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Date : 20180123

Dossier : T-825-17

Référence : 2018 CF 63

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

RICHES, McKENZIE & HERBERT LLP

demanderesse

et

COSMETIC WARRIORS LIMITED

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté en application de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985 c T-13 (la Loi), à l’encontre de la décision du 24 avril 2017 par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) tranchait que la défenderesse, en réponse à un avis délivré en application de l’article 45, avait démontré l’emploi de la marque de commerce LUSH (la marque) et son enregistrement (LMC 649 810) en liaison avec des tee-shirts.

II.  Résumé des faits

A.  Marque LUSH

[2]  Cosmetic Warriors Limited (la défenderesse) est propriétaire de la marque de commerce LUSH, qu’elle a fait enregistrer aux fins de son emploi en liaison avec les produits suivants : [traduction] « Vêtements, notamment des tee-shirts ». Le 10 septembre 2014, à la demande de Riches, McKenzie & Herbert LLP (la demanderesse) et conformément à l’article 45, le registraire a notifié un avis à l’égard de la marque. La période pertinente aux fins de l’attestation de l’emploi de la marque va du 10 septembre 2011 au 10 septembre 2014 (la période pertinente).

[3]  En réponse à l’avis, la défenderesse a produit un affidavit souscrit le 9 avril 2015 par Brandi Halls (affidavit Halls). Dans son affidavit, Mme Halls atteste qu’elle est la directrice des communications de marque chez Lush Handmade Cosmetics, Ltd. (Lush Canada), la propriétaire canadienne de la marque. Elle y déclare en outre que Lush Canada exploite plus de 200 magasins en Amérique du Nord, dont 46 au Canada, et que la fabrication et le contrôle de la qualité de tous les produits de marque Lush distribués au Canada et aux États-Unis relèvent de sa responsabilité.

[4]  Selon Mme Halls, l’uniforme des employés de Lush Canada comprend un tee-shirt arborant la marque. Les employés peuvent aussi, s’ils le souhaitent, se procurer des vêtements portant la marque pour eux-mêmes ou pour les offrir en cadeau aux membres de leur famille et à leurs amis. Selon l’affidavit Halls, les ventes aux employés de Lush Canada de tee-shirts portant la marque se sont chiffrées à plus de 1 200 $ CA au Canada et à plus de 2 900 $ US aux États-Unis de février 2013 à août 2014. L’affidavit Halls atteste en outre que les ventes de débardeurs portant la marque s’établissaient à plus de 700 $ CA au Canada et de 1 700 $ US aux États-Unis durant la même période. L’affidavit Halls indique aussi qu’en plus d’être vendus aux employés, des tee-shirts portant la marque ont été vendus à l’appui de campagnes environnementalistes tout au long de la période pertinente.

B.  Décision du registraire

[5]  Le registraire a établi que les versions du logo Lush apposé sur les tee-shirts constituaient une exposition de la marque déposée, en soulignant que le paragraphe 4(1) de la Loi énonce clairement qu’une marque de commerce apposée sur un produit au moment du transfert est réputée employée. Il a ajouté toutefois que la conduite d’une enquête visant à établir si la marque de commerce permet de distinguer le produit de ceux d’une autre marque dépasse le cadre d’une procédure engagée en application de l’article 45. Il a conclu de plus que les mots « FRESH HOMEMADE COSMETICS » ajoutés sous la marque constituaient une différence mineure.

[6]  Le registraire a examiné l’allégation de la demanderesse selon laquelle les tee-shirts portant la marque n’ont pas été vendus dans la pratique normale du commerce puisque l’affidavit Halls semblait les décrire comme des produits [traduction] « promotionnels » et indiquait qu’ils avaient été vendus en petite quantité aux employés, au prix coûtant et non sur une base lucrative. Le registraire a reconnu que la distribution gratuite d’un produit afin de promouvoir sa propre marque ne constitue pas un transfert dans la pratique normale du commerce et que, pour faire la preuve du contraire, il faut établir que le produit a été livré à titre d’objet de commerce en soi et en contrepartie d’une forme quelconque de paiement ou d’échange. Il a ajouté que selon la jurisprudence, une seule vente dans la pratique normale du commerce peut suffire à établir l’emploi d’une marque de commerce, et que les ventes faites de bonne foi directement à des employés peuvent satisfaire aux conditions du paragraphe 45(1) de la Loi. Le registraire est parvenu à la conclusion que les tee-shirts ne constituaient pas une simple pièce d’uniforme puisque, d’après la preuve, les employés en avaient acheté pour les donner à des tiers.

[7]  Il a ajouté qu’un examen conjoint des factures provenant d’Ethical Profiling, Ltd. (Ethical Profiling), le fabricant des tee-shirts, et d’autres éléments de preuve tendait à établir que les tee-shirts avaient été vendus aux employés au prix coûtant. Toutefois, comme la défenderesse n’avait pas l’obligation de fournir la preuve de ses achats de vêtements auprès d’Ethical Profiling, le registraire n’était pas disposé à tirer une conclusion défavorable contre elle. Il a conclu par ailleurs que les tee-shirts ne remplissaient pas une fonction purement promotionnelle et qu’il serait inopportun [traduction] « de faire dire à la jurisprudence susmentionnée que le propriétaire inscrit doit absolument vendre ses produits à profit pour que la vente soit considérée comme ayant été effectuée “dans la pratique normale du commerce” au sens de l’article 4(1) de la Loi ».

[8]  Le registraire s’est aussi penché sur l’allégation de la demanderesse selon laquelle la description [traduction] « articles-cadeaux assortis » sur les factures remises à Lush Canada par Ethical Profiling attestait la fonction promotionnelle des tee-shirts. Toutefois, il a [traduction] « refusé de tirer de conclusions défavorables sur la base d’un terme aussi vague, d’autant plus qu’il a été utilisé par le fournisseur de [Lush Canada] et non par [Lush Canada] elle-même ». Il a par conséquent conclu que la défenderesse avait réussi à établir l’emploi de la marque durant la période pertinente.

[9]  Ayant constaté que la défenderesse avait établi l’emploi de la marque au sens du paragraphe 4(1) de la Loi, le registraire n’a pas jugé nécessaire de décider si la preuve des ventes de vêtements aux États-Unis attestait un emploi au sens du paragraphe 4(3) de la Loi. Il a toutefois ajouté que même si, à l’inverse du paragraphe 4(1), le paragraphe 4(3) ne contient pas l’exigence de la « pratique normale du commerce », la jurisprudence a établi que le terme « exportation » suppose une certaine forme d’opération commerciale. Cependant, au vu de sa conclusion concernant les ventes au Canada, le registraire a estimé que les ventes de Lush Canada à des employés aux États-Unis constituaient des exportations de produits enregistrés s’apparentant à des opérations commerciales.

III.  Questions en litige

[10]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’exigence du paragraphe 4(1) concernant l’emploi « dans la pratique normale du commerce » suppose-t-elle le transfert des produits portant la marque en vue d’en tirer un profit?
  2. Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que les produits portant la marque n’avaient pas une fonction purement promotionnelle?
  3. Le critère de l’emploi est-il énoncé différemment au paragraphe 4(1) et au paragraphe 4(3) de la Loi?

IV.  Norme de contrôle

[11]  Citant l’arrêt Rogers Communications Inc. c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, la demanderesse soutient que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique puisque la Cour doit se prononcer sur ce que signifie « emploi dans la pratique normale du commerce », une pure question de droit.

[12]  Je suis d’avis cependant que ce qui constitue un « emploi dans la pratique normale du commerce » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi soulève une question mixte ou une question où le droit et les faits sont étroitement imbriqués et dont il est difficile de distinguer clairement la question de droit de son contexte factuel (Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, aux paragraphes 36 et 39).

[13]  Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et la décision du registraire commande une certaine retenue. Cette conclusion s’impose en outre par le fait que le registraire applique sa loi constitutive (One Group LLC c Gouverneur Inc., 2016 CAF 109, au paragraphe 14; Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145 (CAF), au paragraphe 51).

V.  Discussion

A.  L’exigence du paragraphe 4(1) concernant l’emploi « dans la pratique normale du commerce » suppose-t-elle le transfert des produits portant la marque en vue d’en tirer un profit?

[14]  La demanderesse soutient que le registraire a commis une erreur de droit en statuant que la notion de profit n’est pas sous-entendue dans le passage « dans la pratique normale du commerce » du paragraphe 4(1) de la Loi. Il est clair selon elle que ce passage exige qu’un transfert soit effectué aux fins de l’achalandage et de la réalisation d’un profit, et elle cite plusieurs jugements à l’appui. Selon les éléments de preuve présentés par la défenderesse, chaque tee-shirt vendu a donné lieu à une perte nette. Ces éléments de preuve révèlent en outre que, sur une période de 18 mois, à peine 2 tee-shirts ont été vendus dans chacun des magasins du Canada. La demanderesse estime que d’autres éléments de preuve seraient nécessaires pour établir que ces ventes ont été réalisées dans la pratique normale du commerce, d’autant plus que la défenderesse est une entreprise de produits cosmétiques.

[15]  La demanderesse soutient que l’absence d’objectif de rentabilité est un facteur parmi d’autres pour établir l’emploi dans la pratique normale du commerce, mais que si on combine l’absence de profit au fait que, de l’aveu de la défenderesse, les tee-shirts ont été vendus aux employés de Lush Canada à des fins promotionnelles pour augmenter l’achalandage attaché à l’entreprise de produits cosmétiques et non aux tee-shirts, il devient manifeste qu’ils n’ont pas été employés « dans la pratique normale du commerce ».

[16]  De l’avis de la défenderesse, il n’appartient pas au registraire de comparer les recettes et les dépenses pour déterminer si un profit a été réalisé dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 45, [traduction] « car un tel exercice de microcomptabilité serait incompatible avec une procédure sommaire conçue pour éliminer le “bois mort” du registre des marques de commerce ». Autrement, les entreprises qui vendent intentionnellement des produits [traduction] « d’appel » à un prix inférieur au coût de revient mettraient leur marque de commerce à risque. Le critère approprié est plutôt de savoir si des produits ont été fournis en échange d’un paiement ou d’une contrepartie quelconque, ou si le transfert faisait partie d’une entente (Banque Royale du Canada c Registre des marques de commerce (1995), 63 CPR (3d) 322, à la page 327 (CF 1re inst.)).

[17]  La défenderesse souligne en outre que les questions soulevées dans la jurisprudence citée par la demanderesse ne se posent pas ici : la remise d’échantillons gratuits (Distrimedic Inc. c Dispill Inc., 2013 CF 1043); la distribution gratuite (Renaud Cointreau & Cie c Cordon Bleu International Ltd, 52 CPR (3d) 284, conf. dans [2000] ACF no 1414); la remise de cadeaux (Canada Goose Inc. c James, 2016 COMC 145); l’absence d’opération commerciale (Oyen Wiggs Green c Flora Manufacturing and Distributing Ltd, 125 CPR (4th) 152), et le manque de preuve nécessitant l’inférence que les ventes ont été faites dans la pratique normale du commerce (Cast Iron Soil Pipe Institute c Concourse International Trading Inc., 19 CPR (3d) 393 COMC [Cast Iron Soil Pipe]).

[18]  En soi, la distribution gratuite de produits promotionnels ne déclenche pas l’application du paragraphe 4(1) de la Loi. De même, le transfert de biens dans le but express d’augmenter l’achalandage ne suffit pas pour établir un transfert ou un emploi dans la pratique normale du commerce. Toutefois, même si la distribution gratuite de produits n’est pas normalement considérée comme un emploi dans la pratique normale du commerce au sens du paragraphe 4(1), elle pourrait le devenir si elle s’intègre dans une pratique courante d’une entreprise visant à réaliser un profit et à accroître l’achalandage rattaché aux produits distribués gratuitement, à plus forte raison s’ils font partie de la gamme courante des produits vendus par l’entreprise.

[19]  En l’espèce, il existe des éléments de preuve que des employés ont payé pour acquérir les tee-shirts, et qu’ils ont donc été [traduction] « fournis en échange d’un paiement ou d’une contrepartie quelconque », ou que leur transfert [traduction] « faisait partie d’une entente ». Cela dit, cette forme d’échange n’établit pas en soi l’emploi dans la pratique normale du commerce. Il a été établi dans certaines décisions que le paragraphe 4(1) exige [traduction« le transfert de biens portant une marque […] aux fins de l’acquisition d’achalandage et de profits » (Cast Iron Soil Pipe, au paragraphe 6 [je souligne]; voir également Gill, Fox on Canadian Law of Trade marks and Unfair Competition, 4e édition, Toronto, Thomson Reuters, 2017, aux pages 3 à 45).

[20]  Lorsque, comme c’est le cas ici, des articles (les tee-shirts) sont vendus à prix coûtant aux employés seulement, à des fins promotionnelles et en vue d’augmenter l’achalandage d’une entreprise différente (l’entreprise de produits cosmétiques), il est difficile de voir comment ce type de vente pourrait être considéré comme un emploi dans la pratique normale du commerce au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. Au vu des circonstances de l’espèce et compte tenu de la nature promotionnelle et non lucrative de la vente de tee-shirts à un petit nombre d’employés par une entreprise qui ne vend pas habituellement des vêtements, je conclus qu’il était déraisonnable de la part du registraire de déterminer que ces ventes ont été réalisées dans la « pratique normale du commerce ».

B.  Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que les produits portant la marque n’avaient pas une fonction purement promotionnelle?

[21]  La demanderesse soutient que le registraire a commis une erreur en refusant de tirer une conclusion défavorable à l’égard la défenderesse, qui a produit inutilement des éléments de preuve confirmant ses achats auprès d’Ethical Profiling. Selon la demanderesse, le registraire a ainsi commis une erreur de droit, et elle cite à l’appui diverses décisions ayant autorisé une partie à utiliser les éléments de preuve d’une partie adverse contre elle. Il s’agit d’une considération particulièrement significative dans les instances fondées sur l’article 45, car seule la partie qui a enregistré la marque peut produire des éléments de preuve et les affidavits ne font pas l’objet d’un contre-interrogatoire. Il s’ensuit, aux yeux de la demanderesse, qu’en refusant de tirer une conclusion défavorable à l’égard des éléments de preuve de la défenderesse, le registraire a ignoré les éléments de preuve pertinents et commis une erreur de droit.

[22]  La demanderesse estime en outre que le registraire a conclu de manière déraisonnable que les tee-shirts n’avaient pas une fonction purement promotionnelle. La demanderesse rappelle que les vêtements portant la marque visaient à rehausser l’image de la défenderesse et à promouvoir ses campagnes de bienfaisance. À son avis, il ne s’agit pas d’emplois de biens portant une marque « dans la pratique normale du commerce », citant là encore un certain nombre de décisions à l’appui.

[23]  Je reconnais la pertinence des éléments de preuve provenant d’Ethical Profiling aux fins de l’analyse de la fonction promotionnelle de la vente des tee-shirts.

[24]  La défenderesse fait valoir que les tee-shirts portant la marque sont avant tout des objets commerciaux qui sont accessoirement utilisés à des fins promotionnelles, et qu’il n’existe pas de dichotomie stricte entre les deux catégories. Elle rappelle à l’appui de cette affirmation qu’il est de pratique courante dans l’industrie du divertissement de vendre des produits portant la marque de commerce d’une émission de télévision ou d’un groupe musical. De plus, les employés ont acheté les tee-shirts pour les offrir en cadeau à des membres de leur famille et à des amis. Par conséquent, il est clair que les ventes ont été réalisées dans la pratique normale du commerce et pas simplement à des fins promotionnelles pour soutenir l’entreprise de produits cosmétiques Lush Canada. Toutefois, en l’absence de preuve de profit, il est difficile de concevoir que ces ventes avaient un autre objectif que la promotion de l’entreprise principale et des campagnes de bienfaisance de Lush Canada, hormis peut-être la volonté d’offrir une faveur aux employés et à leur famille. Même là, il serait difficile d’établir qu’un tel emploi a eu lieu dans la pratique normale du commerce.

[25]  La défenderesse renvoie à la décision Société canadienne des postes c H & K Horizons Inc. (1997), 84 CPR (3d) 232, à page 239 (COMC) [Postes Canada], dans laquelle le registraire a conclu que Postes Canada avait offert des produits en vente à ses employés « dans la pratique normale du commerce » puisque, même s’il s’agissait de petits volumes, les ventes étaient régulières et les employés devaient payer pour acquérir les produits. Il faut cependant distinguer cette affaire de l’espèce, dans laquelle des éléments de preuve attestent que les produits ont été vendus au prix coûtant ou à perte à des fins promotionnelles.

[26]  À nouveau, compte tenu de la nature première, sinon exclusive, de ces ventes, je conclus que la décision du registraire était déraisonnable.

C.  Le critère de l’emploi est-il énoncé différemment au paragraphe 4(1) et au paragraphe 4(3) de la Loi?

[27]  La demanderesse soutient que les paragraphes 4(1) et 4(3) imposent les mêmes exigences pour ce qui concerne l’emploi de la marque. Le paragraphe 4(3) a été adopté en vue de protéger les entités dont les activités commerciales authentiques se déroulent exclusivement à l’étranger et qui, de ce fait, ne sont pas en mesure de se conformer aux exigences du paragraphe 4(1). La demanderesse affirme que si une entité peut se conformer aux exigences du paragraphe 4(3), mais non à celles du paragraphe 4(1) à l’égard d’activités essentiellement similaires, les marques de commerce des sociétés qui exercent leurs activités au Canada seraient moins bien protégées que celles des entités exportatrices. Par conséquent, si les activités de la défenderesse ne satisfont pas aux exigences liées à l’emploi du paragraphe 4(1), elles ne satisfont pas non plus à celles du paragraphe 4(3).

[28]  Je suis d’accord avec la défenderesse lorsqu’elle affirme que la jurisprudence a confirmé la distinction entre le critère d’analyse du paragraphe 4(3) et celui du paragraphe 4(1). Dans la décision Molson Co c Moosehead Breweries Ltd, [1990] ACF no 602, aux paragraphes 20 à 22, citée par les deux parties, le juge MacKay explique la distinction entre les deux critères :

[traduction]
À mon avis, il découle du paragraphe 4(3) que si une marque de commerce est apposée sur des produits ou sur les emballages qui les contiennent au Canada, ces produits doivent être réputés avoir été exportés au titre d’une opération commerciale si l’emploi de la marque de commerce sur les produits exportés est réputé être survenu au Canada.

Selon la lecture que j’en fais, l’exigence du paragraphe 4(1) voulant que l’opération se fasse « dans la pratique normale du commerce » n’est pas sous-entendue au paragraphe 4(3).

La norme imposée est différente, mais non moins stricte que celle du paragraphe 4(1) pour ce qui est de l’emploi d’une marque de commerce.

[29]  Même si les deux critères sont distincts, il ne faut pas perdre de vue l’objet du paragraphe 4(3), qui est d’offrir la protection de la Loi aux entités canadiennes dont les ventes sont réalisées exclusivement à l’étranger, mais qui ont néanmoins droit à cette protection. Ma conclusion repose sur le raisonnement suivi par le juge Strayer dans l’arrêt Coca-Cola Ltd. c Pardhan, [1999] ACF no 484, au paragraphe 22 :

En ce qui concerne le paragraphe 4(3), les appelantes soutiennent qu’il crée une sorte de droit d’action automatique fondé simplement sur le fait d’exporter. Il me semble que le paragraphe dispose essentiellement, non pas que toute exportation de marchandises portant une marque de commerce est réputée constituer un emploi de cette marque de commerce, mais que l’« emploi » réel de cette marque est réputé, le cas échéant, être survenu au « Canada ». Je retiens l’analyse effectuée par le juge MacKay dans l’affaire Molson Companies Ltd. c Moosehead Breweries Ltd. et autres, selon laquelle le paragraphe 4(3) a pour objet de permettre aux producteurs canadiens qui ne vendent pas leurs marchandises localement, mais les expédient simplement à l’étranger, de démontrer qu’il y a eu emploi au Canada aux fins de faire enregistrer leur marque de commerce au Canada. Cela a été jugé important pour qu’ils puissent la faire enregistrer à l’étranger. En outre, comme l’a fait remarquer le juge des requêtes, le paragraphe 4(3) peut avoir de l’importance du fait qu’il permet d’intenter une action pour usurpation contre la personne qui exporte des marchandises contrefaites à partir du Canada sans en vendre localement. Mais je ne crois pas qu’il ait pour effet de créer un « emploi » au sens de la Loi dans les cas où des marchandises authentiques du propriétaire de la marque de commerce sont expédiées à partir du Canada.

[30]  Autrement dit, lorsque les activités d’une partie au Canada n’établissent pas l’emploi d’une marque de commerce, ces activités ne créent pas un emploi du simple fait qu’une exportation a eu lieu. Une partie ne peut pas être autorisée à contourner les exigences normales de la Loi parce qu’elle expédie un produit outre-frontière. Par conséquent, ayant constaté que les ventes de tee-shirts de la défenderesse ne constituent pas un emploi aux fins du paragraphe 4(1), je ne puis conclure que l’emploi a été établi aux fins du paragraphe 4(3) par le seul fait qu’il y a eu exportation.

[31]  L’appel est rejeté, avec dépens à la demanderesse.

[32]  Si les parties ne trouvent pas de terrain d’entente à cet égard, elles pourront soumettre des observations écrites brèves, ne dépassant pas 5 pages, dans les 10 jours suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-825-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’appel est accueilli et l’enregistrement no LMC 649 810 est radié du registre.

  2. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-825-17

 

INTITULÉ :

RICHES, McKENZIE & HERBERT LLP c COSMETIC WARRIORS LIMITED

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Peter Choe

Pour la demanderesse

 

Mark Robbins

Tamara Winegust

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG (CANADA) LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

BERESKIN & PARR, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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