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Date : 20180227


Dossier : IMM-1533-17

Référence : 2018 CF 220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

YONAS KIDANE BRHANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur conteste la décision d’un agent des visas de l’ambassade du Canada à Rome, en Italie (l’agent), qui, le 22 mars 2017, a refusé sa demande parrainée de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial, pour le motif qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Les préoccupations de l’agent ont trait à l’âge du demandeur ainsi qu’à son lien de parenté avec sa marraine, Nebiat Weldeghiorghis Zeru, qui serait sa mère.

[2]  Les faits pertinents se résument comme suit. Le demandeur prétend être né le 2 février 1996, en Érythrée. Son lien principal au Canada est Mme Zeru, qui est entrée au pays le 23 août 2013 munie d’un visa de visiteur. Peu de temps après être entrée au Canada, Mme Zeru a présenté une demande d’asile, prétendant qu’elle craignait d’être persécutée par les autorités érythréennes puisque deux de ses enfants se sont soustraits au service militaire. Sa demande a été accueillie. Après avoir obtenu l’asile, Mme Zeru a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada. Elle a inclus le demandeur à titre d’enfant à charge à l’étranger dans sa demande.

[3]  Le 10 avril 2015, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a demandé à Mme Zeru de lui fournir le certificat de naissance du demandeur, une photo d’elle et du demandeur ainsi que la preuve qu’elle le soutenait financièrement et qu’ils correspondent. En réponse à cette demande, elle a fourni à CIC le certificat de naissance du demandeur et trois photos, dont une où le demandeur et Mme Zeru semblent plus jeunes.

[4]  Le 9 avril 2016, Mme Zeru a informé CIC que le demandeur avait fui l’Érythrée et qu’il vivait maintenant dans un camp de réfugiés au Soudan. Le 30 novembre 2016, le demandeur a été convoqué à une entrevue à l’ambassade du Canada à Khartoum. On lui a demandé d’apporter des pièces d’identité ainsi que des photos récentes. Cette entrevue a eu lieu le 25 janvier 2017.

[5]  Le 22 mars 2017, l’agent a rejeté la demande. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur était âgé de moins de 22 ans, concluant qu’il semblait « bien plus âgé que 20 ans ». Le certificat de naissance produit par le demandeur, délivré en 2012, n’était pas vérifiable selon l’agent et aucun autre document établissant son âge n’a été fourni. Il n’était pas plus convaincu que Mme Zeru soit effectivement sa mère, soulignant que le demandeur n’a produit aucune photo ni d’exemples de communication ou de cohabitation avec Mme Zeru ou de soutien financier de la part de cette dernière. En ce qui concerne les photos produites par Mme Zeru, l’agent a estimé qu’elles n’identifiaient ni le demandeur ni Mme Zeru, ajoutant que le garçon sur la photo ne ressemblait en rien à la personne qui s’est présentée à l’entrevue.

[6]  L’agent a également fait remarquer que le demandeur n’était pas inscrit comme membre de la famille dans les formulaires d’immigration de Mme Zeru. L’agent a conclu que le demandeur s’est montré incapable de dissiper les préoccupations qui planent sur son âge et sa relation avec Mme Zeru.

[7]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent comporte trois lacunes. Premièrement, il prétend que l’agent a porté atteinte à ses droits à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de se soumettre à un test d’ADN après l’avoir informé qu’un test d’ADN serait fait. Il dit qu’il avait une attente légitime qu’un tel test aurait lieu. Deuxièmement, le demandeur prétend que l’agent aurait également porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper les préoccupations concernant son âge et son lien de parenté avec Mme Zeru. Enfin, le demandeur soutient que l’agent a tiré plusieurs conclusions de fait déraisonnables, plus précisément en ce qui concerne le poids accordé à son certificat de naissance et le fait que son nom ne figurait pas dans les formulaires d’immigration signés auparavant par Mme Zeru.

[8]  Aucune partie ne conteste la norme de contrôle applicable à chacune des questions en litige. Il est bien établi que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). Il est aussi bien établi que les conclusions de fait et mixtes de fait et de droit d’un agent des visas sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Sivakumaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 590, au paragraphe 19).

[9]  En présentant une demande de résidence permanente, une demanderesse telle que Mme Zeru peut, en application de l’article 176 de la Loi, inclure tous les membres de sa famille dans la demande, y compris les enfants à charge. Les membres de la famille à l’extérieur du Canada au moment de la demande de résidence permanente obtiendront un visa de résidence permanente s’ils en font la demande hors du Canada dans les délais prescrits.

[10]  Aux fins de la Loi, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) définit un « enfant à charge » comme l’enfant biologique ou adopté du demandeur et, dans la partie du Règlement qui s’applique au demandeur, l’enfant qui est âgé de moins de 22 ans (Règlement, article 2 au 2 avril 2014).

[11]  À mon avis, la décision de l’agent soulève plusieurs questions.

[12]  Tout d’abord, contrairement à la prétention du défendeur, l’âge n’était pas le seul facteur à l’origine de la décision de l’agent. Lorsque cette décision est lue en entier, y compris les notes enregistrées dans le Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC), il devient évident que le lien entre le demandeur et Mme Zeru figurait bel et bien parmi les préoccupations de l’agent en ce qui concerne la demande de résidence permanente du demandeur. Les éléments de preuve non contestés dont la Cour est saisie établissent qu’à la fin de l’entrevue avec le demandeur, l’agent lui a dit que, puisque son certificat de naissance n’était pas [traduction] « vérifiable », il aurait la possibilité de se soumettre à un test d’ADN pour établir son lien de parenté avec Mme Zeru.

[13]  Dans un monde idéal, la déclaration du demandeur concernant le test d’ADN serait étayée par les notes du SMGC, mais ces notes sont plutôt limitées (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 6). Elles consistent en de brèves déclarations faites par le demandeur au sujet de son identité, de sa famille, de ce qu’il a fait après le départ de Mme Zeru de l’Érythrée et pourquoi il ne possède aucun document officiel sur lequel elle figure, suivi de l’énoncé [traduction] « Pas convaincu qu’il a 20 ans ». Les notes ne confirment pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait la possibilité de se soumettre à un test d’ADN. Cependant, le peu de notes du SMGC ne me permet pas d’exclure la possibilité qu’un test ait été mentionné, mais qu’on ne l’ait pas consigné, d’autant plus que le défendeur n’a déposé aucun élément de preuve pour contredire les affirmations du demandeur à ce sujet.

[14]  En outre, comme l’a observé le demandeur, le Guide de traitement des demandes à l’étranger (le Guide) de CIC établit que les demandeurs de visa ont la possibilité de se soumettre à un test d’ADN lorsqu’ils ne peuvent pas fournir des éléments de preuve satisfaisants. Le Guide montre que la possibilité d’un test d’ADN aurait dû être présentée au demandeur. Rien dans le dossier certifié du tribunal n’indique que c’était le cas.

[15]  Je suis donc d’accord avec le demandeur pour dire que, dans les circonstances, la doctrine de l’attente légitime est déclenchée si l’on combine les observations faites par l’agent lors de l’entrevue et le Guide sur le test d’ADN. Cette doctrine appuie la proposition selon laquelle [traduction] « il est dans l’intérêt de la bonne administration qu’elle agisse équitablement et respecte sa promesse, pourvu toutefois que cela ne soit pas contraire aux obligations que la loi lui impose » (Bendahmane c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 CF 16, au paragraphe 37, citant Attorney General of Hong Kong v Ng Yuen Shiu, [1983] 2 AC 629).

[16]  Par conséquent, en ne donnant pas au demandeur la possibilité de dissiper les préoccupations concernant son lien de parenté avec Mme Zeru au moyen d’un test d’ADN qui lui avait été promis et qui fait bel et bien partie de la procédure décrite dans le Guide, l’agent a, à mon avis, porté atteinte aux droits à l’équité procédurale du demandeur.

[17]  De façon plus générale, je suis aussi d’avis que l’agent a privé le demandeur d’une occasion valable de dissiper ses préoccupations. Le dossier certifié du tribunal montre que les préoccupations quant à l’identité du demandeur existaient avant que ce dernier soit convoqué à l’entrevue du 30 novembre 2016. Plus précisément, les notes du SMGC consignées le 22 août 2016 indiquent que le dossier avait été examiné et qu’il y avait des préoccupations sur les points suivants : (i) l’admissibilité, l’identité et la crédibilité, surtout concernant l’absence de renseignements sur le lien de parenté entre Mme Zeru et le demandeur, (ii) le certificat de naissance délivré en 2012 pratiquement impossible à vérifier, et (iii) une photo au dossier d’un homme qui semble avoir à peu près dix ans de plus que ce que prétend le demandeur (dossier certifié du tribunal, à la page 6).

[18]  Le 22 mars 2017, les notes du SMGC sur l’entrevue sont contredites par d’autres éléments de preuve. Dans ces notes, l’agent indique que [traduction] « de multiples préoccupations demeurent, même après l’entrevue [avec le demandeur] » et que le demandeur [traduction] « devait fournir la preuve de communication avec sa marraine, de vieilles photos de famille, la preuve d’une aide financière, des documents relatifs aux études » (dossier certifié du tribunal, à la page 5). Bien que des documents de ce genre aient été demandés à Mme Zeru dans une lettre datée du 10 avril 2015, celle-ci n’était pas la lettre invitant le demandeur à l’entrevue. Curieusement, il n’y a pas de copie de l’invitation à l’entrevue du demandeur dans le dossier certifié du tribunal. Le demandeur a cependant inclus dans son dossier de demande une copie du courriel l’invitant à passer une entrevue à l’ambassade du Canada à Khartoum. Dans ce courriel, le demandeur est informé qu’il doit apporter : [traduction] (i) « des pièces d’identité » et (ii) « des photos récentes (quatre exemplaires de chacune) pour chaque demandeur » (dossier du demandeur, aux pages 16 et 17).

[19]  Il est acquis en matière jurisprudentielle que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable, et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés (Baker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21). Cependant, comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khan, 2001 CAF 345, au paragraphe 3, il est également bien établi que l’obligation d’agir équitablement envers un étranger dont la demande de résidence permanente présentée à l’étranger a été refusée est à l’extrémité inférieure du registre, ce qui nécessite, au minimum, que l’étranger soit informé des préoccupations particulières et qu’il ait la possibilité de répondre aux préoccupations de façon significative (voir aussi : Khwaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 522). En l’espèce, l’agent n’a pas informé le demandeur de ses préoccupations sur son âge et son lien de parenté avec Mme Zeru avant l’entrevue, et ne lui a pas non plus donné l’occasion de fournir d’autres observations à la suite de l’entrevue, portant ainsi atteinte à son droit à l’équité procédurale, surtout qu’aucun test d’ADN n’a été fait pour dissiper la préoccupation selon laquelle Mme Zeru n’est pas la mère du demandeur.

[20]  Compte tenu des éléments de preuve déposés à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur aurait pu présenter une explication concernant les préoccupations de l’agent, particulièrement celles qui concernent l’absence de documents relatifs à son lien de parenté avec Mme Zeru, s’il en avait eu une occasion valable.

[21]  En dernier lieu, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait jamais été inscrit comme l’un des enfants de Mme Zeru dans ses formulaires d’immigration n’est tout simplement pas étayée par les éléments de preuve, puisque le demandeur est inscrit en tant qu’enfant à charge dans la demande d’asile de Mme Zeru de 2013 et en tant que fils dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (dossier du demandeur, aux pages 56 et 76). La conclusion est donc déraisonnable. Dans la mesure où elle a entaché l’analyse dans son ensemble, la décision de l’agent doit être annulée pour ce motif.

[22]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc accueillie et le dossier sera renvoyé à un autre agent des visas pour nouvel examen. Le demandeur sollicite des dépens de 3 000 $. Il soutient qu’étant donné que la décision de l’agent était visiblement et sérieusement viciée, il y a des raisons spéciales qui justifient que la Cour déroge à la règle énoncée à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, selon laquelle une demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens.

[23]  Bien que la décision de l’agent soit viciée à plusieurs égards, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un cas qui justifie la mesure spéciale d’une adjudication des dépens.

[24]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1533-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agent rendue le 22 mars 2017 qui rejetait la demande de résidence permanente du demandeur est annulée et renvoyée à un agent des visas différent pour nouvel examen.

  3. Aucune question n’est certifiée.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1533-17

 

INTITULÉ :

YONAS KIDANE BRHANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

 

Pour le demandeur

 

Suzanne M. Bruce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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