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Date : 20180207


Dossier : IMM-2963-17

Référence : 2018 CF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

OMAR EL MANSOURI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, Omar El Mansouri, conteste le refus de sa demande de résidence permanente en raison d’une interdiction de territoire pour criminalité. Comme il est décrit ci-dessous, la présente demande doit être rejetée.

II.  Décision

[2]  M. El Mansouri est un citoyen du Maroc. Athée, il risquait d’être persécuté dans son pays d’origine en raison de ses croyances religieuses. Après avoir terminé ses études secondaires, M. El Mansouri a fui en Corée du Sud, où résidaient son frère et sa belle-sœur.

[3]  En 2012, alors qu’il habitait à Séoul, M. El Mansouri a été impliqué dans une altercation avec un chauffeur de taxi et a ensuite été déclaré coupable d’avoir infligé des blessures corporelles sous le régime pénal de la Corée du Sud. Il soutient que cette déclaration de culpabilité en Corée du Sud était manifestement injuste puisqu’il était la victime dans cet incident.

[4]  En octobre 2013, M. El Mansouri est entré au Canada avec un visa de transit et a demandé l’asile. Dans l’instance devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), le ministre est intervenu sur la question de savoir si la déclaration de culpabilité rendue contre M. El Mansouri en Corée du Sud l’excluait de la protection accordée aux réfugiés, visée à la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention). En réponse, M. El Mansouri a clamé son innocence au regard de l’incident avec le chauffeur du taxi, et a déclaré que le régime pénal de la Corée du Sud ne lui permettait pas de bénéficier de l’application régulière de la loi. Comme les allégations de M. El Mansouri concernant l’application régulière de la loi étaient corroborées par des éléments de preuve objectifs, le ministre a conclu qu’une exclusion en application de la section F)b) de l’article premier de la Convention n’avait pas été établie, conclusion à laquelle la Section de la protection des réfugiés a souscrit.

[5]  Le 31 janvier 2014, la Section de la protection des réfugiés a accordé à M. El Mansouri le statut de réfugié au sens de la Convention, ce qui, bien entendu, ne confère pas la résidence permanente au titulaire, qui doit tout de même présenter une demande et satisfaire aux critères d’admissibilité prévus dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[6]  Par la suite, M. El Mansouri a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des personnes protégées. Dans une lettre datée du 15 juin 2017, l’agent d’immigration (agent) a déterminé que la déclaration de culpabilité antérieure rendue contre M. El Mansouri en Corée du Sud équivalait à l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles prévue à l’alinéa 267b) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, punissable d’une peine maximale de dix ans. Par conséquent, l’agent a déterminé que la déclaration de culpabilité contre M. El Mansouri le rendait inadmissible à la résidence permanente en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[7]  M. El Mansouri était bien conscient de la question de l’interdiction de territoire pendant le traitement de sa demande. Premièrement, en septembre 2016, l’agent a envoyé à M. El Mansouri une lettre relative à l’équité procédurale pour l’informer de la conclusion préliminaire d’interdiction de territoire pour criminalité. Puis, en octobre 2016, M. El Mansouri a répondu, présentant divers arguments pour que l’on ne tienne pas compte de sa déclaration de culpabilité antérieure, tels que : (i) la Section de la protection des réfugiés et le ministre avaient conclu à son innocence dans l’incident impliquant le chauffeur de taxi; (ii) il y avait suffisamment d’éléments de preuve objectifs de racisme institutionnel à l’endroit des minorités au sein du système judiciaire de la Corée du Sud; (iii) il y a eu de nombreuses infractions à l’application régulière de la loi dans l’enquête et la décision sur la déclaration de culpabilité rendue contre lui; (iv) au moment de la réception de la lettre relative à l’équité procédurale, il vivait au Canada depuis trois ans sans avoir commis d’infractions.

[8]  Il appert des notes au dossier que l’agent a reconnu et examiné les observations de M. El Mansouri en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. L’agent a également reconnu que la Section de la protection des réfugiés avait conclu que la déclaration de culpabilité rendue contre M. El Mansouri ne suffisait pas à l’empêcher de solliciter la protection du Canada, visée à la section Fb) de l’article premier de la Convention, mais a conclu que l’alinéa 36(1)b) de la LIPR exigeait une analyse distincte de l’interdiction de territoire.

[9]  L’agent a toutefois conclu que la LIPR ne permet pas aux agents de déroger à l’interdiction de territoire pour criminalité, comme l’énonce l’alinéa 36(1)b), même lorsqu’un demandeur affirme que la déclaration de culpabilité à l’étranger a été rendue en l’absence d’application régulière de la loi. L’agent a conclu que [traduction] « dans le cadre d’une demande de résidence permanente, le réexamen de la culpabilité ou de l’innocence d’une personne dans une affaire criminelle ne relève pas d’IRCC (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada) ».

[10]  L’agent a également souligné qu’il était loisible à M. El Mansouri de demander réparation à l’égard de l’interdiction de territoire pour criminalité au moyen de la disposition relative à la réadaptation de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR. L’agent a de plus insisté sur le fait que le refus d’une demande de résidence permanente ne changeait en rien le statut de personne protégée au Canada.

III.  Questions en litige et analyse

[11]  Dans les documents écrits à l’appui du présent contrôle judiciaire, M. El Mansouri soulève deux questions : (i) si l’agent a commis une erreur de droit en refusant sa demande; (ii) si l’agent a tiré ses conclusions sans tenir compte des éléments de preuve.

[12]  Même si les parties n’ont pas abordé la norme de contrôle dans leurs observations orales et écrites, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation et à l’application, par un agent, de la disposition de la LIPR concernant l’interdiction de territoire pour criminalité (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 879, aux paragraphes 59 et 60).

[13]  En ce qui concerne la première question, M. El Mansouri ne fournit aucune raison qui justifierait la Cour de conclure à une erreur de droit. Sous réserve de l’article 21 de la LIPR et des dispositions sur l’interdiction de territoire (en l’espèce, il s’agit de l’article 36), l’agent des visas doit examiner les déclarations de culpabilité et procéder à une analyse d’équivalence. Aucune de ces obligations n’a été contestée en l’espèce. M. El Mansouri laisse plutôt entendre que l’agent a commis une erreur en omettant d’examiner ce qui s’est passé dans le processus criminel ainsi que les éléments preuve sur l’application régulière de la loi à l’égard des étrangers déclarés coupables en Corée du Sud.

[14]  La Cour d’appel fédérale a défini la portée de l’analyse servant à évaluer les déclarations de culpabilité rendues à l’étranger pour les besoins de l’interdiction de territoire pour criminalité, concluant, dans l’arrêt Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1060 (QL), au paragraphe 25 (Li) que « [l]a Loi ne prévoit pas une nouvelle audition de la cause avec application des règles de preuve canadiennes. Elle ne prévoit pas non plus l’examen de la validité du verdict de culpabilité prononcé dans le pays étranger ».

[15]  Bien que l’arrêt Li ait été rendu sous le régime de la législation antérieure, les mêmes principes s’appliquent à l’évaluation de l’interdiction de territoire pour criminalité aux termes de la LIPR. Dans la décision Beltran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1143 [Beltran], le demandeur a tenté de produire des centaines de pages de documents pour expliquer les circonstances entourant la déclaration de culpabilité rendue contre lui à l’étranger ainsi qu’un moyen de défense fondé sur la contrainte qui aurait pu être plaidé si l’infraction avait fait l’objet d’une poursuite au Canada. La Section de l’immigration a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les documents divulgués si les moyens de défense étaient équivalents. Dans la décision Beltran, la juge MacDonald a conclu qu’au-delà du critère d’équivalence, l’alinéa 36(1)b) n’impose aucune obligation de procéder à un examen pour savoir si le comportement reproché, s’il avait été jugé au Canada, aurait donné lieu à une déclaration de culpabilité (au paragraphe 18).

[16]  Il est clairement établi en droit que l’agent, en examinant une demande de résidence permanente, doit être convaincu que le ressortissant étranger (i) a présenté une demande relative à ce statut; (ii) a satisfait aux exigences d’admission au Canada énoncées de manière générale à l’article 20 de la LIPR; (iii) n’est pas interdit de territoire. L’agent n’a aucune obligation – prévue par la loi ou autrement – d’examiner l’application régulière de la loi dans le cadre d’un procès tenu à étranger, ce qui serait l’équivalent d’un appel et poserait une foule de défis. Ni la LIPR ni la jurisprudence n’imposent une obligation légale aussi lourde aux agents des visas. Par conséquent, M. El Mansouri ne peut obtenir gain de cause sur son premier argument voulant que l’agent ait commis une erreur en refusant d’examiner la validité de la déclaration de culpabilité rendue contre lui en Corée du Sud.

[17]  Même si j’avais conclu qu’une telle obligation existait en appliquant l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, je ne suis pas convaincu que l’agent a rendu sa décision sans tenir compte des documents au dossier. Un examen des notes au dossier démontre que les observations formulées par M. El Mansouri au bureau des visas sur la question de l’interdiction de territoire pour criminalité – notamment qu’elle ne devrait pas s’appliquer pas à lui – ont été résumées et reconnues par l’agent. En effet, les notes de l’agent indiquent clairement que les éléments de preuve ou les arguments portant sur la question de savoir si les normes canadiennes d’application régulière de la loi ont été respectées devant le tribunal coréen dépassaient l’analyse exigée par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Il s’agissait clairement d’une conclusion raisonnable.

[18]  Enfin, aucune question n’a été soulevée concernant l’examen en matière d’équivalence, et cette question n’a pas non plus été contestée dans la lettre relative à l’équité procédurale (voir, en revanche, la décision Liberal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 173, où ce type d’examen a donné lieu à un résultat déraisonnable).

IV.  Conclusion

[19]  Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2963-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2963-17

 

INTITULÉ :

OMAR EL MANSOURI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Dariusz Wroblewski

 

Pour le demandeur

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dariusz Wroblewski

Avocat

Guelph (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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