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Date : 20180221


Dossier : T-856-17

T-824-17

Référence : 2018 CF 199

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2018

En présence de monsieur le juge O’Reilly

Dossier : T-856-17

ENTRE :

PURDUE PHARMA ET

EURO-CELTIQUE S.A.

demanderesses

et

COLLEGIUM PHARMACEUTICAL, INC.

défenderesse

Dossier : T-824-17

ET ENTRE :

PURDUE PHARMA

demanderesse

et

COLLEGIUM PHARMACEUTICAL, INC.

MAPI LIFE SCIENCES CANADA INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

et

EURO-CELTIQUE S.A.

 

défenderesse/brevetée

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 2017, Purdue Pharma a introduit deux instances devant la Cour. Dans la première, elle a présenté une demande d’ordonnance en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) visant à empêcher Collegium Pharmaceutical, Inc de commercialiser ses comprimés d’oxycodone au Canada avant que son brevet 845 ne vienne à échéance en 2025. Le brevet 845 concerne la composition, les formes posologiques et le procédé de préparation d’un sel d’oxycodone. Dans la deuxième instance, Purdue (et sa codemanderesse Euro-Celtique SA) a intenté une action contre Collegium pour la contrefaçon du brevet 845.

[2]  En réponse à cette action, Collegium a présenté une requête en radiation de la déclaration de Purdue pour deux motifs : premièrement, Purdue n’a pas étayé ses allégations de contrefaçon avec des faits substantiels, et deuxièmement Purdue a omis de plaider convenablement l’allégation de contrefaçon éventuelle, une action soi-disant quia timet. Le protonotaire Kevin Aalto a rejeté la requête de Collegium; cette dernière interjette appel de cette décision, soutenant que le protonotaire Aalto a commis une erreur en appliquant les règles de droit applicables au sujet du caractère suffisant des actes de procédure.

[3]  À son tour, Purdue a présenté une requête en vue de réunir partiellement la demande et l’action pour des motifs d’efficacité et d’équité. Le protonotaire Aalto a ajourné la requête jusqu’à la fin des plaidoiries. Les plaidoiries sont terminées, et je suis maintenant saisi de la requête de Purdue.

[4]  Je conclus que l’appel de Collegium devrait être accueilli. Cette conclusion rend théorique la requête en réunion d’instances de Purdue. Par conséquent, la seule question en litige est de savoir si l’appel de Collegium devrait être accueilli.

II.  La décision en appel

[5]  En présence du protonotaire Aalto, Collegium a fait valoir que la déclaration de Purdue devrait être radiée entièrement. Subsidiairement, Collegium affirme que l’action devrait être suspendue en attendant l’issue de la demande.

[6]  L’argument principal de Collegium dans sa requête en radiation était que Purdue n’avait pas allégué d’autres activités de contrefaçon au-delà des exceptions visées à l’article 55.2 de la Loi sur les brevets pour répondre aux exigences réglementaires canadiennes. Le protonotaire Aalto a conclu que l’argument de Collegium constituait une défense contre l’action de Purdue qui devrait être présentée au procès plutôt que dans une requête en radiation.

[7]  Le protonotaire Aalto a aussi conclu que les actes de procédure de Purdue étaient suffisants. Celle-ci a plaidé que Collegium avait pris des dispositions pour l’importation au Canada du produit prétendument de contrefaçon, relativement à sa présentation de drogue nouvelle (PDN). Purdue prétend également que Collegium a déjà demandé avec succès à la US Food and Drug Administration (FDA) de commercialiser ce produit aux États-Unis. Collegium avait aussi déposé un avis (formulaire 10-K) auprès de la US Securities and Exchange Commission (SEC) indiquant qu’elle cherchait à obtenir une approbation de commercialisation au Canada. De plus, Collegium a publié un communiqué de presse déclarant qu’elle cherchait à obtenir une approbation de commercialisation au Canada.

[8]  Le protonotaire Aalto a examiné la jurisprudence que lui a citée Collegium en commençant par la décision AstraZeneca Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 1209. Dans cette décision, le juge Roger Hughes a radié la déclaration de la demanderesse au motif qu’elle renfermait de simples allégations sans faits substantiels pour les soutenir. Plus précisément, la demanderesse alléguait que la défenderesse avait importé le médicament en litige au Canada, que la défenderesse cherchait à obtenir un avis de conformité, que la demanderesse avait déposé une demande pour empêcher la défenderesse d’obtenir ledit avis de conformité et que, si la défenderesse réussissait à obtenir son avis de conformité, elle commercialiserait son produit de contrefaçon au Canada.

[9]  Le protonotaire Aalto a établi une distinction dans la décision AstraZeneca au motif que Purdue avait plaidé suffisamment de faits substantiels pour soutenir ses allégations de contrefaçon, comprenant l’action quia timet. Le protonotaire Aalto a signalé la mention du formulaire 10-K et du communiqué de presse de Collegium dans la déclaration.

[10]  À l’appui à sa position, Collegium invoque les décisions Eli Lilly Canada Inc. c Nu-Pharm Inc., 2011 CF 255 et Teva Canada limitée c Novartis AG, 2016 CF 18. Dans la décision Eli Lilly, la juge Judith Snider a examiné un argument semblable à celui de Collegium en s’appuyant sur l’article 55.2. Elle a jugé que la demanderesse n’avait plaidé rien d’autre que des activités qui s’inscrivaient dans le cadre du processus d’approbation réglementaire au Canada; c’est la raison pour laquelle l’article 55.2 s’appliquait et la demande devait être radiée. De plus, la juge Snider disposait d’éléments de preuve sous la forme de l’affidavit d’un représentant de la défenderesse qui établissait clairement que la défenderesse ne faisait que prendre les mesures nécessaires pour obtenir un avis de conformité. Dans la décision Teva, la protonotaire Mireille Tabib a suivi l’approche de la juge Snider.

[11]  Le protonotaire Aalto a noté que Collegium n’avait pas présenté d’éléments de preuve dans sa requête comparables à ceux dont la juge Snider était saisie dans la décision Eli Lilly.

[12]  En ce qui concerne l’aspect quia timet de la demande de Purdue, le protonotaire Aalto a renvoyé au critère bien établi dans les décisions Connaught Laboratories Ltd c Smithkline Beecham Pharma Inc (1998), 86 CPR (3d) 36 (CF 1re inst.). La demanderesse doit énoncer dans sa déclaration des faits appuyant les allégations ou les critères suivants :

  1. Que la défenderesse a délibérément exprimé l’intention de s’engager dans une activité qui suscite une forte possibilité de contrefaçon;

  2. Que cette activité est imminente;

  3. Que les dommages qui en résulteraient seraient substantiels, voire irréparables; et

  4. Que les faits allégués sont convaincants, précis et pertinents.

[13]  Le protonotaire Aalto a conclu que les quatre conditions avaient été remplies. Premièrement, le formulaire 10-K et le communiqué de presse divulguaient les intentions de Collegium et montraient la forte possibilité de contrefaçon. Deuxièmement, l’exigence d’imminence était remplie considérant qu’il est nécessaire de compléter le processus d’obtention d’un avis de conformité dans un délai de deux ans. Le protonotaire Aalto s’est appuyé sur deux décisions pour étayer cette proposition : Gilead Sciences Inc. c Teva Canada Limitée, 2016 CF 31 et Teva Canada limitée c Novartis AG, précitée. Troisièmement, Purdue a plaidé que les dommages s’élèveraient à plus de 50 000 $, ce qui répond ainsi au critère de substantialité. Quatrièmement, Purdue a plaidé suffisamment de faits substantiels, notamment le contenu du formulaire 10-K et le communiqué de presse de Collegium. Par conséquent, le protonotaire Aalto a rejeté la requête en radiation de Collegium.

III.  L’appel de Collegium devrait-il être accueilli?

[14]  Je ne peux accueillir l’appel que si la décision du protonotaire Aalto révèle une erreur de droit, ou une erreur de fait manifeste et dominante.

[15]  Purdue soutient que le protonotaire Aalto n’a commis aucune erreur de droit dans sa décision. Au contraire, selon Purdue, le protonotaire Aalto a correctement conclu que la requête en radiation de Collegium était indéfendable à la lumière de la jurisprudence dominante.

[16]  Je ne partage pas l’avis de Purdue. Selon mon interprétation de la jurisprudence, la requête de Collegium aurait dû être accueillie, à la fois aux termes de l’exception prévue à l’article 55.2 et en raison de la question de l’action quia timet.

[17]  Par ailleurs, bien que Collegium maintienne que le protonotaire Aalto a commis des erreurs de droit, des erreurs de fait et des erreurs mixtes de fait et de droit, je me limite aux deux questions en litige susmentionnées, soit les exceptions à l’article 55.2 et l’action quia timet.

A.  Article 55.2

[18]  Le protonotaire Aalto a tiré de la jurisprudence concernant l’article 55.2 la proposition selon laquelle une partie doit présenter des éléments de preuve pour pourvoir à une requête en radiation visant des actes de procédure qui allèguent une contrefaçon uniquement à l’égard d’activités exemptées. J’interprète la jurisprudence différemment.

[19]  Dans la décision Eli Lilly précitée, la juge Snider s’est appuyée sur la décision AstraZeneca, citée aussi par le protonotaire Aalto, pour conclure que, dans la déclaration dont elle était saisie, rien n’était allégué au-delà de ce qui était nécessaire pour la poursuite d’une PDN. Par conséquent, l’exception à l’article 55.2, qui prévoit qu’il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée aux seules fins de réglementation, s’applique. La juge Snider ajoute également qu’elle était saisie d’éléments de preuve qui confirmaient que la défenderesse n’avait fait rien de plus que tenter de se conformer aux exigences réglementaires. Cependant, je n’interprète pas ses motifs comme nécessitant ce type d’éléments de preuve, ni s’ils étaient nécessaires dans la décision AstraZeneca sur laquelle elle s’est appuyée ou dans la décision Teva, précitée, dans laquelle la protonotaire Tabib a suivi l’approche de la juge Snider.

[20]  Conséquemment, je suis d’avis que le protonotaire Aalto a commis une erreur dans son interprétation de la décision Eli Lilly en s’appuyant sur la présence d’éléments de preuve soutenant la position de la défenderesse. Au contraire, une déclaration comportera des lacunes à première vue même si elle ne fait qu’alléguer des activités visées par l’exception prévue à l’article 55.2.

[21]  Dans la présente affaire, la déclaration allègue que Collegium a importé le médicament en litige aux fins de sa PDN, qu’elle a déposé sa PDN en 2016, qu’elle a obtenu l’approbation de la FDA pour la commercialisation du médicament aux États-Unis, qu’elle a commencé à commercialiser le médicament aux États-Unis, qu’elle a exprimé ses intentions de commercialiser ce médicament au Canada dans son formulaire 10-K, qu’elle a divulgué publiquement cette intention dans un communiqué de presse, et qu’elle a invoqué en 2017 le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en remettant à Purdue un avis d’allégation. Je ne vois rien dans les présentes allégations qui va au-delà des démarches nécessaires de Collegium pour répondre aux exigences réglementaires canadiennes.

B.  L’action quia timet

[22]  Purdue soutient que le protonotaire Aalto a établi les critères appropriés et qu’il a examiné chacun de leurs aspects.

[23]  Je suis d’accord. Cependant, je conclus que le protonotaire Aalto a commis une erreur en ce qui concerne l’exigence d’imminence.

[24]  Le protonotaire Aalto a reconnu que [traduction] « les avis sont partagés dans la jurisprudence à savoir si une demande d’avis de conformité représente ' quelque chose d’imminent ' ». Il a toutefois souligné que le processus d’obtention d’un avis de conformité doit être entendu et tranché dans un délai de deux ans, et qu’il a été jugé dans les affaires récentes que ce délai était suffisant pour satisfaire à l’exigence d’imminence. Il a cité les décisions Gilead et Teva, précitées.

[25]  En fait, dans la décision Gilead, la protonotaire Tabib a conclu que la déclaration de la demanderesse comportait des lacunes puisqu’elle ne contenait aucune allégation voulant que la requête de la défenderesse en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) soit accueillie, ou que la défenderesse reçoive son avis de conformité dès l’expiration de son brevet ou dès que celui-ci sera déclaré non valide. Par conséquent, l’allégation de contrefaçon de la demanderesse était spéculative et « dépend[ait] de l’approbation ou du rejet par Santé Canada de la requête en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ainsi que du moment où Santé Canada le fera. ».

[26]  Semblablement, dans la décision Teva, la protonotaire Tabib a remarqué que Novartis n’avait pas allégué que Teva avait obtenu un avis de conformité, ou que le médicament avait été approuvé, et que l’avis de conformité était tout simplement suspendu en attente de l’issue de la procédure d’interdiction ou de l’expiration du brevet. Comme l’entrée sur le marché de Teva dépendait de l’obtention d’un avis de conformité, toute contrefaçon potentielle était spéculative, et non imminente.

[27]  Dans la deuxième décision, la protonotaire Tabib s’est appuyée sur la décision Pfizer Research and Development Co NV/SA c Lilly ICOS LLC, 2003 CFPI 753, qui conclut que solliciter une autorisation réglementaire ne constitue pas une forte possibilité de contrefaçon puisqu’il n’est pas certain si, ou dans quelles circonstances, cette autorisation pourrait être approuvée (au paragraphe 25).

[28]  Comme je l’ai conclu plus tôt, les allégations de Purdue ne laissent entendre rien de plus que Collegium essayait de répondre aux exigences réglementaires canadiennes et ne suggèrent aucune période durant laquelle Collegium pourrait obtenir son avis de conformité. Puisque Purdue a répondu à l’avis d’allégation de Collegium avec une requête déposée conformément au Règlement, Collegium est présentement visée par une suspension de 24 mois (jusqu’au 8 juin 2019). Le brevet n’expire pas avant 2025. Dans ces circonstances, on ne peut pas dire que Collegium recevra son avis de conformité de façon imminente. Elle pourrait ne jamais le recevoir. Par conséquent, il n’y a aucune activité de contrefaçon potentiellement imminente.

IV.  Conclusion et décision

[29]  Je juge que la requête en radiation de Collegium aurait dû être accueillie. J’accueille donc l’appel, avec dépens. La déclaration de Purdue est radiée et son action est rejetée. La requête en réunion d’instances de Purdue est rejetée puisqu’elle est théorique.


ORDONNANCES DANS LES DOSSIERS T-856-17 ET T-824-17

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.  La décision du protonotaire Aalto datée du 14 novembre 2017 est annulée.

2.  La déclaration des demanderesses est radiée et leur action est rejetée;

3.  La défenderesse a droit aux dépens tant en appel qu’en première instance.

4.  La requête en réunion d’instances des demanderesses est rejetée puisqu’elle est théorique.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T-856-17 ET T-824-17

 

DOSSIER :

T-856-17

 

INTITULÉ :

PURDUE PHARMA ET EURO-CELTIQUE S.A. c COLLEGIUM PHARMACEUTICAL, INC.

 

ET DOSSIER :

T-824-17

 

INTITULÉ :

PURDUE PHARMA c COLLEGIUM PHARMACEUTICAL, INC., MAPI LIFE SCIENCES CANADA INC., LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET EURO-CELTIQUE S.A.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 13 ET 14 FÉVRIER 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2018

COMPARUTIONS :

Marc Richard

Alex Gloor

 

Pour les demanderesses/la REQUÉRANTE

 

Andrew Skodyn

Sana Halwani

POUR la défenderesse/les INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG (CANADA) LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour les demanderesses/la REQUÉRANTE

 

LENCZNER SLAGHT ROYCE SMITH GRIFFIN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR la défenderesse/les INTIMÉS

 

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