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Date : 20180228


Dossier : IMM-3385-17

Référence : 2018 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

JASKARAN SINGH

RAJVIR KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Lorsque Ravjir Kaur a déposé sa demande de résidence permanente, elle y a inscrit son mari Jaskaran Singh (le demandeur) et ses enfants comme personnes à charge. M. Singh a vécu au Canada auparavant, mais a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en raison du rejet de sa demande d’asile en 2003. À la suite de cette mesure, il devait faire une demande d’autorisation de revenir au Canada dans le cadre de la demande de résidence permanente de son épouse.

[2]  Le 12 juillet 2017, l’autorisation de revenir au Canada de M. Singh a été refusée. Selon l’article 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), un étranger est interdit de territoire lorsqu’un membre de sa famille l’est également. Ainsi, une deuxième décision, datée du 12 juillet 2017, a également rejeté la demande de Mme Kaur en raison de l’interdiction de territoire de son mari.

[3]  Ensemble, M. Singh et son épouse, Mme Kaur, ont sollicité le contrôle judiciaire des deux décisions de refus. J’accueille la présente demande et j’annule les deux décisions pour les motifs qui suivent.

II.  Question préliminaire

[4]  La Cour est appelée à examiner une demande de contrôle judiciaire qui concerne deux décisions rendues le même jour, mais par deux décideurs différents. Bien que la deuxième décision découle de la première, il s’agit de deux décisions très distinctes. Cette façon de procéder va à l’encontre de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles). Comme l’indique l’article 302 des Règles :

Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

[5]  Puisque les documents ne contenaient pas d’arguments qui abordent cette question, la Cour a par conséquent sollicité les arguments avant l’audience. Le défendeur a répondu qu’il consentait à une ordonnance exigeant l’instruction des deux décisions ensemble.

[6]  La Cour a examiné ce même type de décisions par le passé. Par exemple, la décision Khakh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 710 [Khakh], avait pour objet le contrôle judiciaire de deux décisions : le rejet d’une demande d’autorisation de revenir au Canada et le rejet d’une demande de résidence permanente aux termes du rejet de l’autorisation de revenir au Canada. Dans la décision Khakh, le demandeur était le même dans les deux décisions, chaque décision a été déposée séparément et chaque décision avait son propre numéro de dossier. Avant le début de l’audience, la Cour a rendu une ordonnance permettant de les instruire ensemble.

[7]  De même, dans Quintero Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347, le juge O’Keefe a tenu une audience au sujet du rejet d’une autorisation de revenir au Canada et du refus de délivrer un visa de résident permanent. Les décisions avaient leur propre numéro de dossier et ont tout de même été instruites ensemble. Puisque le succès de la deuxième décision reposait sur le succès de la première, le juge O’Keefe a donné la mesure de redressement suivante au paragraphe 4 :

Je rejetterais par conséquent la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent des visas dans le dossier de la Cour IMM‑1267‑09. Par voie de conséquence nécessaire, la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent dans le dossier de la Cour IMM-1266-09 est également rejetée.

[8]  En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté de demandes distinctes pour chacune des décisions, ce qui pose un problème à l’étape de l’audience. La procédure appropriée serait de déposer une demande pour chaque décision et ensuite, si la demande est sollicitée, d’obtenir une ordonnance exigeant l’instruction des deux instances ensemble. Manifestement, comme l’indiquent la jurisprudence et les Règles, il aurait dû y avoir deux demandes distinctes suivies d’une ordonnance exigeant qu’elles soient instruites ensemble. Cela n’a pas été fait en l’espèce.

[9]  L’article 4 des Règles (familièrement appelée la « règle des lacunes » parce qu’elle porte sur les cas non prévus) a fait l’objet d’une discussion dans le but de remédier à cette situation. D’autres discussions ont eu lieu afin de déterminer ce qui se passerait si je décidais d’examiner exclusivement la décision relative à l’autorisation de revenir au Canada. La Cour n’était pas convaincue que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) réévaluerait nécessairement le rejet de la demande de résidence permanente si la demande de contrôle judiciaire était accueillie, puisque les décisions concernent deux personnes différentes. Bien qu’il soit tout à fait possible que CIC réévalue la demande de l’épouse du demandeur si la demande d’autorisation de revenir au Canada de celui-ci est accueillie, elle n’est pas tenue de le faire, et la demanderesse pourrait être lésée. La Cour reconnaît qu’elle ne pouvait que spéculer sur les répercussions des différentes issues.

[10]  User de mon pouvoir discrétionnaire pour examiner les deux décisions alors que les deux parties ont manifestement omis de tenir compte des Règles est problématique pour la Cour. Surtout en matière d’immigration, on ne peut faire fi de l’article 302 des Règles. Agir ainsi place la Cour dans une position très difficile. Comme il est décrit ci-dessus, la Cour ne peut qu’émettre une hypothèse sur les répercussions qui peuvent en découler. Mais il pourrait en découler une absurdité si la Cour n’examine pas les deux décisions ensemble et que la décision relative à l’autorisation de revenir au Canada est renvoyée à un autre juge, puis accueillie. Cela engendrerait une absurdité si la décision relative à la demande de résidence permanente demeurait défavorable alors que le délai accordé pour la demande de contrôle judiciaire était écoulé.

[11]  Avec réticence, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire pour entendre le fond des deux décisions, même si en le faisant, je m’écarte de l’article 302 des Règles dans le but d’utiliser efficacement les ressources judiciaires. J’examinerai les décisions au motif que, si les décisions avaient fait l’objet de deux contrôles judiciaires différents, la Cour aurait permis qu’elles suivent leur cours ensemble, comme le montre la jurisprudence. Obliger le demandeur à refaire sa demande à ce stade, d’en demeurer saisi, de lui accorder une prorogation du délai et ainsi de suite ne serait qu’un gaspillage des ressources judiciaires. Il s’agit d’une décision hautement discrétionnaire dans des circonstances exceptionnelles, et ne devrait pas avoir valeur de précédent.

III.  Faits

[12]  M. Jaskaran Singh est un citoyen de l’Inde, où il réside présentement avec sa famille. Il y a de cela plusieurs années, le 1er mai 2003, le demandeur est entré au Canada muni d’un visa d’étudiant pour étudier au University College of Cariboo à Kamloops, en Colombie-Britannique. Peu de temps après avoir commencé ses études, il a annulé son inscription.

[13]  En septembre 2003, le demandeur a fait une demande d’asile, qui lui a été refusée le 13 mai 2004. Il a par conséquent fait l’objet d’une mesure d’interdiction de séjour.

[14]  Il a sollicité le contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant sa demande d’asile et, le 20 février 2005, a constitué une entreprise de camionnage en société. Le 25 mai 2005, la juge Tremblay-Lamer a confirmé la décision défavorable concernant sa demande d’asile dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 742. La mesure d’interdiction de séjour du demandeur est ensuite devenue une mesure d’expulsion réputée.

[15]  Après le rejet de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a continué de vivre au Canada. Le 10 août 2005, il a fait une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande sera rejetée cinq ans plus tard, en juin 2010.

[16]  Le 11 janvier 2008, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a correspondu avec le demandeur pour le convoquer à une entrevue dans ses bureaux. Durant l’entrevue, l’ASFC lui a imposé des conditions : le demandeur devait se présenter à l’ASFC le premier vendredi de chaque mois, et la preuve établit qu’il s’est présenté sans faute. Lors d’une rencontre avec l’ASFC le 3 septembre 2009, l’ASFC a invité le demandeur à présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a fait appel à un avocat et a déposé une demande d’ERAR le 15 septembre 2009.

[17]  En janvier 2010, avant qu’une décision soit rendue pour l’ERAR, le demandeur a dit à l’ASFC qu’il quitterait le Canada volontairement à ses propres frais. Le demandeur a reçu éventuellement une décision défavorable pour son ERAR et a acheté lui-même son billet pour quitter le Canada le 5 mars 2010.

[18]  Deux semaines plus tard en Inde, le 21 mars 2010, le demandeur épouse une physiothérapeute nommée Rajvir Kaur, qui vit également en Inde.

[19]  Le demandeur et son épouse vivent en Inde à ce jour avec leurs deux enfants. Le 2 février 2012, Mme Kaur a déposé une demande de résidence permanente canadienne pour venir s’établir comme physiothérapeute, inscrivant son époux et leurs enfants comme personnes à charge. Comme le demandeur avait précédemment fait l’objet d’une mesure d’expulsion, il était tenu de faire une demande d’autorisation de revenir au Canada, conformément au paragraphe 52(1) de la LIPR. Il a déposé sa demande d’autorisation de revenir au Canada le 26 avril 2013.

[20]  Comme le prouvent les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), un agent de CIC a d’abord examiné la demande d’autorisation de revenir au Canada du demandeur et lui a donné une recommandation défavorable. Malgré la recommandation défavorable, le 20 avril 2017, le gestionnaire adjoint du programme a d’abord approuvé la demande. Cependant, le gestionnaire adjoint du programme a déclaré plus tard qu’il s’agissait d’une erreur. Le 12 juillet 2017, l’approbation de l’autorisation de revenir au Canada a été infirmée et refusée en retour.

[21]  Le demandeur a été informé que l’approbation antérieure avait été faite par erreur et qu’il se retrouvait maintenant avec une issue défavorable. Dans des lettres datées du 12 juillet 2017, les demandes de M. Singh et Mme Kaur ont été rejetées. La lettre de Mme Kaur expliquait que son refus était dû au rejet de la demande de son époux pour une autorisation de revenir au Canada; Mme Kaur a été jugée inadmissible à obtenir le statut de résident permanent puisqu’un membre de sa famille est interdit de territoire.

IV.  Questions en litige

[22]  Les questions présentées par le demandeur sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent est-elle déraisonnable en fonction des lignes directrices du guide opérationnel?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans ses conclusions de fait?
  3. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs du délai avant l’expulsion du demandeur?
  4. L’agent a-t-il violé les principes d’équité procédurale?

[23]  La Cour définit les questions en litige comme suit :

  1. La décision qui a rejeté la demande d’autorisation de revenir au Canada était-elle raisonnable?
  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale dans la décision relative à l’autorisation de revenir au Canada?

V.  Norme de contrôle

[24]  La norme de contrôle pour les décisions relatives à l’autorisation de revenir au Canada aux termes du paragraphe 52(1) de la LIPR est la norme de la décision raisonnable (Sahakyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1542, au paragraphe 34; Khakh, au paragraphe 14; Umlani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1373, au paragraphe 23). La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

VI.  Discussion

A.  La décision qui a rejeté la demande d’autorisation de revenir au Canada était-elle raisonnable?

[25]  Le demandeur prétend que le gestionnaire adjoint du programme a commis une erreur en tirant des conclusions de fait qui ne sont pas soutenues par les éléments de preuve, comme lorsqu’il a conclu qu’il [traduction] « ne s’est pas montré coopératif » ou qu’il a entraîné des [traduction] « coûts pour le gouvernement ». En outre, le demandeur a également fait valoir que la décision était déraisonnable à la lumière des critères énoncés dans le guide opérationnel, OP1, à l’article 6.2.

[26]  Énoncés ci-dessous sont les motifs du refus retrouvés dans les notes du SMGC :

[traduction]
La demande est refusée. Les motifs ont été présentés conformément aux notes du SMGC. Un représentant du ministre a été informé que l’autorisation de revenir au Canada avait été approuvée par erreur. La décision favorable avait été inscrite par erreur. On voit bien que ma note du 20 avril 2017 était contraire à la recommandation et à la présentation de l’affaire. On m’a fait remarquer cette erreur. L’examen complet de l’affaire et des circonstances qui l’entourent ne révèle aucune raison valable d’émettre une autorisation de revenir au Canada. Il n’y a pas d’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur ne s’est pas montré coopératif et a profité de toutes les occasions pour allonger son séjour. Ce qui a généré des coûts substantiels pour le gouvernement du Canada. Compte tenu de ces faits, je ne vois aucune justification à l’autorisation de revenir au Canada.

Refusée.

[Non souligné dans l’original]

[27]  Les motifs sont brefs et ne fournissent pas suffisamment de détails pour renseigner le lecteur sur les motifs à l’appui de la conclusion du décideur. Quand cela se produit, la Cour examine les notes et le dossier du SMGC. Alors que le défendeur soutient que les conclusions étaient raisonnables, le problème est que le décideur n’indique pas ce qui a mené à ses conclusions dans les motifs. Le dossier ne contient pas non plus d’éléments de preuve qui soutiendraient les arguments qu’a présentés le défendeur comme fondement factuel sur lequel reposent les conclusions du décideur.

[28]  Les parties et la Cour ont parcouru le dossier pour les éclairer. Les parties ont émis une hypothèse sur ce qui a mené aux conclusions du décideur qui se trouvent dans les motifs et sur le fondement des éléments de preuve.

[29]  La Cour de révision ne peut pas annuler une décision en se basant seulement sur le caractère suffisant des motifs. Les motifs non pas non plus à être parfaits ou à renfermer tous les détails et tous les arguments. Il faut considérer cependant que la Cour suprême du Canada met en garde notre Cour de ne pas substituer son avis lorsqu’il y a des omissions dans les motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

[30]  Dans Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, le juge Rennie a conclu :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Dans le contexte de la présente affaire, on ne nous laisse aucune miette pour nous mettre sur la voie des motifs du décideur. Il n’y a aucune piste à suivre dans le dossier et rien dans le SMGC. Le demandeur n’est pas en mesure d’élucider le mystère ou de tirer de conclusion au moyen des faits disparates pour en voir la vue d’ensemble, comme le soutient l’arrêt Newfoundland Nurses.

[32]  Il est donc impossible de décider si la décision était raisonnable et qu’elle appartenait aux issues possibles acceptables, ou si elle était plutôt abusive ou tout simplement arbitraire.

[33]  Par exemple, on déclare dans les motifs que le demandeur est refusé puisqu’il a [traduction] « généré des coûts substantiels pour le gouvernement du Canada ». Il n’y a pourtant aucune preuve ou piste de preuve dans le dossier qui indique que des coûts ont été engagés par le gouvernement. Le défendeur a formulé l’hypothèse que les coûts en question avaient été engagés par CIC pour ses rencontres mensuelles avec le demandeur en plus des coûts engagés dans le traitement de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur prétend que ces coûts seraient importants même si on en retirait le prix d’un aller simple vers l’Inde que le demandeur aurait payé lui-même. Il n’y a aucune preuve de coûts ou de quoi que ce soit que le décideur a qualifié de coûts dans le dossier. La seule preuve au dossier est que le demandeur a payé pour son propre billet de retour et qu’il a payé ses impôts canadiens. Après l’examen complet du dossier certifié du tribunal, le fondement de la déclaration du gestionnaire adjoint du programme demeure un mystère.

[34]  Il est également impossible de déterminer comment le décideur est arrivé à la conclusion que [traduction] « [l]e demandeur ne s’est pas montré coopératif et a profité de toutes les occasions pour allonger son séjour », tel qu’il l’énonce dans les motifs. Les faits établis et non basés sur des hypothèses sont les suivants :

  • Que le demandeur s’est présenté tous les mois sans faute pour la période où on lui a demandé de le faire, qu’il n’a jamais reçu de condamnation ou commis d’infractions et qu’il a payé pour son propre billet quand on lui a demandé de quitter le Canada.
  • Le demandeur a bel et bien déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’ERAR après que CIC le lui a proposé.
  • Le demandeur n’a pas fait de demande de sursis ou de suspension, ni n’a fait de demande de contrôle judiciaire des décisions défavorables qu’il a reçues pour sa demande d’ERAR et sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il avait le droit légal de déposer ces demandes et les a déposées dans les délais prescrits. Il aura fallu cinq ans avant qu’une décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rendue.
  • La preuve au dossier indique qu’il s’est (tel qu’on le lui a demandé) préparé à quitter le Canada avant que la décision relative à sa demande d’ERAR soit remise. Lorsque sa demande d’ERAR a été refusée, il a quitté le Canada et a payé pour son propre billet avant qu’une décision relative à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rendue.

[35]  Il n’y a aucune piste à suivre dans les notes ou dans le dossier. Le défendeur a spéculé sur les motifs qui ont mené à la conclusion et la déclaration du décideur. Par exemple, le défendeur prétend que le fait que le demandeur avait commencé ses préparatifs pour quitter le Canada avant même que soient rendues les décisions relativement à ses demandes soutient la conclusion défavorable déclarée dans les motifs, soit que [traduction] « [l]e demandeur ne s’est pas montré coopératif et a profité de toutes les occasions pour allonger son séjour ». Je ne suis pas de cet avis, puisque le demandeur semble n’avoir qu’obéi aux demandes de CIC. Les demandeurs qui demandent un sursis ou une suspension et qui ne se préparent pas à quitter le pays, qui ne mettent pas leurs affaires en ordre après la réception d’une mesure d’expulsion sont généralement perçus négativement. On a ici le cas contraire. Le demandeur s’est préparé à quitter le pays malgré sa demande d’ERAR et sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. On ne peut considérer le fait qu’un demandeur qui a déposé sa demande d’ERAR et sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en temps opportun comme négatif ou démontrant qu’il est non coopératif. Le demandeur est parti après qu’une décision défavorable relative à sa demande d’ERAR eut été rendue. Je ne vois pas comment on peut en conclure que [traduction] « [l]e demandeur ne s’est pas montré coopératif et a profité de toutes les occasions pour allonger son séjour ».

[36]  Je remarque là encore que si le décideur avait indiqué dans ses motifs ou dans ses notes de quelle façon il a conclu que le demandeur s’était montré peu coopératif, alors j’aurais pu déterminer si la décision était raisonnable ou non. Les éléments de preuve énumérés ci-dessus ne soutiennent pas les énoncés de conclusion présentés dans les motifs et je n’ai pas l’intention de présenter de conclusions de fait ou de raisonnements que le décideur n’a pas tirés lui-même. La décision est déraisonnable puisqu’elle n’est pas fondée sur les éléments de preuve et elle n’est ni transparente ni intelligible.

[37]  Je ne juge pas nécessaire d’aborder les autres arguments ou questions du demandeur et j’accueille la demande.

[38]  Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que la décision relative à la demande d’autorisation de revenir au Canada de M. Singh était déraisonnable et je la renvoie pour qu’elle soit réexaminée. Par déduction nécessaire, la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de l’agent pour la demande de résidence permanente de Mme Kaur est aussi annulée et sera réexaminée une fois que la demande d’autorisation de revenir au Canada aura été réexaminée.

[39]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé qu’une question soit certifiée et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3385-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie et les deux décisions sont renvoyées pour être entendues de nouveau par un autre décideur.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3385-17

 

INTITULÉ :

JASKARAN SINGH ET RAJVIR KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

POUR LES DEMANDEURS

David Cranton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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