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Date : 20180115


Dossier : IMM-2242-17

Référence : 2018 CF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 15 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SHAHZAD CHAMMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’instance

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 15 mai 2017 par un agent d’immigration (l’agent), du Consulat général du Canada aux États-Unis à New York, rejetant la demande de permis de travail du demandeur.

II.  Les faits

[2]  Le demandeur est âgé de 41 ans et est un citoyen du Pakistan.

[3]  Le demandeur est marié depuis 2008 et il a trois enfants. L’épouse et les enfants du demandeur sont des citoyens du Pakistan, à l’exception du plus jeune enfant : il est né au Canada le 27 juin 2016.

[4]  Le demandeur a également sept frères et sœurs. Seulement l’un d’entre eux vit en Afrique du Sud, les autres résident au Pakistan.

[5]  En 2002, le demandeur a présenté une demande de visa de visiteur (visa de résident temporaire) au Canada; toutefois, un agent des visas a refusé sa demande.

[6]  Depuis 1997, le demandeur est l’unique propriétaire de Chamma Electronics Inc. Il y travaille également à titre de gestionnaire principal, depuis 1997. La société est située à Karachi, au Pakistan, et elle vend des appareils mobiles et des accessoires. Au 30 juin 2016, l’entreprise comptait environ 20 employés et possédait des actifs d’une valeur approximative de 2,5 millions de dollars canadiens. Le 18 novembre 2016, Chamma Electronics Inc. a été constituée en société au Canada. Le demandeur détient 75 % des actions de la société. Afin de lancer ses activités au Canada, Chamma Electronics souhaite muter le demandeur, à l’intérieur de la société, à sa société affiliée en démarrage au Canada et lui permettre d’occuper un poste de gestionnaire, similaire à celui qu’il occupe au Pakistan, pour une durée temporaire initiale d’un an. Au départ, le demandeur prévoit d’investir 100 000 dollars canadiens en capitaux pour le démarrage de la société affiliée canadienne de Chamma Electronics.

[7]  Le 8 février 2016, le demandeur a présenté une seconde demande de visa de résident temporaire. Le demandeur est entré au Canada le 22 mars 2016, accompagné de sa femme et de ses deux enfants non canadiens. Le demandeur affirme qu’il est venu au Canada pour une visite exploratoire professionnelle, afin d’examiner les débouchés pour l’expansion de Chamma Electronics sur le marché canadien.

[8]  Le 18 janvier 2017, le demandeur a déposé une demande de permis de travail pour une personne mutée à l’intérieur d’une société. Le demandeur a demandé un permis de travail valable pour une durée temporaire initiale d’un an (du 1er mars 2017 au 1er mars 2018). Dans sa demande, le demandeur a omis de mentionner le refus de sa demande de visa de résident temporaire en 2002. Il a aussi mentionné que son épouse et ses enfants ne l’accompagneraient pas au Canada, lors du séjour autorisé; toutefois, ceux-ci sont au Canada, et la famille, y compris le demandeur, a demandé une prorogation de visa, le 21 mars 2017. Le 13 juillet 2017, la prorogation de visa a été accordée pour une période d’un mois.

III.  Décision

[9]  Le 15 mai 2017, en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur, au motif que ce dernier ne respectait pas les exigences législatives prévues pour l’obtention d’un permis de travail. En premier lieu, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur avait démontré que sa situation faisait partie des exceptions prévues à l’article 186 ou 203 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). Par conséquent, le demandeur devait obtenir une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), avant qu’un permis de travail puisse lui être délivré. En second lieu, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR : il a omis de mentionner le refus de sa demande de visa de résident temporaire au Canada, présentée en 2002. Enfin, l’agent a conclu que le demandeur manquait d’éléments de preuve convaincants pour démontrer qu’il entretenait des liens étroits avec son pays d’origine. Les motifs de la décision de l’agent figurent dans le Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC).

[10]  Le 18 mai 2017, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Le 6 septembre 2017, la Cour a accueilli la demande d’autorisation.

IV.  Questions en litige

[11]  La présente affaire soulève la question suivante : l’agent a-t-il rendu une décision raisonnable?

[12]  La Cour conclut que la norme de la décision raisonnable s’applique à des questions de fait. Un refus d’une demande de permis de travail temporaire constitue une décision administrative qui exige un haut degré de déférence de la part de la Cour, compte tenu de « l’expertise unique et pointue » que possèdent les agents des visas (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 C.S.C. 12, au paragraphe 46; Arora c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 C.F. 241, au paragraphe 23; Samuel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 C.F. 223, au paragraphe 26).

V.  Dispositions pertinentes

[13]  Le paragraphe 11(1) de la LIPR édicte ce qui suit :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[14]  Le paragraphe 205(a) du RIPR énonce ce qui suit :

Intérêts canadiens

Canadian interests

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

a) il permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents;

(a) would create or maintain significant social, cultural or economic benefits or opportunities for Canadian citizens or permanent residents;

VI.  Observations des parties

A.  Observations du demandeur

[15]  Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur en droit en rendant sa décision. Les lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1) énoncent les exigences et les critères d’admissibilité pour qu’un demandeur se qualifie pour une mutation exemptée de l’EIMT à l’intérieur d’une société. Le demandeur prétend qu’il était exempté de l’exigence d’une EIMT, en vertu du RIPR, et qu’il est, par conséquent, autorisé à obtenir un permis de travail, conformément à l’alinéa 205a) du RIPR. En écartant certains éléments de preuve pertinents et en ne respectant pas les lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1) et les règlements, l’agent n’a pas tenu compte du fait que la société affiliée canadienne est « en démarrage ».

[16]  Le demandeur fait valoir qu’il n’existait pas encore d’entreprise pleinement opérationnelle au Canada, puisqu’il s’agit toujours d’une entreprise en démarrage. Le demandeur est venu au Canada afin de mettre en place la nouvelle entité, de trouver un lieu d’exploitation, d’embaucher des employés et d’acheter de l’équipement. Tous ces renseignements se trouvaient dans la preuve présentée par le demandeur : dans la lettre d’observations, le plan d’affaires, les lettres de soutien du gestionnaire de Chamma Electronics, au Pakistan, de même que dans les documents fiscaux d’entreprise provenant du Pakistan. Ces éléments de preuve contredisaient directement les conclusions tirées par l’agent.

La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] « du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 157 F.T.R. 35, au paragraphe 15)

[17]  Selon le demandeur, l’agent a aussi commis des erreurs en tirant des conclusions comme les suivantes : [traduction] « il n’existe pas d’éléments de preuve clairs et convaincants selon lesquels le demandeur était vraiment à l’emploi de l’entreprise comme gestionnaire, au Pakistan » (dossier certifié du tribunal, notes du SMGC, à la page 4) et [traduction] « il semble que le demandeur ait décidé que sa soi-disant entreprise au Pakistan devait déménager son siège social au Canada, mais avant d’avoir des bureaux et de l’équipement ou des employés »  (dossier certifié du tribunal, notes du SMGC, à la page 4). De telles conclusions vont à l’encontre de la nature même d’une entreprise en démarrage.

[18]  En outre, le demandeur prétend que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a fourni des lignes directrices précises pour l’évaluation des entreprises en démarrage, dans le contexte de mutations à l’intérieur d’une société.

Lignes directrices pour l’évaluation d’une entreprise en démarrage

Exigences visant l’entreprise

  En général, l’entreprise doit disposer d’installations physiques d’où elle mènera ses activités au Canada, en particulier lorsqu’il est question de connaissances spécialisées. Toutefois, il peut arriver qu’il soit acceptable, dans certains cas touchant un cadre de direction ou un gestionnaire principal, que l’entreprise en démarrage n’ait pas encore d’adresse; par exemple, l’entreprise peut utiliser l’adresse de son avocat jusqu’à ce que le cadre de direction puisse acheter ou louer un immeuble. [Non souligné dans l’original.]

(Lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1), à la page 63 de 191).

Le demandeur a donné son adresse résidentielle au Canada comme adresse pour son entreprise, puisqu’il est normal à ce stade que son entreprise n’ait pas d’adresse ou de lieu d’activités. Quoi qu’il en soit, le plan d’affaires fournissait des précisions quant à un lieu proposé devant servir de comptoir pour la société, au Canada.

[19]  En outre, le demandeur affirme que l’agent a ignoré des précisions supplémentaires pertinentes, fournies dans le dossier, et il a conclu qu’il n’existait pas de lien d’affaires admissible entre la société affiliée au Canada et la société au Pakistan. Dans les notes du SMGC, l’agent a conclu qu’il n’était [traduction]  « pas convaincu qu’il existait un lien d’affaires admissible entre l’entité au Canada et la soi-disant entreprise au Pakistan ». Le site Web de CIC définit clairement le lien admissible entre l’employeur canadien et l’employeur étranger, de la manière suivante :

[…] entités juridiques qui ont un lien à titre de société mère, de filiale, de succursale ou de société affiliée. Les deux entreprises, canadienne et étrangère, doivent répondre au critère suivant : « fait ou fera des affaires ». [Non souligné dans l’original.]

Programme de mobilité internationale : Intérêts canadiens – Personnes mutées à l’intérieur d’une société – Lien admissible entre l’employeur canadien et l’employeur étranger [R205a)] (code de dispense C12).)

Le demandeur allègue que les éléments de preuve étaient suffisants pour établir le lien à titre de société affiliée, notamment le plan d’affaires, les documents fiscaux d’entreprise provenant du Pakistan et un certificat de constitution de la société au Canada.

[20]  En outre, le demandeur affirme que l’agent a, de manière erronée, mis l’accent sur la présence du demandeur au Canada comme touriste, alors, qu’en fait, il était au Canada à des fins exploratoires visant l’expansion de son entreprise. De plus, la date du décès du père du demandeur et la date de mutation à l’intérieur de la société étaient non pertinentes pour trancher la demande de permis de travail, puisque le demandeur possède actuellement Chamma Electronics, au Pakistan, comme le démontrent les éléments de preuve présentés à l’agent.

[21]  Enfin, le demandeur mentionne que l’agent a omis de fournir des motifs adéquats quant à la raison pour laquelle les liens entretenus par le demandeur avec le Pakistan justifiaient le rejet de la demande. Les demandeurs doivent pouvoir comprendre pleinement la décision. En l’espèce, la décision ne fournit aucun motif quant à la pertinence du facteur concernant les liens du demandeur au Pakistan.

B.  Observations du défendeur

[22]  D’autre part, le défendeur affirme que la décision de l’agent est raisonnable. L’agent s’est servi des lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1), et il n’a pas été convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences, en fonction des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Le défendeur prétend que l’agent a exprimé des réserves concernant le désir du demandeur de rester au Canada, « mais pas concernant son admissibilité à titre de personne mutée à l’intérieur d’une société ».

[23]  En outre, le défendeur prétend qu’il incombait au demandeur de présenter une demande complète. Le demandeur ne peut pas faire valoir qu’il est exempté de l’obligation d’obtenir une EIMT. L’agent était en mesure de tirer une conclusion, vu les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Le défendeur rappelle au demandeur qu’il peut présenter une nouvelle demande s’il croit posséder les éléments de preuve pour convaincre l’agent qu’il est exempté de l’obligation d’obtenir un permis de travail.

[24]  Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait que la société affiliée canadienne est en démarrage. D’autre part, le défendeur prétend que l’argument du demandeur ne tient pas compte des réserves de l’agent concernant le statut d’employé du demandeur au sein de l’entité de gestion de l’entreprise pakistanaise. En outre, en ce qui concerne une entreprise en démarrage au Canada, les lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1) définissent « faire des affaires » de la manière suivante :

Par faire des affaires, on entend la fourniture régulière, systématique et continue de biens ou de services par une société mère, une succursale, une filiale ou une société affiliée au Canada et au pays étranger, selon le cas. Ceci n’inclut pas la simple présence d’un agent ou d’un bureau au Canada. Par exemple, une entreprise sans employés qui n’existerait que sur papier et qui aurait été établie uniquement pour faciliter l’admission dans la catégorie des personnes mutées à l’intérieur d’une société ne remplirait pas les conditions requises. [Non souligné dans l’original.]

[25]  En réponse à l’argument du demandeur selon lequel l’agent a ignoré des renseignements pertinents dans les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le défendeur fait valoir que l’agent est présumé, non seulement, avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve au dossier, mais également qu’il a, en fait, bel et bien tenu compte de ces renseignements et qu’il en est fait mention dans ses motifs.

[traduction] Je note les autres photos de la soi-disant entreprise, les cartes d’identité non traduites et les relevés bancaires soumis avec ladite demande de permis de travail. Je note que la société canadienne a été constituée le 18 novembre 2016 et que le demandeur détient 75 % des actions. [...] Je vois les documents rédigés par le soi-disant gestionnaire de l’entreprise pakistanaise. Je vois les renseignements d’identification relatifs à l’impôt pour l’entreprise pakistanaise, lesquels mentionnent Shahzad Chamma.

(Dossier certifié du tribunal, notes du SMGC, à la page 3)

[26]  Contrairement à ce que le demandeur fait valoir, le défendeur soutient que l’agent n’a pas mis l’accent sur des [traduction] « détails superflus », afin de rendre sa décision. En fait, la conclusion de l’agent indiquant qu’il n’y avait pas de lien suffisant entre le demandeur et Chamma Electronics, au Pakistan, est un détail important dont il faut tenir compte dans le cas d’une mutation à l’intérieur d’une société. Il était également raisonnable de la part de l’agent de tenir compte de la demande de visa de tourisme au Canada, présentée par le demandeur, puisque son épouse a donné naissance à un garçon et qu’il a obtenu une adresse résidentielle non seulement pour vivre au Canada, mais également pour enregistrer son entreprise, lors de son premier voyage au Canada. En conséquence, la demande de permis de travail pour une personne mutée à l’intérieur d’une entreprise a été présentée plus tard seulement, lorsque le demandeur et sa famille vivaient déjà au Canada.

[27]  En outre, le défendeur affirme qu’il était raisonnable que l’agent tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. En fait, le demandeur allègue avoir commis une erreur en omettant de mentionner, dans sa demande de permis de travail, le refus de son visa de résident temporaire en 2002; toutefois, la demande de permis de travail contient une question précise concernant un refus de visa antérieur, et le demandeur a coché la case « Non » (dossier certifié du tribunal, demande de permis de travail, à la page 12). Le défendeur ajoute que le demandeur était représenté par un avocat à ce moment et que, par conséquent, il ne peut certainement pas prétendre avoir commis une erreur en remplissant sa demande.

[28]  Enfin, le défendeur fait valoir que le devoir d’un agent des visas de motiver sa décision de rejeter une demande de visa de résident temporaire est minime. Selon le défendeur, les motifs de l’agent sont clairs et appuient ses conclusions.

C.  Réponse :

[29]  Bien que l’agent, dans les notes du SMGC, ait dressé une liste des éléments de preuve compris dans la demande de permis de travail du demandeur, ce dernier affirme que les motifs sont insuffisants en ce qui a trait à la raison pour laquelle ces éléments de preuve n’étaient pas assez convaincants pour délivrer le permis de travail.

[30]  Le demandeur réitère le fait qu’il satisfait objectivement aux exigences des lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1), puisqu’il est, en fait, exempté de l’obligation d’obtenir une EIMT pour qu’un permis de travail lui soit délivré à titre de personne mutée à l’intérieur d’une société, vu les éléments de preuve présentés à l’agent. Par conséquent, l’agent a omis de tenir compte de ces lignes directrices lors de son examen de la demande de permis de travail.

[31]  Il incombait au demandeur de fournir à l’agent tous les éléments de preuve nécessaires pour convaincre ce dernier qu’il était exempté de l’obligation d’obtenir une EIMT. Le demandeur affirme qu’il a bel et bien soumis les renseignements à l’appui des faits présentés à l’agent.

[32]  Enfin, le demandeur prétend, une fois de plus, qu’il est resté au Canada à des fins professionnelles. Il était déraisonnable de la part de l’agent d’ignorer un renseignement aussi important et de rendre sa décision en fonction du statut de visiteur au Canada du demandeur, alors qu’un autre agent des visas avait déjà approuvé sa visite à des fins exploratoires visant l’expansion de son entreprise.

VII.  Analyse

[33]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.  L’agent a-t-il rendu une décision raisonnable?

[34]  La Cour conclut que les motifs de l’agent, comme consignés dans le SMGC, respectent la norme de la décision raisonnable.

[35]  Selon l’agent, le demandeur n’a pas présenté tous les éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il était, dans les faits, un gestionnaire principal à l’emploi de Chamma Electronics, au Pakistan.

[traduction] [I]l n’existe aucun élément de preuve clair et convaincant selon lequel le demandeur était véritablement employé par l’entreprise à titre de gestionnaire, au Pakistan (aucun relevé de paie, aucune déclaration de revenus, aucun document attestant de la propriété de l’entreprise, aucun document concernant le transfert de l’entreprise, etc.

(Dossier certifié du tribunal, notes du SMGC, à la page 4)

Lors du dépôt d’une demande, il incombe au demandeur de soumettre tous les documents justificatifs pertinents et de fournir des éléments de preuve crédibles suffisants, à l’appui de sa demande. Le demandeur est tenu de présenter la « meilleure preuve possible » (Oladipo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24).

[36]  L’agent possédait l’expertise et le pouvoir discrétionnaire pour évaluer et soupeser les facteurs pertinents concernant la demande de permis de travail du demandeur (Mousa v. Canada (Immigration, Refugees and Citizenship), 2016 FC 1358, au paragraphe 10).

[37]  La Cour conclut que les réserves qui ont mené l’agent à rejeter la demande étaient valables.

[traduction] Incohérences : 1) dans le formulaire IMM 5645 (INFORMATIONS SUR LA FAMILLE) soumis avec la présente demande de permis de travail, le demandeur indique que son père est décédé le 12 mars 1989. Toutefois, dans la lettre de l’avocat rémunéré, il est indiqué que le père du demandeur a transféré l’entreprise pakistanaise à ce dernier en 1997. 2) Le demandeur omet de mentionner le refus antérieur de sa demande de visa de résident temporaire […]. Ces incohérences minent la crédibilité générale du demandeur.

Son épouse et ses trois enfants se trouvent au Canada (le 31 juillet 2017, des demandes de visa de résident ont été déposées pour chacun d’entre eux, à l’exception de l’enfant né au Canada), toutefois le demandeur affirme qu’ils n’accepteront pas de rester au Canada et que leur résidence se trouve au Pakistan.

(Dossier certifié du tribunal, notes du SMGC, aux pages 3 et 4)

[38]  Il était raisonnable de la part de l’agent de refuser la demande de permis de travail du demandeur, puisqu’il n’était pas convaincu que ce dernier avait satisfait aux six exigences, à l’exception d’une seule, celle de la mutation à l’intérieur d’une société, en vertu de l’article 5.31 des lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1). En fait, [l]es personnes mutées à l’intérieur d’une société peuvent présenter une demande de permis de travail en vertu des dispositions générales si elles :

  sont actuellement à l’emploi d’une multinationale et sollicitent l’admission au Canada pour travailler dans une société mère, une filiale, une succursale ou une société affiliée à l’entreprise;

  sont mutées à une entreprise ayant une relation admissible avec l’entreprise au sein de laquelle elles travaillent actuellement et qu’elles occuperont un emploi dans une installation légitime et constante de cette entreprise (pour laquelle une affectation de 18 mois à 24 mois peut servir de minimum raisonnable);

  sont mutées à un poste de cadre de direction, de gestionnaire principal ou de travailleur qui possède des connaissances spécialisées;

  ont occupé de façon continue un poste semblable (à titre permanent ou contractuel à la suite de la signature d’un contrat directement avec la société) à temps plein (et non le cumul d’heures à temps partiel) dans l’entreprise qui a l’intention de les muter, à l’étranger, pendant au moins un an au cours des trois années précédant immédiatement la date de la demande initiale; des prorogations peuvent être accordées jusqu’à cinq et sept ans au maximum, comme l’indiquent les tableaux à la fin de cette section (5.31) et le tableau de la section 11.2. Le temps passé à l’extérieur du Canada pendant la durée de validité du permis de travail, preuves à l’appui, peut être « récupéré » de façon à ce que la personne mutée puisse jouir de ses cinq ou sept années complètes de présence effective au Canada.

REMARQUE : Si le demandeur n’a pas travaillé à temps plein pour la société étrangère, avant de rejeter la demande pour ce seul motif, l’agent devrait prendre en compte d’autres facteurs, par exemple :

  le nombre d’années d’expérience dans la société étrangère;

  les similitudes entre les postes. Par exemple, le demandeur vient-il travailler pour une courte période, plutôt que d’être muté à long terme d’un poste à temps partiel à un poste à temps plein?;

  la mesure dans laquelle le travail était à temps partiel (par exemple deux jours par semaine versus quatre jours par semaine);

  la présence de signes qu’il s’agit d’une tentative d’abuser de la disposition sur les mutations à l’intérieur d’une société;

  ne viennent au Canada que pour une période temporaire;

  satisfont à toutes les prescriptions existantes en matière d’immigration applicables à l’admission temporaire

(Lignes directrices du Guide sur les travailleurs étrangers temporaires (FW 1), aux pages 62 et 63 de 191)

[39]  Enfin, le paragraphe 16(1) de la LIPR édicte que l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées aux fins de l’évaluation de cette dernière. La Cour rappelle l’importance de répondre véridiquement aux questions, afin de s’assurer que le demandeur a fourni à l’agent tous les renseignements nécessaires avant que celui-ci ne rende sa décision définitive. Le demandeur était tenu d’être honnête et il n’a pas respecté pleinement cette obligation. La conclusion de l’agent était, à elle seule, suffisante pour rejeter la demande, puisque le demandeur a répondu de manière erronée à une question qu’il devait cocher dans le formulaire de demande de permis de travail. En outre, il n’a pas mentionné, dans le formulaire, que sa famille l’accompagnerait lors de son séjour autorisé au Canada. « Le fait de conclure qu’un demandeur n’a pas respecté l’obligation d’honnêteté qu’impose l’article 16 permet à un agent des visas de refuser une demande, en application du paragraphe 11(1) de la LIPR, pour non-conformité à la Loi » (Garcia Porfirio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 794, au paragraphe 45).

[40]  Considérant les motifs de l’agent, la Cour conclut que la décision « appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VIII.  Conclusion

[41]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2242-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2242-17

 

INTITULÉ :

SHAHZAD CHAMMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Adam Hummel

 

Pour le demandeur

 

Hillary Adams

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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