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Date : 20170109


Dossier : T-1739-16

Référence : 2017 CF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SLEEP COUNTRY CANADA INC.

demanderesse/requérante

et

SEARS CANADA INC.

défenderesse/intimée

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Sleep Country Canada Inc. (Sleep Country/Dormez-vous?) sollicite une injonction interlocutoire interdisant à Sears Canada Inc. (Sears) d’utiliser son [traduction] « affirmation descriptive » ou slogan « IL N’Y A AUCUNE RAISON D’ACHETER UN MATELAS AILLEURS », qui, selon les allégations de Sleep Country/Dormez-vous?, contrefait son propre slogan de marque « POURQUOI ACHETER UN MATELAS AILLEURS? », jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de l’action intentée par ladite société pour contrefaçon d’une marque de commerce.

[2] Sleep Country/Dormez-vous? allègue que l’utilisation du slogan de Sears par celle-ci lui cause un préjudice irréparable découlant de la confusion entre les deux slogans, en plus d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif de ses marques de commerce déposées.

[3] La requête en injonction provisoire précédente présentée par Sleep Country/Dormez-vous?, c’est-à-dire en attendant le règlement de la présente requête en injonction interlocutoire, a été rejetée par le juge Boswell le 25 octobre 2016. Le juge Boswell a souligné le critère en trois étapes qui s’applique à une injonction (RJR-MacDonald c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 DLR (4th) 385 [RJR-MacDonald]). Le juge Boswell a reconnu que Sears avait concédé l’existence d’une question sérieuse, mais a conclu que le préjudice irréparable n’avait pas été établi. Sears prétend que l’ordonnance du juge Boswell est persuasive et que la présente requête en injonction interlocutoire devrait également être rejetée, parce que la preuve au dossier est en grande partie la même. Sears prétend que Sleep Country/Dormez-vous? n’a pas établi qu’un préjudice irréparable sera causé, ni qu’il ne serait pas possible de quantifier tout préjudice en découlant et de l’indemniser par des dommages-intérêts pour perte de ventes ou par une restitution des bénéfices.

[4] Avec toute la déférence que je dois à la décision du juge Boswell, je ne suis pas d’avis qu’elle soit persuasive à l’égard de la présente requête. Le juge Boswell n’a pas motivé sa décision en détail, puisqu’il a simplement souligné que Sleep Country/Dormez-vous? n’avait produit aucune preuve claire et non spéculative qu’elle subirait un préjudice irréparable. Le dossier concernant la présente requête est plus étoffé, et la période pertinente aux fins de l’évaluation du préjudice irréparable est très différente.

[5] J’ai examiné la présente requête en me fondant sur le dossier dont je disposais, les observations des avocats et la jurisprudence.

[6] Pour que soit accueillie sa requête en injonction interlocutoire, Sleep Country/Dormez-vous? doit établir chacun des éléments du critère en trois étapes, à savoir : l’existence d’une question sérieuse; qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de rejet de la requête en injonction; que l’appréciation de la prépondérance des inconvénients – c’est-à-dire l’évaluation du préjudice causé à Sleep Country/Dormez-vous? et à Sears et l’évaluation de l’intérêt public – favorise Sleep Country/Dormez-vous? (RJR-MacDonald, à la page 334).

[7] Sears admet, aux fins de la présente requête, l’existence d’une question sérieuse.

[8] Aux fins de la présente requête, j’estime que Sleep Country/Dormez-vous? a établi, selon la prépondérance des probabilités, que d’ici à ce que l’action en contrefaçon soit tranchée, la confusion est probable, tout comme la diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif, et que des pertes de ventes ou un autre préjudice en découleront.

[9] La principale question en litige dans la présente demande est celle de savoir si Sleep Country/Dormez-vous? a établi, en produisant une preuve claire et non spéculative, que d’ici à ce que l’action soit tranchée de manière définitive, elle subira un préjudice irréparable en conséquence de la contrefaçon alléguée, lequel se traduira notamment par de la confusion et/ou une diminution de la valeur de l’achalandage, ou encore par la perte de son caractère distinctif, et de savoir si ce préjudice peut être quantifié et compensé par des dommages-intérêts. Si le préjudice ne peut être quantifié, il est irréparable.

[10] Sleep Country/Dormez-vous? soutient qu’il n’est pas possible de quantifier le préjudice attribuable au comportement illicite allégué de Sears (l’utilisation de son slogan), comme l’affirment constamment ses experts, et que, par conséquent, le préjudice est irréparable. Il sera impossible de distinguer les répercussions de l’utilisation du slogan de celles des autres changements apportés par Sears et d’autres forces du marché qui peuvent éventuellement avoir un effet sur les ventes, la réputation et l’achalandage de Sleep Country/Dormez-vous? Celle-ci prétend également que les répercussions de la violation de Sears iront au-delà des pertes de ventes, et qu’il n’est pas possible de quantifier la diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif.

[11] Sears soutient que le préjudice pouvant découler de l’utilisation de son slogan pour Sleep Country/Dormez-vous? peut être quantifié et compensé par des dommages-intérêts, et que son expert, M. Harington, décrit une méthode à cette fin.

[12] La preuve des experts a fait l’objet d’un examen minutieux. Les experts de Sleep Country/Dormez-vous? contestent la preuve des experts de Sears, et inversement.

[13] L’expert de Sears, M. Harington, a expliqué en détail son modèle, qui consiste à évaluer d’abord l’ensemble des pertes de ventes possibles, puis à isoler ou à [traduction] « distinguer » le préjudice attribuable au comportement illicite. M. Harington s’appuie sur plusieurs hypothèses, notamment l’hypothèse de base selon laquelle Sleep Country/Dormez-vous? et Sears réagiront de la même façon à toutes les autres forces du marché. Cette hypothèse de base n’était pas énoncée dans l’affidavit de M. Harington, mais a été soulignée pendant son contre-interrogatoire.

[14] Le témoignage de M. Harington, qui donnait à penser que cette hypothèse s’appliquait aux « magasins à titre individuel » plutôt qu’à l’échelle nationale ou provinciale, ne dissipe pas la préoccupation découlant du fait qu’il n’a pas énoncé ses hypothèses dans son affidavit ou de la preuve insuffisante à l’appui de ses hypothèses, comme lui-même l’a reconnu. De plus, l’application de son modèle comporte beaucoup d’incertitudes qui m’incitent à conclure que la méthode utilisée par M. Harington pour quantifier le préjudice causé à Sleep Country/Dormez-vous?, puis distinguer les répercussions découlant uniquement de l’utilisation contrefaite alléguée du slogan, ne serait pas viable dans les circonstances actuelles. Il serait difficile et incertain, voire impossible, d’appliquer le modèle et, par conséquent, de quantifier le préjudice subi par Sleep Country/Dormez-vous?

[15] Pour les motifs exposés ci-après, la requête en injonction est accueillie. J’estime que Sleep Country/Dormez-vous? a établi qu’elle subira un préjudice irréparable d’ici à ce que la présente action soit tranchée. Sleep Country/Dormez-vous? a établi ce préjudice irréparable selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’une preuve concrète et non spéculative, présentée par des experts qui ont invoqué des principes et des concepts de marketing, ainsi que les principes régissant les dommages-intérêts. De plus, la prépondérance des inconvénients favorise Sleep Country/Dormez-vous?

II. Contexte

[16] Sleep Country/Dormez-vous? a été créée en 1994 et possède maintenant 234 magasins et 17 centres de distribution au Canada. Depuis 1994, Sleep Country/Dormez-vous? utilise le slogan « POURQUOI ACHETER UN MATELAS AILLEURS? » (le slogan de Sleep Country/Dormez-vous?) à la télévision, à la radio, dans les médias imprimés et dans la publicité en ligne. Sleep Country/Dormez-vous? souligne que le slogan est la pierre angulaire de sa marque et de sa commercialisation. Le slogan est protégé par deux marques de commerce déposées, LMC 451875 et LMC 456694, qui confèrent à Sleep Country/Dormez-vous? un droit exclusif d’utilisation.

[17] Sleep Country/Dormez-vous? souligne que son slogan, qui s’accompagne parfois d’un thème musical, jouit d’une reconnaissance nationale et a acquis une portée emblématique. Le thème musical figure au classement des vingt-cinq thèmes musicaux les plus accrocheurs du Huffington Post au Canada. En 2005, ce thème a aussi été intronisé au Marketing Hall of Legends et au temple de la renommée du Conseil canadien du commerce de détail.

[18] Sears a démarré ses activités en collaboration avec Simpsons, en 1952, à titre de société de vente par catalogue. En 1953, la société a élargi son champ d’affaires à la vente en magasin. Sears est un grand magasin qui vend diverses marchandises, y compris des matelas depuis les quarante dernières années au moins.

[19] En 2016, Sears a lancé un nouveau plan de marketing à multiples facettes, qui prévoyait notamment de remanier son logo, son catalogue, son site Web, sa garantie du meilleur prix, son assortiment de matelas et son service de livraison et de ramassage, ainsi que la création d’une nouvelle [traduction] « affirmation descriptive » ou slogan.

[20] En juillet 2016, Sears a utilisé son slogan dans des circulaires en ligne, sur Instagram® et sur Facebook®. En août et septembre 2016, l’utilisation du slogan de Sears s’est étendue aux circulaires imprimées. À partir du mois de juillet, Sears a aussi utilisé son slogan dans des annonces radiophoniques, pratique qu’elle a poursuivie plus largement en septembre et octobre, puis dans sa publicité à l’occasion du Vendredi fou, en novembre.

[21] Le 2 août 2016, Sleep Country/Dormez-vous? a envoyé une lettre de mise en demeure, afin d’aviser Sears que son slogan portait atteinte aux marques de commerce de Sleep Country/Dormez-vous? Le 23 août 2016, Sears a répondu par l’entremise d’un avocat qu’il n’y avait pas eu violation, et qu’elle ne cesserait pas d’utiliser son slogan.

[22] Sleep Country/Dormez-vous? a ensuite intenté une action contre Sears, dans laquelle elle sollicite les mesures de redressement suivantes : une injonction définitive interdisant à Sears d’utiliser le slogan [traduction] « Il n’y a aucune raison d’acheter un matelas ailleurs », ou toute autre expression similaire pouvant s’avérer une source de confusion avec le slogan de Sleep Country/Dormez-vous?; une déclaration portant que Sears a violé le droit à l’emploi exclusif des marques de commerce de Sleep Country/Dormez-vous?, en violation de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 (la Loi); une déclaration portant que Sears a violé le droit à l’emploi exclusif des marques de commerce de Sleep Country/Dormez-vous? d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage qui y est attachée, en violation de l’article 22 de la Loi; une déclaration portant que Sears a fait une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services de Sleep Country/Dormez-vous?, en violation de l’article 7 de la Loi.

[23] Sleep Country/Dormez-vous? prétend que l’utilisation du slogan contrefait de Sears d’ici à ce que soit tranchée la présente action aura pour effet de causer de la confusion sur le marché, d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif de son propre slogan, et que cela entraînera pour elle un préjudice irréparable, y compris des pertes de ventes.

III. Questions en litige

[24] La question générale est celle de savoir s’il y a lieu d’accorder l’injonction interlocutoire – c’est-à-dire si Sears devrait se voir interdire d’utiliser son [traduction] « affirmation descriptive » ou slogan d’ici à ce que l’action pour violation soit tranchée de façon définitive, ce qui demandera probablement une période de dix-huit à vingt-quatre mois, ou éventuellement plus de temps.

[25] Les parties conviennent que le critère à appliquer est celui que la Cour suprême du Canada a défini dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 334.

[26] Aux fins de la présente requête, Sears admet l’existence d’une question sérieuse, en soulignant la souplesse du critère qui sert à l’établir et en déclarant qu’au procès, elle réfutera les allégations de contrefaçon de marque de commerce. Sears ajoute que cet aveu n’a aucune incidence sur l’établissement du préjudice irréparable, à l’égard duquel Sleep Country/Dormez-vous? doit produire une preuve claire et convaincante non spéculative.

[27] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 341, la Cour a défini le « préjudice irréparable » en ces termes : « a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre ».

[28] La preuve du préjudice irréparable doit être claire et non spéculative (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au paragraphe 31, 440 NR 232).

[29] Dans l’arrêt Centre Ice Ltd. c Ligue nationale de Hockey (1994), 53 CPR (3d) 50; 166 NR 44 (CA) [Centre Ice], la Cour d’appel fédérale a souligné qu’il fallait produire une preuve claire et non spéculative du préjudice non quantifiable et, par conséquent, irréparable, dans le contexte d’une requête en injonction jusqu’au règlement des allégations de contrefaçon de marque de commerce. La Cour d’appel a conclu, à la page 54, que [traduction] « la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d’achalandage et une perte d’achalandage n’établit pas, en soi, que quelqu’un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d’achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs ». [Souligné dans l’original.]

[30] La principale question à juger dans la présente demande est celle de savoir si Sleep Country/Dormez-vous? a établi qu’elle subira un préjudice irréparable d’ici à ce que l’action soit tranchée de façon définitive. Le litige porte sur la question de savoir si la preuve permet d’établir qu’un préjudice découlera vraisemblablement de la contrefaçon alléguée, et s’il est possible, ou impossible, de quantifier le préjudice et de le compenser par des dommages-intérêts.

IV. Éléments de preuve

[31] La preuve a été présentée sous forme d’affidavits et de pièces jointes, ainsi qu’au moyen du contre-interrogatoire des déposants.

[32] La preuve de Sleep Country/Dormez-vous? a été produite au moyen d’un ou de plusieurs affidavits présentés par les personnes suivantes : David Friesma, chef de la direction de Sleep Country/Dormez-vous?; Kenneth Wong, professeur de marketing à la Stephen J.R. Smith School of Business de l’Université Queen’s; David Kincaid, expert dans les domaines de l’évaluation de l’image de marque et du marketing; Errol Soriano, comptable professionnel agréé, expert en évaluation d’entreprise et examinateur de fraude certifié, qui s’est concentré sur l’évaluation quantitative des pertes financières et l’évaluation des intérêts de l’entreprise depuis 1991.

[33] La preuve de Sears a été produite au moyen d’un ou de plusieurs affidavits présentés par les personnes suivantes : Melissa Schipani, manageuse de produits au rayon des matelas chez Sears; Andrew Harington, comptable professionnel agréé, analyste financier agréé et expert en évaluation d’entreprise possédant une vaste expérience de l’évaluation des entreprises et de la propriété intellectuelle, ainsi que de l’évaluation quantitative des dommages-intérêts; Shidhar Moorthy, professeur de marketing à la Rotman School of Business de l’Université de Toronto, possédant une vaste expérience du monde universitaire, de la rédaction d’articles et d’ouvrages et du marketing, plus particulièrement en matière d’image de marque.

[34] La preuve des experts est résumée à l’annexe A, et j’y fais renvoi ci-après pour l’examen de questions précises.

V. Sleep Country/Dormez-vous? a-t-elle établi un préjudice irréparable?

A. Les observations de Sleep Country/Dormez-vous?

[35] Sleep Country/Dormez-vous? prétend que sa preuve permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle subira un préjudice irréparable de diverses façons. Premièrement, le préjudice irréparable se traduira par des pertes de ventes qu’il sera impossible de cerner ou de quantifier. Deuxièmement, le préjudice découlera de la diminution de la valeur de l’achalandage et de la perte du caractère distinctif de son slogan, ce qui constitue un préjudice immatériel qui n’est pas quantifiable (Reckitt Benckiser LLC c Jamieson Laboratories Ltd, 2015 CF 215, au paragraphe 55 [Reckitt CF], infirmé pour d’autres motifs 2015 CAF 104 [Reckitt CAF]).

[36] Sleep Country/Dormez-vous? reconnaît qu’il est établi dans l’arrêt Centre Ice qu’il ne suffit pas de prouver qu’il y a eu confusion pour prouver la diminution de la valeur de l’achalandage ou le préjudice irréparable : autrement dit, le préjudice irréparable ne peut être inféré. Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’en l’espèce, il n’est pas nécessaire de tirer des conclusions, puisque la preuve figure au dossier.

Confusion

[37] Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’il est évident que l’utilisation du slogan de Sears entraînera de la confusion d’ici au procès. Même si les experts conviennent qu’il y aura de la confusion, il n’est pas nécessaire de recourir à une opinion d’expert. La confusion est évaluée selon la prépondérance des probabilités. La Cour est aussi bien placée qu’un expert pour décider s’il y aura confusion, et cela, en appliquant le critère établi à cette fin, qui est celui de la première impression du consommateur moyen (Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, aux paragraphes 39 et 75 à 101 [Masterpiece]; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 [Veuve Clicquot]).

[38] Sleep Country/Dormez-vous? prétend en outre qu’il n’est pas nécessaire de mener des sondages auprès des consommateurs pour décider s’il y aura confusion, et qu’un sondage ne répondrait probablement pas au critère de la fiabilité et de la validité (Masterpiece, au paragraphe 97).

[39] Sleep Country/Dormez-vous? souligne également qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’une réelle confusion pour que la Cour conclue à la confusion selon la prépondérance des probabilités (Black & Decker Corporation c Piranha Abrasives Inc., 2015 CF 185, aux paragraphes 75 à 79, 130 CPR (4th) 219 [Black & Decker].

[40] Sleep Country/Dormez-vous? souligne que les facteurs pertinents indiquent tous qu’il y aura confusion : les deux slogans sont remarquablement semblables et expriment la même idée – l’un sous forme d’énoncé déclaratoire, et l’autre, sous forme de question oratoire. Le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? est bien connu parce qu’il est utilisé depuis plus de vingt-deux ans, qu’il possède un caractère distinctif et qu’il répond à un achalandage. Sears a commencé à utiliser son slogan beaucoup plus récemment, en juillet 2016.

[41] De plus, Sears et Sleep Country/Dormez-vous? vendent la même catégorie de produits, au même marché de consommateurs, par les mêmes voies commerciales. Sleep Country/Dormez-vous? prétend que les consommateurs feront un lien entre les deux slogans, comme l’a souligné le professeur Wong, ce qui créera de la confusion sur le marché, parce que les consommateurs penseront à tort que la publicité de Sears vient de Sleep Country/Dormez-vous?, que les biens et services que Sears annonce sont associés à Sleep Country/Dormez-vous? ou fournis par celle-ci, que la marchandise de Sleep Country/Dormez-vous? est offerte chez Sears, ou que Sears et Sleep Country/Dormez-vous? sont associées.

[42] Sleep Country/Dormez-vous? se reporte à la preuve de MM. Wong et Kincaid, qui expliquent que la confusion entraînera une perte de ventes.

Il est impossible de calculer les pertes

[43] Sleep Country/Dormez-vous? souligne qu’afin de calculer les dommages-intérêts pour la perte de ventes, il faut pouvoir cerner les ventes qui ont été perdues par suite du comportement illicite, puis les distinguer de celles dont la perte découle des facteurs concurrentiels ordinaires. Lorsque cela n’est pas possible, comme dans le cas présent, les pertes de ventes et de parts du marché constituent un préjudice irréparable (Ciba-Geigy Canada Ltd. c Novopharm Ltd. (1994), 56 CPR (3d) 289, aux pages 333 à 338, 83 FTR 161, aux paragraphes 147 à 163 (CF 1re inst.)).

[44] Sleep Country/Dormez-vous? invoque également la décision Reckitt CF, où le juge Brown a conclu que les dommages-intérêts ne constituent pas un recours adéquat lorsqu’il est impossible de calculer les pertes parce qu’il s’avère impossible de déterminer les pertes de ventes. Sleep Country/Dormez-vous? reconnaît que les faits dans la décision Reckitt CF étaient différents, dans la mesure où cette société n’avait pas la possibilité d’établir un profil de ventes parce qu’elle avait pénétré le marché après le produit contrefait allégué; cependant, il ne s’agit pas là des seuls faits pouvant justifier la conclusion qu’il est impossible de calculer les pertes de ventes.

[45] Sleep Country/Dormez-vous? prétend aussi qu’en bonne partie, la jurisprudence invoquée par Sears, dans laquelle il est conclu que les pertes peuvent être quantifiées, concernait des produits pharmaceutiques. Nous pouvons établir une distinction entre ces affaires et celle qui nous occupe, parce que le comportement illicite consistait à vendre le produit et qu’il était possible de calculer les pertes de ventes. En l’espèce, le comportement illicite consiste à utiliser le slogan.

[46] Sleep Country/Dormez-vous? soutient qu’il est impossible de distinguer l’effet de l’utilisation du slogan contrefait de Sears sur les ventes de celui des nombreux autres changements simultanés que Sears a apportés et des autres activités de marketing et influences. Sleep Country/Dormez-vous? prétend que les experts de Sears, Mme Schipani et le professeur Moorthy, ainsi que ses propres experts, le professeur Wong et MM. Soriano et Friesma, ont tous déclaré qu’il est impossible de déterminer les répercussions de l’utilisation du slogan sur les ventes, c’est-à-dire, qu’il est impossible d’isoler ou de [traduction] « distinguer » le préjudice attribuable à l’utilisation du slogan.

[47] Sleep Country/Dormez-vous? conteste le modèle proposé par l’expert de Sears, M. Harington, parce qu’il est inutilisable. M. Harington déclare qu’il pourrait déterminer les ventes [traduction] « hypothétiques » de Sleep Country/Dormez-vous?, en se fondant sur l’historique des ventes et en apportant des ajustements pour tenir compte des autres facteurs, et qu’il serait également en mesure de [traduction] « distinguer » l’effet de l’utilisation du slogan de Sears sur les ventes de matelas de Sleep Country/Dormez-vous? et de Sears. Sleep Country/Dormez-vous? souligne que M. Harington reconnaît qu’il ignore quelles données seront à sa disposition afin de les appliquer à son modèle, et qu’il doit aussi isoler l’effet de l’utilisation du slogan de Sears sur les ventes de Sleep Country/Dormez-vous? de celui des autres éléments liés au marketing.

[48] Sleep Country/Dormez-vous? souligne que l’analyse des [traduction] « différences dans la différence » que propose M. Harington pour distinguer l’effet du slogan contrefait – analyse qui consiste à comparer les ventes selon que Sears utilise le Slogan ou non – repose sur l’hypothèse que tous les autres facteurs demeureront les mêmes et que Sears cessera d’utiliser son slogan à un moment donné afin de permettre d’établir des comparaisons. Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’une ou l’autre hypothèse.

[49] Sleep Country/Dormez-vous? prétend que qu’il faudrait faire abstraction de l’opinion de M. Harington ou l’écarter. Son hypothèse de base – à savoir que Sleep Country/Dormez-vous? et Sears réagiront de la même façon à tout autre changement du marché – est une hypothèse erronée, notamment parce que Sleep Country/Dormez-vous? est un magasin spécialisé, et Sears, un magasin à rayons, qui vend une gamme de produits. De plus, il n’y a aucune donnée à l’appui de l’hypothèse selon laquelle Sleep Country/Dormez-vous? et Sears réagiront de la même façon à tout autre changement. En outre, les hypothèses de base de M. Harington n’ont pas été énoncées dans son opinion, comme l’exige le Code de déontologie régissant les témoins experts.

[50] Sleep Country/Dormez-vous? souligne que la comptabilisation des profits ne remplace pas les pertes de ventes, parce que Sears peut ne pas réaliser de profits. De plus, Sleep Country/Dormez-vous? subira un préjudice attribuable à la perte du caractère distinctif de son slogan, qui constitue un instrument de marketing essentiel, et ce préjudice ne peut être quantifié.

La diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif

[51] Sleep Country/Dormez-vous? reconnaît que la diminution de la valeur de l’achalandage se distingue de la confusion. Même si une certaine confusion découlera de l’utilisation continue du slogan de Sears, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence de la confusion pour démontrer la diminution de la valeur de l’achalandage. Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’il lui suffit de démontrer que la diminution de la valeur est en raison du lien, ou du lien probable ou de l’association mentale entre l’utilisation du slogan de Sears et l’effet sur l’achalandage de Sleep Country/Dormez-vous?, et non qu’elle surviendra sans aucune doute (Veuve Clicquot, aux paragraphes probable 38, 60 et 67).

[52] Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’en fonction du critère applicable à la diminution de la valeur de l’achalandage, qui est établi dans l’arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 46, la diminution de la valeur de son achalandage est probable : les slogans sont similaires; le slogan initial est suffisamment bien connu pour concorder avec un achalandage; l’utilisation du slogan similaire de Sears aura probablement un effet sur cet achalandage; le résultat probable du lien consistera en une diminution de la valeur de l’achalandage lié au slogan de marque de Sleep Country/Dormez-vous? Sleep Country/Dormez-vous? ajoute que les deux slogans sont utilisés selon les mêmes méthodes de publicité et que Mme Schipani et M. Friesen ont tous deux déclaré que les slogans véhiculaient la même proposition de valeur, c’est-à-dire, tout ce dont vous avez besoin au meilleur prix.

[53] Sleep Country/Dormez-vous? allègue que le consommateur moyen établira, entre le slogan de Sears et celui de Sleep Country/Dormez-vous?, une association ou un lien mental qui s’étendra ensuite à l’achalandage, à la réputation et à la marque de Sleep Country/Dormez-vous? Si Sears continue d’utiliser son slogan, le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? perdra son caractère distinctif.

[54] Sleep Country/Dormez-vous? reconnaît qu’elle accorde de la valeur à l’achalandage dans son bilan, en soulignant qu’il s’agit de la valeur de l’entreprise dans son ensemble, et non du slogan seulement. Sleep Country/Dormez-vous? prétend qu’il n’est pas possible de quantifier le préjudice que la contrefaçon alléguée causera à son achalandage. Sleep Country/Dormez-vous? se reporte à la preuve de M. Friesma, selon laquelle malgré sa réussite, la société n’a jamais pu calculer les répercussions financières de son slogan sur la valeur de sa marque, ni calculer les ventes directement attribuables au slogan ou aux autres éléments de la campagne de marketing.

La perte du caractère distinctif

[55] Sleep Country/Dormez-vous? souligne que la perte du caractère distinctif est aussi une catégorie de préjudice distincte, qui ne peut être quantifiée en dommages-intérêts. Sleep Country/Dormez-vous? se reporte à la décision Reckitt CF, au paragraphe 55, où le juge Brown a conclu que si une marque créant de la confusion entraîne pour le demandeur la perte de son caractère distinctif, il est impossible de calculer d’un point de vue pécuniaire le préjudice causé à l’achalandage et à la valeur de la marque.

[56] Sleep Country/Dormez-vous? prétend que la preuve démontre que son slogan perdra son caractère distinctif. MM. Kincaid et Wong ont tous deux déclaré qu’une fois que la possibilité d’associer un slogan à un seul vendeur est perdue, il est presque impossible de la récupérer ou de l’obtenir à nouveau. Ils ont expliqué que l’utilisation itérative du slogan de Sears crée un lien entre les deux slogans et érode ou [traduction] « amenuise » le caractère distinctif et l’efficacité du slogan de Sleep Country/Dormez-vous? Une fois que ce caractère distinctif sera perdu, il s’avèrera impossible de le récupérer.

[57] Le professeur Wong a souligné qu’il y aura perte du caractère distinctif sur le fondement du concept de [traduction] « généralisation du stimulus », qui consiste en l’érosion du lien entre le slogan et la marque initiale dans l’esprit du consommateur.

[58] Sleep Country/Dormez-vous? prétend que son slogan est emblématique et irremplaçable, et que s’il ne lui est plus associé de façon exclusive, elle devra se réinventer afin de rétablir un certain caractère distinctif au moyen d’un nouveau slogan. Il est peu probable qu’elle puisse atteindre le même niveau de réussite commerciale si elle doit repartir à zéro.

B. Les observations de Sears

[59] Sears prétend que Sleep Country/Dormez-vous? n’a pas satisfait au critère en trois étapes justifiant le recours extraordinaire que constitue une injonction.

[60] Sears prétend qu’il n’y a aucune preuve claire de la confusion, de la diminution de la valeur de l’achalandage ou de la perte du caractère distinctif, ni de preuve du préjudice irréparable. Sears prétend qu’en tout état de cause, la preuve des experts de Sleep Country/Dormez-vous? est spéculative et ne satisfait pas au critère établi dans l’arrêt Centre Ice. Sears prétend en outre que le préjudice qui en découle peut être quantifié en dommages-intérêts pour pertes de ventes ou en comptabilisant les profits, comme l’a expliqué M. Harington; à ce titre, le préjudice n’est pas irréparable.

[61] Sears reconnaît qu’elle a apporté plusieurs changements à sa stratégie d’entreprise en 2016, notamment à sa stratégie de prix, à sa stratégie promotionnelle, à son assortiment de matelas, à ses articles vedettes et aux avantages qu’elle propose. Sears déclare que son slogan ou affirmation descriptive est une proposition de valeur qui correspond à la somme ou au résultat de tous les autres changements. Sears définit le choix du slogan en termes d’exercice dynamique. Elle prétend que malgré ces divers changements, il est possible d’isoler l’effet du slogan sur les pertes de ventes de Sleep Country/Dormez-vous? ou sur ses propres profits.

[62] Sears souligne que Sleep Country/Dormez-vous? n’a pas eu gain de cause dans sa requête en injonction provisoire. Sears prétend que le juge Boswell a rejeté la preuve de Sleep Country/Dormez-vous? concernant la confusion, et qu’il a conclu que Sleep Country/Dormez-vous? n’avait pas fourni de preuve claire et non spéculative du fait qu’elle subirait un préjudice irréparable. Sears prétend que l’ordonnance du juge Boswell ne peut être distinguée; la preuve demeure la même dans le cadre de la présente requête, et la requête en injonction interlocutoire ne devrait pas être accueillie.

Il n’y a aucune confusion, diminution de la valeur de l’achalandage ou perte du caractère distinctif

[63] Sears conteste l’allégation de Sleep Country/Dormez-vous? selon laquelle la confusion entraînera des pertes de ventes et une diminution de la valeur de l’achalandage ou il y aura perte du caractère distinctif.

[64] Sears prétend que Sleep Country/Dormez-vous? n’a présenté ni une nouvelle théorie concernant la confusion, ni des éléments de preuve concrets de la confusion des consommateurs. Le professeur Wong ne disposait d’aucun sondage mené à l’appui de son opinion concernant la confusion. Sears prétend que le deuxième affidavit du professeur Wong se limite à réitérer le premier, que le juge Boswell a examiné et rejeté.

[65] Sears se reporte à la preuve du professeur Moorthy, qui a expliqué que la confusion est peu probable parce que le slogan n’est pas utilisé en l’absence d’autres renseignements indiquant que l’annonce vient de Sears, plutôt que de Sleep Country/Dormez-vous?

[66] Sears prétend que même en cas de preuve de la confusion, il n’est pas possible de conclure à la perte du caractère distinctif ou au préjudice pour l’achalandage. Conformément à l’arrêt Centre Ice, au paragraphe 9, Sleep Country/Dormez-vous? doit établir le préjudice irréparable au moyen d’une preuve claire et non spéculative, démontrant que le slogan de Sears occasionnera de la confusion sur le marché, que Sleep Country/Dormez-vous? subira une perte d’achalandage en conséquence, et qu’il est impossible de calculer cette perte du point de vue pécuniaire.

[67] Sears prétend que le professeur Wong a élaboré une théorie spéculative de la [traduction] « généralisation du stimulus », selon laquelle le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? perdra son caractère distinctif parce que les consommateurs ne différencieront pas la marchandise de Sleep Country/Dormez-vous? de celle des autres détaillants de matelas. Sears soutient que cette théorie va à l’encontre de l’allégation de Sleep Country/Dormez-vous? selon laquelle son slogan est emblématique et soutient la reconnaissance de la marque.

[68] Sears prétend que l’invocation du paragraphe 55 de la décision Reckitt CF par Sleep Country/Dormez-vous? est déplacée, parce qu’il n’est pas établi dans cette décision qu’il existe un préjudice irréparable dans un cas où un demandeur démontre la perte du caractère distinctif. Sears soutient que l’arrêt Centre Ice demeure le principe directeur. Les faits particuliers de la décision Reckitt CF ont mené à la conclusion que le préjudice ne pouvait pas être quantifié.

[69] Sears soutient également qu’il n’y a aucune preuve des raisons pour lesquelles il ne serait pas possible de récupérer le caractère distinctif perdu.

Il est possible de quantifier les pertes de Sleep Country/Dormez-vous?, le cas échéant

[70] Sears soutient que Sleep Country/Dormez-vous? n’a présenté aucune preuve non spéculative afin de démontrer que les pertes qu’elle subirait par suite de la confusion et de la diminution consécutive de la valeur de l’achalandage ou de la perte du caractère distinctif seraient irréparables.

[71] Sears prétend que Sleep Country/Dormez-vous? cherche à « rendre la question plus problématique », pour reprendre l’expression du juge Russell dans la décision Aventis Pharma c Novopharm, 2005 CF 815 [Aventis], au sens où Sleep Country/Dormez-vous? crée des obstacles ou des problèmes à l’égard du calcul des dommages qu’elle peut subir.

[72] Sears souligne que dans la décision Aventis, au paragraphe 67, la Cour a conclu que la complexité du calcul du préjudice ne constitue pas une preuve claire qu’il est impossible de le quantifier. Sears soutient que, comme la Cour l’a conclu dans la décision Aventis, Sleep Country/Dormez-vous? crée des obstacles à l’évaluation quantitative du préjudice. Même s’il peut exister plusieurs variables sur le marché, il n’est pas impossible de quantifier le préjudice. Sears ajoute qu’il n’est pas nécessaire d’estimer le préjudice avec une précision mathématique.

[73] Sears prétend que Sleep Country/Dormez-vous? soutient, en réalité, que chaque fois qu’il y a allégation de violation, une requête en injonction devrait être accueillie s’il est difficile de quantifier les pertes en raison des divers facteurs du marchéage.

[74] Sears prétend qu’il n’est pas impossible de déterminer quels éléments du préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous? ou des profits de Sears sont attribuables à la contrefaçon alléguée : il s’agit du rôle des experts en dommages-intérêts qui font cela régulièrement.

[75] Sears prétend que si Sleep Country/Dormez-vous? gagne son procès, il sera possible de calculer les dommages-intérêts d’un point de vue pécuniaire à ce moment-là. Sleep Country/Dormez-vous? devrait avoir droit à des dommages-intérêts ou à la restitution des bénéfices de Sears. M. Harington a expliqué qu’au moyen de données historiques, il peut extrapoler quels auraient été les profits de Sleep Country/Dormez-vous? [traduction] « n’eût été » du comportement illicite. La différence entre le revenu touché concrètement par Sleep Country/Dormez-vous? et celui qu’elle aurait touché « n’eût été » du comportement illicite constitue le préjudice le plus important que Sleep Country/Dormez-vous? pourrait subir. M. Harington a expliqué qu’il pourrait alors déterminer quelle partie de ce revenu serait attribuable à l’utilisation du slogan contrefait (c’est-à-dire, « distinguer »). Sears prétend que même si certains renseignements nécessaires aux calculs ne sont pas connus à l’heure actuelle, ils le seront au moment du procès.

[76] Sears souligne que c’est à elle qu’il reviendrait de fixer le montant des dommages-intérêts attribuables au comportement illicite – c’est-à-dire la partie de la somme calculée la plus importante –, et que si elle omettait de le faire, Sleep Country/Dormez-vous? aurait droit aux dommages-intérêts les plus élevés.

[77] Sears prétend en outre que même si la Cour conclut qu’il est impossible de quantifier le préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous?, ce préjudice n’est pas nécessairement irréparable. Sleep Country/Dormez-vous? pourrait choisir de récupérer les bénéfices de Sears générés par la contrefaçon alléguée, et tous les bénéfices que Sears aurait réalisés en utilisant son slogan seraient dus à Sleep Country/Dormez-vous? La même ventilation ou « distinction » serait exigée. Si Sears s’avérait incapable de le faire, elle serait tenue responsable de la totalité du montant des dommages-intérêts.

[78] Sears prétend qu’elle disposera des données nécessaires pour quantifier ses profits au moment de l’instruction de l’action, et qu’elle sera également en mesure de démontrer quelle partie de ces profits sera attribuable à l’utilisation de son slogan.

[79] Sears soutient que Sleep Country/Dormez-vous? ne peut pas invoquer l’impossibilité actuelle de répartir le montant des dommages-intérêts attribuable à l’utilisation du slogan pour montrer qu’il sera impossible de quantifier le préjudice. Sears soutient aussi que si l’impossibilité de distinguer constitue un préjudice irréparable, malgré le fait qu’elle serait responsable de la totalité des dommages-intérêts si la distinction n’était pas possible, une mesure injonctive serait alors accordée dans tous les cas comme celui-là.

[80] Sears conteste la preuve des experts de Sleep Country/Dormez-vous? Elle soutient que M. Soriano a admis en contre-interrogatoire que les pertes de ventes attribuables au comportement illicite pouvaient être quantifiées, quoique sans précision, et qu’il a convenu qu’il était possible d’appliquer le modèle de M. Harington pour déterminer quelles auraient été les ventes [traduction] « hypothétiques », avec une marge d’erreur de plus ou moins 15 %. Sears prétend que la précision n’est pas requise. De plus, le commentaire de M. Soriano selon lequel n’importe qui peut [traduction] « estimer une valeur » visait la répartition, qui reviendrait à Sears et serait possible au moment de l’instruction.

VI. Sleep Country/Dormez-vous? a établi le préjudice irréparable

L’ordonnance du juge Boswell

[81] Sears soutient que la présente requête devrait être rejetée sur le même fondement que la requête en injonction provisoire, parce que la même preuve a été présentée et rejetée dans la requête antérieure. Sears a soutenu que certains éléments de preuve – par exemple, l’opinion du professeur Wong concernant la confusion et sa théorie de la généralisation du stimulus – ont été rejetés par le juge Boswell. Cependant, ce dernier a conclu que le préjudice irréparable n’avait pas été établi au moyen d’une preuve claire et non spéculative sans faire renvoi à un élément de preuve en particulier.

[82] Le juge Boswell a examiné la requête en injonction provisoire – c’est-à-dire, visant à interdire à Sears d’utiliser le slogan jusqu’à ce que la présente demande d’injonction interlocutoire puisse être tranchée. Cette période ne devait durer que quelques semaines. Le dossier dont je dispose maintenant n’est pas le même. De plus, la période de temps dont il faut tenir compte en ce qui concerne l’établissement du préjudice irréparable n’est pas de quelques semaines, mais durera de dix-huit à vingt-quatre mois, ou éventuellement plus longtemps. Même si Sears soutient obstinément que le juge Boswell a rejeté des éléments de preuve particuliers, et en toute déférence pour la décision du juge Boswell fondée sur les questions et la preuve dont il était saisi, je ne souscris pas à l’allégation de Sears selon laquelle l’ordonnance du juge Boswell ne peut pas se distinguer, compte tenu des éléments suivants : il m’est impossible de décider quels aspects de la preuve le juge Boswell a estimés erronés; la preuve dont je dispose est plus détaillée et les contre-interrogatoires ont apporté des éclaircissements supplémentaires sur des points importants; le juge Boswell a examiné la question de savoir si un préjudice irréparable s’ensuivrait au cours d’une période de temps très différente et beaucoup plus courte.

L’utilisation du slogan de Sears entraînera vraisemblablement de la confusion d’ici au procès

[83] Dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 40, la Cour suprême a confirmé le critère applicable à la confusion qui est énoncé dans l’arrêt Veuve Clicquot :

40 Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c St. Regis Tobacco Corp., 1968 CanLII 1 (CSC), [1969] RCS 192, à la page 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

[84] Dans l’arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 21, la Cour suprême du Canada a ajouté que « pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion dans l’esprit du consommateur plutôt pressé en tenant compte de “toutes les circonstances de l’espèce”, il faut considérer notamment les facteurs énumérés au par. 6(5) de la Loi », puis la Cour a poursuivi en rappelant les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce.

[85] Dans l’arrêt Masterpiece, aux paragraphes 75 à 101, la Cour suprême du Canada a examiné le rôle de la preuve d’expert dans les affaires portant sur des marques de commerce. La Cour a souligné, au paragraphe 75, que les règles générales qui s’appliquent sont les mêmes que dans les autres affaires :

[75] La présentation d’une preuve d’expert dans les affaires portant sur des marques de commerce ne diffère pas de la présentation d’une telle preuve dans d’autres contextes. Dans R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, la Cour a énoncé quatre exigences à satisfaire pour qu’une preuve d’expert soit acceptée au procès : a) la pertinence, b) la nécessité d’aider le juge des faits, c) l’absence de toute règle d’exclusion, et d) la qualification suffisante de l’expert. En examinant la norme relative à la deuxième de ces exigences, à savoir la « nécessité », la Cour a expliqué que l’expert ne doit être autorisé à témoigner que si son témoignage contient des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » :

Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot « utile » n’est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L’exigence est que l’opinion soit nécessaire au sens qu’elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l’a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. [p. 23]

[86] Pour évaluer le critère de la nécessité dans le contexte de la confusion, la Cour a souligné ce qui suit, au paragraphe 80 :

[80] Le premier problème que posait une bonne partie du témoignage d’expert est le fait qu’il ne répondait pas à la deuxième exigence énoncée dans Mohan, c’est-à-dire la nécessité. Dans un cas comme celui qui nous occupe, où le « consommateur ordinaire » n’est pas censé posséder des compétences ou des connaissances particulières et où il existe une ressemblance entre les marques, il n’est généralement pas nécessaire de soumettre une preuve d’expert qui ne fournit qu’une simple appréciation de cette ressemblance. Par surcroît, une telle preuve sera carrément inutile si l’expert se livre à une analyse qui éloigne le tribunal de la question hypothétique qui est au cœur de l’analyse, à savoir s’il est probable que les marques créent de la confusion.

[87] Sears demande à la Cour de tirer une conclusion de l’absence d’éléments de preuve concrets de confusion; cependant, cette conclusion n’est pas justifiée. La Cour peut évaluer la possibilité de confusion en l’absence d’éléments de preuve concrets de confusion pour un consommateur, comme l’a souligné le juge Manson dans la décision Black & Decker, aux paragraphes 75 à 79. Comme l’a souligné le professeur Wong, il n’aurait pas été possible de mener rigoureusement un sondage auprès des consommateurs au cours de la période précédant la présente requête et, à son avis, ce n’était pas nécessaire.

[88] En outre, il ressort de la jurisprudence que dans des circonstances comme les présentes, le tribunal est bien placé, en qualité d’expert, pour décider s’il y aura confusion (Masterpiece, aux paragraphes 75 à 101). En l’espèce, bien que les experts se prononcent sur la confusion, la Cour est également en mesure de prendre cette décision.

[89] Les experts de Sleep Country/Dormez-vous? ont déclaré qu’il y aura de la confusion par suite de l’utilisation du slogan de Sears d’ici au procès, et ils ont expliqué de quelle façon la confusion surviendrait et quelles seraient ses conséquences. M. Kincaid a été contre-interrogé en profondeur sur son opinion selon laquelle les consommateurs qui entendent le slogan ou le thème musical de Sleep Country/Dormez-vous? pourraient être déroutés et penser à Sears, même si le slogan s’accompagne du nom de la marque : « Sleep Country/Dormez-vous? ». M. Kincaid n’a pas modifié son opinion selon laquelle les deux slogans créeront de la confusion.

[90] Le professeur Wong a expliqué que les consommateurs feront un lien entre les deux slogans, ce qui occasionnera de la confusion sur le marché. Les consommateurs penseront à tort que la publicité de Sears vient de Sleep Country/Dormez-vous?, que les biens et services que Sears annonce sont associés à Sleep Country/Dormez-vous? ou fournis par celle-ci, que la marchandise de Sleep Country/Dormez-vous? est offerte chez Sears, ou que Sears et Sleep Country/Dormez-vous? sont associées.

[91] L’expert de Sears, le professeur Moorthy, a exprimé l’avis contraire selon lequel l’[traduction] « affirmation descriptive » ne causera vraisemblablement pas de confusion et que, dans la mesure où elle en créera, cette confusion sera vraisemblablement avantageuse pour Sleep Country/Dormez-vous? M. Moorthy a expliqué que les deux slogans consistent en une publicité [traduction] « tapageuse ». Celui de Sleep Country/Dormez-vous? est renommé, et une poignée de gens se souviendront vraisemblablement de celui de Sears. M. Moorthy a ajouté que les personnes qui ne reconnaissent pas le slogan penseront à tort qu’il est diffusé par Sleep Country/Dormez-vous? Le professeur Moorthy était aussi d’avis qu’il est peu probable qu’il y ait de la confusion parce que le slogan sera utilisé conjointement avec le nom « Sears » ou le nom « Sleep Country/Dormez-vous? ».

[92] J’estime que l’opinion du professeur Moorthy n’est ni logique ni convaincante. Son hypothèse voulant que les deux slogans soient utilisés avec le nom du magasin n’est pas étayée, bien que cette situation puisse se produire à l’occasion. De plus, son évaluation de la confusion ne tenait pas compte de la « première impression » du simple consommateur. Même si le nom du magasin accompagne l’un ou l’autre slogan, les experts de Sleep Country/Dormez-vous? soulignent que le consommateur peut croire à tort qu’il existe un lien quelconque entre les deux magasins. De plus, la déclaration du professeur Moorthy selon laquelle la confusion serait vraisemblablement avantageuse pour Sleep Country/Dormez-vous? va à l’encontre de son hypothèse selon laquelle le slogan serait utilisé conjointement avec le nom du magasin.

[93] En réponse à la question de la Cour sur les raisons pour lesquelles Sears adopterait un slogan semblable si elle ne voulait pas tirer avantage de la confusion possible, Sears a répondu que rien n’indique que le slogan ait été élaboré afin d’être une source de confusion. Sears souligne le témoignage de Mme Schipani, qui a déclaré que le slogan avait été élaboré de manière [traduction] « dynamique », afin de récapituler les nombreux changements apportés au marketing qui ont mené à la conclusion qu’il n’y avait aucune raison d’acheter un matelas ailleurs. À mon avis, si le terme « dynamique » est utilisé dans ce contexte au sens d’une élaboration « spontanée », le fait que le slogan de Sears soit aussi semblable à celui de Sleep Country/Dormez-vous? ne serait pas une simple coïncidence.

[94] La Cour peut se mettre à la place du « consommateur plutôt pressé » et tenir compte de toutes les circonstances, ainsi que des facteurs prévus au paragraphe 6(5), comme cela a été fait dans la décision Black & Decker, au paragraphe 84. Aucune preuve d’expert n’est nécessaire, bien que cette question ait fait l’objet d’un examen, comme je l’ai déjà précisé. L’ensemble des facteurs confirme l’idée selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, il est probable qu’il y ait de la confusion d’ici l’issue de l’action en contrefaçon. Le slogan de Sears est formulé de manière presque identique à celui de Sleep Country/Dormez-vous? Les deux slogans véhiculent la même « proposition de valeur » ou idée. Le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? est utilisé depuis vingt-deux ans, s’est vu décerner des prix, et la preuve donne à penser qu’il est gravé dans l’esprit de nombreux consommateurs. Au contraire, Sears n’a commencé à utiliser son slogan qu’en juillet 2016. Sears et Sleep Country/Dormez-vous? vendent toutes deux des matelas au même marché de consommateurs et font la promotion de leurs matelas de la même manière.

[95] J’estime également qu’il ressort de la preuve que la confusion probable entraînera des pertes de ventes. Le professeur Wong et M. Kincaid ont tous deux expliqué que la confusion entraînera des pertes de ventes, en soulignant les concepts de marketing et [traduction] « l’entonnoir de marketing ». Les deux témoins ont souligné que la sensibilisation et la familiarité sont importantes dans l’industrie. Or la confusion entraîne une diminution de la sensibilisation et de la familiarité, ainsi qu’une diminution de la valeur.

[96] Sears conteste les opinions du professeur Wong concernant le comportement du consommateur et son explication basée sur la généralisation du stimulus, et soutient que le professeur Wong a convenu que le facteur déterminant lorsqu’il s’agit de faire un achat n’est pas la publicité, mais plutôt ce qui passe dans le magasin. En contre-interrogatoire, le professeur Wong a expliqué que plusieurs facteurs influent sur le comportement du consommateur, et qu’il est difficile d’en isoler la cause et les répercussions. À titre d’exemple, les articles vedettes et services offerts, les paramètres de la vente, le vendeur, le fait que le magasin soit le premier, le deuxième ou le troisième établissement visité et la prédisposition du consommateur à acheter ou non avant d’entrer dans le magasin exercent tous une influence sur le comportement. Le professeur Wong a souligné ce qui suit : [traduction] « [l]es consommateurs n’agissent pas tous exactement de la même manière, ce qui fait partie de la complexité à laquelle nous faisons face dans le domaine du marketing ».

[97] Dans l’ensemble, le professeur Wong a maintenu son opinion selon laquelle l’utilisation du slogan de Sears occasionnera de la confusion et Sleep Country/Dormez-vous? perdra l’avantage de [traduction] « venir spontanément à l’esprit » et d’être le premier magasin visité. M. Wong a renvoyé à une étude de marketing, au concept de « généralisation du stimulus », ainsi qu’à d’autres principes de marketing et à des recherches sur le comportement des consommateurs pour étayer son opinion. Il a reconnu que beaucoup de facteurs influent sur le comportement des consommateurs, notamment ce qui se passe dans le magasin. M. Wong a expliqué que le sondage de marketing mené par Sleep Country/Dormez-vous? démontre que 69 % des premières visites se soldent par un achat dans ce magasin. Par conséquent, inciter le consommateur à entrer constitue une première étape importante. Si les slogans qui s’avèrent une source de confusion ont pour effet de réduire le nombre de nouveaux clients, il y aura moins de ventes.

La diminution de la valeur de l’achalandage et la perte du caractère distinctif sont probables

[98] Dans l’arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les éléments de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, qui interdit d’employer une marque de commerce d’une manière « susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce ». La Cour a souligné ce qui suit :

[...] Rien dans l’art. 22 n’oblige à démontrer que l’emploi des deux marques dans la même région est susceptible de créer de la confusion. L’appelante n’a qu’à prouver que les intimées ont employé des marques dont la ressemblance avec VEUVE CLICQUOT suffit pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques qui est susceptible de déprécier l’achalandage attaché à sa marque.

[Non souligné dans l’original.]

[99] Au paragraphe 46 de la même affaire, la Cour a expliqué que la confusion et la diminution de la valeur de l’achalandage diffèrent sur le plan des concepts :

46 L’article 22 comporte quatre éléments. Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice).

[100] L’expert de Sleep Country/Dormez-vous?, M. Kincaid, explique que l’utilisation du slogan similaire de Sears entraînera une perte du caractère distinctif du slogan de Sleep Country/Dormez-vous?, en soulignant qu’il devient plus difficile pour les consommateurs de déterminer lequel des détaillants tient la promesse que comporte la marque.

[101] M. Kincaid a constamment émis l’opinion qu’il y aura confusion et perte du caractère distinctif, et qu’il ne sera pas possible d’isoler les répercussions du slogan de celles des autres facteurs. M. Kincaid a souligné que d’après son expérience en matière d’évaluation des marques, l’une des plus grandes difficultés est de s’efforcer d’établir le rendement du capital investi dans le marketing.

[102] Sears s’est montrée critique à l’égard du témoignage de M. Kincaid, en soulignant qu’il ne pouvait pas donner son avis sur les répercussions d’un faible usage du slogan de Sears seulement. M. Kincaid a convenu que l’ampleur de l’utilisation du slogan contrefait de la part de Sears constituerait une [traduction] « influence », tout en ajoutant qu’il lui faudrait comprendre les [traduction] « évaluations quantitatives » d’un faible degré d’utilisation. J’interprète cela au sens où il faudrait qu’il sache exactement quelle utilisation a été faite du slogan de Sears – c’est-à-dire, tous les détails. Cependant, nous ignorons quelle utilisation Sears prévoit faire de ce slogan – elle est la seule à le savoir.

[103] L’observation de Sears selon laquelle M. Kincaid ne dispose d’aucune donnée à l’appui de son opinion sur le caractère distinctif semble fondée sur la réponse de M. Kincaid concernant la nécessité d’en savoir plus au sujet de la fréquence ou de la portée de l’utilisation du slogan de Sears d’ici le procès. Cependant, Sears a continué à utiliser le slogan après l’envoi de la lettre de mise en demeure, et rien n’indique qu’elle ne continuera pas à le faire.

[104] Le professeur Wong déclare que si Sears continue à utiliser son slogan, le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? perdra son caractère distinctif, parce que les consommateurs ne distingueront pas les biens et services des deux détaillants. Il décrit le phénomène de [traduction] « généralisation du stimulus » et souligne qu’un slogan vise à déclencher une réaction, à orienter le consommateur vers les biens et services de l’établissement, ainsi qu’à véhiculer le message de la marque. Si un concurrent adopte le slogan, les consommateurs auront de la difficulté à associer celui-ci à un seul fournisseur. Si le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? peut s’appliquer à elle ou à Sears dans l’esprit du consommateur, à ce moment-là il ne sert plus son objectif et n’a aucune valeur. Le professeur Wong déclare que la marque et la valeur que Sleep Country/Dormez-vous? a investies dans son slogan seront [traduction] « irrévocablement perdues ». Il souligne que le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? constitue son plus grand avantage sur le marché.

[105] Le professeur Wong est d’avis que le préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous? qui découle de la perte du caractère distinctif ne peut être quantifié et qu’il serait impossible d’y remédier.

[106] L’expert de Sears, le professeur Moorthy, conteste l’opinion du professeur Wong concernant la [traduction] « généralisation du stimulus ». Il déclare que cela ne pourrait pas se produire au cours des prochains dix-huit à vingt-quatre mois, en partie parce que le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? jouit d’une plus grande reconnaissance de la marque, que [traduction] « l’affirmation descriptive » de Sears est entourée d’autres renvois à cette société, et que si les consommateurs pensent à un matelas, compte non tenu de la publicité, Sleep Country/Dormez-vous? est la marque dominante dans l’industrie et c’est à elle que les consommateurs penseront.

[107] Le professeur Moorthy a aussi laissé entendre, de façon quelque peu illogique, que même si le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? perdait son caractère distinctif par suite de l’utilisation du slogan de Sears, Sleep Country/Dormez-vous? pourrait en bénéficier. M. Wong a aussi déclaré qu’une perte éventuelle serait minime et qu’elle serait suivie d’un regain une fois que Sears aurait cessé d’utiliser son affirmation descriptive.

[108] Étant donné que le professeur Moorthy a présumé que le slogan serait utilisé en combinaison avec le nom du magasin, son opinion sur le caractère distinctif n’est ni convaincante ni logique. Le professeur Moorthy a présumé que Sears continuerait à utiliser son slogan de la même façon pendant vingt-quatre mois (jusqu’au procès), mais il a reconnu qu’il ne possède aucun renseignement sur l’utilisation que ferait Sears du slogan. En contre-interrogatoire, le professeur Moorthy a précisé que son opinion était fondée sur l’utilisation qu’en avait faite Sears avant le dépôt de son affidavit; cependant, il ne savait pas exactement en quoi avait consisté l’utilisation.

[109] Il ressort de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que l’utilisation que fera Sears de son slogan d’ici au procès entraînera la perte du caractère distinctif du slogan de Sleep Country/Dormez-vous? et en dépréciera la valeur. À l’aide du critère établi dans l’arrêt Veuve Clicquot, je souligne les points suivants: le slogan de Sleep Country/Dormez-vous? est utilisé depuis vingt-deux ans, est renommé et a donné lieu à l’achalandage de longue date de la marque; les deux slogans sont presque identiques; les deux slogans sont axés sur les mêmes biens et services; les deux détaillants font de la publicité de la même façon. Mme Schipani, pour le compte de Sears, et M. Friesen, pour le compte de Sleep Country/Dormez-vous?, ont tous deux déclaré que les slogans véhiculaient la même proposition de valeur, c’est-à-dire, tout ce dont vous avez besoin au meilleur prix.

[110] Le consommateur moyen établira vraisemblablement un lien mental entre l’utilisation du slogan de Sears et celle du slogan de Sleep Country/Dormez-vous? L’utilisation continue du slogan de Sears érodera le caractère distinctif du slogan de Sleep Country/Dormez-vous?. Par conséquent, l’utilisation du slogan de Sears aura vraisemblablement un effet sur l’achalandage établi par Sleep Country/Dormez-vous?, et le résultat probable de ce lien sera la diminution de la valeur de l’achalandage du slogan de marque de Sleep Country/Dormez-vous?

[111] Comme l’a souligné Sleep Country/Dormez-vous?, dans la décision Reckitt CF, au paragraphe 55, le juge Brown a conclu que dans un cas où une marque créant de la confusion entraîne la perte du caractère distinctif de la marque d’un demandeur, il est impossible de calculer monétairement la diminution de la valeur de l’achalandage et de la marque.

[112] Le juge Brown a déclaré ce qui suit au paragraphe 55 :

[55] À mon avis, lorsque l’emploi d’une marque créant de la confusion fera perdre son caractère distinctif à la marque des demanderesses, c’est‑à‑dire sa capacité d’agir comme un signe distinctif et unique des marchandises ou de l’entreprise des demanderesses, il sera impossible de calculer en argent le dommage causé à l’achalandage et à la valeur de la marque. Les tribunaux ont estimé qu’il y a perte du caractère distinctif d’une marque lorsque le contrefacteur se livre à une campagne de marketing nationale qui met l’accent de façon répétée sur la marque créant de la confusion à l’égard du public canadien. À mon avis, la preuve relative à la confusion et les conclusions que j’ai tirées au sujet de cette confusion sont claires et suffisantes pour conclure qu’une perte irréparable sera causée à l’achalandage et à la réputation du « nom » MEGARED si la conduite de Jamieson n’est pas interdite.

[113] Sears conteste l’établissement dans la décision Reckitt CF d’une proposition générale. Sears soutient que l’arrêt Centre Ice régit encore cette question, et qu’il est impossible de conclure que la confusion entraîne une perte de l’achalandage et un préjudice.

[114] Comme je l’ai conclu, Sleep Country/Dormez-vous? a établi la confusion et la perte du caractère distinctif, selon la prépondérance des probabilités. Sleep Country/Dormez-vous? ne se fonde pas sur des conclusions tirées à partir de la confusion, mais plutôt sur la preuve de la diminution de la valeur de l’achalandage et de la perte du caractère distinctif.

[115] La déclaration du juge Brown est claire : « […] lorsque l’emploi d’une marque créant de la confusion fera perdre son caractère distinctif à la marque des demanderesses [...] », le juge Brown ne laisse pas entendre que la confusion entraînera automatiquement la perte du caractère distinctif.

[116] Contrairement à ce que soutient Sears, il est conclu dans la décision Reckitt CF, à titre de proposition générale, que dans un cas où il y a perte du caractère distinctif, il n’est pas possible de calculer le préjudice causé à l’achalandage. Le juge Brown a conclu dans la décision Reckitt CF qu’il y avait perte du caractère distinctif par suite de l’utilisation de la marque contrefaite une campagne de marketing à l’échelle nationale, ce qui est comparable aux faits de la présente affaire.

[117] Je conviens qu’il n’est pas possible de quantifier le préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous? qui découlera de la perte du caractère distinctif de son slogan, ainsi que les répercussions consécutives sur son achalandage. Hormis l’invocation de la décision Reckitt CF, la preuve de Sleep Country/Dormez-vous? démontre l’impossibilité de quantifier le préjudice découlant de la perte du caractère distinctif. À titre d’exemple, M. Friesma a déclaré que Sleep Country/Dormez-vous? n’a jamais été en mesure de calculer les répercussions financières de son slogan sur la valeur de sa marque, ni de calculer les ventes directement attribuables au slogan ou à d’autres composantes de la campagne de marketing.

Il est impossible de quantifier les pertes de ventes

Jurisprudence

[118] Les parties ont toutes deux invoqué la jurisprudence dont ressortent les principes généraux concernant les injonctions interlocutoires, ainsi que la jurisprudence à l’appui, plus particulièrement, de leurs points de vue respectifs concernant le préjudice irréparable. L’ensemble de la jurisprudence applique les mêmes principes, ce qui démontre que l’établissement du préjudice irréparable consiste en une évaluation factuelle fondée sur la preuve produite.

[119] En bonne partie, la jurisprudence dans laquelle il a été conclu que le préjudice découlant de la violation est quantifiable, s’il est établi, concerne des produits contrefaits et la vente de ces produits. Cette situation diffère de celle de la présente affaire, dans laquelle le comportement illicite consiste en l’utilisation d’un slogan, qui s’entend au sens d’une « proposition de valeur » et n’est qu’un des éléments d’une stratégie de marketing à multiples facettes. Le professeur Wong a décrit le slogan comme étant une idée qui comporte des éléments subjectifs et qualitatifs.

[120] Sears prétend que la règle de droit a été clairement établie dans l’arrêt Centre Ice et n’a pas été modifiée par la décision Reckitt CAF, comme il a été confirmé dans l’arrêt Reckitt CF. Sears prétend aussi qu’en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Centre Ice, Sleep Country/Dormez-vous? n’a pas établi que le préjudice qu’elle pourrait subir n’est pas quantifiable, mais qu’elle crée simplement des problèmes et évoque la difficulté à quantifier, qui n’équivaut pas à une impossibilité.

[121] Dans l’arrêt Centre Ice, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une conclusion de confusion n’entraînait pas nécessairement une perte d’achalandage pour laquelle la demanderesse ne pouvait pas être indemnisée. Les inférences ne sont pas permissibles, et il doit y avoir une preuve de la perte d’achalandage et du préjudice irréparable. La Cour a conclu que selon le dossier dont elle était saisie, il n’existait aucune preuve de ce genre; il n’y avait qu’une déclaration du déposant non étayée par d’autres éléments de preuve, selon laquelle celui-ci était convaincu qu’un préjudice irréparable découlerait du rejet de l’injonction.

[122] La Cour a affirmé ce qui suit à la page 54 :

[traduction]

Dans le même ordre d’idées, j’estime que le juge des requêtes a commis une erreur dans le passage précité lorsqu’il s’est en fait fondé sur le fait que l’existence d’une confusion avait été établie pour inférer que l’intimée avait subi une perte d’achalandage pour laquelle elle ne pouvait être indemnisée par des dommages-intérêts. Cette façon d’envisager la question va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d’achalandage et qu’une perte d’achalandage n’établit pas, en soi, que quelqu’un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d’achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs » Or, il manque de toute évidence de tels « éléments de preuve clairs » dans le présent dossier.

[Souligné dans l’original.]

[123] Sears souligne la jurisprudence dans laquelle ont été appliqués les principes énoncés dans l’arrêt Centre Ice pour conclure qu’un préjudice irréparable n’avait pas été établi. À titre d’exemple, dans la décision A. Lassonde Inc. c Island Oasis Canada Inc. (2000), [2001] 2 CF 568, au paragraphe 17, 11 CPR (4th) 255 (CA), la Cour a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Centre Ice et a conclu qu’aucun élément de preuve n’étayait la déclaration de la déposante selon laquelle un préjudice découlerait de la contrefaçon alléguée. Dans la décision Sports Authority Inc. c Vineberg (1995), 61 CPR (3d) 155, aux paragraphes 156 et 157, 95 FTR 96 (CF 1re inst.), la Cour fédérale a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Centre Ice, en soulignant que de simples allégations ne suffisaient pas, et que la preuve de la confusion ne constituait pas la preuve d’un préjudice irréparable. Dans la décision Toronto.com c Sinclair (2000), [2000] ACF no 795 (QL), aux paragraphes 15 à 20, 6 CPR (4th) 487 (CF 1re inst.), la Cour a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Centre Ice et la jurisprudence subséquente, en soulignant ce qui suit : « le tribunal ne peut, à partir de la preuve de confusion, conclure à l’existence d’une perte d’achalandage ou de réputation », mais il faut produire des éléments de preuve concrets du préjudice irréparable.

[124] Les principes généraux ne sont pas en litige et ont été appliqués pour décider si Sleep Country/Dormez-vous? avait établi que le préjudice n’était pas quantifiable et constituait, par conséquent, un préjudice irréparable.

[125] Dans la décision Reckitt CF, la titulaire de la marque de commerce, la licenciée Reckitt, avait commencé à commercialiser son produit (les capsules d’huile de krill MEGARED) au Canada en décembre 2013 - janvier 2014. Jamieson avait déjà lancé son produit OMEGARED en juin 2013. Reckitt n’avait pas eu la possibilité de réaliser des ventes ou des profits avant l’entrée du produit OMEGARED de Jamieson sur le marché. Il s’agissait d’un facteur important de la conclusion selon laquelle les pertes de Reckitt attribuables au comportement illicite allégué n’étaient pas quantifiables.

[126] Dans la décision Reckitt CF, le juge Brown a examiné l’ensemble de la jurisprudence, notamment l’arrêt Centre Ice, puis il a décidé qu’en fonction de la preuve au dossier, il n’était pas possible de quantifier le préjudice pour Reckitt et que, par conséquent, le préjudice serait irréparable.

[127] Le juge Brown s’est référé au critère applicable à une injonction dans l’arrêt RJR-MacDonald, en soulignant ce qui suit au paragraphe 51 :

En d’autres termes, le requérant doit démontrer qu’il y « aura » ou « aurait » un préjudice (Centre Ice Ltd c Ligue nationale de hockey (1994), 53 CPR (3rd) 34, à la page 50 (CAF)). Acceptant cette définition et me référant aux précédents de notre Cour, j’estime que les demanderesses subiront un préjudice irréparable en l’espèce. Il sera difficile, voire impossible, de calculer les pertes des demanderesses si elles obtiennent gain de cause au procès.

[Non souligné dans l’original.]

[128] La Cour d’appel fédérale (Reckitt CAF) a confirmé la décision. Bien qu’elle ait souligné les faits particuliers, la Cour d’appel ne laisse pas entendre qu’il s’agit des seuls faits pouvant justifier la conclusion selon laquelle les pertes sont incalculables et irréparables.

[129] Au paragraphe 31, la Cour d’appel a souligné que le juge Brown avait appliqué le principe général :

[31] Quant à la thèse de Jamieson selon laquelle le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en tenant compte de la jurisprudence relative aux recours de nature préventive, ses motifs révèlent qu’il ne l’a invoquée qu’afin d’illustrer et de confirmer le principe général selon lequel lorsque les pertes sont impossibles à quantifier, elles puissent donner lieu à un préjudice irréparable (motifs, au paragraphe 53). À cet égard, Jamieson n’a pas démontré que le juge de la Cour fédérale avait eu tort de conclure que si Reckitt devait obtenir gain de cause dans l’action principale, ses pertes seraient impossibles à calculer, de sorte qu’elles constituaient un préjudice irréparable.

[130] La Cour d’appel a confirmé qu’il faut procéder à une évaluation au cas par cas; le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que Reckitt avait établi que ses pertes étaient incalculables et, par conséquent, irréparables.

[131] Dans la décision Aventis, la Cour a souligné, au paragraphe 61, que la difficulté à calculer le préjudice avec précision ne constitue pas un préjudice irréparable, à la condition qu’il soit possible de quantifier ce préjudice de façon raisonnable. Le juge Russell a conclu que les demanderesses avaient rendu la question « plus problématique », en soulignant ce qui suit au paragraphe 79 :

[79] Mais tout ce que les demanderesses peuvent démontrer, c’est que différentes variables, dont les résultats des essais cliniques, peuvent rendre plus problématique la question de la quantification. À mon avis, ceci ne prouve pas qu’une quantification raisonnable ne sera pas possible quand tous les facteurs seront connus et que les résultats seront publiés; or, Mme Loomer dit que cela le sera. L’incidence de ces questions de quantification demeure spéculative à ce stade et ne constitue pas une preuve claire et convaincante qu’un préjudice irréparable se produira si une injonction n’est pas accordée.

[132] Le juge Russell a examiné l’ensemble des obstacles soulevés par les demanderesses en ce qui avait trait à la quantification de leurs pertes, mais il a conclu que les demanderesses n’avaient produit aucune preuve non spéculative du fait que le préjudice n’était pas quantifiable. Le juge a souligné, au paragraphe 76, que la Cour ne pouvait que spéculer, parce qu’elle ne disposait que des affirmations des déposants « selon lesquelles la dynamique et les fluctuations du marché combinées avec les variables rendent la quantification impossible ».

[133] Le juge Russell a ajouté ce qui suit concernant les demanderesses, au paragraphe 113 : « Leurs prétentions quant au caractère irréparable d’un préjudice éventuel manquent de clarté, n’ont pas été étayées et demeurent spéculatives et théoriques ».

[134] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de Sears selon laquelle Sleep Country/Dormez-vous? ne fait que créer des problèmes ou des obstacles à la quantification de ses pertes de ventes ou de tout autre préjudice et qu’elle a rendu la question « problématique ». Les faits ne sont pas analogues à ceux de la décision Aventis. Selon les éléments de preuve, le modèle de M. Harington ne fournira pas un moyen « raisonnablement précis » pour évaluer le préjudice que peut subir Sleep Country/Dormez-vous? La confiance de M. Harington en sa capacité de quantifier le préjudice, puis d’en distinguer les éléments, est sapée par les problèmes liés à ses hypothèses, les nombreuses variables, les ajustements qu’il devra apporter et son utilisation de données actuelles ou futures qui peuvent exister ou non.

[135] Comme dans la décision Reckitt CF, il sera « difficile, voire impossible » de quantifier les pertes de ventes ou tout autre préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous? en fonction de la méthodologie proposée.

Éléments de preuve

[136] L’expert de Sears, M. Harington, déclare qu’il serait en mesure d’établir les ventes [traduction] « hypothétiques » de Sleep Country/Dormez-vous?, à partir de l’historique des ventes et en apportant des ajustements à l’égard des autres facteurs, et qu’il pourrait également [traduction] « distinguer » l’effet de l’utilisation du slogan de Sears sur les ventes de matelas de Sleep Country/Dormez-vous? et de Sears. M. Harington reconnaît qu’il ignore de quelles données il disposera afin de les appliquer à son modèle, et il reconnaît qu’il doit aussi isoler l’effet de l’utilisation du slogan de Sears sur les ventes de Sleep Country/Dormez-vous? de celui des autres éléments de marketing.

[137] Le professeur Moorthy défend la méthodologie décrite par M. Harington. Il souscrit à l’idée que les ventes résultent toujours de l’ensemble du marchéage, et que l’établissement des profits [traduction] « hypothétiques » n’exige pas d’isoler l’effet de l’affirmation descriptive sur les ventes. L’établissement des profits [traduction] « hypothétiques » repose sur l’historique des ventes. Le professeur Moorthy souligne que sur le marché des matelas, où les forces du marché qui influent sur la demande sont stables et prévisibles depuis longtemps, Sleep Country/Dormez-vous? peut prévoir les futures ventes.

[138] Même si M. Harington a confiance que l’utilisation de son modèle lui permettra de quantifier les pertes de ventes ou de profits, puis de distinguer l’effet de l’utilisation du slogan sur l’ensemble des pertes de ventes ou de profits, en se fondant sur des renseignements qui ne sont pas disponibles à l’heure actuelle, mais qui le seront au moment du procès, ses hypothèses ne sont pas claires, n’ont pas été énoncées dans son opinion et ne sont pas étayées par d’autres éléments de preuve.

[139] Sears prétend maintenant que M. Harington ne présume pas que Sears et Sleep Country/Dormez-vous? réagiront exactement de la même façon aux facteurs externes à l’échelle nationale ou provinciale, mais seulement que les magasins locaux réagiront de la même façon aux facteurs locaux. Cependant, même si les hypothèses [traduction] « de base » de M. Harington se fondent uniquement sur une comparaison des réactions respectives de Sleep Country/Dormez-vous? et de Sears dans les magasins à titre individuel, comme celui-ci l’a proposé pendant son contre-interrogatoire, il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de leur réaction analogue aux autres facteurs externes.

[140] Bien que M. Harington ait aussi reconnu que la première étape du processus – la quantification des pertes de ventes ou de profits – ne serait pas simple, mais qu’elle serait réalisable, cette reconnaissance repose également sur son hypothèse selon laquelle certaines données seront disponibles. Cependant, le déposant de Sleep Country/Dormez-vous?, M. Friesma, a déclaré que Sleep Country/Dormez-vous? ne conserve pas les données de l’historique des ventes ou des campagnes promotionnelles dans le cadre du déroulement normal de ses activités. M. Friesma a ajouté que l’évolution du marché avait déjà eu des répercussions et continuera d’en avoir, même s’il ne pouvait pas dire dans quelle mesure.

[141] M. Soriano a aussi souligné que Sears ne dispose même pas des données concernant ses ventes quotidiennes au cours des années précédant 2013. M. Soriano a en outre expliqué que par suite d’autres changements survenus sur le marché de détail des matelas, les données des ventes et les bilans financiers antérieurs ne sont pas fiables lorsqu’il s’agit de prévoir le rendement financier [traduction] « hypothétique » de Sleep Country/Dormez-vous?

[142] M. Soriano s’est montré critique à l’égard de la méthodologie « hypothétique » proposée par M. Harington pour établir les pertes de profits ou de ventes, et ce, pour les raisons suivantes : M. Harington n’explique pas les ajustements qu’il aurait à apporter à son modèle; il n’explique pas ce qu’il estime être une [traduction] « campagne promotionnelle caractéristique de Sears »; la nature et l’efficacité des campagnes de Sleep Country/Dormez-vous? varient au fil du temps, et il est probable qu’il en aille de même pour Sears; M. Harington présume que l’avantage découlant de l’utilisation du slogan de Sleep Country/Dormez-vous? ne se fait sentir que pendant les campagnes de marketing, plutôt qu’à l’occasion d’autres utilisations constantes; il présume que la présente campagne de Sears aura le même effet sur les activités et les ventes de Sleep Country/Dormez-vous?, en l’absence de fondement permettant de conclure que l’effet sera le même.

[143] M. Kincaid a également souligné que le mélange de stratégies est une technique que les détaillants utilisent parce qu’ils ignorent lesquelles auront un effet. Cela étaye le point de vue selon lequel il n’est pas possible d’isoler l’effet du slogan de celui des autres stratégies.

[144] Même si Sears conteste l’opinion de M. Soriano en soutenant que celui-ci ne déclare pas catégoriquement qu’il est impossible de quantifier le préjudice, mais affirme qu’il ne peut pas être quantifié [traduction] « avec précision », il ressort de l’ensemble du contre-interrogatoire de M. Soriano que celui-ci a compris l’approche en deux étapes de l’évaluation quantitative du préjudice proposée par M. Harrington. En ce qui concerne le [traduction] « monde hypothétique », M. Soriano a expliqué que l’exercice consistant à l’établir exige d’exprimer en dollars financiers l’effet d’un aspect qualitatif du marchéage de huit concurrents possibles, sur un marché qui s’étend des magasins à rayons aux magasins spécialisés et à Internet. M. Soriano a aussi souligné qu’il serait nécessaire d’apporter des ajustements pour [traduction] « en arriver à déterminer à quoi aurait ressemblé le monde si Sears n’avait pas utilisé son slogan, et cela, après l’utilisation de ce slogan ». M. Soriano a ajouté qu’il faudrait établir des estimations et [traduction] « une myriade d’hypothèses », et qu’on obtiendrait une fourchette de possibilités quant au monde hypothétique. Il a souligné que la fourchette de possibilités comporterait une marge d’erreur de plus ou moins 15 % et ferait l’objet d’une comparaison à la situation concrète afin d’évaluer l’effet.

[145] Pendant son contre-interrogatoire, M. Soriano a réitéré qu’il n’est pas possible d’isoler ou d’extraire les répercussions financières du slogan. Il a expliqué qu’il s’agit d’un effet qualitatif et subjectif, qui ne se prête pas à une analyse financière quantitative.

[146] En dernier ressort, M. Soriano a déclaré ce qui suit : [traduction] « il n’est pas possible de le quantifier avec précision sur le plan financier. Tout le monde peut estimer ou conjecturer, quoiqu’il ne s’agirait pas vraiment d’autre chose ». Il ajoute : « [l]a grande différence, ici, c’est que nous évaluons une idée qui relève du sentiment pour le client, plutôt qu’une chose qui, en soi, influe directement sur les ventes ».

[147] M. Soriano a maintenu catégoriquement qu’il n’était pas possible de quantifier le préjudice. Selon son témoignage, il serait difficile d’estimer le préjudice global, et une fourchette comportant une marge d’erreur de plus ou moins 15 % s’avèrerait possible. Cependant, M. Soriano a souligné que les données historiques n’étaient pas un indice fiable, et que les déposants de Sleep Country/Dormez-vous? avaient signalé que les données que M. Harrington avait proposé d’utiliser n’existent pas. La « distinction » ne serait rien de plus qu’une conjecture.

[148] Le commentaire de M. Soriano selon lequel il ne s’agirait que d’une conjecture faisait renvoi à l’isolement des répercussions d’un élément du préjudice dans son ensemble. Cependant, M. Soriano a aussi souligné les nombreuses difficultés à estimer l’ensemble du préjudice, notamment la non-fiabilité des données historiques d’un marché en évolution.

[149] De plus, l’approche axée sur [traduction] « les différences dans les différences » que propose M. Harington pour établir la ventilation ou « distinction » nécessaire, suppose qu’il sera possible de comparer les ventes ou les profits au cours des périodes d’utilisation ou de non-utilisation du slogan de Sears. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que Sears cesse d’utiliser son slogan, et le dossier laisse penser que depuis juillet 2016, elle a continué à l’utiliser, mais pendant quelques semaines.

[150] En ce qui concerne l’argument de Sears selon lequel Sleep Country/Dormez-vous? ne peut pas simplement invoquer qu’il peut être impossible de distinguer le préjudice attribuable au comportement illicite dans l’ensemble des pertes de ventes, ou de comptabiliser les profits de Sears, parce que si cela s’avérait impossible, Sears paierait simplement le montant de dommages-intérêts le plus élevé (c’est-à-dire, le scénario « hypothétique »), la preuve concernant l’évaluation quantitative « hypothétique » frise également l’impossible et, comme je l’ai déjà souligné, repose sur des hypothèses erronées et non étayées.

[151] La présente requête a mis en lumière la distinction parfois subtile entre le possible, l’impossible et le « non-impossible ». Bien que l’évaluation quantitative du préjudice global puisse s’avérer « possible » en dernier ressort, si toutes les hypothèses se révèlent exactes et que toutes les données nécessaires dont M. Harington prévoit la disponibilité sont effectivement disponibles, quel est le niveau de difficulté et d’estimation acceptable? Suffit-il à la présumée contrefactrice de nier l’impossibilité de « distinguer » l’effet du comportement illicite en partant du principe qu’elle serait responsable du préjudice global? Dans l’affirmative, il serait presque impossible d’obtenir une injonction et la protection de la marque de commerce serait perdue, au moins jusqu’au procès.

[152] Il faut trancher entre la décision selon laquelle il est possible de quantifier le préjudice que subira Sleep Country/Dormez-vous? par suite de l’utilisation du slogan présumé contrefait de Sears, malgré les hypothèses qui seront présentées et l’incertitude entourant la disponibilité des données nécessaires au moment du procès, auxquelles s’ajoute la tâche consistant, à ce moment-là, à isoler l’effet du slogan présumé contrefait de Sears sur les ventes ou les profits des autres changements apportés par Sears et des facteurs externes liés au marché, et la décision selon laquelle il est impossible, ou difficile voire impossible, de quantifier le préjudice.

[153] Comme l’a souligné le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans la décision Eli Lilly and Co c Novopharm Ltd (1996), 111 FTR 1, aux paragraphes 9, 34 et 35 (CF 1re inst.) (infirmée pour d’autres motifs dans (1996), 205 NR 251 (CAF)) : « Je ne crois pas que l’on puisse pousser la nécessité de satisfaire au critère de la preuve claire et non hypothétique au-delà de limites raisonnables ».

[154] Le point de vue de Sears selon lequel ce n’est pas impossible semble signifier qu’aucun expert ne peut affirmer avec une certitude absolue qu’il ne sera pas impossible de quantifier le préjudice pour Sleep Country/Dormez-vous? au moment du procès, et que, par conséquent, le préjudice est quantifiable et non irréparable. Sears soutient que le simple fait de soulever des obstacles à l’évaluation quantitative du préjudice ne suffit pas, puisqu’en conséquence, les injonctions seraient facilement accordées.

[155] Cependant, si nous éliminons tous les obstacles pour en arriver uniquement à un éventail d’estimations du préjudice global et à des conjectures sur l’évaluation quantitative du préjudice attribuable au comportement illicite présumé (la distinction), en disant que cela n’est « pas impossible », et que, par conséquent, il ne s’agit pas d’un préjudice irréparable, il devient alors presque impossible d’obtenir une injonction afin de protéger une marque de commerce en attendant qu’il soit statué sur l’action. À un moment donné, les obstacles constituent une impossibilité, comme le démontre la preuve en l’espèce.

[156] Ayant tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier, j’estime que l’application de la méthodologie de M. Harington aux circonstances de l’espèce sera difficile à tel point qu’il s’avèrera impossible de quantifier les pertes pour Sleep Country/Dormez-vous? De plus, l’hypothèse de base de M. Harington voulant que Sleep Country/Dormez-vous? et Sears réagissent de la même façon face à l’évolution du marché – que cette hypothèse s’applique aux magasins à titre individuel ou à l’échelle provinciale ou nationale – n’est pas corroborée par la preuve. En outre, les hypothèses de base de M. Harington n’ont pas été énoncées dans son opinion, comme l’exige le Code de déontologie régissant les témoins experts.

[157] Je partage aussi la préoccupation de Sleep Country/Dormez-vous? selon laquelle il est trop conjectural d’invoquer la restitution des bénéfices, étant donné que Sears peut réaliser ou non des profits par suite de la mise en œuvre de sa nouvelle stratégie de marketing ou d’autres facteurs, sans compter la difficulté d’attribuer ensuite ces profits à l’utilisation de son slogan.

VII. La prépondérance des inconvénients favorise Sleep Country/Dormez-vous?

[158] La Cour suprême du Canada a souligné dans l’arrêt RJR-MacDonald, aux pages 342 à 347, que lorsqu’il s’agit d’évaluer la prépondérance des inconvénients, il faut tenir compte de nombreux facteurs qui varient d’une affaire à l’autre :

62 Dans l’arrêt Metropolitan Stores, le juge Beetz décrit, à la p. 129, le troisième critère applicable à une demande de redressement interlocutoire comme un critère qui consiste «à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond». Compte tenu des exigences minimales relativement peu élevées du premier critère et des difficultés d’application du critère du préjudice irréparable dans des cas relevant de la Charte, c’est à ce stade que seront décidées de nombreuses procédures interlocutoires.

63 Il y a de nombreux facteurs à examiner dans l’appréciation de la “prépondérance des inconvénients” et ils varient d’un cas à l’autre. Dans l’arrêt American Cyanamid, lord Diplock fait la mise en garde suivante (à la p. 408) :

[traduction] [i]l serait peu sage de tenter ne serait-ce que d’énumérer tous les éléments variés qui pourraient demander à être pris en considération au moment du choix de la décision la plus convenable, encore moins de proposer le poids relatif à accorder à chacun de ces éléments. En la matière, chaque cas est un cas d’espèce.

Il ajoute, à la p. 409: [traduction] «Il peut y avoir beaucoup d’autres éléments particuliers dont il faut tenir compte dans les circonstances particulières d’un cas déterminé.»

[159] Sleep Country/Dormez-vous? fait valoir qu’elle détient le droit exclusif d’utiliser sa marque de commerce. Elle prétend que Sears n’a pas démontré qu’elle sera incommodée s’il lui est interdit d’utiliser son slogan, puisqu’elle n’a commencé à l’utiliser que récemment et ne subira aucun préjudice si elle revient aux moyens antérieurs au slogan. Quoique pleinement consciente du slogan de marque de longue date de Sleep Country/Dormez-vous?, et à l’encontre de la lettre de mise en demeure, Sears a continué à utiliser le slogan.

[160] Sears soutient qu’elle subira le plus grand préjudice si l’injonction est accordée. Elle prétend que s’il lui est interdit d’utiliser son slogan et qu’en dernier ressort elle gagne son procès, c’est-à-dire, s’il est conclu qu’il n’y a pas eu violation, il lui sera alors difficile, mais pas impossible, de quantifier le préjudice qu’elle aura subi en conséquence. Même si les profits de Sears au cours de cette période seront connus, il n’y aura guère de renseignements permettant d’estimer l’avantage supplémentaire attribuable à l’affirmation descriptive.

[161] Entre autres considérations, l’intérêt public lié à la protection des marques de commerce est pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer la prépondérance des inconvénients. J’estime que la prépondérance des inconvénients favorise Sleep Country/Dormez-vous?, qui utilise son slogan de marque depuis vingt-deux ans. Interdire à Sears d’utiliser un slogan très similaire ne devrait pas lui causer de préjudice si, comme celle-ci le maintient, son slogan n’est que le résultat des autres changements qu’elle a apportés. De plus, il ne devrait pas être difficile pour Sears de revenir à l’approche antérieure à son slogan, étant donné que sa campagne publicitaire n’a été lancée qu’il y a six mois.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La défenderesse, Sears Canada Inc., ainsi que ses dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, entreprises apparentées, de même que toute autre personne sur laquelle elle exerce un contrôle, ne peuvent employer de quelque façon que ce soit l’expression « IL N’Y A AUCUNE RAISON D’ACHETER UN MATELAS AILLEURS » ou toute autre expression ou marque similaire au point de créer de la confusion avec l’expression « POURQUOI ACHETER UN MATELAS AILLEURS? », notamment comme nom commercial ou marque de commerce, en liaison avec son entreprise, ses marchandises ou ses produits jusqu’à ce que la Cour rende une décision définitive dans la présente instance.
  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour d’août 2020

Lionbridge


ANNEXE A

La preuve des déposants

Pour Sleep Country/Dormez-vous?

David Friesma

  1. M. Friesma décrit, notamment, l’historique de SleepCountry/Dormez-vous?, l’utilisation de son slogan depuis 1994, les marques de commerce détenues en ce qui concerne le slogan et la découverte, par SleepCountry/Dormez-vous?, de l’utilisation contrefaite alléguée de son slogan par Sears, en juillet 2016.
  2. Dans son deuxième affidavit, M. Friesma éclaircit les présumées déclarations erronées qui figurent dans l’affidavit de la déposante de Sears, Mme Schipani, notamment au sujet des origines de SleepCountry/Dormez-vous? au Canada et de ses liens avec SleepCountry USA, et il souligne que SleepCountry Canada est une entité distincte.
  3. M. Friesma formule des commentaires concernant l’affidavit de M. Harington; il y souligne que SleepCountry/Dormez-vous? n’a jamais été en mesure d’évaluer le rendement de son capital investi dans la publicité [traduction] « avec exactitude ». M. Friesma conteste l’hypothèse de M. Harington, à savoir que des données historiques concernant les campagnes promotionnelles et les ventes de matelas de Sears sont disponibles, ou que SleepCountry/Dormez-vous? conserve ces données dans le cadre du déroulement normal de ses activités.
  4. M. Friesma décrit aussi l’évolution en cours sur le marché de détail des matelas, y compris les nouveaux participants au marché de détail en ligne, l’expansion de Léon, les changements apportés par La Baie afin de vendre des matelas dans son rayon des articles de maison, ainsi que les propres changements de Sears.
  5. En contre-interrogatoire, M. Friesma a indiqué que les nouveaux participants au marché ont déjà donné lieu à une évolution et qu’il croit que cela se poursuivra. Il n’était pas en mesure de dire quelle en serait l’importance. En ce qui concerne la nouvelle campagne de marketing et l’expansion de Léon, M. Kincaid était en désaccord avec la proposition de Sears selon laquelle cela n’entraînerait pas de changement important dans l’industrie du matelas, tout en soulignant que Léon effectue un bon travail de marketing.

David Kincaid

  1. M. Kincaid souligne son expérience de plus de trente-cinq ans dans l’industrie du marketing, notamment dans les domaines de l’évaluation de marques et de la gestion. Il a présenté une opinion quant à savoir si le slogan de Sears causerait de la confusion sur le marché, si le slogan de Sears entraînerait la perte du caractère distinctif du slogan de SleepCountry/Dormez-vous? et, dans l’affirmative, si SleepCountry/Dormez-vous? subirait un préjudice et s’il était possible de quantifier ce préjudice d’un point de vue pécuniaire.
  2. M. Kincaid déclare que le slogan de Sears causera de la confusion sur le marché de détail des matelas. Il souligne que le haut niveau de sensibilisation au slogan de SleepCountry/Dormez-vous? et la nature emblématique de ce slogan sur une longue période est la preuve de sa réussite. M. Kincaid souligne aussi que le slogan de Sears est pratiquement identique et qu’il transmet le même message aux mêmes consommateurs. Il explique que si les deux marques les plus importantes sur le marché utilisent un slogan pratiquement identique pour honorer une promesse de marque fondée sur [traduction] « des éléments probants pratiquement identiques », la question de savoir lequel des détaillants tient la promesse de la marque est moins claire pour les consommateurs, ce qui affaiblit l’attribution à la marque.
  3. M. Kincaid déclare aussi que le slogan de Sears entraînera la perte du caractère distinctif du slogan de SleepCountry/Dormez-vous? Il explique qu’il y a perte du caractère distinctif lorsque la capacité de communiquer le message de sa marque au moyen d’un slogan est réduite pour un détaillant parce que le slogan n’est plus exclusif. M. Kincaid ajoute que l’utilisation du slogan de Sears érodera le caractère distinctif du slogan de SleepCountry/Dormez-vous? Une fois que le caractère distinctif est perdu, il est [traduction] « pratiquement impossible » de le récupérer.
  4. En ce qui concerne la perte de ventes attribuable à l’utilisation du slogan de Sears, M. Kincaid explique le [traduction] « processus d’achat », un concept de marketing. Ce processus débute par la sensibilisation, ou la connaissance du fait que la marque existe, pour passer ensuite à la familiarité, puis à la prise en considération, à l’achat et à la loyauté. La confusion et la perte du caractère distinctif éroderont la familiarité, ce qui aura un effet sur la possibilité que le consommateur retienne SleepCountry/Dormez-vous? comme premier choix pour l’achat d’un matelas.
  5. M. Kincaid déclare que la perte de ventes et de parts du marché que subira SleepCountry/Dormez-vous? par suite de l’utilisation du slogan de Sears ne peut pas être quantifiée. Il explique en quoi consiste le [traduction] « marchéage », comme l’a fait le professeur Wong. M. Kincaid souligne qu’un slogan est un élément du mélange, et qu’un spécialiste du marketing ou un expert en dommages-intérêts ne peut pas estimer [traduction] « avec précision » quel pourcentage des ventes est touché par un seul élément du mélange. M. Kincaid conteste l’allégation de M. Harington selon laquelle il pourra utiliser les données historiques sur le marketing et les ventes pour calculer la perte de ventes, parce qu’il n’est pas possible d’isoler un seul élément du marchéage. M. Kincaid souligne que les détaillants utilisent une combinaison de stratégies pour cette raison – parce qu’ils ignorent quels éléments auront un effet sur le consommateur.
  6. M. Kincaid souligne que d’après sa longue expérience de l’évaluation des marques, l’une des plus grandes difficultés est de s’efforcer d’établir le rendement du capital investi dans le marketing.
  7. M. Kincaid ajoute que les experts de Sears ont expliqué que la société avait apporté plusieurs changements au même moment, ce qui rend impossible le calcul de l’effet d’un seul élément sur la variation des ventes.
  8. M. Kincaid souligne également les facteurs qui entrent en jeu sur le marché du matelas dans son ensemble. Il affirme que les ventes de SleepCountry/Dormez-vous? sont touchées par les propres activités de marketing de l’entreprise, ainsi que par celles de ses concurrents et concurrents émergents.
  9. M. Kincaid a été contre-interrogé en profondeur sur son opinion selon laquelle les consommateurs qui entendent le slogan ou le thème musical de SleepCountry/Dormez-vous? pourraient être déroutés et penser à Sears, même si le slogan s’accompagne du nom de la marque : « SleepCountry/Dormez-vous? ». M. Kincaid n’a rien changé à son opinion selon laquelle les slogans pourraient créer de la confusion.
  10. En ce qui concerne son opinion sur la perte du caractère distinctif, M. Kincaid a convenu que la portée de l’utilisation du slogan contrefait de Sears constituerait une [traduction] « influence », tout en ajoutant qu’il lui faudrait comprendre les [TRADUCTION] « évaluations quantitatives » d’un faible degré d’utilisation.

Le professeur Wong

  1. Le professeur Wong est professeur émérite de marketing à la Stephen JR Smith School of Business de l’Université Queen’s. Dans son premier affidavit, il se penche sur les questions suivantes : l’achalandage attaché au slogan de SleepCountry/Dormez-vous?; la possibilité de confusion avec le slogan de Sears; l’effet qu’aura l’utilisation du slogan de Sears sur l’achalandage; la question de savoir si SleepCountry/Dormez-vous? subira un préjudice et la nature de ce préjudice.
  2. Dans ses opinions concernant le slogan et les schèmes de comportement du consommateur, le professeur Wong se reporte à une étude de marketing qu’a menée SleepCountry/Dormez-vous? en 2013 (qui a été versée comme pièce à l’affidavit de David Friesma). À titre d’exemple, il souligne que 30 % des répondants se souvenaient spontanément du thème musical du slogan. Le professeur Wong souligne que la puissance du slogan repose sur sa mémorabilité et sa simplicité. Il souligne aussi que le slogan incite intuitivement les consommateurs à aller chez SleepCountry/Dormez-vous? en premier. Il était conclu dans l’étude qu’un plus grand nombre de consommateurs avaient signalé que SleepCountry/Dormez-vous? venait [traduction] « spontanément à l’esprit » et était le premier magasin où ils se rendaient lors de l’achat d’un matelas. Le professeur Wong souligne que SleepCountry/Dormez-vous? a un taux plus élevé de conversion de la sensibilisation en ventes.
  3. Pour ce qui est de la possibilité de confusion, le professeur Wong déclare que les consommateurs risqueront de croire que l’utilisation du slogan par Sears dans sa publicité tire son origine de SleepCountry/Dormez-vous? Les consommateurs associeront le slogan de Sears qu’ils entendront et celui qu’ils [traduction] « ont appris », c’est-à-dire, celui de SleepCountry/Dormez-vous? Les consommateurs risqueront aussi de croire qu’il existe un lien entre Sears et SleepCountry/Dormez-vous? M. Wong déclare que si les consommateurs croient que SleepCountry/Dormez-vous? autorise Sears à utiliser son slogan, ils risqueront de croire qu’ils peuvent acheter un matelas chez SleepCountry/Dormez-vous? tout en recevant des services chez Sears. Cela saperait l’avantage de SleepCountry/Dormez-vous? de venir spontanément à l’esprit et, par ricochet, entraînerait des pertes de ventes et de parts du marché.
  4. Le professeur Wong souligne le caractère distinctif du slogan de SleepCountry/Dormez-vous?, malgré sa simplicité. Il déclare que si Sears continue à utiliser son slogan, le slogan de SleepCountry/Dormez-vous? perdra son caractère distinctif, parce que les consommateurs ne distingueront pas les biens et services des deux détaillants. Le professeur Wong décrit le phénomène de [traduction] « généralisation du stimulus », en soulignant qu’un slogan vise à déclencher une réaction, à orienter le consommateur vers les biens et services de l’entreprise et à transmettre le message de la marque. Si un concurrent adopte le slogan, les consommateurs auront de la difficulté à associer celui-ci à un seul fournisseur. Si le slogan de SleepCountry/Dormez-vous? peut s’appliquer à elle ou à Sears dans l’esprit du consommateur, à ce moment-là il ne sert plus son objectif et n’a aucune valeur. Le professeur Wong déclare que la marque et la valeur que SleepCountry/Dormez-vous? a investies dans son slogan seront [traduction] « irrévocablement perdues ». Il souligne que le slogan de SleepCountry/Dormez-vous? constitue son plus grand avantage sur le marché.
  5. Le professeur Wong est d’avis que le préjudice pour SleepCountry/Dormez-vous? qui découle de cette perte du caractère distinctif n’est pas quantifiable et qu’il serait presque impossible de corriger la situation. Il ne pourrait pas être remédié à la perte du caractère distinctif.
  6. Dans son deuxième affidavit, le professeur Wong commente l’affidavit de M. Harington, en soulignant, entre autres, que la méthodologie de M. Harington repose sur une mauvaise compréhension du comportement du consommateur, du fonctionnement du marketing et de l’effet du marketing sur les ventes.
  7. Le professeur Wong déclare que l’allégation de M. Harington selon laquelle il peut associer un élément du marchéage de Sears – c’est-à-dire, le slogan – à des gains ou à des pertes de ventes en particulier, n’est pas possible. Il souligne que M. Harington n’explique pas le moyen d’y parvenir. Le professeur Wong explique que le marketing ne se limite pas à une seule activité, mais qu’il s’agit d’un processus continu de [traduction] « décisions en cascade que les commercialistes appellent le “marchéage” ». Le professeur Wong souligne les quatre « P » parmi les activités de marketing – produit, prix, promotion et place –, tout en soulignant que chacune de ces activités comporte aussi de multiples facettes.
  8. Le professeur Wong souligne que la stratégie adoptée par Sears de juin à octobre 2016, qui englobait des comparaisons de prix, de nouvelles descriptions de ses produits et des garanties, démontre que des changements ont été apportés au marchéage dans l’ensemble des quatre « P ». Le professeur Wong déclare que [traduction] « pour évaluer les effets d’un seul élément, il faudrait pouvoir isoler tous les autres éléments, ainsi que l’ensemble des éléments du marchéage employé par chacun des concurrents sur le marché, et les considérer comme constants ». Le professeur Wong déclare que [traduction] « le contrôle de tous les facteurs nécessaires au moyen de données historiques est une tâche impossible ».
  9. Le professeur Wong réitère que si Sears continue à utiliser son slogan, SleepCountry/Dormez-vous? perdra des ventes et de l’achalandage et subira aussi une perte de caractère distinctif sur le marché canadien. Il explique qu’il ne s’agit pas d’un préjudice hypothétique, qu’il se fonde plutôt sur des principes de marketing fondamentaux et sur des recherches fondamentales en matière d’économétrie du marketing, de comportement du consommateur et de théorie de l’apprentissage.
  10. Le professeur Wong souligne que la méthodologie proposée par M. Harington pour calculer les pertes de ventes ne tient pas compte de la réalité de la prise de décision du consommateur, des complexités du marketing à multiples facettes et de l’absence de données nécessaires. Il conclut que la valeur des pertes de ventes, de la perte d’achalandage et de la perte du caractère distinctif pour SleepCountry/Dormez-vous? est incalculable, dans l’immédiat ou au procès.
  11. En contre-interrogatoire, le professeur Wong a reconnu qu’il n’avait aucune preuve d’une réelle confusion pour un consommateur, comme un sondage. Il a ajouté qu’il n’aurait pas été possible de mener un sondage rigoureux sur le plan méthodologique au cours de la période dont il disposait, et qu’il croyait que c’était inutile.
  12. Pour ce qui est des opinions du professeur Wong concernant le comportement du consommateur et son explication de la [traduction] « généralisation du stimulus », le professeur Wong a expliqué en contre-interrogatoire que plusieurs facteurs influent sur le comportement du consommateur et l’aspect de la [traduction] « conversion ». Il a expliqué qu’il est difficile d’isoler la cause et l’effet des facteurs. À titre d’exemple, les articles vedettes et services offerts, les paramètres de la vente, le vendeur, le fait que le magasin soit le premier, le deuxième ou le troisième établissement visité et la prédisposition du consommateur à acheter ou non avant d’entrer dans le magasin exercent tous une influence sur le comportement. Le professeur Wong a souligné ce qui suit : [traduction] « [l]es consommateurs n’agissent pas tous exactement de la même manière, ce qui fait partie de la complexité à laquelle nous faisons face dans le domaine du marketing ».

Errol Soriano

  1. M. Soriano est comptable professionnel agréé, expert en évaluation d’entreprise et examinateur de fraude certifié. Il se concentre sur l’évaluation quantitative des pertes financières et l’évaluation des intérêts de l’entreprise depuis 1991. M. Soriano est d’avis qu’il n’est pas possible d’isoler et de quantifier le préjudice financier pour SleepCountry/Dormez-vous? par suite de l’utilisation du slogan de Sears, au moyen d’une analyse financière. M. Soriano déclare qu’il n’existe aucune analyse financière crédible qu’un expert en dommages-intérêts pourrait effectuer pour [traduction] « distinguer » l’effet du slogan de Sears de celui des autres aspects de son marchéage.
  2. M. Soriano explique que la nouvelle stratégie de marketing de Sears comprend plusieurs éléments qui contribuent tous à l’évolution de la position de Sears et d’autres entreprises sur le marché. Par conséquent, les bilans financiers antérieurs et les données sur les ventes ne permettent pas de prédire de manière fiable le rendement financier [traduction] « hypothétique » de SleepCountry/Dormez-vous? En raison, aussi, d’autres changements survenus sur le marché de détail des matelas, les bilans financiers antérieurs et les données sur les ventes ne permettent pas de prédire de manière fiable le rendement financier [traduction] « hypothétique » de SleepCountry/Dormez-vous?
  3. M. Soriano déclare que l’hypothèse de M. Harington selon laquelle il existe des dossiers comptables est inexacte, et souligne les déclarations de M. Friesma. M. Soriano souligne aussi que Sears ne connaît pas ses propres ventes quotidiennes qu’elle a effectuées au cours des années antérieures à 2013.
  4. M. Soriano est critique à l’égard de la méthodologie [traduction] « hypothétique » proposée par M. Harington pour établir les pertes de profits ou de ventes, notamment pour les motifs suivants : M. Harington n’explique pas les ajustements qu’il aurait à apporter à son modèle; il n’explique pas ce qu’il estime être une [traduction] « campagne promotionnelle caractéristique de Sears »; la nature et l’efficacité des campagnes de SleepCountry/Dormez-vous? varient au fil du temps, et il est probable qu’il en aille de même pour Sears; M. Harington présume que l’avantage découlant de l’utilisation du slogan de SleepCountry/Dormez-vous? ne se fait sentir que pendant les campagnes de marketing, plutôt qu’à l’occasion d’autres utilisations constantes; il présume que la présente campagne de Sears aura le même effet sur les activités et les ventes de SleepCountry/Dormez-vous?, en l’absence de fondement permettant de conclure que l’effet sera le même.
  5. M. Soriano souligne qu’il aurait fallu disposer de données ou de renseignements supplémentaires pour effectuer l’analyse du rendement financier [traduction] « hypothétique », par exemple, pour déterminer l’effet global du nouveau marchéage de Sears séparément de la rentabilité de l’industrie et de celle de SleepCountry/Dormez-vous?, puis distinguer l’effet du slogan.
  6. En contre-interrogatoire, M. Soriano a abordé la question du [traduction] « monde hypothétique » qui est soulignée dans l’affidavit de M. Harington. M. Soriano a expliqué que l’exercice consistant à établir ce monde hypothétique exige d’exprimer en dollars financiers l’effet d’un aspect qualitatif du marchéage de huit concurrents possibles, sur un marché qui s’étend des grands magasins aux magasins spécialisés et à Internet. M. Soriano a aussi souligné qu’il serait nécessaire d’apporter des ajustements pour [traduction] « en arriver à déterminer à quoi aurait ressemblé la situation globale si Sears n’avait pas utilisé son slogan, et cela, après l’utilisation de ce slogan ». M. Soriano a ajouté qu’il faudrait établir des estimations et [traduction] « une myriade d’hypothèses », et qu’on obtiendrait une fourchette de possibilités quant au monde hypothétique. Il a souligné que la fourchette de possibilités comporterait une marge d’erreur de plus ou moins 15 % et ferait l’objet d’une comparaison à la situation concrète.
  7. Pendant son contre-interrogatoire, M. Soriano a réitéré qu’il n’est pas possible d’isoler ou d’extraire les répercussions financières du slogan. Il a expliqué qu’il s’agit d’un effet qualitatif et subjectif, qui ne se prête pas à une analyse financière quantitative.
  8. En dernier ressort, M. Soriano a déclaré ce qui suit : [traduction] « il n’est pas possible de le quantifier avec précision sur le plan financier. Tout le monde peut estimer ou conjecturer, quoiqu’il ne s’agirait pas vraiment d’autre chose ». Il ajoute : « [l]a grande différence, ici, c’est que nous évaluons une idée qui relève du sentiment pour le client, plutôt qu’une chose qui, en soi, influe directement sur les ventes ».

Les experts de Sears

Melissa Schipani

  1. Mme Schipani est manageuse de produits au rayon des matelas chez Sears. Elle présente, entre autres, les activités et la réputation de Sears, l’industrie du matelas au Canada, la présence de Sears dans l’industrie du matelas, notamment les avantages qu’elle procure à ses clients, ainsi que la nouvelle stratégie de marketing lancée en juin 2016. Mme Schipani décrit les changements apportés pour communiquer la proposition de valeur selon laquelle Sears a tout ce dont vous avez besoin au meilleur prix. Elle déclare que Sears [traduction] « a élaboré de manière dynamique diverses expressions de cette proposition, notamment qu’il n’y a aucune raison d’acheter un matelas ailleurs ».
  2. Dans son deuxième affidavit, Mme Schipani a joint comme pièces les circulaires distribuées par Sears en octobre et novembre, dont certains faisaient usage du slogan et d’autres non.

Andrew Harington

  1. M. Harington est comptable professionnel agréé, analyste financier agréé et expert en évaluation d’entreprise. Il possède une vaste expérience de l’évaluation des entreprises et de la propriété intellectuelle, ainsi que de l’évaluation quantitative des dommages-intérêts. Les affidavits de M. Harington traitent de la méthodologie qui peut être utilisée pour quantifier les pertes de SleepCountry/Dormez-vous? découlant du comportement présumé de Sears suivant deux scénarios, selon que l’injonction sera accordée ou refusée.
  2. M. Harington présente une opinion détaillée et un résumé. Il déclare qu’il existe des méthodologies permettant de quantifier facilement et de manière fiable les pertes occasionnées par le refus de la Cour d’accorder une injonction (c’est-à-dire, la décision autorisant Sears à continuer d’utiliser son slogan). M. Harington déclare qu’il est possible d’estimer les pertes pour SleepCountry/Dormez-vous? en se fondant sur les profits additionnels qu’elle aurait réalisés n’eût été de l’utilisation du slogan de Sears par celle-ci.
  3. M. Harington déclare que l’évaluation quantitative du préjudice en l’espèce respecterait les principes généralement reconnus, afin de déterminer quelle aurait été la situation économique de la demanderesse si le fait allégué ne s’était pas produit. M. Harington explique les principes énoncés à la figure 3, qui illustre les profits réalisés concrètement avant le fait allégué, le moment où le fait allégué s’est produit et la divergence entre les profits indiqués aux deux lignes (le [traduction] « monde hypothétique » et le monde concret) jusqu’à l’octroi d’une injonction permanente. M. Harington explique que le préjudice consisterait en la différence entre les profits que la demanderesse « aurait pu réaliser » et les profits moins élevés qu’elle aurait réalisés concrètement.
  4. M. Harington souligne qu’on utilise les revenus historiques pour effectuer cette analyse, et qu’on les extrapole en tenant compte des ajustements nécessaires. Il déclare qu’il existe un historique élaboré des ventes et des activités de marketing de Sears et de SleepCountry/Dormez-vous? M. Harington souligne les facteurs qui pourraient influer sur la fiabilité de la prévision des données à la ligne du diagramme indiquant les profits [TRADUCTION] « hypothétiques », et il ajoute que ces facteurs sont comparables à ceux qui influent sur l’évaluation des entreprises.
  5. M. Harington déclare que les pertes alléguées pour SleepCountry/Dormez-vous? permettent l’évaluation quantitative. Il souligne les éléments pertinents à prendre en considération, notamment la stabilité du marché des matelas, les activités de SleepCountry/Dormez-vous? depuis 1994, les données de celle-ci sur la croissance des magasins comparables et son évaluation de l’ensemble de son entreprise chaque année.
  6. Dans son deuxième affidavit, M. Harington commente les renseignements fournis par les déposants de SleepCountry/Dormez-vous? et conclut que dans ces affidavits, rien ne le fait changer d’avis.
  7. M. Harington souligne que les déposants de SleepCountry/Dormez-vous? ont énuméré des facteurs qui peuvent complexifier le calcul des dommages-intérêts, et que des facteurs supplémentaires peuvent survenir d’ici dix-huit à vingt-quatre mois. M. Harington déclare que même si on ne connaît pas les répercussions de tous ces facteurs à l’heure actuelle, on les connaîtra au procès. Il souligne que cela est caractéristique de l’évaluation quantitative des dommages-intérêts qui est menée au moment du procès et à la suite de la découverte de renseignements concrets à ce moment-là. M. Harington déclare qu’au moment du procès, il y aura près de 40 000 [TRADUCTION] « points de données historiques sur les ventes à la pièce quotidiennes » des magasins de Sears et de SleepCountry/Dormez-vous? À l’aide de ces données, un expert en dommages-intérêts pourrait calculer le préjudice qu’aurait subi SleepCountry/Dormez-vous? M. Harington souligne que, même si ce ne serait pas simple, ce serait réalisable.
  8. En ce qui concerne l’isolement de l’effet du slogan de Sears, M. Harington reconnaît que de nombreux éléments du marchéage peuvent évoluer. Malgré cela, un expert en dommages-intérêts pourrait isoler l’effet de l’utilisation du slogan de Sears de celui des autres éléments, en utilisant une approche axée sur la [traduction] « différence dans les différences », qui suppose de comparer les changements antérieurs et postérieurs dans un marché où le slogan de Sears était utilisé, à ceux d’un marché où le slogan de Sears n’était pas ou n’est plus utilisé. M. Harington décrit aussi une autre méthode de calcul des dommages-intérêts, qui tient compte des avantages de l’acte illicite allégué pour la présumée contrefactrice. On se fonderait alors sur les ventes de Sears pour établir le préjudice subi par SleepCountry/Dormez-vous?
  9. M. Harington a souligné que l’analyse de la [traduction] « différence dans les différences » visant à distinguer les répercussions du slogan contrefait – qui consiste à comparer les ventes selon que Sears utilise ou non le slogan – dépend de la permanence d’autres facteurs.
  10. En ce qui concerne le reproche de SleepCountry/Dormez-vous? selon lequel M. Harington n’a pas énoncé son hypothèse voulant que SleepCountry/Dormez-vous? et Sears réagissent de la même façon à l’évolution constante du marché et n’a fait part d’aucun fondement factuel de cette hypothèse, M. Harington a rétorqué en contre-interrogatoire que cette hypothèse [traduction] « de base » s’appliquait en ce qui concerne les magasins.
  11. M. Harington a convenu en contre-interrogatoire qu’il n’avait aucune preuve que SleepCountry/Dormez-vous? et Sears réagiraient de la même façon à divers facteurs de marketing. Il a réitéré que son hypothèse [traduction] « de base »s’appliquait « dans l’ensemble », mais a ajouté qu’il s’agissait d’une hypothèse applicable aux magasins à titre individuel.

Le professeur Sridhar Moorthy

  1. Sridhar Moorthy est professeur de marketing à la RotmanSchoolof Business de l’Université de Toronto. M. Moorthy possède une vaste expérience du monde universitaire, de la rédaction d’articles et d’ouvrages et du marketing, plus particulièrement en matière d’image de marque. L’affidavit du professeur Moorthy traite des questions liées à la confusion, à la perte du caractère distinctif et à la possibilité d’un préjudice pour SleepCountry/Dormez-vous?
  2. Le professeur Moorthy déclare que [traduction] « l’affirmation descriptive » de Sears est peu susceptible de créer de la confusion, et que dans la mesure où elle en créerait, la confusion avantagerait vraisemblablement SleepCountry/Dormez-vous? M. Moorthy explique que les deux slogans consistent en une publicité [traduction] « tapageuse ». Celui de SleepCountry/Dormez-vous? est renommé, et une poignée de gens se souviendront vraisemblablement de celui de Sears. M. Moorthy a ajouté que les personnes qui ne reconnaissent pas le slogan penseront à tort qu’il est diffusé par SleepCountry/Dormez-vous? Le professeur Moorthy déclare aussi que le slogan est utilisé conjointement avec d’autres renvois à SleepCountry/Dormez-vous? ou à Sears, et que le consommateur ne sera donc pas dérouté.
  3. Le professeur Moorthy déclare qu’il est peu probable que l’utilisation faite par Sears de son [traduction] « affirmation descriptive » entraîne la perte du caractère distinctif du slogan de SleepCountry/Dormez-vous? Le cas échéant, la perte serait minime et il serait possible de la recouvrer une fois que Sears aurait cessé d’utiliser son affirmation descriptive.
  4. Le professeur Moorthy conteste l’opinion du professeur Wong concernant la [traduction] « généralisation du stimulus ». Il déclare que cela ne se produira pas d’ici dix-huit à vingt-quatre mois, notamment parce que le slogan de SleepCountry/Dormez-vous? jouit d’une plus grande reconnaissance de la marque, que l’[traduction] « affirmation descriptive » de Sears est entourée d’autres renvois à Sears, et que lorsque les consommateurs pensent à un matelas en l’absence de publicité, SleepCountry/Dormez-vous? est la marque dominante dans l’industrie et c’est à elle que penseront les consommateurs.
  5. Le professeur Moorthy est également d’avis que tout préjudice éventuel pour SleepCountry/Dormez-vous? peut être quantifié. Il défend la méthodologie décrite par M. Harington et décrite à la figure 3. Il souscrit à l’idée que les ventes résultent toujours de l’ensemble du marchéage, et que l’établissement des profits [traduction] « hypothétiques » n’exige pas d’isoler l’effet de l’affirmation descriptive sur les ventes. L’établissement des profits [traduction] « hypothétiques » repose sur l’historique des ventes. Sur le marché des matelas, où les forces du marché qui influent sur la demande sont stables et prévisibles depuis longtemps, SleepCountry/Dormez-vous? peut prévoir les futures ventes.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1739-16

 

INTITULÉ :

SLEEP COUNTRY CANADA INC. c SEARS CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2017

 

COMPARUTIONS :

MATTHEW GOTTLIEB, ANDREW WINTON, ET RYANN ATKINS

 

POUR LA DEMANDERESSE

SLEEP COUNTRY CANADA INC.

 

W. GRANT WORDEN, EMILY S. SHERKEY, ET STACEY DANIS

 

Pour la défenderesse

SEARS CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb LLP

Avocats

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SLEEP COUNTRY CANADA INC.

 

Torys LLP

Avocats

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour la défenderesse

SEARS CANADA INC.

 

 

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