenue au même résultat en ce qui concerne la doctrine de la promesse si la question avait été entendue six mois plus tôt. Apotex note que le juge Rowe, qui a rédigé la décision de la CSC, n’était pas juge à la CSC à cette époque. C’est le juge Thomas Albert Cromwell qui siégeait à sa place.

[89]  À mon avis, la CSC aurait probablement décidé de rejeter la doctrine de la promesse dans le monde hypothétique comme elle l’a fait dans le monde réel. La décision de la CSC dans le monde réel était unanime. Même si le juge Rowe ne siégeait pas à la Cour dans le monde hypothétique pour rédiger la décision, un autre membre de la Cour aurait probablement rédigé une décision qui aurait eu la même conclusion, décision qui aurait probablement obtenu le soutien d’au moins une majorité des membres de la Cour. Une partie des motifs aurait pu être différente, mais il est peu probable que le résultat aurait été différent.

[90]  En résumé, je suis d’avis que les ventes d’Apo-Esomeprazole qu’Apotex aurait été en mesure de réaliser durant la période de délai dans le monde hypothétique auraient été jugées comme contrefaisant le brevet 653.

D.  Examen des facteurs discrétionnaires du paragraphe 8(5)

[91]  Par souci de commodité, je reproduis ici le texte du paragraphe 8(5) du Règlement :

5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

[92]  Ainsi qu’il est cité au paragraphe  [58] ci-dessus de l’arrêt Lovastatin au paragraphe 37, le paragraphe 8(5) « confère un large pouvoir discrétionnaire au tribunal lorsqu’il s’agit d’évaluer le montant de l’indemnité que la seconde personne doit verser ». Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, je peux décider si la demande d’indemnité d’Apotex devrait être réduite, et dans quelle mesure, ou éliminée. Je peux tenir compte de la contrefaçon du brevet 653 dans le monde hypothétique par Apotex ainsi que des arguments fondés sur la maxime ex turpi causa.

[93]  Comme je l’ai indiqué, AstraZeneca allègue que la contrefaçon du brevet 653 dans le monde hypothétique par Apotex devrait réduire complètement toute demande qu’Apotex peut avoir dans l’action fondée sur l’article 8. Même si AstraZeneca concentre cet argument sur le paragraphe 8(1) du Règlement, il s’applique aussi au paragraphe 8(5). AstraZeneca cite la décision récente du juge Barnes dans la décision Losec comme exemple de contrefaçon d’un brevet qui réduit complètement une demande fondée sur l’article 8 du Règlement.

[94]  Apotex invoque plusieurs raisons pour rejeter une telle réduction en l’espèce. Par exemple, Apotex soutient que je devrais tenir compte du fait qu’AstraZeneca a déposé sept demandes aux termes de l’article 6 du Règlement invoquant dix brevets différents dans le but d’empêcher Apotex de faire pénétrer l’Apo-Esomeprazole sur le marché. Toutes ces demandes ont fait l’objet d’un désistement ou ont été rejetées.

[95]  Apotex fait également remarquer que la doctrine de la promesse était fondée en droit et qu’elle était en général acceptée comme telle, jusqu’à la décision de la CSC et que les cinq juges de la Cour fédérale et de la CAF qui ont examiné la validité du brevet 653 ont conclu qu’il était invalide pour cause d’absence d’utilité selon la doctrine de la promesse. Apotex note également qu’AstraZeneca n’a même pas contesté l’existence de la doctrine de la promesse devant ces cours. Apotex allègue que la décision de la CSC de modifier le droit et de rejeter la doctrine de la promesse n’était pas prévisible et qu’elle devrait être examinée aux termes du paragraphe 8(5).

[96]  Même en acceptant tous les faits invoqués dans les deux paragraphes qui précèdent, il demeure que le brevet 653 est et a toujours été valide. C’est le cas dans le monde réel, même si j’accepte les allégations d’Apotex selon lesquelles le droit portant sur la doctrine de la promesse n’aurait pas évolué dans le monde hypothétique comme il l’a fait dans le monde réel. Peu importe si ces allégations sont justifiées, le fait est qu’Apotex demande une indemnité pour une perte parce qu’elle a été empêchée de contrefaire le brevet valide d’AstraZeneca.

[97]  À mon avis, la contrefaçon du brevet dans le monde hypothétique par Apotex est une considération importante qui l’emporte sur celles invoquées par Apotex. En faire abstraction reviendrait à permettre à Apotex d’être indemnisée pour des profits qu’elle n’aurait jamais pu faire à juste titre.

[98]  Apotex allègue que, même si AstraZeneca avait obtenu gain de cause si elle avait poursuivi Apotex pour contrefaçon d’un brevet dans le monde hypothétique, on ne peut savoir si le juge Rennie aurait accordé à AstraZeneca le droit de choisir d’obtenir la restitution des bénéfices d’Apotex plutôt que de lui accorder des dommages-intérêts. Si AstraZeneca n’avait pas été autorisée à faire un tel choix, alors le montant des dommages-intérêts qu’elle aurait reçu aurait pu être inférieur aux bénéfices d’Apotex. Dans cette éventualité, Apotex aurait pu être en mesure de garder une partie des bénéfices dans le monde hypothétique, et une réduction complète de sa demande fondée sur l’article 8 aurait fait en sorte qu’elle n’aurait pas obtenu une indemnité suffisante. Apotex note que d’autres affaires où la contrefaçon d’un brevet avait réduit une demande fondée sur l’article 8 sont survenues après que la responsabilité relative à cette contrefaçon avait été quantifiée. Cela ne s’est toujours pas produit en l’espèce.

[99]  Peu importe le bien-fondé juridique de cet argument, je conclus qu’il ne s’applique pas à la présente cause. Apotex a reconnu dans ses observations du 11 décembre 2017 en réponse à l’égard de cette question que le montant des dommages (les bénéfices perdus) qu’AstraZeneca aurait subis en raison de la contrefaçon du brevet dans le monde hypothétique par Apotex dépasse de beaucoup les bénéfices qu’Apotex aurait tirés. Ce point de vue trouve également un écho favorable dans le témoignage de M. Sherman (18 mai 2017, page 1059) et un document de commercialisation d’Apotex intitulé [traduction] « Lancement d’un produit dans le monde réel – adaptation au changement » (pièce P-35). Il s’ensuit que l’action en contrefaçon de brevet pour laquelle AstraZeneca aurait eu gain de cause contre Apotex dans le monde hypothétique aurait entraîné un montant au moins aussi élevé que les bénéfices d’Apotex, peu importe la question de savoir si la décision aurait accordé le droit de choisir la restitution des bénéfices.

[100]  Pour ces raisons, je conclus que toute perte d’Apotex aux termes du paragraphe 8(1) du Règlement est complètement réduite par les coûts de sa contrefaçon.

E.  L’équilibre que doit préserver le Règlement

[101]  Apotex allègue que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de réduire une contrefaçon de brevet par rapport à sa perte aux termes de l’article 8. Selon elle, si je le faisais, je modifierais l’équilibre que le Règlement avait pour but d’établir entre la protection des droits de brevet et le souhait de réduire les coûts des soins de santé en permettant une juste concurrence sur le marché des produits pharmaceutiques.

[102]  Apotex note que la capacité du titulaire de droits de brevet en vertu du Règlement d’imposer un retard automatique à la pénétration par un fabricant de produits génériques du marché avant que les droits aient été évalués a été comparée à une injonction interlocutoire et il s’ensuit que le titulaire de droits doit accepter la responsabilité des pertes subies par le fabricant de produits génériques s’il s’avère qu’il n’avait pas les droits qu’il invoquait. Apotex soutient que cette exigence d’indemniser des fabricants de produits génériques est également utile pour dissuader les titulaires de droits d’invoquer des brevets faibles dans le but de retarder une concurrence loyale.

[103]  Apotex allègue que l’équilibre entre les parties est modifié si le titulaire de droits peut éviter la responsabilité aux termes de l’article 8 du Règlement simplement en raison d’une décision, dans une procédure ultérieure, selon laquelle le brevet qui a été jugé invalide dans le cadre de la demande d’interdiction est en fait valide. Apotex fait remarquer que si la situation était inversée (si le brevet en litige avait été jugé valide dans la demande d’interdiction, mais invalide dans une procédure subséquente), la décision subséquente n’aurait pas donné lieu à la responsabilité du titulaire de droits en vertu de l’article 8. La situation est donc déséquilibrée. Apotex soutient que si une décision subséquente ne peut être appliquée pour imposer la responsabilité aux termes de l’article 8, elle ne devrait pas permettre d’éliminer une telle responsabilité.

[104]  AstraZeneca réfute cet argument en faisant remarquer le vaste pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour en vertu du paragraphe 8(5) de tenir compte de tous les facteurs pertinents et que la contravention du brevet demeure une considération. Elle insiste pour dire que l’argument d’Apotex lui permettrait d’être indemnisée pour la perte de bénéfices dans le monde hypothétique qui auraient été entièrement assujettis à la responsabilité à l’égard d’AstraZeneca pour contravention du brevet.

[105]  Apotex allègue également qu’en raison du lien étroit entre les demandes d’interdiction et les actions fondées sur l’article 8, le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour en vertu du paragraphe 8(5) ne permettrait pas de tenir compte d’arguments qui n’ont pas été soulevés dans la demande d’interdiction. Selon Apotex, comme AstraZeneca n’a pas contesté l’existence de la doctrine de la promesse dans la demande d’interdiction, elle ne devrait pas être prise en compte aux termes du paragraphe 8(5). Au soutien de sa thèse, Apotex cite le passage suivant de la décision du juge James W. O’Reilly dans Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2013 CF 493, au paragraphe 22 :

Il est clair que le paragraphe 8(5) autorise le juge à considérer tous les facteurs pertinents au moment de calculer le montant des dommages-intérêts. À première vue, cette disposition accorde au juge un vaste pouvoir discrétionnaire. Cependant, eu égard au lien entre les articles 6 et 8, le juge saisi d’une action fondée sur l’article 8 doit tenir compte à mon avis des questions envisagées dans le cadre de la demande relative à l’article 6. D’après moi, cela signifie que des allégations d’absence de contrefaçon ou d’invalidité absolument nouvelles ne sont pas « pertinentes » aux fins de l’article 8. L’avis d’allégation a défini les questions en litige dans le cadre de la demande fondée sur l’article 6 et, à mon sens, il continue de définir la portée des questions pertinentes aux fins de l’article 8.

[106]  À mon avis, la déclaration du juge O’Reilly se distingue des faits de l’espèce pour deux raisons. Tout d’abord, il a limité les questions aux allégations formulées par la seconde personne dans l’AA. Or, ce n’est pas la question ici. Ensuite, même si AstraZeneca n’a pas contesté l’existence même de la doctrine de la promesse pendant la demande d’interdiction, elle a contesté l’applicabilité de cette doctrine au brevet 653. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le fait qu’AstraZeneca invoque la décision de la CSC constitue une « allégation absolument nouvelle » du type envisagé par le juge O’Reilly.

[107]  Au bout du compte, je me range du côté d’AstraZeneca. Bien que j’aie examiné l’argument d’Apotex en ce qui concerne l’équilibre dans le Règlement, j’ai tenu compte de sa responsabilité quant à la contrefaçon du brevet dans le monde hypothétique. Je ne suis pas disposé à donner du poids à l’argument d’Apotex de façon à lui accorder une indemnité pour avoir était empêchée de contrefaire le brevet 653.

[108]  Apotex allègue également que lui refuser une indemnité dans ces circonstances dissuaderait un titulaire de brevet d’introduire une demande d’interdiction sans fondement puisqu’il pourrait se fonder sur l’espoir que le droit finisse par changer. Je dois rejeter cet argument. Même s’il peut être raisonnable d’envisager que la décision de la CSC effectue un changement dans le droit en ce qui concerne la doctrine de la promesse, il ne convient pas de conclure qu’AstraZeneca a en quelque sorte profité d’un changement inattendu et imprévisible du droit. Elle a constamment défendu l’utilité du brevet 653, mais n’a obtenu gain de cause qu’une fois que la question a été présentée à la CSC. Fait plus important, il est incorrect d’affirmer qu’un titulaire de droits s’en remettrait au simple espoir que le droit soit modifié. Même si la décision de la CSC modifie le droit, AstraZeneca en bénéficie uniquement parce que nous savons maintenant qu’elle avait raison depuis le début. Si elle avait eu tort, elle aurait été responsable. Par conséquent, je conclus qu’il existe toujours un facteur dissuasif empêchant un titulaire de droits d’introduire une demande d’interdiction sans fondement.

F.  Niveau de l’indemnité

[109]  Pour les raisons qui précèdent, je conclus que la responsabilité d’Apotex dans le monde hypothétique pour contrefaçon de brevet réduit complètement sa perte qui découle du fait qu’elle a été écartée du marché.

IV.  L’action en contrefaçon

[110]  La majeure partie du procès concernait l’action fondée sur l’article 8. L’action en contrefaçon a été mentionnée uniquement pour expliquer que les parties avaient réglé toutes les questions concernant le brevet 994 sauf celle de savoir si, et dans quelle mesure, les exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon sont applicables, question qui sera abordée dans le cadre d’une audience ultérieure.

[111]  En plus de la stipulation des parties, la Cour est disposée à déclarer ce qui suit :

  1. La fabrication, l’utilisation et la vente par Apotex Pharmachem Inc., avant l’expiration du brevet 994, de l’ésoméprazole magnésien par un procédé qui emploie le catalyseur de titane contreviennent au brevet 994, sauf la fabrication, l’utilisation et la vente qui sont admissibles aux exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon, ce qui doit être déterminé par la Cour à une audience ultérieure.
  2. L’utilisation par Apotex Inc., avant l’expiration du brevet 994, de l’ésoméprazole magnésien par un procédé qui emploie le catalyseur de titane contrevient au brevet 994, sauf l’utilisation qui est admissible aux exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon, ce qui doit être déterminé par la Cour à une audience ultérieure.

V.  Conclusion

[112]  Compte tenu de ma conclusion qui précède selon laquelle la demande d’indemnité d’Apotex fondée sur l’article 8 du Règlement est complètement réduite, je conclus que l’action fondée sur l’article 8 devrait être rejetée.

[113]  En ce qui concerne l’action en contrefaçon, la déclaration qui précède sera adoptée.

[114]  AstraZeneca a droit aux dépens de la demande. Si les deux parties ne peuvent pas s’entendre sur le montant des dépens, je recevrai les observations des parties comme le prévoit le jugement qui suit.


ORDONNANCE DANSLES DOSSIERS T-389-11 et T-1668-10

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande d’Apotex Inc. (Apotex) dans le dossier de la Cour no T-389-11 est rejetée.
  2. En ce qui concerne le dossier de la Cour no T-1668-10 :
    1. La fabrication, l’utilisation et la vente par Apotex Pharmachem Inc., avant l’expiration du brevet canadien no 2 193 994 (le brevet 994), de l’ésoméprazole magnésien par un procédé qui emploie le catalyseur de titane contreviennent au brevet 994, sauf la fabrication, l’utilisation et la vente qui sont admissibles aux exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon, ce qui doit être déterminé par la Cour à une audience ultérieure;
    2. L’utilisation par Apotex, avant l’expiration du brevet 994, de l’ésoméprazole magnésien par un procédé qui emploie le catalyseur de titane contrevient au brevet 994, sauf l’utilisation qui est admissible aux exceptions liées à l’usage expérimental et réglementaire concernant la contrefaçon, ce qui doit être déterminé par la Cour à une audience ultérieure.
  3. Apotex devra payer les dépens de la demande d’AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca). Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur le montant des dépens, AstraZeneca devra signifier et déposer ses observations sur les dépens, ne comptant pas plus de 12 pages, dans les 30 jours suivant la date de la présente décision. Apotex aura 15 jours après la réception des observations d’AstraZeneca pour signifier et déposer ses observations relatives aux dépens en réponse, qui seront également limitées à 15 pages. Par la suite, AstraZeneca peut, dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations d’Apotex, signifier et déposer des observations sur les dépens en réponse ne comptant pas plus de trois (3) pages.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-389-11 et T-1668-10

DOSSIER :

T-389-11

INTITULÉ :

APOTEX INC. c ASTRAZENECA CANADA INC.

ET DOSSIER :

T-1668-10

INTITULÉ :

ASTRAZENECA AKTIEBOLAG, ASTRAZENECA CANADA INC. ET ASTRAZENECA UK LIMITED c APOTEX INC. ET APOTEX PHARMACHEM INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8, 9, 11, 15, 16, 17, 18, 23, 24, 25, 30 et 31 mai 2017

Les 14 et 15 juin 2017 et le 11 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

LE 15 février 2018

COMPARUTIONS :

Harry B. Radomski

Jerry Topolski

Sandon Shogilev

Michael Yasskin

Pour la demanderesse

APOTEX INC.

et POUR LES DÉFENDERESSES

APOTEX INC. ET APOTEX PHARMACHEM INC.

Gunars Gaikis

Yoon Kang

Andrew E. Mandlsohn

Kevin P. Siu

Abigail Smith

Pour la défenderesse

ASTRAZENECA CANADA INC.

ET pour les demanderesses

ASTRAZENECA AKTIEBOLAG, ASTRAZENECA CANADA INC. ET ASTRAZENECA UK LIMITED

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

APOTEX INC.

et POUR LES DÉFENDERESSES

APOTEX INC. ET APOTEX PHARMACHEM INC.

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

ASTRAZENECA CANADA INC.

ET pour les demanderesses

ASTRAZENECA AKTIEBOLAG, ASTRAZENECA CANADA INC. ET ASTRAZENECA UK LIMITED

 

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