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Date : 20170330


Dossier : T-1496-13

Référence : 2017 CF 332

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITED

demanderesse

et

PFIZER CANADA INC.

WARNER-LAMBERT COMPANY et WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC

défenderesses

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendu le 30 mars 2017)

TABLE DES MATIÈRES

SECTIONS :

No de PARAGRAPHE

I. Introduction

[1] - [6]

II. Cadre législatif

[7] - [15]

A. Thèse de Teva

[16] - [17]

B. Thèse de Pfizer

[18] - [23]

III. Témoins

[24] - [25]

A. Témoins des faits de Teva

[26] - [27]

1) M. Kent Major

[28] - [33]

2) M. Brent Fraser

[34] - [35]

3) M. Douglas Sommerville

[36] - [39]

4) M. Jeevan Reddy

[40] - [44]

5) M. Peppino D’Agostinis

[45] - [46]

6) M. Christopher Morin

[47] - [48]

7) Dr Brian Des Islet

[49] - [52]

8) M. Barry Fishman

[53] - [58]

B. Témoins experts de Teva

[59] - [60]

1) M. Robert Ferguson

[61] - [66]

2) Dr Aidan Hollis

[67] - [69]

3) M. Ian Hilley

[70] - [73]

C. Témoins des faits de Pfizer

[74]

1) Mme Cynthia Di Lullo

[75] - [79]

2) M. Oscar Mancini

[80] - [82]

3) Mme Rania Cassar-Awe

[83] - [87]

4) M. Darren Noseworthy

[88] - [94]

D. Autres témoins des faits

[95]

1) Fabricants de médicaments génériques

[95] - [101]

2) Mme Laura Meaney

[102] - [105]

E. Témoins experts de Pfizer

[106]

1) Dr Iain Cockburn

[107] - [110]

2) Dr Paul Reider

[111] - [116]

3) M. Peter Steger

[117] - [124]

4) M. Neil Palmer

[125] - [130]

IV. Analyse et conclusions

[131]

A. Période de responsabilité

[132] - [154]

B. Taille du marché de la prégabaline

[155] - [168]

C. Taille de la fraction générique du marché de la prégabaline

[169] - [171]

D. Part du marché générique de Teva

[172]

1) Experts

[172] - [177]

2) Concurrence

[178] - [183]

3) Capacité de Teva de procéder à un lancement

[184] - [197]

E. Introduction de médicaments génériques – Général

[198] - [201]

1) Fabricants de médicaments génériques tiers

[202] - [217]

2) Lancement de GenMed

[218] - [244]

3) Fabricants de médicaments génériques autorisés

[245] - [258]

F. Inscription sur la liste des médicaments assurés

[259] - [273]

G. Établissement des prix

[274] - [280]

H. Dépenses de commercialisation

[281] - [297]

I. Questions diverses liées à la comptabilité et aux coûts

[298]

1) Coûts d’inspection

[299] - [301]

2) Coût de l’IPA

[302] - [304]

3) Coûts de la recette et quantité d’IPA

[305] - [306]

4) Remplissage de tubes

[307] - [312]

V. Conclusions entendues

[313]

VI. Conclusion

[314] - [317]

LE JUGE PHELAN

I. INTRODUCTION

[1] Dans la présente demande, Teva Canada Limited (Teva) réclame des dommages-intérêts aux termes de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, (le Règlement AC ou le Règlement). La demande découle des demandes introduites par Pfizer Canada Inc (Pfizer) aux termes de l’article 6 du Règlement contre Ratiopharm Inc (Ratiopharm) et Teva, afin d’empêcher le ministre fédéral de la Santé fédéral de délivrer des avis de conformité autorisant la vente de la version générique de la prégabaline. Ces six demandes avaient pour objectif d’empêcher Teva de commercialiser ce médicament sur le marché canadien jusqu’au 14 février 2013 (Teva a fait l’acquisition de Ratiopharm).

[2] Lyrica est un produit pharmaceutique populaire pour la gestion de la douleur neuropathique. Il s’agissait du produit de référence de Ratiopharm et de Teva pour le médicament prégabaline, lequel faisait l’objet des procédures relatives aux avis de conformité. La présente demande en dommages-intérêts découle de ces procédures relatives aux avis de conformité, lesquelles ont été introduites par Pfizer en 2009 pour empêcher la délivrance d’avis de conformité pour le produit de prégabaline de Ratiopharm et celui de Teva. Le 14 février 2013, Pfizer s’est désistée de ces procédures (nos des dossiers de la Cour T-1422-09 et T-1868-09).

[3] Les défenderesses sont des entreprises affiliées et, à moins d’indication contraire, elles sont ci-après désignées sous le nom de Pfizer.

[4] Il est constant que Teva a le droit de récupérer ses pertes ou ses dommages-intérêts, mais elles ne s’entendent pas sur de nombreux aspects importants liés à la détermination de ces pertes.

[5] Toutefois, il est constant que la Cour doit trancher les questions en litige non résolues, de sorte qu’un calcul précis des dommages-intérêts de Teva puisse faire l’objet d’une transaction entre les parties. Il est aussi constant que la Cour doit demeurer saisie de l’affaire et qu’elle peut recevoir des observations et trancher toute question découlant du présent jugement.

[6] La Cour souscrit à ce qui précède, puisqu’il n’est pas logique qu’elle effectue les calculs comptables et mathématiques qui donneront ouverture à un montant définitif en dommages-intérêts.

II. Cadre législatif

[7] Les étapes que la Cour devrait suivre afin de déterminer les dommages-intérêts ne sont pas contestées. Elles sont bien énoncées dans la décision Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2012 CF 553, 410 FTR 78, confirmée par 2014 CAF 68, confirmé par 2015 CSC 20.

[8] Concernant le médicament pertinent, les cinq étapes peuvent effectivement être décrites de la manière suivante :

  • déterminer la durée de la période de responsabilité (la période de responsabilité);

  • déterminer la taille générale du marché de la prégabaline au cours de la période pertinente;

  • déterminer la part du marché de la prégabaline que Teva et les autres fabricants de médicaments génériques auraient occupée au cours de la période pertinente – le marché des médicaments génériques;

  • déterminer la part du marché des médicaments génériques que Teva aurait occupée – les volumes que Teva a perdus;

  • quantifier les dommages que Teva aurait subis à l’égard des volumes perdus (le montant net de la perte de profits).

Il existe aussi des sous-catégories à chacune de ces étapes, selon les circonstances.

[9] Ces étapes font partie de la construction d’un [traduction] « monde hypothétique » prescrite par la Cour d’appel fédérale – un monde où Teva (ou Ratiopharm) n’aurait pas été empêchée de pénétrer le marché canadien du seul fait du sursis automatique aux termes du Règlement AC. Il s’agit d’un monde quelque peu artificiel, semblable à celui créé lors de l’analyse des occasions d’affaires manquées, mais il est ancré dans le monde réel. Il ne s’agit pas d’un monde rêvé ou idéal. Le Règlement AC continue autrement de s’appliquer, et des événements réels se produisent dans le monde hypothétique ou l’alimentent. (Voir, par exemple, les arrêts Merck Frosst Canada & Co. c Apotex Inc., 2011 CAF 329, 210 ACWS (3d) 224, et Teva Canada Limitée c Sanofi-Aventis Canada inc., 2014 CAF 67, 239 ACWS (3d) 180.)

[10] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que la question fondamentale à trancher était de savoir ce qui se serait produit si Pfizer n’avait pas entamé des procédures d’interdiction contre Ratiopharm et Teva (Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 267 ACWS (3d) 628 (la décision Venlafaxine); voir aussi : Apotex Inc. c ADIR, 2017 CAF 23).

[11] Dans la décision Venlafaxine, la Cour d’appel, en plus de réitérer que la règle du ouï-dire (à laquelle je renvoie une autre fois plus loin dans le présent jugement) s’appliquait, souligne aussi que la Cour devait examiner à la fois ce qui aurait pu se produire et ce qui se serait produit. Il incombe à Teva de démontrer qu’elle aurait pu et serait entrée sur le marché au cours de la période alléguée.

[12] Dans la décision Venlafaxine, la Cour d’appel a résumé cette analyse à deux volets de la manière suivante :

[50] Les deux expressions « aurait eu » et « aurait pu » sont les expressions clés. Les dommages-intérêts compensatoires visent à mettre les demandeurs dans la position où ils auraient été si un tort n’avait pas été commis. Pour le prouver, il faut d’abord démontrer que rien ne les a empêchés d’être dans cette position – c.-à-d., ils auraient pu être dans cette position. Et pour prouver que les demandeurs auraient été dans une position donnée, il faut aussi démontrer que les événements auraient eu lieu de telle sorte qu’ils se retrouvent dans cette position – c.-à-d., qu’ils auraient été dans cette position.

[51] Les deux éléments doivent être réunis. L’expression « aurait pu » n’implique pas l’expression « aurait eu »; l’expression « aurait eu » n’implique pas l’expression « aurait pu » :

Les éléments de preuve dont il ressort qu’une partie aurait fait quelque chose ne constituent pas la preuve qu’elle aurait pu faire quelque chose. Je pourrais jurer sur tous les saints que j’aurais couru dans un marathon à Toronto le 1er avril, avec l’intention d’aller jusqu’au bout, mais cela ne signifie pas forcément que j’aurais pu le terminer. Je ne suis peut-être pas suffisamment en forme physique pour le terminer.

La preuve tendant à établir qu’une partie aurait pu faire quelque chose ne prouve pas qu’elle aurait fait quelque chose. Un entraîneur pourrait témoigner que j’étais suffisamment en forme physique pour courir un marathon au complet à Toronto le 1er avril, mais cela ne prouve pas que j’aurais pu forcément aller jusqu’au bout. Peut-être que le 1er avril [sic] j’aurais laissé tomber le marathon et j’aurais assisté à une partie de baseball à la place.

[13] Dans son jugement, la Cour d’appel fédérale insiste sur le fait qu’il faut établir si le scénario dans le monde hypothétique du demandeur est susceptible de se produire. Le monde réel joue un rôle important dans la construction du monde hypothétique.

[14] Le monde hypothétique doit refléter autant que possible les expériences et les circonstances du monde réel – il doit utiliser l’histoire comme fondement à l’évaluation des hypothèses présentées dans ses scénarios.

[15] Conformément au fardeau de la preuve dans les procédures civiles, il incombe à Teva d’établir les faits à partir desquels elle demande d’être indemnisée. La Cour peut, à juste titre, remettre en cause l’aspect [traduction] « aurait » de l’analyse, lorsqu’il est principalement fondé sur une déposition orale de l’intention. Cette mise en garde s’applique aussi aux allégations de Pfizer concernant ce qu’elle aurait fait devant le comportement allégué de Teva dans le monde hypothétique de cette dernière.

A. Thèse de Teva

[16] La thèse de Teva est généralement énoncée dans les conclusions de fait qu’elle demande à la Cour d’adopter. Ces conclusions, modifiées par la Cour, correspondent à l’analyse en cinq étapes que j’ai déjà mentionnée. Elles concordent également, en grande partie, à la manière dont les deux parties ont présenté l’espèce : question par question plutôt qu’au moyen d’une approche historique ou de [traduction] « trame ».

[17] Voici les conclusions demandées : [traduction]

  1. Durée de la période de responsabilité

    1. La période de responsabilité commence le 1er mai 2010 pour les motifs qui suivent :

      1. L’avis de conformité conditionnel pour la ratio-prégabaline aurait été délivré au plus tard le 1er mai 2010.

      2. Subsidiairement, l’avis de conformité avec exclusion aurait été délivré au plus tard le 1er mai 2010.

      3. Toujours à titre subsidiaire, l’avis de conformité pour la ratio-prégabaline aurait été délivré à la date de mise en suspens du brevet, soit le 26 août 2010.

    2. La période de responsabilité prend fin le 14 février 2013.

  2. Taille générale du marché de la prégabaline

    1. La Cour devrait adopter le modèle présenté par le Dr Hollis concernant la taille du marché « hypothétique » de la version générique de la prégabaline.

    2. Subsidiairement, la Cour pourrait raisonnablement adopter la version corrigée de l’analyse du Dr Cockburn, comme indiqué dans le rapport en réponse du Dr Hollis.

  3. Taille globale de la fraction générique du marché de la prégabaline

Il faut retenir la déposition du Dr Hollis plutôt que celle du Dr Cockburn.

  1. Part du marché générique que Teva aurait détenue

    1. GenMed

      1. Dans le monde hypothétique, Pfizer n’aurait pas lancé GenMed.

      2. Subsidiairement, si GenMed avait été lancée, elle aurait fait son entrée sur le marché uniquement six mois après la pénétration du marché par Teva.

    2. Mylan

Dans le monde hypothétique, Mylan n’aurait pas été un fabricant de médicaments génériques autorisé pour Pfizer.

  1. Autres fabricants de médicaments génériques

    1. Dans le monde hypothétique, Pfizer n’aurait eu aucun fabricant de médicaments génériques autorisé.

    2. Aucun élément de preuve ne démontre que d’autres fabricants de médicaments génériques auraient pu faire leur entrée sur le marché de la prégabaline dans le monde hypothétique ou qu’ils seraient entrés dans ce marché.

  2. Inscription sur les listes des médicaments assurés

Ni Ratiopharm ni Teva n’aurait inscrit la prégabaline sur une liste de médicaments assurés à l’extérieur du Québec pendant la période de responsabilité.

  1. Calcul des dommages-intérêts subis par Teva

    1. Capacité d’approvisionner le marché

      1. Ratiopharm aurait été en mesure de lancer son produit de prégabaline dès le 1er mai 2010 et elle aurait été en mesure d’approvisionner la totalité du marché canadien des médicaments génériques.

      2. Après la fusion, Teva aurait choisi de continuer de commercialiser sa ratio-prégabaline et elle aurait été en mesure d’approvisionner la totalité du marché canadien des médicaments génériques.

      3. Quelque temps après février 2011, Teva aurait choisi de remplacer la ratio-prégabaline par la Teva-prégabaline et elle aurait été en mesure d’approvisionner la totalité du marché canadien des médicaments génériques.

      4. Les questions liées à l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) n’auraient pas retardé le lancement de la ratio-prégabaline ou de la Teva-prégabaline.

    2. Capacité d’autres fabricants de médicaments génériques d’approvisionner le marché

Aucun autre fabricant de médicaments génériques n’aurait fait son entrée sur le marché ou n’aurait été en mesure d’approvisionner le marché de la prégabaline.

  1. Prix

    1. À l’extérieur du Québec, dans un marché hors pharmacopée, Ratiopharm et Teva auraient fixé le prix du produit de prégabaline à 85 % du prix de Lyrica.

    2. Au Québec, la version générique du produit de prégabaline aurait été inscrite dans la liste des médicaments assurés à 60 % du prix de Lyrica (jusqu’à ce qu’un second produit générique soit inscrit, moment auquel le produit de prégabaline aurait été inscrit à 54 % du prix de Lyrica).

    3. À l’extérieur du Québec, Ratiopharm et Teva auraient fixé le prix du produit de prégabaline conformément aux règlements provinciaux, lorsqu’il aurait été inscrit sur une liste provinciale de médicaments assurés.

  2. Dépenses de commercialisation

    1. Les dépenses de commercialisation engagées par Ratiopharm se seraient élevées à 15 % dans un marché à fournisseur unique.

    2. Les dépenses de commercialisation engagées par Teva pour la ratio-prégabaline et la Teva-prégabaline se seraient élevées à 20 % dans un marché à fournisseur unique (de septembre 2010 jusqu’à l’arrivée sur le marché d’un second produit générique).

    3. Les dépenses de commercialisation pour la ratio-prégabaline et la Teva-prégabaline se seraient élevées à 30 % dans un marché à deux fournisseurs (où le deuxième fournisseur à faire son entrée sur le marché n’est pas GenMed).

    4. Les dépenses de commercialisation pour la ratio-prégabaline et la Teva-prégabaline se seraient élevées à 45 % dans un marché à fournisseurs multiples (ce qui ne se produit pas dans le monde hypothétique).

  3. Questions relatives à la comptabilité

    1. Les dépenses admissibles de Ratiopharm ne comprennent pas les inspections.

    2. Les coûts de l’IPA de Teva ne comprennent pas les |||||||||||||||||||| bons de commande annulés.

    3. Le coût des produits vendus de Ratiopharm ne comprend pas un excédent d’IPA fondé sur l’erreur contenue dans la fiche de recette.

  4. Remplissage des tubes

Les ventes perdues de Teva comprennent les volumes liés au remplissage des tubes.

B. Thèse de Pfizer

[18] Pfizer soutient que la nature et la qualité des éléments de preuve présentés par Teva soulèvent des questions importantes.

[19] Elle affirme aussi que le monde hypothétique créé par Teva était fondé sur des idées chimériques – c’est-à-dire qu’il ne tenait pas compte d’événements concrets, de documents ponctuels et de renseignements que la Cour pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils lui soient présentés. Compte tenu de cette affirmation, Pfizer demande à la Cour de tirer des conclusions défavorables sur plusieurs questions.

[20] Pfizer affirme que l’absence d’éléments de preuve clés prive la Cour d’obtenir ce dont elle a besoin pour trancher l’affaire, en plus de priver Pfizer de l’occasion de procéder à un contre-interrogatoire complet sur les questions en litige.

[21] Pfizer critique les éléments de preuve de Teva pour ce qui a été présenté et ce qui ne l’a pas été. Cette approche générale a motivé les observations de Pfizer sur la plupart, voire la totalité, des questions en litige.

[22] La difficulté avec une partie de l’argumentation de Pfizer réside dans le fait qu’elle demande à la Cour de supposer que de meilleurs éléments de preuve étaient disponibles ou qu’un meilleur témoin pouvait faire une déposition. La Cour doit toutefois statuer sur l’affaire selon les éléments de preuve présentés. Elle peut évaluer la qualité du témoignage des témoins, mais, sauf dans les cas les plus manifestes, elle ne peut pas spéculer sur les dépositions qu’elle aurait pu entendre. Elle peut formuler des commentaires sur les dépositions qu’elle a entendues, ainsi que sur leurs forces et leurs faiblesses. Le processus d’interrogatoire préalable constitue la méthode adéquate pour découvrir les éléments de preuve réputés manquants; si une partie ne se prévaut pas entièrement de ces droits, elle ne peut demander à la Cour de supposer que les témoins ne sont pas honnêtes et que l’avocat de l’autre partie a contribué à la dissimulation de documents et l’a encouragée.

[23] Toutefois, comme on le verra plus tard dans les présents motifs, l’argumentation de Pfizer n’est pas dénudée de tout fondement, plus précisément en ce qui a trait à l’établissement de la période de responsabilité et aux mesures ou à l’absence de mesures prises par Ratiopharm.

III. Témoins

[24] Pendant le procès, Teva a appelé onze (11) témoins, tandis que Pfizer en a appelé quinze (15), à la fois des témoins des faits et des témoins experts.

Même si la crédibilité est toujours en cause, la détermination du caractère convaincant des témoignages a porté principalement sur le poids à leur accorder plutôt que sur l’honnêteté ou la crédibilité des témoins.

[25] Dans le résumé qui suit, la Cour n’a pas l’intention de présenter un long sommaire des dépositions de chacun des témoins ni de formuler des commentaires sur l’acceptation ou la préférence de certains témoins plutôt que d’autres. Dans la mesure nécessaire, ces commentaires figurent dans les conclusions sur les questions en litige.

A. Témoins des faits de Teva

[26] Teva a appelé huit (8) témoins des faits, y compris Brent Fraser, un haut fonctionnaire qui a déjà travaillé pour le Programme de médicaments de l’Ontario. Compte tenu de l’expérience de M. Fraser et de sa compréhension de la réglementation et de l’établissement des prix à l’échelle provinciale, il est peut-être un témoin des faits, mais son témoignage est fondé sur une expertise approfondie.

[27] Parmi les autres témoins des faits de Teva, on en comptait deux provenant de Ratiopharm, quatre provenant de Teva et un provenant de MSN Pharmachem Pvt Ltd (MSN).

1) M. Kent Major

[28] M. Major était le plus important témoin représentant d’une société à répondre aux questions relatives à Ratiopharm, et sa déposition est cruciale pour déterminer si Ratiopharm aurait pu lancer son produit de prégabaline vers le 1er mai et si elle l’aurait fait.

[29] M. Major a déjà été le deuxième cadre supérieur en importance de Ratiopharm au Canada, à titre de vice-président de la recherche et du développement et des affaires réglementaires. Il était donc le membre principal de l’équipe de direction responsable du développement et de la gestion de produits. À compter du mois de mars 2010, il a fait partie de l’équipe d’intégration de Ratiopharm, à la suite de son acquisition par Teva. Le regroupement de Ratiopharm et de Teva a eu lieu le 10 août 2010; il a par la suite quitté l’entreprise.

[30] Dans son témoignage, il a parlé de l’historique du projet de Ratiopharm et de l’état du projet au mois d’août 2010. Sa déposition portait particulièrement sur la délivrance de la lettre de mise en suspens du brevet que Ratiopharm a reçue de Santé Canada, son taux de dépenses de commercialisation et les prix auxquels la prégabaline de Ratiopharm serait vendue. Il a aussi donné son avis sur le monde hypothétique.

[31] Comme je l’aborde de façon plus détaillée dans la section sur la période de responsabilité des présents motifs, entre les mois d’avril et d’août, Ratiopharm n’a presque rien fait pour faire progresser son produit ou pour obtenir une lettre de mise en suspens du brevet. Il s’agit là d’une lacune importante dans la construction du monde hypothétique de Teva, même si M. Major soutient qu’il s’agissait probablement d’une erreur administrative qui ne serait pas répétée dans ledit monde hypothétique.

[32] Pfizer critique le témoignage de M. Major, qu’elle considère comme décalé, désuet et insuffisant sur le plan documentaire. Elle soutient que d’autres employés de Ratiopharm auraient pu livrer un meilleur témoignage. Bien que sa mémoire lui ait parfois fait défaut (il n’avait joué aucun rôle dans ces affaires depuis le mois de septembre 2010) et qu’il n’ait pas présenté de documents ponctuels provenant de Ratiopharm, il est théorique de dire qu’un autre cadre supérieur aurait pu être appelé à témoigner. La Cour doit prendre la déposition de M. Major et les éléments de preuve de Ratiopharm tels qu’ils sont.

[33] À Ratiopharm, M. Major occupait un poste de direction dans le secteur pertinent. À titre de cadre de la société occupant un poste pertinent, il pouvait être appelé à témoigner sur les questions en litige. À l’occasion d’une analyse d’un monde hypothétique, qui est en soi quelque peu théorique, il y a lieu qu’un cadre supérieur témoigne des activités réalisées, prévues et susceptibles d’être réalisées et d’indiquer si elles auraient été exécutées.

Comme je l’indique plus tard, les éléments de preuve présentés par Ratiopharm, plus précisément en ce qui a trait au début de la période de responsabilité, n’étaient ni convaincants ni utiles pour Teva.

2) M. Brent Fraser

[34] Au cours de la période de responsabilité, M. Fraser était directeur, Services liés aux programmes de médicaments des programmes de médicaments de l’Ontario. Il a témoigné pour les deux parties, et il est juste d’affirmer que sa déposition était complète, utile et convaincante. Son témoignage s’est avéré extrêmement utile pour déterminer ce qui s’était produit à l’égard de la politique de l’Ontario concernant l’inscription sur les listes des médicaments assurés (le régime provincial de remboursement des médicaments auquel de nombreux régimes privés se conforment) et ce qui aurait pu se produire ou ce qui se serait produit.

[35] En somme, il a indiqué dans son témoignage que l’Ontario aurait inscrit la prégabaline et Lyrica comme une prestation pharmaceutique générale sur la liste de médicaments assurés de l’Ontario, alors que trois fabricants de médicaments génériques occupaient le marché ou étaient sur le point d’y faire leur entrée.

3) M. Douglas Sommerville

[36] De 2014 jusqu’au procès, M. Sommerville était premier vice-président et directeur général de Teva. Il était aussi vice-président des ventes et du marketing à Teva pendant la période de responsabilité.

[37] Son témoignage a porté sur la thèse de Teva relativement aux éléments qui suivent :

  • le prix auquel Teva vendrait la prégabaline;

  • les stratégies d’établissement des prix et les profils de consommateurs;

  • les profils de marges bénéficiaires brutes de Teva;

  • le calcul des dépenses qu’elle aurait présenté;

  • les remises plus importantes qu’elle aurait peut-être accordées (dépenses de commercialisation), si elle avait obtenu quelque chose d’autre en retour.

[38] M. Sommerville, compte tenu du poste qu’il a occupé à Teva, se trouvait dans une excellente position pour témoigner sur l’expérience de Teva dans le monde réel et sur sa position dans le monde hypothétique.

[39] M. Sommerville est un [traduction] « spécialiste du marketing », et la Cour est consciente que son enthousiasme pour le produit et son poste peuvent avoir une incidence sur son point de vue. Cela ne diminue en rien les connaissances qu’il a transmises, mais la Cour doit traiter avec prudence son scénario dans le monde hypothétique.

4) M. Jeevan Reddy

[40] M. Reddy, responsable des ventes mondiales à MSN Pharmachem en Inde (un fournisseur d’ingrédients pharmaceutiques) est un acteur chevronné du marché et il a une connaissance directe des opérations entre MSN et Teva à l’égard de la prégabaline.

[41] Il a indiqué dans son témoignage que MSN aurait pu fournir des quantités commerciales de prégabaline à Teva en prévision d’un lancement de produit en mai ou en août 2010.

[42] Pfizer conteste le témoignage de M. Reddy; premièrement, parce qu’il est un vendeur expérimenté et qu’il n’œuvre pas dans le secteur de la production; deuxièmement, en raison de l’absence de la catégorie de documentation qui aurait dû être produite, selon elle. Certains documents ont été produits – des facteurs de vente et des certificats d’analyse – mais ils étaient insuffisants.

[43] Le poste qu’il occupait dans l’entreprise justifiait qu’il témoigne de la volonté et de la capacité de l’entreprise à offrir de la prégabaline. En tant que porte-parole de l’entreprise, il a le droit d’invoquer ce qu’il sait ou ce qu’on lui a dit à l’interne sur divers aspects des activités de l’entreprise.

[44] Ce n’est pas l’absence d’un recueil important de documents qui pose problème, puisque MSN a conclu ses opérations en l’absence de telles ententes d’approvisionnement, mais plutôt la crédibilité de l’affirmation de M. Reddy selon laquelle MSN pouvait fournir tous les ingrédients requis. Toutefois, il a bel et bien formulé cette affirmation et elle n’a pas été minée en contre-interrogatoire. M. Reddy a confirmé la disponibilité de la taille du lot requis, la capacité de fabrication, le marché et l’établissement du prix du produit. Son témoignage comportait toutefois certaines lacunes, plus précisément en ce qui concerne la façon dont MSN augmenterait ses activités à l’échelle du nouveau marché et les situations [traduction] « hors spécifications », ce qui a soulevé certaines réserves.

5) M. Peppino D’Agostinis

[45] M. D’Agostinis est actuellement un employé de Halo, laquelle a pris en charge l’installation de Teva à Mirabel. Il occupait le poste de directeur adjoint des services techniques à Ratiopharm et il s’est joint à Teva dans son usine de Mirabel au moment de l’acquisition de Ratiopharm par cette dernière.

[46] Son témoignage portait majoritairement sur la préparation de la présentation de Ratiopharm à Santé Canada, les tailles des lots et le processus de validation. Il a corroboré la capacité de Ratiopharm et de Teva d’approvisionner le marché canadien en prégabaline. Son témoignage était clair, équilibré et équitable. Il était aussi conforme à celui d’autres témoins de Ratiopharm en ce sens qu’il y avait une absence évidente de documents – un thème et une critique qui reviennent souvent tout au long des observations de Pfizer.

6) M. Christopher Morin

[47] Pendant la période de responsabilité, M. Morin, maintenant directeur des opérations financières, travaillait dans le groupe chargé des finances de Teva en tant que gestionnaire principal des produits en doses solides. Son témoignage portait sur certains aspects des activités de production des usines de Mirabel et de Stouffville, sur divers aspects liés à l’établissement des coûts des biens, sur des erreurs dans certains documents et sur les corrections qu’il fallait apporter aux calculs des coûts afin de tenir compte des erreurs.

[48] Il a aussi témoigné sur la capacité de production de l’usine de Stouffville et sur la possibilité de l’accroître avec l’équipement en place, ainsi que sur les problèmes liés à la taille des particules et aux pénuries de produits.

7) Dr Brian Des Islet

[49] Le Dr Des Islet était le directeur général des affaires scientifiques de Teva au cours de la période de responsabilité. Il assumait la responsabilité générale du portefeuille de produits et il était au courant des travaux de recherche et de développement entourant la prégabaline de Teva. Pfizer reconnaît, tout comme la Cour, que son témoignage était catégorique, objectif et utile.

[50] Sa déposition portait aussi sur le processus de développement requis pour commercialiser un produit. Il a fourni une explication raisonnable du monde hypothétique du point de vue de Teva; il a notamment reconnu les problèmes survenus dans le passé concernant l’IPA provenant de l’Inde et d’Israël et il a confirmé que Teva aurait retenu les services de MSN – le fournisseur de l’IPA de Ratiopharm – comme fournisseur.

[51] Plus important encore, le Dr Des Islet faisait partie de l’équipe d’intégration qui traitait avec Ratiopharm. Il ne disposait toutefois que de très peu de renseignements sur la capacité et la volonté de Ratiopharm d’entrer sur le marché. Comme Pfizer l’a souligné à de nombreuses reprises, il y avait insuffisance de documents provenant de Ratiopharm concernant sa capacité et sa volonté de pénétrer le marché, laquelle insuffisance ne peut s’expliquer par le simple fait de dire que Ratiopharm était visée par une mise en suspens de brevet et que, par conséquent, aucune autre entreprise ne chercherait à faire son entrée sur le marché.

[52] Le témoignage du Dr Des Islet met en évidence la faiblesse des éléments de preuve concernant Ratiopharm et sa commercialisation de la prégabaline; on ne peut toutefois pas en dire autant de Teva. Le Dr Des Islet a confirmé certains aspects clés de la capacité et de l’intention de Teva de pénétrer le marché. Certains documents provenant du groupe des opérations ont été produits. Pfizer affirme que plus de documents auraient dû suivre; elle n’a toutefois pas cherché à obtenir ces autres documents, et la Cour ignore si leur production a été refusée et, le cas échéant, pour quels motifs. Si Pfizer souhaitait attaquer le Dr Des Islet ou d’autres témoins de Teva pour le motif que leurs témoignages étaient minés par d’autres documents [traduction] « pertinents », il lui incombait d’obtenir lesdits documents.

8) M. Barry Fishman

[53] M. Fishman était président et chef de la direction de Teva pendant la période de responsabilité. Il a travaillé à Teva de 2003 à 2014.

[54] M. Fishman a présenté des éléments de preuve importants sur la stratégie de commercialisation à l’égard des produits, des prix et du monde hypothétique de Teva. Il a traité de la question de savoir [traduction] « si Teva aurait lancé le produit » du point de vue du poste de haut niveau qu’il occupait. D’autres témoins ont traité d’un grand nombre d’aspects du monde réel, mais M. Fishman était très bien placé pour parler de l’intention de Teva de lancer son produit et de l’application de cette intention dans le monde hypothétique de Teva.

[55] Ce témoin a aussi parlé de certains aspects de la fusion avec Ratiopharm et du regroupement des opérations et des produits. Dans sa déposition, il a clairement indiqué que Teva aurait lancé la prégabaline de Ratiopharm ou sa propre prégabaline, selon le produit dont le développement aurait été le plus avancé.

[56] M. Fishman a aussi livré un témoignage important sur l’établissement des prix. Même s’il a reconnu que le prix aurait été fixé à 75 % du prix de la liste des marques, il a construit un scénario dans le monde hypothétique où le prix était fixé à 85 %, tout en admettant qu’il n’eût aucun exemple à donner où le prix d’un produit de Teva avait été établi à 80 %.

[57] Il a mis en évidence l’importance du marché de l’Ontario pour Teva et l’intérêt premier de cette dernière à adhérer à n’importe quel régime de prix demandé par l’Ontario (sous réserve de la viabilité économique).

[58] Bien que M. Fishman ait été un témoin solide, sa déposition présentait une [traduction] « vue d’ensemble » et elle a été mise à l’épreuve lorsqu’il a été forcé [traduction] « d’entrer dans les détails ». Il a néanmoins confirmé que Teva aurait pu lancer la prégabaline dès que possible et qu’elle l’aurait fait.

B. Témoins experts de Teva

[59] La présente instance, ainsi que le règlement des aspects propres aux dommages-intérêts, est en grande partie guidée par les dépositions des témoins experts appelés par les deux parties. Les renseignements contenus dans leurs témoignages respectifs sont également cités dans l’analyse des questions en litige dont la Cour est saisie.

[60] Teva a appelé des témoins experts de l’industrie elle-même, ainsi que des témoins experts en économie, en affaires réglementaires et en comptabilité.

1) M. Robert Ferguson

[61] M. Ferguson a témoigné à titre d’expert en comptabilité judiciaire spécialisé en évaluations d’entreprise. Il a examiné quatre scénarios et il a calculé la perte de Teva dans chacun d’eux.

[62] Les principaux points de désaccord avec l’expert comparable appelé par Pfizer, M. Peter Steger (un comptable professionnel agréé et un évaluateur d’entreprises), concernaient le coût de l’IPA et les taux de dépenses de commercialisation.

[63] À l’égard de l’IPA, M. Ferguson s’est appuyé sur les commandes livrées passées auprès de MSN. Bien que Pfizer critique son acceptation du coût de l’IPA au motif qu’elle ne tient pas compte des conditions du monde réel, il s’agit, en l’espèce, d’un fondement raisonnable à l’hypothèse de M. Ferguson, puisque les éléments de preuve présentés par Teva indiquaient qu’elle aurait retenu les services de MSN dans un monde hypothétique, et ce, pour des raisons de disponibilité et de fiabilité.

[64] Relativement aux dépenses de commercialisation, M. Ferguson devait supposer que leur taux s’établirait entre 15 % et 20 % dans un marché à fournisseur unique. Il appartient à Teva de démontrer la validité de cette hypothèse. Un expert peut accepter une hypothèse si, selon son évaluation, elle est raisonnable et s’il est démontré, en fin de compte, qu’elle est valide.

[65] M. Ferguson a dû apporter quelques corrections à ses calculs, ce qui n’a cependant rien changé à ses conclusions dans l’ensemble. La gestion des dépenses de commercialisation au Québec et l’accord du groupe de Montréal ont posé quelques problèmes.

[66] En fin de compte, la Cour conclut que M. Ferguson était un témoin utile, crédible et équilibré, dont l’opinion mérite d’être bien accueillie.

2) Dr Aidan Hollis

[67] Le Dr Hollis est un expert en économie du secteur des produits pharmaceutiques génériques. Il est manifestement un partisan du secteur des produits pharmaceutiques génériques et, même s’il n’a affiché aucun parti pris en faveur de Teva, la Cour tient compte de son témoignage en gardant à l’esprit sa possible prédisposition à favoriser les médicaments génériques.

[68] Bien que je traite de son témoignage plus tard, il a présenté de solides arguments concernant [traduction] « l’avantage du premier » (l’avantage qu’obtient le premier fabricant de médicaments génériques à pénétrer le marché), dont l’effet peut se faire sentir relativement longtemps quoi qu’à un niveau moindre.

[69] Il avait un désaccord important entre le Dr Hollis et l’expert de Pfizer Iain Cockburn. Ce désaccord ressortait clairement de l’utilisation par le Dr Cockburn de modèles économiques qui tranchaient avec ceux du Dr Hollis, auxquels s’ajoutaient ses observations, son expérience et son expertise. Ce désaccord est aussi manifeste dans leurs approches respectives concernant le concept du [traduction] « remplissage de tubes » – le Dr Hollis le favorise, mais pas le Dr Cockburn.

3) M. Ian Hilley

[70] M. Hilley est un expert du secteur pharmaceutique et un ancien cadre supérieur de Mylan Canada et de sa prédécesseure, GenPharm. Il connaît très bien le secteur des produits pharmaceutiques génériques.

[71] M. Hilley a livré un témoignage important sur son opinion concernant le début de la période de responsabilité, lequel portait sur les mesures prises par Ratiopharm et sur l’état d’un avis de conformité conditionnel délivré à l’égard de Lyrica.

[72] M. Hilley a soutenu que la période de responsabilité a commencé à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai 2010, puisque Ratiopharm était [traduction] « prête sur le plan réglementaire » à la mi-avril 2010. Toutefois, même s’il préconisait une date de début précoce, il était manifestement mal à l’aise avec le mauvais traitement de la lettre de mise en suspens du brevet par Ratiopharm et avec le défaut de cette dernière d’effectuer un suivi sur sa présentation abrégée de drogue nouvelle – tous ces éléments vont à l’encontre de la notion selon laquelle Ratiopharm était prête à effectuer un lancement en mai 2010 et qu’elle voulait le faire.

[73] M. Hilley a fourni, par moment, des réponses évasives et il a fait preuve d’un entêtement inutile. La Cour hésite à retenir plusieurs passages de son témoignage, lequel a été moins utile à Teva que cette dernière l’aurait espéré.

C. Témoins des faits de Pfizer

[74] Pfizer a appelé quatre de ses propres témoins des faits : trois employés actuels et un ancien employé. Pfizer a aussi appelé des représentants de quatre autres fabricants de médicaments génériques non liés pour établir le moment où ils auraient fait leur entrée sur le marché et de quelle manière. Ces témoins ont été appelés par Pfizer, alors seule Teva a procédé à leur contre-interrogatoire.

1) Mme Cynthia Di Lullo

[75] Pendant la période de responsabilité, Mme Di Lullo était directrice du marketing pour le produit Lyrica de Pfizer. Elle possédait 24 années d’expérience dans le secteur pharmaceutique, dont quatorze avec Pfizer.

[76] Elle a livré un témoignage exhaustif sur la façon dont Pfizer a commercialisé Lyrica. L’aspect le plus pertinent de son témoignage se composait de la description de la façon dont Pfizer a géré Lyrica au moment où elle s’approchait de sa perte d’exclusivité et des stratégies utilisées. Pfizer avait l’habitude de faire passer un produit d’une situation d’exclusivité à une situation de concurrence par l’intermédiaire de l’unité opérationnelle des produits établis.

[77] Mme Di Lullo a abordé des sujets comme la promotion des produits (notamment auprès des médecins) et les négociations avec les régimes provinciaux d’assurance-médicaments. Elle a aussi évoqué des éléments de la stratégie relative à la perte d’exclusivité visant à maintenir une position dans le marché des marques et à contrer la concurrence par l’intermédiaire de son propre fabricant de médicaments génériques – GenMed – ainsi que l’utilisation d’autres fabricants de médicaments génériques autorisés.

[78] En somme, son témoignage indiquait que Pfizer aurait employé, dans le monde hypothétique de la prégabaline, les mêmes stratégies que celles utilisées pour Lyrica et d’autres médicaments, notamment le recours à un fabricant de médicaments génériques autorisé. Elle s’est appuyée en partie sur plusieurs plans d’affaires créés pour gérer la perte d’exclusivité prévue en 2013. De tels plans n’existaient pas pour 2010 et 2011, puisque les concurrents se trouvaient dans une situation de mise en attente de brevet. En fait, il existait un plan opérationnel pour 2011, mais elle ne l’avait pas vu, pas plus que le plan stratégique de GenMed.

[79] Même si Mme Di Lullo a présenté un témoignage important de manière catégorique, elle a aussi eu des trous de mémoire concernant des renseignements clés et elle était manifestement mal à l’aise de témoigner sur certains aspects des plans (particulièrement en ce qui concerne les fabricants de médicaments génériques). On pourrait soulever à l’égard de ce témoignage certaines des critiques formulées par Pfizer à l’égard des témoins de Teva.

2) M. Oscar Mancini

[80] Le témoignage de M. Mancini portait sur la gestion de la chaîne d’approvisionnement et il indiquait la façon dont son groupe s’était préparé pour un lancement de produit. Il a aussi témoigné sur la manière dont son groupe a géré la perte d’exclusivité relativement à la stratégie avec GenMed et des fabricants de médicaments génériques autorisés, surtout à l’égard de Lyrica, de sa fabrication (en Allemagne), de son étiquetage et d’autres questions du genre.

[81] Son témoignage était particulièrement pertinent pour comprendre le fonctionnement du système de gestion de la chaîne d’approvisionnement pour GenMed et son lancement en octobre 2012. Il a exposé les défis et la capacité de préparer GenMed pour un lancement en mai 2010, afin de contredire l’allégation de Teva selon laquelle la période de responsabilité a commencé le 1er mai 2010. Son témoignage comportait des incohérences concernant l’échéancier pour le lancement de la prégabaline de GenMed ou d’autres fabricants de médicaments génériques, il parlait d’un échéancier de moins de trois mois à au moins six mois et il penchait généralement pour un délai de trois mois, selon les circonstances du monde réel. Il n’arrivait pas à se prononcer sur une date [traduction] « ferme ».

[82] M. Mancini a tenté de rendre un témoignage utile et il a fait de son mieux vu son mandat et son expérience limités.

3) Mme Rania Cassar-Awe

[83] Mme Cassar-Awe n’était plus à l’emploi de Pfizer au moment où elle a livré son témoignage, elle a accepté un poste à Shoppers Drug Mart après 23 ans chez Pfizer. Elle a occupé plusieurs postes pertinents pendant les événements examinés en l’espèce, notamment ceux de directrice de la stratégie pour la perte d’exclusivité, de la stratégie de gestion des médicaments génériques et du développement de nouvelles affaires et de directrice des médicaments génériques vendus au détail. Elle a joué un rôle de premier plan dans la stratégie de Pfizer relative à la perte d’exclusivité, notamment pour Lyrica et la prégabaline de GenMed.

[84] Son témoignage portait sur un grand nombre d’éléments variés, à la fois concernant des événements réels et concernant la construction de scénarios dans le monde hypothétique de Pfizer.

[85] Il est faux d’affirmer, comme le soutient Pfizer, que son témoignage n’a pas été miné en contre-interrogatoire. Son témoignage portait en grande partie sur ses propres actions, sur sa justification des événements qui se sont produits ou qui auraient pu se produire et sur ses opinions à cet égard. Il était manifeste qu’elle cherchait à protéger [traduction] « son nom ou sa réputation » (bien que ce ne soit pas inhabituel de la part d’un témoin), et elle ne peut être qualifiée de témoin désintéressée.

[86] Mme Cassar-Awe a passé en revue la constitution de GenMed et son utilisation. En l’espèce, il est pertinent qu’elle ait reconnu que Pfizer a mis, en 2010, environ six mois à développer son produit secondaire ou générique. Elle a soutenu que cette période pouvait être raccourcie à neuf semaines si un produit générique faisait son apparition sur le marché.

Elle a aussi reconnu que GenMed se trouvait encore à l’étape du démarrage en 2010 et qu’elle n’était pas un fournisseur important de médicaments génériques. On peut donc conclure qu’en 2010, GenMed n’était pas la concurrente féroce qu’elle allait devenir au cours des années subséquentes.

[87] Son témoignage a pâti de son point de vue optimiste du monde hypothétique, où Pfizer et GenMed déploieraient tous les efforts nécessaires pour vaincre facilement la nouvelle concurrence. Il faut aborder avec beaucoup de prudence sa foi dans la boîte à outils de Pfizer (une série de stratégies de marketing prêtes à être appliquées, à l’instar d’une clé anglaise ou d’un tournevis, pour régler le problème de la concurrence).

4) M. Darren Noseworthy

[88] M. Noseworthy était le conseiller juridique principal de Pfizer pendant la période de responsabilité; depuis, il a déménagé au Royaume-Uni et il est devenu le responsable de Pfizer en Europe. Il a été reçu au Barreau de l’Ontario en 1999.

[89] Il a témoigné sur la stratégie relative à la perte d’exclusivité de Pfizer, notamment les circonstances entourant le lancement de GenMed et la négociation des ententes avec les fabricants de médicaments génériques autorisés.

[90] Il a aussi présenté la stratégie adoptée par Pfizer contre d’autres fabricants de médicaments génériques au moment de la perte d’exclusivité. Selon son témoignage, une fois que Pfizer avait perdu l’exclusivité du marché, elle laissait entrer tout le monde sur le marché et elle ne tentait pas de présenter des demandes d’injonction ni d’intenter des actions en dommages-intérêts, peu importe le temps restant au brevet visé. Compte tenu de ce qui précède, aucun fabricant ne [traduction] « risquerait » de lancer un médicament générique – un facteur qui, selon d’autres fabricants de médicaments génériques, réduisait le nombre de fabricants de médicaments génériques qui voudraient pénétrer le marché.

Teva a dûment contre-interrogé le témoin et elle a attaqué cette proposition. Elle va à l’encontre des préoccupations soulevées par d’autres témoins et elle met à l’épreuve la capacité de la Cour de la retenir. M. Noseworthy est un fonctionnaire judiciaire et je ne conteste pas qu’il s’agisse de sa conviction sincère; toutefois, comme l’a souligné Teva, le fait qu’une marque puissante abandonne volontiers l’exercice de tous ses droits potentiels contre des concurrents, sans apparemment en tirer avantage, va à l’encontre des pratiques habituelles en matière de concurrence, et cela nuit au poids à accorder à ce témoignage.

[91] Son témoignage sur les mesures que Pfizer a prises par le passé en matière de marketing est sensiblement conforme à celui de Mme Cassar-Awe. Il a aussi parlé de l’état de GenMed en 2010. En outre, il a abordé certaines questions liées au moment choisi pour les procédures judiciaires, les ajournements et d’autres affaires. Ces points sont, dans une certaine mesure, abordés dans les observations conjointes selon lesquelles les moments des ajournements dans les dossiers nos T-1422-09 et T-1868-09 (des procédures relatives à des avis de conformité dans les deux cas) doivent être considérés comme des événements neutres entre les parties.

[92] À cet égard, la Cour retient la thèse de Pfizer selon laquelle la Cour ne doit tirer aucune conclusion concernant les prorogations, les sursis et les ajournements liés aux deux procédures relatives à des avis de conformité visant des médicaments brevetés ou concernant leur durée, de manière à augmenter, à diminuer, à accorder ou à refuser d’accorder les dommages-intérêts aux termes de l’article 8, outre ceux qui seraient autrement accordés ou refusés.

[93] M. Noseworthy a essentiellement indiqué dans son témoignage que, dans un monde hypothétique, Pfizer aurait été prête au moment de la perte d’exclusivité grâce à l’existence de GenMed, ou qu’elle aurait conclu des ententes avec des fabricants de médicaments génériques autorisés.

[94] Même s’il était au courant de l’historique d’autres événements sur lesquels il a fondé son analyse du monde hypothétique, de graves lacunes sapent le poids à accorder à son témoignage.

D. Autres témoins des faits

1) Fabricants de médicaments génériques

[95] Pfizer a appelé six entreprises de médicaments génériques qui faisaient concurrence à Teva sur le marché de la prégabaline. Toutes ont comparu aux termes d’un subpœna et une seule a accepté de rencontrer préalablement l’avocat de Pfizer. Certains des témoignages étaient confidentiels, compte tenu du contexte concurrentiel.

[96] La Cour est consciente des difficultés que l’avocat de Pfizer a éprouvées en tentant, lors des interrogatoires principaux, d’obtenir des témoignages positifs de concurrents, même si ces interrogatoires ont été menés habilement en l’espèce.

[97] En somme, ces témoins, à une exception près, ont indiqué qu’ils étaient loin de déborder d’enthousiasme à l’idée d’entrer sur le marché dans un scénario de monde hypothétique. Pour la plupart de ces entreprises, il s’agissait d’un exercice trop différent de ce qu’elles font dans le monde réel – trop théorique pour qu’elles se sentent à l’aise. Toute indication d’entrée sur le marché s’accompagnait de nombreuses conditions préalables, hypothèses et réserves. En générale, leur réponse ressemblait à la devise canadienne classique : [traduction] « l’entrée si nécessaire, mais pas nécessairement l’entrée ».

[98] La Cour ne peut tirer que très peu de conclusions concrètes de ces témoignages, sauf pour celui de Naguib Fahmy, de Mylan. M. Fahmy a clairement indiqué que, de manière générale, Mylan n’aurait pas fait son entrée dans un marché de fabricants de médicaments génériques autorisés. Le témoignage livré par Len Arsenault de Sandoz allait dans le même sens, tout en étant moins catégorique.

[99] Pfizer a continué d’insister sur le fait que Mylan serait entrée sur le marché, ce qui est problématique puisqu’elle attaque indirectement son propre témoin. Mis à part ce problème technique, Pfizer continue d’insister sur le fait que plusieurs fabricants de médicaments génériques auraient fait leur entrée sur le marché et l’auraient fait à des dates précises ou à l’intérieur de certains délais, alors que la valeur probante des témoignages indiquait qu’ils ne le feraient pas.

[100] Ces témoins, fabricants de produits génériques, ont aussi souligné que l’entrée sur le marché était parsemée de plusieurs obstacles, notamment le prix, mais aussi la possibilité de procéder à un [traduction] « lancement à risque » – la possibilité d’être poursuivis par le titulaire du brevet. Il s’agissait en effet d’un obstacle, malgré la thèse contestable de M. Noseworthy selon laquelle Pfizer ne ferait jamais une telle chose.

[101] Ces témoins provenant de Pharmascience, Mylan, Sandoz, Riva, Ranbaxy et Pro Doc n’ont pas, en général, été utiles au scénario concurrentiel du monde hypothétique de Pfizer.

2) Mme Laura Meaney

[102] Le dernier témoin dans cette catégorie générale a été Mme Meaney, une employée de Santé Canada qui a travaillé directement à l’approbation de la présentation abrégée de la prégabaline de Ratiopharm. Elle était responsable des interactions avec Ratiopharm relativement à la délivrance de l’avis de conformité.

[103] La Cour juge que son témoignage était crédible, fiable et équitable.

[104] En somme, Mme Meaney a [traduction] « mis fin » aux observations formulées par Teva et certains de ses témoins selon lesquelles un avis de conformité conditionnel aurait pu être délivré et l’aurait été au plus tard le 1er juin 2010. Elle a indiqué dans son témoignage qu’il était quasi impossible pour Ratiopharm d’obtenir un avis de conformité conditionnel dans le monde hypothétique avant d’avoir reçu sa lettre de mise en suspens de brevet dans le monde réel.

[105] Dans son témoignage, elle a insisté sur l’importance de la lettre de mise en suspens de brevet, et cela soulève encore la question de l’absence de mesures ou d’explication concernant la brèche d’environ quatre mois dans les activités de Ratiopharm, de mai à août 2010, comme je l’ai déjà mentionné.

E. Témoins experts de Pfizer

[106] À l’instar de Teva, Pfizer s’est appuyée sur plusieurs experts. Dans la mesure nécessaire, des passages de leurs opinions sont cités dans la section « Analyse » des présents motifs.

1) Dr Iain Cockburn

[107] Le Dr Cockburn est un expert en économie possédant une vaste expérience dans le secteur pharmaceutique. Il possède une expérience à la fois des fabricants de médicaments de marque et de médicaments génériques.

[108] Le Dr Cockburn a été appelé pour réfuter le témoignage du Dr Hollis, l’expert appelé par Teva. Leurs opinions sont en bonne partie semblables, mais le Dr Cockburn a fondé son opinion sur l’utilisation d’un modèle économique. Le Dr Hollis, même s’il a aussi utilisé un modèle, a fondé son opinion sur des observations factuelles et sur son expérience – ce qui donne un portrait plus complet.

[109] Dans son rapport en cinq volumes, le Dr Cockburn a traité de plusieurs aspects du présent litige, notamment la taille totale du marché dans le monde hypothétique, les ventes de produits de prégabaline génériques, la part du marché des médicaments génériques de Teva et l’effet sur le marché des produits génériques analysé concurrent par concurrent (par rapport à l’analyse du calcul de la moyenne effectuée par le Dr Hollis). Il renforce la thèse selon laquelle GenMed n’était pas une concurrente efficace de Teva, en raison des limites qui lui étaient imposées. Il traite aussi de l’allégation relative au [traduction] « remplissage des tubes » et il conclut qu’elle est raisonnable.

[110] Pfizer demande à la Cour de retenir le témoignage du Dr Cockburn plutôt que celui du Dr Hollis. Toutefois, pour des motifs qui seront énoncés ci-dessous, la Cour retient celui du Dr Hollis.

2) Dr Paul Reider

[111] Le Dr Reider est professeur de chimie organique à l’Université de Princeton. Il possède une expérience théorique et pratique du secteur, puisqu’il a travaillé avec Merck à la commercialisation de divers médicaments.

[112] Le Dr Reider a présenté une opinion étendue sur la taille des particules, la stabilité du produit de prégabaline de Ratiopharm et la stabilité d’un excipient. Il a affirmé que divers obstacles entravaient l’entrée de Ratiopharm sur le marché, notamment des préoccupations liées à des explosions de l’IPA.

Selon l’opinion qu’il a formulée, il semblait soutenir que toutes ses préoccupations diverses signifiaient que Ratiopharm et Teva auraient été retardées au-delà du 26 août 2010 dans un monde hypothétique.

[113] Il n’est pas nécessaire d’expliquer en détail à quel point son opinion s’est avérée inutile et peu convaincante. Il suffit de mentionner que bien que Pfizer ait tenté de récupérer une partie de son opinion, elle a été forcée d’admettre que son témoignage dénotait une grande faiblesse.

[114] Bien que Dr Reider ait disposé de peu de données, il était tout de même disposé à exprimer des opinions qui se sont avérées infondées à la lumière des éléments de preuve. Ses explications semblaient consister en des hypothèses théoriques fondées sur des projections non établies.

[115] L’approche adoptée par le Dr Reider en contre-interrogatoire n’était pas conforme à une expertise solidement fondée. Il a sermonné, débattu et esquivé certains points. Sa crédibilité, si elle n’était pas déjà minée par son rapport et son interrogatoire principal, a été gravement démolie à l’occasion d’un contre-interrogatoire très efficace.

[116] La Cour ne peut accorder aucun poids à son témoignage. Ses principales propositions, particulièrement sa conclusion relative au monde hypothétique, n’étaient pas établies.

3) M. Peter Steger

[117] M. Steger et un comptable agréé et un évaluateur d’entreprise possédant de l’expérience en comptabilité judiciaire. Son témoignage portait sur l’évaluation quantitative des pertes de Teva. À cet égard, son témoignage contredisait celui de M. Ferguson, dans la mesure où ils étaient en désaccord.

[118] Les points de désaccord portaient sur les quatre aspects qui suivent : les dépenses de commercialisation, les volumes d’IPA, les coûts liés à l’IPA, la main-d’œuvre et l’inspection.

[119] Il a livré un témoignage professionnel, étoffé et équitable, dans la mesure où ses hypothèses et ses interprétations se sont avérées exactes. Il n’est toutefois pas totalement exact de soutenir que M. Steger n’était pas contraint par des hypothèses, comme le suggère Teva – il a présenté plusieurs hypothèses et impacts. Il a utilisé une forme de modèle qui, selon lui, pouvait servir à préciser les dommages-intérêts une fois certaines conclusions tirées.

[120] Son approche – une analyse quantitative des dépenses de commercialisation [traduction] « molécule par molécule » – était différente du processus comptable de Teva, qui combinait les dépenses par client.

[121] M. Steger a conclu que les dépenses de commercialisation de Teva, dans un marché à fournisseur unique hypothétique, s’établiraient à 30 %, tandis qu’elles varieraient entre 52,9 % et 55,6 % dans un marché à fournisseurs multiples (en 2010, il avait utilisé un pourcentage de 36,9 %, ce qui constitue un écart important).

[122] En ce qui concerne l’IPA, M. Steger semblait être d’accord avec M. Ferguson sur la quantité disponible, sous réserve d’une correction, mais il était loin des coûts de l’IPA présentés par M. Ferguson.

[123] Concernant les coûts liés à la main-d’œuvre et aux inspections, l’inclusion des coûts liés aux inspections, qui aurait eu pour effet d’accroître la perte, était source de désaccord. Il ne s’agit que de l’un des aspects où les différences entre M. Ferguson et M. Steger augmentaient la perte supposée. M. Steger a apporté diverses corrections à ses calculs parce que certaines de ses hypothèses n’étaient pas étayées.

[124] Comme il en sera question plus tard, en tout respect pour M. Steger, M. Ferguson avait une compréhension plus réaliste de la perte de Teva et des composantes utilisées pour créer cette perte.

4) M. Neil Palmer

[125] M. Palmer est un consultant chevronné du secteur pharmaceutique. Il a livré un témoignage important qui portait sur des points soulevés par d’autres témoins, notamment M. Hilley, M. Bacovsky, l’expert proposé par Teva, et M. Fraser.

[126] Sa principale opinion portait que dans le monde hypothétique, Teva aurait fixé le prix de la prégabaline entre 70 % et 75 % de celui de Lyrica – il ne s’agit pas d’une hypothèse déraisonnable et contraire à l’estimation de M. Ferguson de 83 %.

[127] Il a traité de questions sur les politiques et les pratiques liées aux listes provinciales de médicaments assurés, et son témoignage était conforme à celui de M. Bacovsky relativement aux dates d’inscription à la liste de médicaments assurés et à celui de M. Fraser en ce qui concerne les règles et pratiques réglementaires.

[128] M. Palmer a admis n’avoir aucune expérience de consultant de fabricants de médicaments génériques. Même si ce fait ne témoigne pas d’une partialité, il indique toutefois que les chiffres qu’il a présentés se trouvent du côté plus conservateur de l’éventail de prix raisonnable, conformément à l’opinion des entreprises de produits de marque concernant les prix des médicaments génériques. Il a aussi admis avoir vu 85 % du prix demandé par la marque dans un cas de fournisseur unique d’un marché hors pharmacopée – cela indique le seuil maximal du même éventail de prix raisonnable. M. Palmer a admis qu’il était possible d’établir un prix à plus de 75 %.

[129] M. Palmer était un témoin crédible et direct, dont le témoignage doit être pris au sérieux.

[130] D’autres commentaires sur les témoignages sont présentés dans la section « Analyse et conclusions » des présents motifs.

IV. Analyse et conclusions

[131] Les paragraphes qui suivent portent sur les conclusions que l’on a demandé à la Cour de tirer afin de permettre le calcul définitif des dommages-intérêts de Teva.

Le point de départ doit être la période de responsabilité.

A. Période de responsabilité

[132] Il est constant que la période de responsabilité a pris fin le 14 février 2013.

[133] Teva prétend que la période de responsabilité devrait avoir commencé à courir entre la mi-avril et le 1er mai 2010. Elle affirme, en l’espèce, que la date de début devrait être le 1er mai 2010.

À titre subsidiaire définitif, Teva affirme que la date de début devrait être le 26 août 2010 à l’égard de la prégabaline de Ratiopharm, qui serait remplacée par la prégabaline de Teva en février 2011.

[134] Pfizer affirme que la date de début la plus précoce est le 26 août 2010, mais que le lancement effectif de Teva/Ratiopharm serait retardé en raison de problèmes opérationnels, notamment la disponibilité et la stabilité de l’IPA.

[135] L’alinéa 8 (1) a) du Règlement décrit la portée de la date de départ de la période de responsabilité. À moins que la Cour ne rende une ordonnance différente et n’établisse une date différente, la présomption veut que la date de départ de la période de responsabilité corresponde à la date de mise en suspens du brevet – en l’espèce, il s’agit de la date à laquelle le brevet de Ratiopharm a été mis en suspens.

[136] L’alinéa 8 (1) a) du Règlement est rédigé ainsi :

8 (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

8 (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

[137] Aux fins de l’espèce, le brevet de Ratiopharm a été mis en suspens le 26 août 2010.

[138] Même si la date ou la lettre de mise en suspens du brevet n’est pas un équivalent parfait de la date de l’avis de conformité (en d’autres termes, la date de délivrance de l’avis de conformité dans le monde hypothétique), elle constitue néanmoins un point utile dans le temps, à partir duquel on peut déterminer si le fournisseur unique du médicament générique aurait fait un lancement et aurait été en mesure de le faire. Les mesures prises dans le monde réel concernant la lettre de mise en suspens du brevet donnent une certaine idée de ce qui se serait produit ou de ce qui aurait pu se produire dans le monde hypothétique.

[139] Il incombe à Teva de démontrer qu’une autre date est la date appropriée pour le début de la période de responsabilité.

La Cour a le pouvoir discrétionnaire, fondé sur son examen des éléments de preuve présentés, d’établir une date différente de la date de suspension liée au brevet (voir l’arrêt Teva Canada Limitée c Sanofi-Aventis Canada inc, 2014 CAF 67, au paragraphe 76, 239 ACWS (3d) 180).

[140] Santé Canada a terminé l’examen de la présentation abrégée de drogue nouvelle de Ratiopharm le 14 avril 2010. Il n’y avait qu’une question à trancher : celle de savoir si Santé Canada délivrerait un avis conditionnel, une question liée à des problèmes avec le produit de référence Lyrica.

[141] Teva affirme, en fonction du témoignage de M. Major, que dans un monde hypothétique où il serait possible d’être le fournisseur unique d’un médicament générique pendant un certain temps, Ratiopharm aurait immédiatement fait tout en son possible pour obtenir la délivrance d’un avis de conformité conditionnel, lequel serait délivré en deux semaines. Il a été établi que cette période de deux semaines était raisonnable, si Teva avait lancé le processus dans ce scénario hypothétique.

[142] Il a été établi que la date de mise en suspens du brevet, comme indiquée dans la lettre y afférant, est une caractéristique clé du monde réel. Tout fabricant de médicaments génériques qui sait qu’on l’empêchera d’entrer sur le marché pendant deux ans veut obtenir cette lettre de suspension relative au brevet le plus tôt possible, afin que la suspension se termine aussi vite que possible, s’il souhaite véritablement lancer ses produits.

[143] Teva a créé un scénario où la période de responsabilité débute le 1er mai, ce qui, à mon humble avis, aurait pu être possible; toutefois, ce scénario est entièrement hypothétique et il n’est pas conforme aux événements pertinents dans le monde réel.

[144] Le 19 avril 2010, Mme Meany a communiqué avec Ratiopharm par téléphone pour l’informer que Santé Canada reportait le traitement de sa présentation abrégée de drogue nouvelle en raison de questions liées à Lyrica, dont les précisions étaient confidentielles.

[145] Le 30 juin 2010, Mme Meany a demandé à Ratiopharm quelles mesures cette dernière avait prises pour mettre à jour sa monographie de produit. Cette mise à jour n’a été présentée qu’un mois plus tard, après quoi elle a dû subir quelques corrections mineures, puis elle a finalement été établie le 25 août.

[146] Dans l’analyse définitive, Ratiopharm n’a pris aucune mesure dans le monde réel pour accélérer le traitement de la lettre de mise en suspens du brevet ni même pour s’informer de sa progression, ou pour accélérer le processus de traitement de sa monographie de produit.

[147] M. Major était quelque peu déconnecté du processus; il a toutefois reconnu l’importance de la lettre de suspension relative au brevet, mais il n’a rien fait pour en assurer le suivi. Ce défaut d’agir rapidement dans le monde réel remet en cause les éléments de preuve présentés par Teva selon lesquels, dans le monde hypothétique, elle aurait agi rapidement pour obtenir un avis de conformité conditionnel ou un autre genre d’exclusion aux indications du produit, ce qui lui aurait permis de procéder à son lancement dans ce monde hypothétique.

[148] M. Hilley, le propre expert de Teva, était perplexe devant le défaut de cette dernière d’effectuer un suivi concernant la lettre de mise en suspens du brevet. Il semblerait qu’il ait pu s’agir d’une erreur administrative, même si aucun élément de preuve solide n’a été présenté sur ce point. Même si tel était le cas, le défaut d’agir – à tout le moins, de poser des questions à l’interne – n’est pas conforme à l’image d’une entreprise pressée d’entrer sur le marché le plus tôt possible.

[149] Ces éléments de preuve sont plus conformes à une entreprise qui n’est pas en mesure de réaliser la tâche considérable de lancer un produit ou qui hésite à le faire. L’absence de documents et de plans est aussi conforme à cette contrainte générale de ne pas tenter d’obtenir la délivrance de la lettre de mise en suspens du brevet sans tarder. Il est aussi pertinent de savoir, même si Teva n’a présenté que très peu d’éléments de preuve sur la situation au sein de Ratiopharm à ce moment, que le directeur de Ratiopharm venait de décéder et que l’entreprise a été vendue aux enchères à Teva. Il est raisonnable de conclure que pendant cette période transitoire d’avril à août 2010, l’entreprise a connu certains bouleversements jusqu’à sa fusion avec Teva, en août 2010.

[150] Les actions et les inactions de Ratiopharm n’ont pas été expliquées adéquatement. En fait, M. Major ne pouvait pas expliquer les failles dans l’exploitation de l’entreprise et celles dans les éléments de preuve documentaire.

[151] Même s’il a confirmé qu’un délai de deux semaines pour obtenir un avis de conformité conditionnel était raisonnable, M. Hilley s’est dit perplexe devant le défaut de Ratiopharm de chercher à obtenir la lettre de mise en suspens du brevet.

[152] La construction par Teva de son scénario hypothétique où la période de responsabilité débute le 1er mai va aussi à l’encontre du témoignage de Mme Meany, de Santé Canada. Il est extrêmement hypothétique de savoir si Santé Canada aurait coopéré jusqu’au retrait des conditions liées à Lyrica, et l’on peut se demander si Santé Canada aurait délivré un avis de conformité avant que cette question ne soit réglée.

[153] Même si l’on reconnaît que Ratiopharm n’était pas prête, dans le monde réel, pour agir comme fournisseur unique dans le monde hypothétique, les éléments de preuve pris dans leur ensemble ne me convainquent pas de déroger à la norme et de conclure à une date de début autre que le 26 août 2010.

[154] Par conséquent, la période de responsabilité pour le calcul des dommages-intérêts va du 26 août 2010 au 14 février 2013.

B. Taille du marché de la prégabaline

[155] La prochaine question à trancher porte sur la taille totale du marché de la prégabaline entre le 26 août 2010 et le 14 février 2013.

[156] La Cour a devant elle les témoignages d’expert de deux personnes très compétentes : le Dr Hollis (pour Teva) et le Dr Cockburn (pour Pfizer). La différence entre eux porte principalement sur l’approche ou la méthodologie adoptée. Ils sont d’accord sur un grand nombre de questions.

[157] La Cour doit donc déterminer lequel des deux modèles ou méthodes doit être utilisé. Les différentes méthodes ont non seulement une incidence sur le calcul de la taille totale du marché de la prégabaline, mais également sur la fraction générique du marché de la prégabaline et sur la part de Teva dans le marché de la version générique de la prégabaline.

[158] Pour compliquer les choses encore davantage, chacun des experts a utilisé sa propre méthodologie à l’égard de plusieurs scénarios différents. Il est constant qu’aucun des scénarios ne peut être utilisé sans modifications. Cet accord de ne pas utiliser ces scénarios modifie particulièrement la projection du monde hypothétique concernant le moment où d’autres fabricants de médicaments génériques auraient pénétré le marché.

[159] Les deux experts sont très compétents et fiables, et ils ont livré un témoignage clair et équilibré. Il est difficile de faire un choix entre les deux, mais comme je l’ai déjà indiqué, la Cour adopte l’approche présentée par le Dr Hollis pour les motifs énoncés ici.

[160] Je n’accorde pas beaucoup d’importance à la suggestion de Pfizer selon laquelle la Cour devrait favoriser l’approche du Dr Cockburn parce qu’il a exercé, à plusieurs occasions, des fonctions à la fois auprès de fabricants de médicaments de marque et de fabricants de médicaments génériques. Le Dr Hollis, quant à lui, a exercé des fonctions principalement auprès de fabricants de médicaments génériques, et une seule fois pour un fabricant de médicaments de marque. Aucun élément de preuve n’a démontré une prédisposition chez l’un ou l’autre des experts.

[161] Le choix de l’expert repose davantage sur l’explication et la cohérence de son approche à l’égard de l’affaire, ainsi que sur les explications présentées dans son rapport et, plus précisément, les explications fournies en contre-interrogatoire.

[162] Les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les aspects du cadre prescrit à l’article 8 pour lesquels ces experts sont d’accord. Teva soutient qu’ils s’entendent sur la taille du marché total (mémoire de Teva, au paragraphe 29), tandis que Pfizer soutient qu’ils s’entendent sur la fraction générique du marché de la prégabaline (mémoire de Pfizer, au paragraphe 275).

[163] Le modèle économique présenté par le Dr Hollis était clair; en revanche, le rapport du Dr Cockburn contenait des inexactitudes et des erreurs qui ont nécessité des modifications tardives. À titre d’exemple, le Dr Cockburn a exclu deux molécules de référence du marché concurrentiel des médicaments génériques, mais il a inclus des fabricants de médicaments génériques concurrents vendant de la prégabaline dans des marchés où ces derniers n’en ont pas vendu.

Aucune explication n’a été présentée pour ces exclusions et inclusions, qui ont eu pour effet de réduire la part de marché de Teva dans le monde hypothétique.

[164] Le Dr Cockburn a dû apporter des modifications importantes à son rapport, même avec l’exclusion des deux molécules susmentionnées – l’ésoméprazole et le quinapril – sans fournir d’autres explications.

[165] La Cour n’est pas tant préoccupée par le fait que le Dr Cockburn a dû apporter des modifications à son rapport (le Dr Hollis l’a fait aussi), mais bien par la nature des modifications et des explications données.

[166] Le témoignage du Dr Hollis était plus équilibré et équitable.

[167] Les deux experts ont utilisé des modèles économétriques, le Dr Hollis était plus indépendant quant à son acceptation des résultats mathématiques découlant de son modèle. Quand les résultats semblaient faussés (comme pour le taux de croissance prévu en Ontario et en Saskatchewan), le Dr Hollis faisait appel à son propre jugement pour corriger les données. Le Dr Cockburn a critiqué cette approche sur le plan de la rigueur, mais je conclus, au contraire, qu’il s’agit d’un point de vue plus équilibré d’un expert du monde réel, plutôt que de simplement [traduction] « se fier aux chiffres ». Je suis persuadé que la formule mathématique a ses limites; après quoi, il faut exercer son jugement d’expert pour donner un sens concret aux résultats. C’est ce que le Dr Hollis a fait.

[168] Les parties devraient donc utiliser le modèle du Dr Hollis pour déterminer le marché total de la prégabaline.

C. Taille de la fraction générique du marché de la prégabaline

[169] Les Drs Hollis et Cockburn sont essentiellement d’accord sur la fraction générique estimée du marché de la prégabaline dans le monde hypothétique.

[170] Les deux experts se sont fondés sur l’expérience réelle et ils ont corrigé les volumes en fonction des dates présumées.

[171] Pour les motifs exposés précédemment, la Cour retient le témoignage du Dr Hollis, et il doit être utilisé concernant la fraction générique du marché de la prégabaline.

D. Part du marché générique de Teva

1) Experts

[172] Encore une fois, les Drs Cockburn et Hollis ont préparé des scénarios et des analyses sur cette question. Les analyses des deux experts étaient très semblables, c’est-à-dire qu’ils ont étudié d’autres molécules afin de déterminer l’évolution de la part du premier participant au marché à mesure que de nouveaux concurrents font leur entrée. Ils ont tous deux appliqué ensuite les résultats à la part du marché de Teva dans le monde hypothétique.

[173] L’analyse menée par chacun des experts dépend d’une pléthore d’hypothèses – toutes de nature spéculative, tout comme pour la construction du monde hypothétique.

[174] Le Dr Cockburn a procédé à une analyse concurrent par concurrent, en fonction de son point de vue sur la force relative de chacun dans un monde hypothétique. Cette analyse repose sur davantage d’hypothèse que l’approche du Dr Hollis, laquelle traite les nouveaux concurrents également lorsque les différences entre les participants sont plus étendues. L’approche adoptée par le Dr Hollis avait tendance à réduire la part de Teva parce que certains des concurrents étaient peu importants.

[175] Pour les motifs exposés précédemment, en l’espèce, je conclus que cette approche générale est plus utile. Je retiens l’analyse du Dr Hollis même si elle avantage Pfizer parce qu’elle accorde un traitement plus favorable à GenMed en tant que concurrent que ce qui est justifié, de l’avis même de Pfizer (voir, à titre d’exemple, le mémoire de Pfizer aux paragraphes 293 et 294).

[176] Il y avait des différences négligeables dans les molécules qui formaient leurs ensembles de données respectifs. Ces différences n’ont eu aucune incidence concrète sur les résultats ou sur la conclusion de la Cour.

[177] L’argument portant que le modèle du Dr Cockburn pouvait s’appliquer plus facilement aux conclusions de fait de la Cour ne peut justifier son acceptation, lorsque la Cour conclut que l’analyse et les conclusions du Dr Hollis sont plus convaincantes.

2) Concurrence

[178] La part du marché de la prégabaline que les fabricants de médicaments génériques auraient obtenue ne suscite pas de désaccord important entre les économistes. Pour les motifs exposés précédemment, la Cour préfère la déposition du Dr Hollis.

[179] Le règlement de la question en litige concernant la part du marché générique de Teva dépend de la capacité de cette dernière à faire son entrée sur le marché et du moment de cette entrée, ainsi que du nombre d’autres fabricants de médicaments génériques qui pénètrent le marché et du moment où ils le font.

Teva a présenté six scénarios dans lesquels elle présume que la période de responsabilité commence le 1er mai 2010 et le 26 août 2010 et où elle est seule sur le marché, dans un marché concurrentiel d’interchangeabilité hors formulaire (IHF) et dans un marché concurrentiel à avantages complets.

[180] La Cour a rejeté une date de début le 1er mai 2010. Par conséquent, l’hypothèse, à moins que Pfizer ne démontre autre chose, porte que Teva ferait son entrée sur le marché de la prégabaline avec le produit de prégabaline de Ratiopharm autour du 26 août 2010. Teva prétend qu’elle remplacerait ensuite le produit de Ratiopharm par le sien au début de l’année 2011.

[181] Pfizer a allégué qu’il était impossible pour Teva de faire son entrée sur le marché autour du 26 août, même si elle avait été autorisée à le faire, en raison des obstacles à l’approvisionnement du marché. Le problème allégué résidait dans la qualité et la quantité de l’IPA.

[182] Pfizer a tenté d’introduire dans l’analyse une considération relative à une procédure d’interdiction en cours en août 2010, ce qui aurait repoussé la date du lancement après la date de l’audition de la procédure d’interdiction prévue en mars 2011.

[183] Dans la construction d’un monde hypothétique, cependant, on suppose que ces procédures n’entraînent aucun retard (même s’il est pertinent de tenir compte des procédures relatives à des avis de conformité visant des médicaments brevetés pour d’autres concurrents fabriquant des médicaments génériques).

3) Capacité de Teva de procéder à un lancement

[184] Pfizer a prétendu que Ratiopharm/Teva éprouvait des problèmes qui l’empêchaient de procéder au lancement. Il incombait à Pfizer d’établir ces obstacles. Les éléments de preuve démontrent que Ratiopharm avait la capacité de fournir la ratio-prégabaline, particulièrement à son usine de Mirabel. Je retiens l’opinion de M. D’Agostinis portant que dans le monde hypothétique, Ratiopharm aurait pu approvisionner environ deux fois le marché canadien de la prégabaline générique avec l’équipement en place, comme le prévoyait le Dr Hollis.

[185] Cette opinion a été confirmée en partie par le Dr Reider, de Pfizer, en ce qui concerne la capacité de fabrication de Ratiopharm.

[186] L’attaque de Pfizer repose essentiellement sur le fait que MSN ne pouvait pas satisfaire aux exigences de Ratiopharm concernant la taille et les spécifications des particules et que sa taille de lot de 55 kg ne pouvait pas répondre au besoin du marché commercial.

[187] Pfizer s’est fondée sur le témoignage du Dr Reider concernant la capacité d’approvisionnement et une question secondaire, soit que le mannitol contenu dans la formulation de Ratiopharm rendrait sa prégabaline instable.

Le témoignage du Dr Reider a été grandement miné en contre-interrogatoire et il n’a pas résisté aux éléments de preuve, dans le monde réel, sur la stabilité de la prégabaline de Ratiopharm. Son témoignage n’était pas réaliste.

[188] Relativement à la taille des lots, le témoignage du Dr Reider était hypothétique et il n’était pas fondé sur son expérience ou ses connaissances. Les éléments de preuve démontrent que l’équipement dont MSN disposait en 2010 et en 2011 pouvait produire 1 000 kg par mois – ce qui était suffisant pour le marché.

[189] Les éléments de preuve factuels démontrent que MSN a fourni plus de 1 100 kg d’IPA à Ratiopharm, au moyen de lots de 55 kg. Cela confirme qu’il était possible de travailler avec des lots d’une taille de 55 kg. Le témoignage d’expert du Dr Reider est trop hypothétique et il va à l’encontre de l’expérience dans le monde réel.

[190] Les éléments de preuve présentés par MSN voulaient qu’elle ait la capacité d’augmenter la production de lots de grande taille, au besoin. La Cour conclut que ce témoignage est conforme à ce qui se serait produit dans le monde hypothétique.

[191] L’estimation du Dr Reider concernant le temps qu’il aurait fallu à Ratiopharm/Teva pour pénétrer le marché n’est pas fiable, particulièrement à l’égard des [traduction] « lots de démonstration », des lots de validation et de l’accroissement des stocks avant le lancement. En contre-interrogatoire, il a été démontré qu’il avait une compréhension erronée de ces caractéristiques.

[192] Le Dr Des Islet, qui a témoigné pour Teva, était un témoin plus informé et plus fiable. Le Dr Des Islet a livré un témoignage plus clair et non contesté sur les lots en question. Je préfère son témoignage à celui du Dr Reider.

[193] Même si l’IPA de Teva a posé problème après la fusion de Teva et de Ratiopharm, Teva aurait été en mesure, dans un monde hypothétique, de lancer la prégabaline de Ratiopharm. Je retiens les témoignages de M. Sommerville et de M. Fishman à cet égard. Il serait illogique de ne pas le faire dans un monde hypothétique, et cela est conforme à l’expérience dans le monde réel où Teva avait amorcé la mise à l’échelle et la validation de la prégabaline de Ratiopharm. Pfizer ne conteste pas sérieusement ce scénario.

[194] Encore une fois, le témoignage du Dr Reider relativement à la capacité de Teva à approvisionner le marché commercial est rejeté. Sa thèse repose principalement sur l’hypothèse selon laquelle la prégabaline de Ratiopharm comprenant du mannitol était instable; Teva n’aurait donc pas utilisé la prégabaline de Ratiopharm. Comme je l’ai déjà indiqué, l’opinion du Dr Reider sur cette question est irréaliste et infondée. Le mannitol est un excipient couramment utilisé et il est considéré comme non réactif.

[195] La Cour conclut que Teva aurait lancé le produit de prégabaline de Ratiopharm autour du 26 août 2010.

[196] Dans le pire des scénarios, si Teva avait continué d’éprouver des problèmes avec l’IPA, comme l’a allégué le Dr Reider, elle aurait fait de MSN son fournisseur dans un monde hypothétique, comme elle a fait dans le monde réel.

[197] Par conséquent, dans le monde hypothétique, Teva n’aurait rencontré aucun obstacle concret au lancement de la prégabaline de Ratiopharm autour du 26 août 2010. Qui plus est, aucun autre fabricant de médicaments génériques n’aurait pu approvisionner le marché à ce moment.

E. Introduction de médicaments génériques – Général

[198] Pfizer construit un monde hypothétique pendant la période de responsabilité où la situation concurrentielle est extrêmement féroce entre les fabricants de médicaments génériques tiers, les fabricants de médicaments génériques autorisés et le propre fabricant de médicaments génériques de Pfizer, GenMed. Souvent, dans l’analyse, un scénario en minimise un autre : plus une entité est concurrentielle, plus les répercussions sur les autres participants au marché sont négatives dans les divers scénarios. Lorsqu’un fabricant de médicaments génériques très solide fait son entrée sur le marché, il a tendance à réduire ou à retarder l’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques.

[199] La question en litige est de savoir quels fabricants de médicaments génériques auraient fait leur entrée sur le marché de la prégabaline générique pendant la période de responsabilité et à quel moment.

[200] Deux mondes hypothétiques radicalement différents ont été présentés à la Cour. Le monde hypothétique de Pfizer serait peuplé de concurrents fabriquant des médicaments génériques, notamment GenMed, dont Pfizer est propriétaire, d’autres fabricants de médicaments génériques autorisés ou de fabricants de médicaments génériques tiers. Dans le monde hypothétique de Teva, pendant la période de responsabilité, Pfizer et Teva sont en concurrence avec très peu ou pas de fabricants de médicaments génériques autorisés (notamment GenMed) et sans aucun fabricant indépendant de médicaments génériques.

[201] Il incombe à Pfizer d’établir son modèle concurrentiel. Le comportement dans le monde réel aide à construire le monde hypothétique, mais son utilité est plus limitée dans le cas d’un comportement concurrentiel. Le marché est différent dans un monde hypothétique où le fabricant de médicaments de marque Pfizer et le fabricant de médicaments génériques Teva sont sur le marché, alors que tous les autres concurrents doivent composer avec des procédures relatives à des avis de conformité visant des médicaments brevetés et des suspensions de brevet.

1) Fabricants de médicaments génériques tiers

[202] Pfizer prétend qu’une fois qu’un fabricant de médicaments génériques (Teva en l’espèce) aurait fait son entrée sur le marché, elle cesserait toute opposition à l’entrée sur le marché d’autres fabricants de médicaments génériques. La Cour d’appel fédérale qualifie cette approche de méthode du [traduction] « libre accès ».

[203] La Cour d’appel fédérale a rejeté cette méthode du [traduction] « libre accès » dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2014 CAF 68, aux paragraphes 156 à 159, [2015] 2 RCF 828, confirmé par 2015 CSC 20 (la décision Ramipril), dans lequel elle a souscrit au motif du juge qui préside pour écarter la méthode du libre accès.

[156] Sanofi fait remarquer que l’effet combiné des décisions de la juge de première instance dans la présente affaire et dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva est que la taille du marché hypothétique pour la période allant du 13 décembre 2005 au 1er août 2006 (la partie chevauchante des périodes de responsabilité selon l’article 8 envers Apotex et envers Teva) excède la taille du marché réel de la version générique du ramipril. En conséquence, d’après Sanofi, le montant total des dommages‑intérêts qu’elle aurait à verser à Apotex et à Teva au titre de l’article 8 est surévalué. Sanofi soutient qu’il s’agit d’une erreur de principe, étant donné que cette surévaluation est le résultat inévitable de la méthode adoptée par la juge de première instance pour définir les caractéristiques du marché hypothétique. Sanofi préconise une méthode suivant laquelle chaque concurrent éventuel est présumé faire son entrée sur le marché hypothétique sans subir les contraintes du Règlement AC; j’appellerai cette méthode la « méthode du libre accès ».

[157] Le mécanisme mis en place par le Règlement AC demande toujours beaucoup de temps. La juge de première instance a présumé que, dans le monde hypothétique, le Règlement AC existe et que les concurrents de celui qui cherche à obtenir une indemnité au titre de l’article 8 agiraient, en ce qui a trait au Règlement AC, de la même façon qu’ils l’ont fait dans le monde réel, sauf s’il existe une preuve autorisant le juge des faits à conclure raisonnablement qu’ils auraient agi différemment. La méthode du libre accès fait abstraction du Règlement AC au moment de l’établissement du marché hypothétique. Pour toute partie qui cherche à obtenir une indemnité au titre de l’article 8, il y aura donc un plus grand nombre de concurrents qui entreront sur le marché hypothétique plus tôt qu’ils n’auraient pu le faire si le Règlement AC était réputé s’appliquer. Cela réduira le montant de l’indemnité visée à l’article 8 dans les cas où le demandeur a un concurrent potentiel, et cela réduira du même coup la responsabilité globale de la première personne (le fabricant du médicament innovant, en l’occurrence Sanofi) dans toutes les demandes d’indemnité relatives au même médicament générique. Cela avantagera nécessairement la première personne, mais cela pourrait préjudicier injustement un demandeur en particulier, parce qu’il n’est pas possible de savoir si la méthode du libre accès donnerait dans tous les cas lieu à l’établissement d’une indemnité raisonnable pour chacun des demandeurs ou pour tous les demandeurs collectivement.

[158] La juge de première instance a rejeté la méthode du libre accès, principalement parce qu’elle est incompatible avec la règle voulant que chaque demande d’indemnité au titre de l’article 8 soit examinée individuellement, en tenant compte des éléments de preuve produits. La juge a présumé que, dans le monde hypothétique, les concurrents de celui qui sollicite une indemnité au titre de l’article 8 sont assujettis au Règlement AC et qu’ils surmonteraient les obstacles réglementaires comme ils l’ont fait dans le monde réel, sauf s’il existe une preuve permettant au juge des faits de conclure raisonnablement qu’ils auraient agi différemment.

[204] La Cour d’appel fédérale a ensuite expliqué que, dans le monde hypothétique, tous les nouveaux venus potentiels sur le marché (autre que le demandeur aux termes de l’article 8) sont tenus de se conformer au Règlement AC et que, du point de vue des fabricants de médicaments génériques tiers, les procédures d’interdiction demeurent en vigueur.

[162] Il s’ensuit que, dans le marché hypothétique, le comportement de fabricants concurrents de médicaments génériques doit être déterminé en tenant pour acquis que le Règlement AC existe et que chaque fabricant de médicaments génériques agira en conséquence.

[…]

[186] Comme je l’expliquais plus haut, je ne crois pas qu’il soit juste de présumer qu’il n’y a pas de Règlement AC dans le monde hypothétique, ni que le Règlement AC ne s’applique pas à celui qui cherche à être indemnisé au titre de l’article 8 (sauf s’il s’agit de déterminer le début de la période de responsabilité selon l’article 8). Il me semble donc que, dans le monde hypothétique, les demandes d’interdiction déposées contre Apotex auraient été rejetées, tout comme elles l’ont été dans le monde réel. Chacun de ces rejets donnait à Apotex le droit de demander une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC. Toutefois, chaque rejet fondé sur une allégation d’invalidité mettait en péril les autres demandes d’interdiction déposées par Sanofi se rapportant à la même allégation, y compris celles se rapportant aux allégations d’invalidité faites par Teva et Riva.

[205] Je ne peux retenir l’affirmation de Pfizer selon laquelle elle aurait, dans le monde hypothétique, consenti à l’entrée sur le marché de fabricants de médicaments génériques tiers dès le rejet de la procédure d’interdiction contre Teva. Ce rejet ne se produit pas dans le monde hypothétique.

[206] Même si je retenais le témoignage de M. Noseworthy selon lequel Pfizer permettrait le libre accès au marché après qu’un fabricant de médicaments génériques a obtenu gain de cause dans une procédure relative à un avis de conformité visant un médicament breveté, cette situation se produit uniquement lorsqu’une conclusion d’invalidité est prononcée contre un fabricant de médicaments de marque, notamment Pfizer. Une telle conclusion n’a pas été prononcée dans le présent monde hypothétique.

[207] Compte tenu de la conduite de Pfizer, dans le monde réel, pour empêcher que d’autres fabricants fassent leur entrée sur le marché, comme elle l’a fait dans la procédure contre Teva, je conclus que Pfizer aurait agi de la même manière dans un monde hypothétique.

[208] Bien qu’aucune des parties n’ait présenté un tel argument, une construction raisonnable d’un marché concurrentiel hypothétique consisterait à appliquer la période de mise en suspens de deux ans à chacun des fabricants de médicaments génériques tiers qui ont demandé un avis de conformité, à présumer que chacun d’eux obtiendrait gain de cause devant la Cour fédérale, de la même manière que Teva a obtenu gain de cause, et à déterminer ensuite à quel moment ils auraient été en mesure de réellement pénétrer le marché. Même en procédant ainsi, la fin de la période où Teva aurait été le seul fabricant de médicaments génériques sur le marché aurait été à peu près la même que la fin de la période de responsabilité.

[209] Il ressortait clairement des témoignages de ces fabricants de médicaments génériques tiers que le prix, les conditions du marché et le fait d’être considérablement [traduction] « à risque » les auraient dissuadés, dans un monde hypothétique, de pénétrer le marché plus tôt.

[210] Même en acceptant que Pfizer ne se serait pas opposée à l’entrée sur le marché de fabricants de médicaments génériques tiers, les éléments de preuve sont insuffisants pour démontrer que l’un d’eux l’aurait fait.

[211] À cet égard, Pfizer a appelé des représentants de Mylan, Sandoz, Ranbaxy, Pro Doc et Riva. Comme je l’ai déjà mentionné, aucun fabricant ne serait entré sur le marché immédiatement après l’entrée de Teva.

[212] Il a été mentionné de façon récurrente qu’à moins d’une approbation judiciaire ou d’une conclusion d’absence de contrefaçon, ils n’entreraient pas sur le marché, même si aucune procédure relative à un avis de conformité n’avait été introduite contre Teva.

[213] Pharmascience a été la seule à témoigner d’une possible entrée sur le marché. Ce témoignage a toutefois fait l’objet d’une qualification importante entourant l’évolution des procédures relatives aux avis de conformité visant des médicaments brevetés. L’argument selon lequel Pharmascience aurait signifié son avis de conformité plus tôt dans un monde hypothétique n’est pas conforme au témoignage.

[214] Comme il a été admis en contre-interrogatoire, Riva ne serait entrée sur le marché pour aucun motif; toutefois, si elle l’avait fait, cela aurait été à titre de référence croisée au produit de prégabaline de Pharmascience, et ce, pratiquement qu’au Québec. La même situation s’applique à Pro Doc. Il s’agit d’un fondement trop incertain pour suggérer une concurrence importante de la part des fabricants de médicaments génériques.

[215] Dans le monde réel, Shoppers Drug Mart s’est assurée, pour sa gamme de médicaments fabriqués par Sanis, que Teva ferait une référence croisée à son produit de prégabaline. Comme M. Sommerville l’a souligné, dans un monde hypothétique, une fois trois concurrents présents sur le marché de la version générique de la prégabaline, une négociation aurait eu lieu afin d’accorder à l’un des fournisseurs un contrat concernant la prégabaline.

[216] Dans le monde réel, Pfizer/GenMed ont été incapables de conclure une entente d’approvisionnement en prégabaline avec Sanis. Malgré l’allégation de Pfizer/GenMed selon laquelle elles auraient pu conclure cette entente, il faut rejeter ce souhait en l’absence d’un témoignage de corroboration de Sanis ou de Shoppers.

[217] En somme, les éléments de preuve sont insuffisants pour établir que les fabricants de médicaments génériques tiers auraient pu pénétrer le marché de la prégabaline pendant la période de responsabilité et qu’ils l’auraient fait. La conjoncture incertaine du marché (même pour un médicament aussi important que la prégabaline), le champ de bataille concurrentiel et les risques juridiques et financiers, réels ou perçus, liés au lancement semblent avoir dissuadé les fabricants de faire une telle entrée.

2) Lancement de GenMed

[218] Pfizer souligne à juste titre que la prégabaline était un produit ([traduction] « à succès ») important pour elle et une molécule cruciale pour le secteur des médicaments génériques. Tous les fabricants importants de médicaments génériques en activité au Canada ont ultimement développé leur propre produit de prégabaline ou ils ont procédé à des octrois de licences réciproques. Bien que les fabricants de médicaments génériques puissent ne pas être en mesure de demeurer hors de ce marché, il faut que la conjoncture, la capacité du marché et l’intention des fabricants de médicaments génériques de participer au marché soient établies dans le présent monde hypothétique au cours de la période de responsabilité.

[219] La thèse de Pfizer indique qu’après la pénétration du marché par Teva, elle aurait immédiatement commencé à commercialiser un produit de GenMed. Étant donné qu’elle avait reçu l’avis de conformité de Ratiopharm en juillet 2009, Pfizer aurait planifié de lancer GenMed en même temps que l’entrée sur le marché de Ratiopharm ou de Teva.

[220] GenMed a d’abord été conçue dans le cadre de la stratégie globale de perte d’exclusivité de Pfizer à l’égard d’autres médicaments, notamment Lipitor et Norvasc. Les stratégies relatives à la perte d’exclusivité comprenaient des mesures de marketing (décrites comme une [traduction] « boîte à d’outils ») lesquelles englobaient GenMed. Dès 2013, au moment où la production de médicaments génériques a gagné le marché, Pfizer a lancé le GD-Pregabalin. Ces deux événements du monde réel constituent le fondement de la thèse de Pfizer selon laquelle ce qui s’est produit en 2013 dans le monde réel se serait produit à l’automne 2011 dans le monde hypothétique.

[221] Relativement à cette question en litige, Pfizer s’appuie principalement sur les témoignages de Mme Di Lullo et de Mme Cassar-Awe et, dans une moindre mesure, sur celui de M. Noseworthy. J’ai déjà énoncé l’avis général de la Cour sur ces témoins.

[222] La thèse de Pfizer comporte plusieurs difficultés, et elles sont résumées dans les paragraphes suivants. Comme je l’ai déjà mentionné, Pfizer a elle-même reconnu que GenMed n’était pas un important concurrent en 2010; elle allègue toutefois que sa stratégie, dans un monde hypothétique, aurait été de diviser sa part du marché de la prégabaline avec son fabricant de médicaments génériques moins important, de réduire les recettes tirées de ce médicament à succès et de miner la marque afin de faire concurrence à Teva seulement (pendant que les autres fabricants de médicaments génériques suivant le processus relatif à l’avis de conformité des médicaments brevetés), ou elle aurait tout simplement abandonné le marché aux mains des fabricants de médicaments génériques en général, notamment son propre fabricant. Il est difficile d’imaginer cette stratégie quand une autre option consisterait, comme l’a aussi suggéré Pfizer, à livrer une concurrence énergique à Teva (possiblement sur le prix et les dépenses de commercialisation) tout en maintenant d’autres fabricants de médicaments génériques hors du marché.

[223] Premièrement, les éléments de preuve indiquent que GenMed ne faisait pas partie de la boîte à outils de Pfizer en 2010. Avant le 1er mai 2010, Pfizer n’avait lancé aucun produit de GenMed sur le marché du détail afin de faire concurrence à un fabricant de médicaments génériques au moment de la perte d’exclusivité. Avant 2010, la seule tentative de lancement d’un médicament générique (le GD-Amlodipine) a été abandonnée.

[224] En général, Pfizer ne lançait pas un produit de GenMed au moment d’une perte d’exclusivité, même si GenMed existait depuis 2004; quoique, selon certains éléments de preuve, Pfizer prévoyait élargir le rôle de GenMed.

[225] Une deuxième difficulté réside dans le fait que la valeur probante des témoignages indique que Pfizer ne lancerait pas le GD-Pregabalin dans un marché d’interchangeabilité hors formulaire à fournisseur unique.

[226] Cette conclusion repose, dans une certaine mesure, sur les réponses données par Mme Di Lullo, qui a admis que Pfizer ne lancerait pas GenMed dans un contexte d’interchangeabilité hors formulaire. Pfizer a prétendu qu’elle s’était mêlée dans sa réponse entre une situation au Québec aux termes de la liste de médicaments PPB 15 (un régime de prestations complet – aucune différence de prix pour le patient entre le médicament générique et le médicament de marque) et un contexte d’interchangeabilité hors formulaire à l’extérieur du Québec.

[227] Sa réponse est conforme au fait que Pfizer s’est abstenue de lancer GenMed sur le marché de la liste de médicaments PPB 15 du Québec parce que la concurrence dans le marché des médicaments génériques pouvait [traduction] « cannibaliser » ou éroder le marché des médicaments de marque.

[228] Comme je l’ai déjà mentionné, il est conforme à la logique que Pfizer n’aurait pas lancé GenMed dans un marché d’interchangeabilité hors formulaire ou un marché hors pharmacopée à fournisseur unique à l’extérieur du Québec, compte tenu d’une possible réduction de prix et perte de la part de marché.

[229] Par conséquent, Pfizer ne lancerait pas le GD-Pregabalin dans un marché d’interchangeabilité hors formulaire à fournisseur unique, comme cela aurait été le cas en Ontario en 2010 dans le monde hypothétique.

[230] La troisième difficulté avec la position de Pfizer réside dans le fait que Pfizer n’avait pas prévu de lancer le GD-Pregabalin au moment de la perte d’exclusivité dans le monde réel.

[231] Pfizer se reporte aux événements qui se sont produits à compter de 2013 dans le monde réel pour construire un monde hypothétique en 2011. Elle n’avait toutefois pas prévu de lancer le GD-Pregabalin avant la perte d’exclusivité attendue en 2011. La difficulté avec les éléments de preuve de Pfizer réside dans le fait qu’ils étaient particulièrement hypothétiques (plus que ce qui est inhérent à la création d’un monde hypothétique), même en ce qui concerne la planification, dans le monde réel, de la perte d’exclusivité définitive concernant Lyrica.

[232] La quatrième difficulté avec la thèse de Pfizer est liée à l’incohérence dans la planification et la réponse. Il a été admis que Pfizer ne lance pas toujours un produit de GenMed au moment de la perte d’exclusivité à l’égard d’un produit et que cela dépendait de la situation. Une [traduction] « boîte à outils » générale – laquelle n’était rien d’autre qu’une liste de plusieurs solutions possibles pour contrer la concurrence – n’établit pas que l’une ou l’ensemble de ces solutions serait utilisé pour répondre à la situation qui prévalait en 2010.

[233] Pour chaque exemple de cas où aucun produit de GenMed n’avait été lancé en réponse à l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques, les témoins de Pfizer invoquaient une thèse pour différencier ledit exemple de ce qui constituerait la réponse dans le monde hypothétique, selon eux. Ces exemples minent toutefois la crédibilité de la construction du monde hypothétique de Pfizer et montrent l’incohérence des mesures prises par Pfizer dans le monde réel.

[234] En réponse à la thèse de M. Noseworthy selon laquelle, dès qu’un fabricant de médicaments génériques ferait son entrée sur le marché, Pfizer abandonnerait tout espoir pour le médicament de marque et permettrait une concurrence débridée entre les différents fabricants de médicaments génériques, il convient de mentionner que le plan d’affaires de 2011 présenté par Mme Cassar-Awe concernant le GD-Aromasia consistait à lancer ce produit seulement après l’entrée sur le marché d’un deuxième fabricant de médicaments génériques.

[235] Cette incohérence dans les réponses s’appliquait à d’autres produits de Pfizer (se reporter aux éléments de preuve sur Lipitor), de sorte que la seule manière de l’expliquer est de conclure que [traduction] « tout dépendait » ou que [traduction] « chaque situation était unique ».

[236] L’argument de Pfizer, portant qu’elle aurait lancé le GD-Pregabalin au moment de la perte d’exclusivité en 2010 puisque GenMed faisait partie de sa boîte à outils de solutions possibles pour contrer la concurrence au moment de la perte d’exclusivité, ne peut constituer un principe général dans un contexte où elle n’adopte pas une telle approche dans le monde réel.

[237] Pour que Pfizer puisse démontrer que GenMed aurait lancé le GD-Pregabalin, elle doit établir plus que le simple fait que GenMed faisait partie de sa boîte à outils.

[238] La cinquième difficulté pour Pfizer réside dans le fait que GenMed n’était pas un concurrent efficace dans le monde réel.

[239] Comme je l’ai déjà mentionné, Pfizer a reconnu qu’elle éprouvait ce problème avec GenMed. Même s’il appartenait à Pfizer de corriger cette lacune, elle ne l’a pas fait. Il ne serait pas logique de conclure que cette lacune dans le monde réel, comme on le constate à la lumière des événements de 2013 où elle s’est approprié 1 % du marché, aurait été corrigée dans le monde hypothétique.

[240] Le témoignage de Mme Di Lullo sur le besoin d’établir un fondement commercial au lancement de GenMed montre qu’il serait très hypothétique de conclure que GenMed ferait l’objet d’un lancement, malgré les efforts déployés par Mme Cassar-Awe pour soutenir le scénario relatif à GenMed.

[241] Il est difficile de concilier la thèse de Mme Cassar-Awe selon laquelle GenMed ne ferait pas l’objet d’un lancement dans un marché majoritairement occupé par des fabricants de médicaments génériques avec celle de Pfizer portant que les fabricants de médicaments génériques feraient leur entrée sur le marché en même temps que GenMed et possiblement un fabricant de médicaments génériques autorisé.

[242] La thèse est encore plus difficile à concilier avec les mesures prises par Pfizer en 2013 au moment de l’entrée sur le marché de fabricants de médicaments génériques, quand elle a lancé GenMed dans un marché très concurrentiel.

[243] M. Noseworthy a indiqué que le lancement de GenMed en 2013 s’expliquait, en partie, comme un moyen de limiter les dommages-intérêts aux termes de l’article 8. Comme Teva n’aurait pas présenté de demande en dommages-intérêts aux termes de l’article 8 dans un monde hypothétique, cette justification du lancement de GenMed au cours de la période de responsabilité ne peut être établie.

[244] Par conséquent, Pfizer n’a pas démontré que GenMed aurait été lancé en 2010-2011 pour faire concurrence à Teva dans le présent monde hypothétique. Même si Pfizer avait lancé GenMed, cette dernière ne serait pas une concurrente efficace.

3) Fabricants de médicaments génériques autorisés

[245] La dernière question de cette analyse des fabricants de médicaments génériques dans le monde hypothétique concerne l’argument de Pfizer portant qu’elle aurait autorisé au moins un fabricant de médicaments génériques, lequel aurait fait son entrée sur le marché à peu près au même moment que Teva.

[246] Bien que la Cour ne soit pas tenue de déterminer l’identité de ce fabricant de médicaments génériques autorisé en particulier; en l’espèce, Pfizer a désigné Mylan comme probable fabricant de médicaments génériques autorisé. Pfizer soutient aussi qu’il y aurait peut-être eu d’autres fabricants de médicaments génériques autorisés.

[247] Certains facteurs guidaient Pfizer vers un fabricant de médicaments génériques autorisé, mais il existait aussi d’autres facteurs qui indiquaient autre chose.

[248] Malgré le fait que dans le monde réel, au début de l’année 2014, Pfizer a conclu une entente avec Mylan en tant que fabricant de médicaments génériques autorisé à vendre la prégabaline de Pfizer comme un produit de Mylan, les éléments de preuve indiquent que cette entente n’aurait pas été conclue dans un monde hypothétique.

[249] Le témoignage de M. Fahmy indique que dans le monde hypothétique, Mylan ne serait pas entrée sur le marché de la prégabaline comme fabricant de médicaments génériques autorisé ou tiers.

[250] M. Fahmy a témoigné qu’en 2010, Mylan allait de l’avant avec son propre produit, en partant du principe que ses coûts étaient satisfaisants. En 2010, Mylan ne souhaitait pas conclure une entente de fabricant de médicaments génériques autorisé. Ce n’est qu’à la fin de 2011 ou au début de 2012 que les coûts sont devenus problématiques, et ce n’est qu’à partir de ce moment que Mylan aurait pu envisager de conclure une entente de fabricant de médicaments génériques autorisé. Au mieux, le témoignage de M. Fahmy indique que Mylan aurait pu envisager de conclure une entente de fabricant de médicaments génériques autorisé à la fin de 2012, ce qui est trop tard pour avoir une incidence sur la période de responsabilité.

[251] En outre, le témoignage de M. Fahmy ne cadre pas avec une entente de fabricant de médicaments génériques autorisé, en raison des préoccupations liées à la rentabilité. Mylan ne souhaitait pas agir comme fabricant de médicaments génériques autorisé. Quand elle a su qu’elle ne commercialiserait pas son produit de prégabaline en 2011, elle n’a pas cherché à conclure une entente avec Pfizer.

[252] Pfizer n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que Mylan serait devenue un fabricant de médicaments génériques autorisé pendant la période de responsabilité. Les éléments de preuve tangibles ne cadrent pas avec ce scénario.

[253] Les considérations entourant la création d’un fabricant de médicaments génériques autorisé en 2013 dans le but de limiter les dommages-intérêts contre Pfizer aux termes de l’article 8 ne s’appliqueraient pas dans un monde hypothétique.

[254] L’attente de Teva concernant un fabricant de médicaments génériques autorisé dans le monde réel n’est pas facilement transposable dans un monde hypothétique. Le monde hypothétique consisterait en un contexte bien différent pour un fabricant de médicaments génériques, comme l’a indiqué M. Fahmy dans son témoignage.

[255] Quant à l’argument selon lequel Pfizer aurait trouvé un autre fabricant de médicaments génériques autorisé si Mylan avait refusé de conclure une entente, les éléments de preuve sont minces et non convaincants. À titre d’exemple, dans le monde réel, Pfizer a proposé seulement à Mylan de devenir un fabricant de médicaments génériques autorisé; elle n’a approché aucun autre fabricant de médicaments génériques et aucun autre ne l’a approchée.

[256] Cette question de savoir qui approcherait qui présente une certaine pertinence, puisque les éléments de preuve indiquent que Pfizer attend qu’un fabricant de médicaments génériques l’approche.

[257] L’invocation par Pfizer d’un seul exemple de conclusion d’une entente avec un fabricant de médicaments génériques autorisé au moment de la perte d’exclusivité – le cas de l’atorvastatine – n’est pas utile, puisqu’il s’agissait d’une situation unique découlant d’un règlement judiciaire à l’échelle mondiale.

[258] Pfizer n’a pas démontré qu’un autre fabricant de médicaments génériques aurait conclu une entente de fabricant de médicaments génériques autorisé pendant la période de responsabilité. Les éléments de preuve sont insuffisants pour soutenir la thèse de Pfizer sur cette question.

F. Inscription sur la liste des médicaments assurés

[259] La question en litige de l’inscription sur la liste des médicaments assurés vise à déterminer à quel moment Teva et ses concurrents du marché des médicaments génériques (s’il y a lieu) auraient été inscrits sur les listes provinciales de médicaments assurés. Cette question dépend beaucoup de la conclusion de la Cour sur l’absence de concurrence dans le marché des médicaments génériques. Réciproquement, la question en litige de l’inscription sur la liste de médicaments assurés a une incidence sur la part de marché et le prix.

[260] Les parties s’entendent en grande partie sur les dates d’inscription aux listes de médicaments assurés dans les divers scénarios, puisque les experts croient pouvoir modéliser les dates en fonction des conclusions de fait de la Cour. Ces questions portent sur les médicaments hors pharmacopée, l’interchangeabilité et la liste des médicaments assurés.

[261] Il est aussi constant que :

  • la prégabaline n’aurait pas été inscrite comme médicament sur les listes de médicaments assurés de la Colombie-Britannique, de l’Alberta ou du Manitoba;

  • la prégabaline aurait été inscrite comme médicament sur la liste de médicaments assurés du Québec;

  • Teva et d’autres fabricants de médicaments génériques (s’il y a lieu) auraient été motivés à présenter une demande d’inscription sur la liste des médicaments assurés. Toutefois, cela suppose que d’autres fabricants de médicaments génériques auraient commercialisé leur produit de prégabaline ou qu’ils auraient pu le faire – ce qui n’a pas été démontré en l’espèce.

[262] La principale question en litige est de savoir ce qui se serait passé en Ontario et, dans une moindre mesure, en Saskatchewan et dans le Canada atlantique.

[263] On peut trancher les questions en litige relatives au Canada atlantique et à la Saskatchewan en invoquant le témoignage de M. Palmer selon lequel ces provinces ne lanceraient pas le processus d’inscription avant qu’un fabricant de médicaments génériques autre que Teva présente une demande d’inscription sur la liste des médicaments entièrement assurés dans ces provinces.

[264] Relativement à l’Ontario, la prégabaline n’était pas inscrite comme un médicament entièrement assuré sur la liste des médicaments assurés de la province avant la perte d’exclusivité en février 2013. Préalablement, Lyrica était uniquement offert sur la liste de médicaments assurés de l’Ontario conformément au Programme d’accès exceptionnel, compte tenu de son prix très élevé.

[265] C’est l’arrivée de fabricants de médicaments génériques sur le marché, en 2013, avec leurs forces concurrentielles sur la marque et leur prix, qui a donné lieu à l’inscription de la prégabaline comme médicament entièrement assuré. Les fabricants de médicaments génériques avaient présenté une demande d’interchangeabilité hors formulaire.

[266] M. Fraser, l’ancien directeur des services pharmaceutiques des programmes de médicaments de l’Ontario, est celui qui a livré le principal témoignage sur ce qui s’est produit et sur ce qui se serait probablement produit dans le monde hypothétique. Même s’il était un témoin des faits, son savoir, son expérience et son objectivité en faisaient à toute fin pratique un expert, et j’accorde un poids important à son témoignage.

[267] M. Fraser a confirmé que l’Ontario n’ajouterait pas la prégabaline à la liste des médicaments entièrement assurés, si seulement un ou deux fabricants de médicaments génériques étaient présents sur le marché (particulièrement Teva seule ou Teva et GenMed). M. Fraser a parlé du besoin d’avoir un regroupement de fabricants de médicaments génériques sur le marché (de quatre à six) avant d’accorder à la prégabaline le statut de médicament entièrement assuré.

[268] Compte tenu des conclusions de la Cour sur la pénétration du marché par des fabricants de médicaments génériques pendant la période de responsabilité dans un monde hypothétique, la seule conclusion raisonnable porte que la prégabaline n’aurait pas obtenu le statut de médicaments entièrement assuré en Ontario.

[269] Par conséquent, la Cour conclut que dans le monde hypothétique, la prégabaline serait demeurée un médicament hors pharmacopée pendant toute la période de responsabilité, à l’extérieur du Québec (où elle serait inscrite sur la liste).

[270] Ce faisant, la Cour ne conclut pas que les autorités provinciales ne disposaient d’aucune ressource pour agir sur le prix de la prégabaline et qu’elles étaient esclaves des prix fixés par les fabricants de médicaments génériques. Pfizer a renoncé à un [traduction] « accord d’inscription de produits » avec l’Ontario, parce que cette province tenait à fixer le prix de Lyrica selon une remise de 40 %. Il s’agissait d’une remise que Pfizer refusait d’accepter à ce moment.

[271] L’Ontario souhaitait vivement inscrire la prégabaline sur la liste afin d’aider ses médecins, ses patients et ses administrateurs de programmes de médicaments.

[272] Comme M. Fraser l’a indiqué, il n’avait jamais été témoin d’une situation où, après la perte d’exclusivité, tous les fabricants de médicaments génériques refusent que leur médicament soit inscrit comme médicament général sur la liste de médicaments assurés. Le monde hypothétique ne correspond toutefois pas au monde réel à cet égard. Comme j’en ai déjà conclu, les autres fabricants de médicaments génériques n’auraient pas pénétré le marché du monde hypothétique pendant la période de responsabilité ou n’auraient pas pu le faire.

[273] Dans la mesure où la division du marché entre divers fabricants de médicaments génériques aurait posé problème, la Cour, comme je l’ai déjà indiqué, aurait retenu le modèle du Dr Hollis.

G. Établissement des prix

[274] Pour le calcul des ventes perdues de Teva au cours de la période de responsabilité, les parties ont présenté différentes théories sur le prix fixé par Teva – en d’autres termes, la déduction d’un pourcentage du prix de Lyrica.

[275] Teva (et Ratiopharm) a allégué qu’elle aurait établi le prix de son produit à 85 % de celui de Lyrica dans un marché d’interchangeabilité hors formulaire à fournisseur unique.

[276] Il ne fait aucun doute que dans un marché de médicaments génériques à fournisseur unique, le fabricant de médicaments génériques à la possibilité de fixer un prix plus élevé que dans un marché de médicaments génériques concurrentiel. L’établissement du prix à 85 % correspond au prix le plus élevé de la fourchette raisonnable. Bien que des exemples tirés du monde réel puissent être utiles, étant donné que Teva n’a fixé le prix d’aucun produit à 85 % pendant la période de responsabilité, de tels exemples ne seraient pas déterminants.

[277] Il faut examiner cette question à partir d’un prix qui n’est pas élevé au point d’empêcher la pénétration du marché, de sorte que sa proximité avec le prix du médicament de marque fait que d’autres facteurs favorisant le médicament de marque, notamment la relation du fabricant du produit de marque avec les concurrents, réduisent le nombre possible de concurrents. Le fabricant doit penser à l’avenir lorsqu’il fixe son prix, puisque la concurrence finira par pénétrer le marché. Il doit tenir compte des relations actuelles et futures avec ceux qui doivent payer les coûts des médicaments; on ne peut exploiter les clients et s’attendre à de bonnes relations par la suite.

[278] Les éléments de preuve documentaire de Teva à l’appui d’un prix fixé à 85 % sont minces, voire inexistants. Même si Teva tente de banaliser l’exemple du risédronate (où le prix de ce médicament correspondait à 75 % de celui du médicament de marque), cet exemple est plus conforme au poids des éléments de preuve en l’espèce, notamment :

  • à aucun moment pertinent, Teva n’a établi le prix d’une molécule, dans un marché à fournisseur unique, à un niveau aussi élevé que 85 % du prix du médicament de marque;

  • le prix le plus élevé fixé par Teva en Ontario pour une molécule dans un marché à fournisseur unique pendant la période de responsabilité correspondait à 75 % du prix du médicament de marque, et la plupart des exemples indiquent un pourcentage se rapprochant de 70 %.

[279] La Cour conclut que, selon la meilleure estimation du prix dans une situation où ce prix ne serait pas établi par une liste provinciale de médicaments assurés, Teva aurait établi le prix de son médicament à 75 % de celui du médicament de marque.

[280] Dans la mesure où le produit de Teva (ou de Ratiopharm) aurait été inscrit sur les listes provinciales de médicaments assurés, l’annexe D révisée, présentée par M. Palmer, propose un régime d’établissement des prix adéquat.

H. Dépenses de commercialisation

[281] Les parties emploient divers taux de dépenses de commercialisation (en d’autres termes, la remise sur le prix offerte au client) selon les conditions du marché concurrentiel.

[282] Teva allègue ce qui suit :

  • a) dans un scénario de fournisseur unique, le taux de Ratiopharm aurait été de 15 % et celui de Teva de 20 %. Pfizer affirme qu’il aurait été d’au moins 30 %;

  • b) dans une situation à deux fournisseurs, le taux aurait été de 30 %. La thèse de Pfizer indique qu’un tel taux n’aurait jamais existé, puisqu’aucun élément de preuve ne le démontre;

  • c) dans une situation à fournisseurs multiples, le taux aurait été de 45 %. À cela, Pfizer allègue une fourchette de taux de dépenses de commercialisation entre 60 % et 65 %.

[283] Compte tenu des précédentes conclusions de la Cour concernant le contexte concurrentiel, le scénario le plus pertinent est celui des dépenses de commercialisation dans un marché à fournisseur unique. Il est possible que le scénario du marché à fournisseurs multiples oriente le calcul dans le scénario du marché à fournisseur unique dans une certaine mesure et toujours dans le contexte du monde hypothétique.

[284] Dans le présent litige sur les dépenses de commercialisation, les éléments de preuve présentés par Teva consistent principalement en des témoignages sur ses observations, au moyen d’un nombre limité d’exemples. Par contre, la conclusion de Pfizer est fondée sur une analyse des recueils produits par Teva.

La Cour conclut que l’analyse objective de Pfizer est plus convaincante que les prévisions subjectives et optimistes de Teva.

[285] La Cour n’accorde que très peu de poids à la prévision de M. Major selon laquelle les dépenses de commercialisation de Ratiopharm auraient été de 15 %, puisque ce pourcentage n’est appuyé que par très peu d’éléments de preuve crédibles, voire aucun. M. Major lui-même ne possédait qu’une expérience personnelle limitée en matière de dépenses de commercialisation.

Toutefois, compte tenu du moment du lancement, seul le taux de Teva importe.

[286] Le taux de dépenses de commercialisation de 20 % établi par Teva est fondé presque exclusivement sur l’hypothèse de M. Sommerville. Les recueils ne justifient pas ce taux. Il est trop facile, dans cette analyse du monde hypothétique, d’adopter une vision trop généreuse et optimiste de ce monde façonné.

[287] Dans le cas de Teva, l’hypothèse de M. Sommerville n’est fondée ni sur l’expérience ni sur les recueils. Teva n’effectue pas le suivi de ses dépenses de commercialisation par produit, ce qui signifie que le témoignage de M. Sommerville est tout au plus une « conjecture ».

[288] Le meilleur exemple d’une situation analogue à celle de la prégabaline dans un marché à fournisseur unique est, comme l’a reconnu M. Sommerville, celui du risédronate. Il s’agissait d’une molécule dans un marché à fournisseur unique de janvier à juillet 2010. Il s’agissait d’une molécule stratégique et sa situation ne pouvait pas ressembler davantage à celle de la prégabaline.

[289] Le taux de dépenses de commercialisation au cours de cette période était de 39 % à 45 %, calculé selon des volumes de 40 %.

[290] Les chiffres liés aux dépenses de commercialisation pour le risédronate proviennent d’un document produit par Teva intitulé « Teva 292 ». Il a été préparé par l’équipe des dépenses de commercialisation du service des finances de Teva en réponse à des engagements.

[291] Peu de temps avant le procès, Teva a tenté de revenir sur ce document pour le motif qu’il était erroné. M. Sommerville ne disposait d’aucun fondement crédible pour dissocier Teva si aisément de cet élément de preuve manifestement nuisible.

[292] Teva n’a toutefois pas présenté de version corrigée du document intitulé « Teva 292 ». Elle n’a pas démontré en quoi il s’agissait manifestement d’une erreur de calcul ou expliqué pourquoi il était inexact; elle n’est pas non plus revenue immédiatement sur ce document après l’avoir présenté et invoqué elle-même.

[293] La Cour retient que le document intitulé « Teva 292 » constitue le meilleur et le plus objectif élément de preuve concernant les dépenses de commercialisation pour une molécule dans un marché à fournisseur unique.

[294] Le document intitulé « Teva 292 » constitue un aveu préjudiciable à son auteur. Il est extrêmement pertinent et plus objectif et fiable que les autres recueils à cet égard.

[295] Le document intitulé « Teva 292 » est conforme au témoignage de M. Steger (le comptable de Pfizer). Son travail a souffert de l’absence de documents produits, mais selon ses estimations, le taux global des dépenses de commercialisation de Teva dans un marché à fournisseur unique se situe entre 34 % et 38 %.

[296] En conclusion sur cette question, le taux de dépenses de commercialisation établi à 20 % par Teva n’est pas défendable. La valeur probante des éléments de preuve indique que ce taux se situe entre 30 % et 40 %.

Étant donné qu’il faut créer un taux dans le monde hypothétique, je conclus que le taux approprié de dépenses de commercialisation correspond à 35 %.

[297] À moins que les parties ne le demandent, la Cour ne formulera aucun commentaire sur un taux de dépenses de commercialisation dans un marché à deux fournisseurs ou à fournisseurs multiples.

I. Questions diverses liées à la comptabilité et aux coûts

[298] La plupart des questions liées à la comptabilité ont été réglées par entente. Par souci de commodité, la Cour présentera ses conclusions sur les questions en litige et y ajoutera, en tant que conclusions, les questions réglées par entente.

Voici les questions en litige :

  • coûts d’inspection des produits de Ratiopharm;

  • coût de l’IPA;

  • erreur de coût liée à la recette/la quantité d’IPA;

  • remplissage des tubes.

1) Coûts d’inspection

[299] La thèse de Teva selon laquelle aucune inspection ne serait menée dans le monde hypothétique est justifiée par l’absence d’inspection dans le monde réel et par le témoignage de M. D’Agostinis.

[300] La thèse de Pfizer selon laquelle des inspections auraient pu être menées dans le monde hypothétique est trop hypothétique.

[301] Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y aurait pas de coûts d’inspection.

2) Coût de l’IPA

[302] La question en litige consiste essentiellement à déterminer s’il faut inclure le prix de |||||||||| le kilogramme dans le prix de l’IPA au fil du temps. Étant donné que les commandes à |||||||||| le kilogramme n’ont jamais été passées, et compte tenu du témoignage de M. Reddy selon lequel |||||||||| ne correspondait pas au prix réel du marché, j’exclurais ce coût de l’IPA pendant la période de responsabilité.

[303] Je préfère le témoignage concret de M. Reddy à l’analyse présentée par le témoin Steger de Pfizer, puisque son témoignage sur d’autres questions (c.-à-d. les coûts d’inspection) était critique et moins crédible.

[304] La Cour conclut donc que |||||| le kilogramme correspond au prix approprié de l’IPA pendant la période de responsabilité.

3) Coûts de la recette et quantité d’IPA

[305] Il est constant que la quantité d’IPA dans les fiches de recette est erronée. La question en litige porte sur le traitement à accorder à la [traduction] « moyenne » du mélange par rapport au nombre de gélules produites.

[306] Je suis d’avis qu’il s’agit d’une fausse question. La meilleure déposition est celle de M. Morin, des financières d’entreprise, qui a témoigné que n’importe quelle moyenne aurait été utilisée pour fabriquer un produit plus vendable. Il n’y a donc aucun coût de gaspillage et, ainsi, aucune déduction au montant de dommages-intérêts réclamé par Teva.

4) Remplissage des tubes

[307] Les ventes liées au remplissage des tubes représentent un volume de ventes réalisées au départ par les fabricants aux distributeurs afin de leur fournir des stocks initiaux.

[308] Comme le Dr Cockburn l’a expliqué d’un point de vue économique, il n’est pas approprié de rajuster les ventes liées au remplissage des tubes, parce que cette hausse est compensée par des ventes moins importantes par la suite. D’un point de vue économique, il n’est pas nécessaire d’apporter une correction; c’est particulièrement vrai dans le cas d’une analyse visant à [traduction] « remettre la partie lésée dans sa position antérieure ». En essence, la hausse s’atténue au fil du temps.

[309] Toutefois, dans la décision Ramipril, la Cour d’appel fédérale a clairement établi que le régime de dommages-intérêts aux termes de l’article 8 n’est pas une analyse visant à [traduction] « remettre la partie lésée dans sa position antérieure ». Le régime se limite à ce qui se produirait dans un monde hypothétique pendant la période de responsabilité, afin d’écarter une double augmentation de l’indemnisation.

[310] Le Dr Hollis a bien compris les directives judiciaires selon lesquelles les fabricants qui présentent une demande aux termes de l’article 8 peuvent seulement récupérer les pertes subies pendant la période de responsabilité.

[311] Si les corrections apportées au remplissage des tubes ou aux stocks représentent des ventes perdues dans le monde hypothétique, elles sont appropriées. Si elles constituent une méthode déguisée pour compenser la double augmentation, elles ne sont pas appropriées.

[312] Après cette précision, la Cour accepte la correction apportée par le Dr Hollis, puisqu’elle a été faite selon les directives de la Cour d’appel.

V. CONCLUSIONS ENTENDUES

[313] En tenant compte du fait que les parties se sont entendues sur les questions qui suivent, la Cour les adopte comme ses conclusions.

  • a) Perte de rendement :

2010 (Ratiopharm)

Mélange : 0 %

Capsulage : 4 %

Emballage : 1 %

  • b) Coûts indirects de production de Ratiopharm :

2010 (Ratiopharm)

69,8 % fixes; 30,2 % variables

  • c) Remise pour distribution :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

9,04 %

2,78 %

2,72 %

2,77 %

  • d) Remise pour paiement rapide :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

1,98 %

1,79 %

1,95 %

1,92 %

  • e) Frais pour autorisation de mise en marché provisoire :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

0,00 %

1,30 %

1,42 %

1,39 %

  • f) Biens gratuits :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

0,00 %

0,22 %

0,33 %

0,43 %

  • g) Commissions et primes sur la vente :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

0,21 %

0,13 %

0,09 %

0,10 %

  • h) Assurances :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

0,07 %

0,13 %

0,07 %

0,09 %

  • i) Frais de transport à la vente :

2010 (Ratiopharm)

2011 (Teva)

2012 (Teva)

2013 (Teva)

0,52 %

0,37 %

0,57 %

0,75 %

VI. Conclusion

[314] Les parties ont demandé des conclusions et des orientations précises pour le calcul des dommages-intérêts de Teva aux termes de l’article 8. Voici un résumé de ces conclusions :

  • a) La durée de la période de responsabilité commence le 26 août 2010 et prend fin le 14 février 2013. Teva/Ratiopharm aurait pu procéder au lancement à cette date ou aux alentours de cette date.

  • b) La taille générale du marché de la prégabaline doit être calculée en fonction des rapports Hollis.

  • c) La taille générale de la fraction générique du marché de la prégabaline est également fondée sur les rapports Hollis.

  • d) La part du marché générique de Teva, à l’aide des rapports Hollis, doit être fondée sur les conclusions de la Cour selon lesquelles :

  1. Pfizer n’aurait pas lancé GenMed pendant la période de responsabilité.

  2. Mylan ne serait pas un fabricant autorisé de médicaments génériques de Pfizer ni aucun autre fabricant ne serait un fabricant autorisé.

  3. Aucun autre fabricant de médicaments génériques ne serait entré dans le marché de la prégabaline pendant la période de responsabilité.

  • e) Ni Ratiopharm ni Teva n’aurait inscrit la prégabaline sur une liste de médicaments assurés à l’extérieur du Québec pendant la période de responsabilité.

  • f) Le prix de la prégabaline à l’extérieur du Québec aurait été établi à 75 % du prix de Lyrica, sauf au Québec où le prix aurait été établi à 60 % du prix de Lyrica.

  • g) Les dépenses de commercialisation se seraient élevées à 35 %.

  • h) Relativement aux questions en litige concernant la comptabilité, il n’y a aucun coût d’inspection, le coût de l’IPA serait de |||||||| le kilogramme, et aucun rajustement n’est apporté aux coûts liés à la recette et à la quantité d’IPA.

  • i) Tout rajustement au remplissage de tubes sera effectué conformément au rapport Hollis, tel que l’a précisé la Cour.

  • j) Les éléments convenus aux paragraphes 313 du présent jugement constituent des conclusions de la Cour.

[315] Les dommages-intérêts réclamés par Teva seront calculés conformément à ces conclusions et aux éléments convenus.

[316] La Cour demeurera saisie de la présente affaire jusqu’à ce que les calculs définitifs des dommages-intérêts soient convenus ou tranchés par la Cour.

[317] Teva a droit à ses dépens. Les parties peuvent présenter des observations sur la question des dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 mars 2017

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1496-13

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITED c PFIZER CANADA INC., WARNER-LAMBERT COMPANY ET WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 21, 22, 23 ET 24 MARS ET LES 29, 30 ET 31 MARS 2016

LES 1ER, 4, 5, 6, 7 ET 8 AVRIL, LES 11, 12 ET 13 AVRIL ET LES 19 ET 20 AVRIL 2016

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

David Aitken

Jonathan Stainsby

Bryan Norrie

Sean Jackson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

J. Thomas Curry

Monique Jileson

Paul-Erik Veel

James Holton

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa et Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lenczner Slaght

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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