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Date : 20180216


Dossier : IMM-3271-17

Référence : 2018 CF 177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2018

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

BAGTYGUL OZJAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 31 janvier 2018)

I.  Procédure

[1]  Mme Bagtygul Ozjan (la demanderesse) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) datée du 5 juillet 2017 (la décision). La Section d’appel des réfugiés a confirmé que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Turkménistan âgée de 33 ans. En 2010, elle a épousé M. Ozcan, un citoyen de la Turquie, qui est d’origine ethnique kurde et de religion alévie. Lorsqu’elle s’est mariée, la demanderesse est devenue alévie. Elle était auparavant de confession musulmane sunnite. La demanderesse a vécu avec M. Ozcan en Turquie jusqu’à ce qu’ils soient forcés de fuir en raison de ses activités prokurdes. Au moment de la décision de la Section d’appel des réfugiés, la demanderesse et M. Ozcan avaient un enfant, une fille de trois ans, également citoyenne turque. Depuis la décision de la Section d’appel des réfugiés, la demanderesse a donné naissance à une deuxième fille au Canada.

[3]  Dans une décision datée du 1er février 2017, la Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Ozcan et sa fille turque étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[4]  Cependant, la demanderesse est une citoyenne du Turkménistan et non de la Turquie. La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’elle n’avait pas demandé l’asile à l’égard du Turkménistan et a rejeté sa demande d’asile au motif qu’elle pouvait retourner au Turkménistan.

[5]  Devant la Section d’appel des réfugiés, la demanderesse a fait valoir qu’elle avait effectivement présenté une demande à l’égard du Turkménistan à la Section de la protection des réfugiés. La demanderesse a fait valoir que, même si elle avait présenté par erreur une demande à l’égard de la Turquie dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile et qu’elle s’était appuyée sur le récit de son époux à propos des risques qu’il courrait en Turquie, elle a également informé la Section de la protection des réfugiés que le pays de référence pour sa demande était le Turkménistan.

III.  La décision

[6]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que l’avocate de la demanderesse a fourni une lettre à la Section de la protection des réfugiés qui indiquait clairement que sa demande était à l’égard du Turkménistan et que son époux avait témoigné devant la Section de la protection des réfugiés à propos des risques auxquels elle était exposée au Turkménistan en tant qu’alévie et épouse d’un étranger. En conséquence, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas présenté une demande à l’égard du Turkménistan. La Section d’appel des réfugiés a donc décidé de procéder à sa propre analyse de la question de savoir si la demanderesse serait exposée à un risque si elle retournait au Turkménistan.

[7]  La Section d’appel des réfugiés a tenu compte des éléments de preuve suivants : le témoignage de son époux devant la Section de la protection des réfugiés à propos des risques auxquels elle serait confrontée à son retour au Turkménistan, les observations de la demanderesse devant la Section d’appel des réfugiés ainsi que le cartable national de documentation (CND) sur le Turkménistan, qui comprenait des documents sur les atteintes aux droits de la personne, par exemple la traite de personnes, le travail forcé, le viol et la violence familiale.

[8]  La demanderesse a avancé sa religion et son mariage à un étranger ainsi que des préoccupations à propos des atteintes aux droits de la personne comme motifs de sa crainte de persécution au Turkménistan. La Section d’appel des réfugiés a reconnu que la situation pour les minorités religieuses au Turkménistan est [traduction] « moins qu’idéale » et a reconnu qu’il existait des rapports selon lesquels des personnes sont détenues et torturées pour des motifs religieux, de même que des éléments de preuve voulant que certains groupes minoritaires soient victimes de discrimination et d’ostracisme. La Section d’appel des réfugiés a toutefois conclu que les éléments de preuve documentaire ne suffisaient pas à appuyer l’observation de la demanderesse voulant qu’on l’empêche de pratiquer la religion alévie.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a également examiné l’observation de la demanderesse selon laquelle elle serait victime de harcèlement en tant que femme mariée à un étranger. La Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que, pendant le témoignage de M. Ozcan devant la Section de la protection des réfugiés, il avait expliqué que la demanderesse avait été arrêtée et questionnée dans le passé à propos de son mariage à un étranger. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que ce harcèlement équivalait à de la persécution. La Section d’appel des réfugiés a également souligné qu’elle n’avait présenté aucun élément de preuve documentaire à l’appui de son argument selon lequel elle serait exposée à un risque en tant que femme mariée à un étranger.

[10]  Finalement, la Section d’appel des réfugiés a rejeté les préoccupations fondées sur des atteintes aux droits de la personne au motif qu’aucun détail n’a été présenté à propos des plans ou du mode de vie prospectif de la demanderesse au Turkménistan pour montrer qu’elle pourrait éventuellement éprouver les problèmes décrits dans les documents.

IV.  DISCUSSION ET CONCLUSIONS

[11]  La critique de la décision de la Section d’appel des réfugiés découle de son traitement des éléments de preuve documentaire. On laisse entendre que la Section d’appel des réfugiés :

  1. a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve ne démontraient pas qu’elle était exposée à un risque en tant qu’alévie;

  2. a commis une erreur en faisant fi de l’élément de preuve pertinent au point 5.1 du CND, intitulé « Turkmenistan : Social Institutions and Gender Index 2014 », publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui met en évidence la situation des femmes au Turkménistan;

  3. a commis une erreur en omettant d’examiner les éléments de preuve documentaire dans leur ensemble.

A.  Religion

[12]  La demanderesse n’a pas témoigné qu’elle-même ou d’autres alévis avaient éprouvé des problèmes à pratiquer leur foi au Turkménistan et les documents contenus dans le CND ne faisaient aucune mention des alévis.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a examiné le Report on Religious Freedoms de 2013 du Département d’État américain et a souligné que la confession musulmane sunnite représente la religion majoritaire et qu’il y avait des lois et politiques contradictoires en matière de liberté religieuse. Cependant, le rapport reconnaissait également que le gouvernement avait généralement peu de respect à l’égard de la liberté religieuse. On a constaté une certaine différence dans le traitement de [traduction] « quelques » religions enregistrées et non enregistrées, mais il n’y avait ni mention des alévis ni description à savoir s’ils étaient enregistrés ou s’ils avaient été victimes de pratiques restrictives. En revanche, les témoins de Jéhovah et les protestants étaient désignés comme étant exposés à un risque.

[14]  À mon avis, la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle [traduction] « le cartable national de documentation ne contient pas suffisamment d’éléments de preuve qui appuient l’allégation de la demanderesse voulant qu’on l’empêche de pratiquer sa religion alévie » est raisonnable, en l’absence de toute mention des alévis dans le CND et en l’absence de tout élément de preuve directe de la demanderesse ou de son époux à propos de mauvais traitements dont ils auraient eux-mêmes, ou d’autres alévis, été victimes.

B.  Mariage à un étranger

[15]  Les documents dans le CND ne faisaient aucune mention de harcèlement à l’égard de femmes mariées à des étrangers au Turkménistan. À mon avis, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que la preuve de harcèlement de la demanderesse n’équivalait pas à de la persécution.

C.  Droits de la personne

[16]  En ce qui concerne la question des atteintes aux droits de la personne, la Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle était exposée à un risque. L’analyse de la Section d’appel des réfugiés a été entravée par le défaut de la demanderesse de produire des éléments de preuve quelconques à propos de la situation dans laquelle elle s’attendait à vivre au Turkménistan.

V.  Conclusion

[17]  La décision est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VI.  Question à certifier

[18]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3271-17

 

INTITULÉ :

BAGTYGUL OZJAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Aparna Das

 

Pour la demanderesse

 

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aparna Das

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 Pour le défendeur

 

 

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