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Date : 20180223


Dossier : IMM-3604-17

Référence : 2018 CF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Toronto (Ontario), le 23 février 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

THI VAN TUONG TRAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Thi Van Tuong Tran a présenté une demande de parrainage de sa mère et de trois frères et sœurs afin que ceux-ci obtiennent la résidence permanente au Canada. Sa demande a été rejetée. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ce rejet. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette sa demande.

I.  Les faits et la décision contestée

[2]  Mme Thi Van Tuong Tran, la demanderesse, est citoyenne du Vietnam. En 2004, elle s’est mariée à M. Van Duc Mai, qui l’a parrainée pour qu’elle vienne au Canada. Mme Tran est désormais résidente permanente du Canada. Les époux sont des employés saisonniers dans l’industrie de la pêche à Prince Rupert en Colombie-Britannique.

[3]  En 2009, Mme Tran et son mari ont présenté une demande pour parrainer la mère et trois des frères et sœurs (comme personnes à charge de la mère) de Mme Tran en vue d’un visa de résidence permanente au Canada. Tous les autres membres de sa famille résident au Vietnam.

[4]  Dans une lettre en date du 13 avril 2016, un agent du Centre de traitement des données Mississauga a rejeté sa demande de parrainage parce qu’elle ne gagnait pas le revenu vital minimum [RVM] requis pour être admissible à agir à titre de parraine.

[5]  Mme Tran a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Elle a reconnu que son revenu était trop faible, mais elle a demandé à être exemptée de l’exigence en matière de RVM en fonction de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, c 27 [LIPR]. En vertu de cette disposition, la SAI peut autoriser un appel s’il y a des « motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». En examinant l’affaire, la SAI doit tenir compte « de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

[6]  La SAI a rejeté l’appel le 26 juillet 2017. Elle a estimé l’écart entre le revenu familial de Mme Tran et le RVM à 22 000 $. Elle a exprimé des préoccupations quant à la crédibilité de Mme Tran concernant l’exactitude de son revenu de 2016 et le fait qu’elle a réalisé des profits sur la vente d’une maison. La SAI a aussi examiné les considérations humanitaires. Elle a accordé un poids positif à l’établissement au Canada de Mme Tran, mais a observé qu’en raison du contexte, l’intérêt supérieur de son fils de 12 ans ne constituait pas un facteur significatif et que la famille [TRADUCTION] « subirait peu de difficultés » si l’appel était rejeté.

[7]  Mme Tran a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI [Décision] devant la Cour fédérale.

II.  Analyse

[8]  La Cour examine les décisions en matière de considérations humanitaires en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]; Chung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 68, aux paragraphes 15 à 18), ce qui signifie que je dois m’assurer que la décision contestée est fondée sur une interprétation défendable des principes juridiques applicables et une analyse raisonnable de la preuve.

[9]  Mme Tran soutient d’abord que la SAI a analysé la preuve de manière déraisonnable lorsqu’elle a estimé à 22 000 $ l’écart par rapport au RVM. La SAI a indiqué qu’il y avait des [TRADUCTION] « problèmes quant à la crédibilité de [Mme Tran] vis-à-vis de la fiabilité du revenu familial » et a estimé que Mme Tran avait [TRADUCTION] « gonflé son revenu actuel à 36 000 $ » (Décision, au paragraphe 16). Les conclusions de la SAI semblent découler d’une contradiction entre une lettre de l’employeur de Mme Tran, qui indique que son revenu d’emploi pour 2016 serait de 36 000 $, une série de talons de paie qui indiquent qu’elle avait touché 27 000 $ en date du 15 novembre 2016, et l’incapacité de Mme Tran d’expliquer ces divergences au cours de son témoignage. Si on présume que son revenu est réparti équitablement sur l’année, il serait en effet difficile de croire que son revenu passerait de 27 000 $ à 36 000 $ au cours du dernier mois et demi de l’année. Pourtant, un examen approfondi des talons de paie indique que Mme Tran touchait 3 000 $ par période de deux semaines, et non chaque mois. Elle a déclaré qu’elle a été employée du début de juillet à la fin de décembre. Par conséquent, aucune contradiction dans la preuve ne justifiait une conclusion négative quant à la crédibilité en ce qui concerne son revenu pour 2016.

[10]  Toutefois, je ne suis pas convaincu que cette erreur aurait changé la décision de la SAI. Même si l’on considère que Mme Tran touche un revenu annuel de 36 000 $, les parties ont convenu à l’audience que cela représenterait un déficit de 15 000 $ par rapport au RVM. Cet écart demeure considérable.

[11]  Mme Tran soutient aussi que la SAI a négligé de bien tenir compte de l’intérêt supérieur de son fils, comme le prévoit l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Je ne suis pas d’accord. La SAI a tenu compte de la situation de la famille de façon globale. Il ne s’agit pas d’une situation où un enfant serait séparé de l’un de ses parents ou renvoyé vers un pays qu’il ne connait pas. L’argument de Mme Tran est plutôt que les relations entre la grand-mère et son petit-fils seraient facilitées si la demande était accueillie. Toutefois, un argument semblable peut être soulevé dans de nombreux cas de réunification familiale, sinon dans la majorité de ceux-ci. Bien que les objectifs de la LIPR comprennent le fait de faciliter la réunification familiale, cette mesure doit être entreprise conformément aux normes détaillées de la LIPR, qui comprennent l’exigence en matière de RVM. Il était raisonnable de décider que la relation entre un grand-parent et un petit-enfant n’est pas suffisante, à elle seule, pour justifier l’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire. À l’instar des difficultés propres au renvoi d’une personne du Canada (Kanthasamy, au paragraphe 23), la difficulté propre au fait que les membres d’une famille vivent dans deux pays différents n’est pas suffisante pour justifier une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire.

[12]  Enfin, Mme Tran soutient que la SAI a négligé de façon déraisonnable de tenir compte de la nature saisonnière de son emploi. Compte tenu de la nature saisonnière de l’industrie de la pêche, elle et son mari reçoivent des prestations d’assurance-emploi pendant une partie de l’année. Toutefois, le sous-alinéa 134(1.1)b)(iv) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] prévoit que les prestations d’assurance-emploi ne sont pas prises en considération pour confirmer que le revenu d’un parrain excède le RVM. Néanmoins, Mme Tran soutient que dans le contexte d’une industrie saisonnière, les versements d’assurance-emploi doivent être pris en considération au moment d’examiner les considérations humanitaires, puisqu’ils font preuve de sa capacité de parrainer sa mère et ses frères et sœurs. Je ne suis pas d’accord. En adoptant ce Règlement, le gouvernement a fait un choix de politique publique en ce qui a trait au recours à des prestations d’assurance-emploi pour recueillir les ressources financières nécessaires pour être autorisé à parrainer un parent. Je comprends que ce choix de politique publique peut avoir des conséquences disproportionnées sur des personnes employées dans l’industrie de la pêche et d’autres industries saisonnières. Bien que j’aie de la sympathie pour Mme Tran et les personnes dans une situation semblable, je ne peux donner suite à ses observations sans accorder, dans les faits, une exception possiblement vaste au sous-alinéa 134(1.1)b)(iv).

[13]  Pour résumer, bien que je conclue que la SAI a commis une erreur en calculant le revenu de Mme Tran et l’écart par rapport au RVM, je suis d’avis que cette erreur n’a pas eu d’incidence sur le résultat. Une décision est toute de même raisonnable si elle contient des erreurs qui ne modifieraient pas l’issue (Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648, au paragraphe 24). La SAI a tenu compte de tous les facteurs pertinents relatifs aux considérations humanitaires, et a tiré la conclusion qu’ils étaient insuffisants pour justifier une exemption spéciale. Il s’agissait d’un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré à la SAI.


JUGEMENT au dossier IMM-3604-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3604-17

 

 

INTITULÉ :

THI VAN TUONG TRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 FÉVRIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Hannah Lindy

Me Lorne Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et Associés

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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