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Date : 20180116


Dossier : IMM-2684-17

Référence : 2018 CF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

FERIDE CELIK GUVEN et

MIRAY GUVEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 19 mai 2017, qui rejette la demande d’asile des demanderesses en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie. La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en fondant ses conclusions relatives à la crédibilité sur une omission des notes au point d’entrée (PDE). Même si la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis une erreur en tirant cette conclusion, il était déraisonnable de sa part de rejeter les explications des demanderesses pour l’absence d’éléments de preuve corroborants, puisque ces explications étaient bien étayées par les documents faisant état de la situation au pays, établissant les risques réels et perçus des membres du mouvement Hizmet, ainsi que des conjoints des membres du mouvement Hizmet. De plus, la conclusion générale de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demanderesses ne seraient pas exposées à une possibilité sérieuse de persécution si elles retournaient en Turquie est incompatible avec les documents faisant état de la situation au pays.

I.  Contexte

[3]  Les demanderesses, Feride Celik Guven (Mme Guven) et Miray Guven, sa fille d’un an, sont des citoyennes de la Turquie.

[4]  Gokhan Guven (M. Guven) est l’époux de Mme Guven et le père de Miray Guven. M. Guven est un membre du mouvement religieux et social Hizmet, dont les membres ont été blâmés pour avoir orchestré un coup d’État qui a échoué en Turquie en juillet 2016. Le gouvernement turc considère le mouvement comme une organisation terroriste. M. Guven, qui avait projeté d’étudier au Canada, a accéléré son départ de la Turquie le 18 juillet 2016 et a par la suite sollicité l’asile au Canada, craignant la persécution en raison de son affiliation avec le mouvement Hizmet. La Section de la protection des réfugiés a accepté la demande d’asile de M. Guven le 16 novembre 2016. Les demanderesses sont restées dans la maison familiale dans la République turque de Chypre du Nord.

[5]  Les demanderesses racontent que le 10 août 2016, la police turque a effectué une descente à leur domicile parce qu’elle était à la recherche de M. Guven. La police a pris l’ordinateur familial et les documents qu’il contenait, et a brisé des objets dans leur maison. Mme Guven raconte que les policiers lui ont dit que son époux était un traître et un terroriste, et que tôt ou tard, ils allaient le retrouver.

[6]  Les demanderesses sont arrivées au Canada le 14 mars 2017 en passant par les États-Unis et ont demandé l’asile dès leur arrivée. Dans leur entrevue initiale au PDE, Mme Guven a prétendu qu’elle était exposée à un risque parce que la police était à la recherche de son mari. Dans l’annexe A du formulaire générique de demande, remplie au PDE, Mme Guven n’a pas déclaré qu’elle était membre d’un groupe ou d’une organisation quelconque en réponse à la question 9. Par la suite, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile rempli le 21 mars 2017, elle a déclaré qu’elle était exposée à un risque en raison de l’affiliation de son époux avec le mouvement Hizmet, et parce qu’elle était membre de l’organisation. Dans son témoignage de vive voix à la Section de la protection des réfugiés, elle a une nouvelle fois déclaré qu’elle était membre du mouvement Hizmet, et a expliqué qu’elle s’y est impliquée après son mariage en 2014 et qu’elle a participé aux discussions religieuses et aux collectes de fonds avec d’autres membres.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile des demanderesses en concluant que Mme Guven n’avait pas établi qu’elle était membre du mouvement Hizmet ou qu’elle serait ainsi perçue, et que les demanderesses ne risqueraient pas d’être persécutées à leur retour en Turquie.

[8]  La Section de la protection des réfugiés a d’abord déclaré que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé être vrai « à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de sa véracité. Lorsqu’elle évalue le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la Commission peut apprécier sa vraisemblance, et faire preuve de bon sens et de rationalité. Lorsque les éléments de preuve présentés à la Commission ne concordent pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la présomption de véracité peut être réfutée. » (citant Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, au paragraphe 11, [2015] ACF no 748 (QL) [Su]). La Section de la protection des réfugiés a ensuite déclaré que la présomption de véracité avait été réfutée.

[9]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que Mme Guven n’avait pas établi le fait qu’elle était membre du mouvement Hizmet ou qu’elle serait perçue comme un membre, et a souligné que le seul élément de preuve corroborant soumis était la demande d’asile favorable de M. Guven qui ne lie pas la Cour.

[10]  La Section de la protection des réfugiés n’était pas convaincue par l’explication de Mme Guven concernant l’absence d’autres éléments de preuve corroborants. Mme Guven avait expliqué qu’elle n’avait pas demandé à d’autres membres du mouvement Hizmet de fournir des lettres corroboratives parce que cela pourrait les exposer à un risque étant donné qu’ils faisaient tous l’objet d’une surveillance et que l’épouse du collègue de son mari avait été arrêtée. La Section de la protection des réfugiés a fait remarquer que Mme Guven savait qu’elle quittait la Turquie pour présenter une demande d’asile au Canada, connaissait la procédure en raison de la demande de son mari et avait le temps de recueillir les documents nécessaires.

[11]  La Section de la protection des réfugiés a également noté que la question 9 de l’annexe A de la demande au PDE porte sur les membres des organisations et Mme Guven n’a pas inscrit le mouvement Hizmet et n’a pas non plus fourni de détails au sujet du mouvement Hizmet. Quand elle a été interrogée sur cette omission, elle a déclaré qu’elle avait fourni la même réponse au PDE qu’à l’audience, c’est-à-dire qu’elle faisait partie du mouvement Hizmet depuis trois ans. La Section de la protection des réfugiés n’était pas convaincue de l’explication, déclarant qu’il ne s’agit pas de répondre [traduction] « oui ou non » à la question 9 et que si elle avait fourni des détails au sujet du mouvement Hizmet au PDE, il y aurait eu des renseignements sur le formulaire. La Section de la protection des réfugiés a ajouté que la prétendue implication de Mme Guven avec le mouvement Hizmet ne se reflétait pas dans les notes prises au PDE qui déclaraient seulement qu’elle et sa fille demandaient l’asile parce que son mari était recherché par la police.

[12]  La Section de la protection des réfugiés a reconnu que les personnes perçues comme étant des membres du mouvement Hizmet peuvent être visées par les autorités. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés a conclu que Mme Guven ne serait pas perçue comme membre du mouvement Hizmet, indiquant qu’elle et sa fille n’avaient pas été blessées par les policiers pendant la descente à leur domicile, que la police n’était jamais retournée à leur domicile, que Mme Guven avait continué à travailler jusqu’à une semaine avant son départ, et qu’aucune menace n’avait été proférée à leur égard.

[13]  La Section de la protection des réfugiés a également tenu compte des éléments de preuve documentaire indiquant que le gouvernement turc avait révoqué les passeports des personnes soupçonnées de faire partie du mouvement Hizmet, et de leurs conjoints. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés n’a pas cru que Mme Guven n’aurait pas été en mesure de renouveler son passeport, comme elle l’avait soutenu, parce que les demanderesses avaient quitté la Turquie avec leur propre passeport sans incident.

[14]  La Section de la protection des réfugiés a fait remarquer la prétention de Mme Guven selon laquelle les membres de la famille des membres du mouvement Hizmet qui sont recherchés par la police peuvent être arrêtés quand la personne recherchée ne peut être retrouvée, et qu’elle et sa fille sont exposées à ce risque parce que la police pourrait revenir à tout moment et l’arrêter si elle ne peut pas trouver M. Guven. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse d’un tel risque dès leur retour en Turquie parce que rien ne leur était arrivé au cours de la période qui avait précédé leur départ. La Section de la protection des réfugiés a ajouté que les propres expériences des demanderesses révèlent que le gouvernement turc ne s’intéresse pas à elles.

[15]  La Section de la protection des réfugiés a également jugé que la descente de police au domicile des demanderesses ne constitue pas de la persécution parce que les demanderesses n’ont pas été victimes d’une violation grave de leurs droits fondamentaux.

[16]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi le bien-fondé de leur demande d’asile.

III.  La norme de contrôle applicable

[17]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait, incluant la crédibilité, et aux questions mixtes de fait et de droit.

[18]  Le rôle de la Cour est de considérer la question de savoir si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas la preuve.

[19]  Il est également bien établi que les commissions et les tribunaux sont placés de façon idéale pour apprécier la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (QL), 160 NR 315 (CAF). Les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité devraient être traitées avec grande déférence : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43. Toutefois, comme il est expliqué ci-dessous, les conclusions quant à la crédibilité n’échappent pas au contrôle judiciaire.

IV.  Questions en litige

[20]  La seule question à trancher est de déterminer si la décision de la Section de la protection des réfugiés est raisonnable. À cette fin, il faut examiner si les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité sont raisonnables, si la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement rejeté l’explication pour l’absence d’éléments de preuve corroborants, et si la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que les demanderesses, en tant que membres ou affiliées aux membres du mouvement Hizmet, ou perçues comme étant des membres, ne risquent pas la persécution si elles retournent en Turquie.

V.  Les observations des demanderesses

[21]  Les demanderesses soutiennent que la Section de la protection des réfugiés a tiré des conclusions erronées relatives à la crédibilité, a rejeté de façon déraisonnable l’explication de Mme Guven pour l’absence d’éléments de preuve corroborants et n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qui montre que les membres du mouvement Hizmet, ou ceux qui sont perçus ainsi, risqueraient la persécution en Turquie.

[22]  Les demanderesses soutiennent que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en s’appuyant sur l’omission de Mme Guven à la question 9 de l’annexe A pour réfuter la présomption de véracité. Les demanderesses mentionnent que l’annexe A comprend de nombreuses erreurs que la Section de la protection des réfugiés a reconnues comme de simples erreurs, incluant l’orthographe du nom de M. Guven et le niveau d’instruction de Mme Guven. Les demanderesses soutiennent que cette omission dans les notes au PDE n’est pas une incohérence. Les demanderesses soulignent que Mme Guven avait été cohérente, dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA) et dans son témoignage, à savoir qu’elle avait été impliquée dans le mouvement Hizmet depuis 2014.

[23]  Les demanderesses soutiennent également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en exigeant une preuve corroborative, en rejetant la preuve fournie et en rejetant leurs explications pour l’absence d’autres éléments de preuve corroborants.

[24]  Les demanderesses soutiennent que la décision favorable de la Section de la protection des réfugiés concernant M. Guven était fort probante et corroborait les allégations de Mme Guven. Les demanderesses soutiennent que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte de la demande d’asile favorable de Guven et a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments dont elle était saisie (Cepeda-Gutiérrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CF 8667, au paragraphe 17, 157 FTR 35).

[25]  Les demanderesses soutiennent en outre que la Section de la protection des réfugiés a rejeté déraisonnablement l’explication de Mme Guven pour laquelle elle n’a pas soumis d’autres éléments de preuve corroborants. Mme Guven a témoigné que les membres du mouvement Hizmet font l’objet de surveillance en Turquie, et que tenter d’obtenir des éléments de preuve corroborants leur ferait courir un danger. Cette constatation est confirmée par les documents faisant état de la situation dans le pays qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

VI.  Les observations du défendeur

[26]  Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur en jugeant que l’omission de l’appartenance de Mme Guven au mouvement Hizmet à la question 9 a réfuté la présomption de véracité, parce qu’il s’agissait d’un élément central de sa demande, contrairement aux erreurs mineures dans le formulaire du PDE. Le défendeur ajoute qu’il était raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés de présumer que, si Mme Guven avait fourni tous les détails quand le formulaire au PDE a été rempli, certains de ces renseignements auraient été inclus dans le formulaire. Le défendeur souligne également que la prétendue affiliation de Mme Guven avec le mouvement Hizmet n’est pas reflétée dans la transcription de l’entrevue qui a eu lieu au PDE.

[27]  Le défendeur soutient que la présomption selon laquelle le témoignage sous serment est véridique peut aussi être réfutée par l’absence d’éléments de preuve corroborants où il serait raisonnable de s’attendre à ce que soit présenté un tel élément de preuve, ce qui est le cas en l’espèce (Bhagat et al c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1088, aux paragraphes 9, 11 et 12, [2009] ACF no 1368 (QL) [Bhagat]). Le défendeur soutient que les demanderesses ont eu le temps de recueillir les documents nécessaires avant de quitter la Turquie, mais ne l’ont pas fait.

[28]  Le défendeur soutient que la demande d’asile de M. Guven qui a été acceptée a été examinée par la Section de la protection des réfugiés, et la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu qu’elle n’était pas contraignante. La jurisprudence a établi que chaque demande d’asile doit être appréciée individuellement, selon son propre bien-fondé et que la Section de la protection des réfugiés n’est pas liée par le résultat obtenu dans une autre revendication, et ce, même lorsqu’il s’agit d’un parent (Uygur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 752, aux paragraphes 28 et 29, [2013] ACF no 801 (QL) [Uygur]).

[29]  Le défendeur ajoute que la Section de la protection des réfugiés avait le droit de rejeter l’explication des demanderesses concernant l’absence d’éléments de preuve corroborants (Shoor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 700, au paragraphe 16, 204 ACWS (3d) 124 [Shoor]). Le défendeur soutient que les demanderesses n’ont pas expliqué la raison pour laquelle elles n’ont pas été en mesure d’obtenir des éléments de preuve de la part d’autres membres du mouvement Hizmet, ou de leur famille en Turquie, avec laquelle elles communiquent fréquemment.

[30]  Le défendeur soutient également que la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que Mme Guven ne serait pas perçue comme un membre du mouvement Hizmet étant donné que sa vie en Turquie n’avait pas changé après la descente de police.

VII.  Les conclusions de la Section de la protection des réfugiés relatives à la crédibilité ne sont pas raisonnables

[31]  Bien que les conclusions du décideur initial ‒ dans ce cas, la Section de la protection des réfugiés ‒ relatives à la crédibilité commandent la retenue, elles n’échappent pas au contrôle judiciaire. La jurisprudence prévoit beaucoup d’indications quant au fondement sur lequel les conclusions sur la crédibilité peuvent être raisonnablement tirées. S’appuyer sur un principe de la jurisprudence pour tirer des conclusions sur la crédibilité sans tenir compte des autres principes clés peut mener à l’erreur, comme il en est question en l’espèce.

[32]  La Section de la protection des réfugiés a déclaré, citant Su, « le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons valables de douter de sa véracité. Lorsqu’elle évalue le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la Commission peut apprécier sa vraisemblance, et faire preuve de bon sens et de rationalité. Lorsque la preuve devant la Commission est incompatible avec la déclaration sous serment du demandeur, la présomption de véracité se trouve réfutée ».

[33]  Bien que ce soit un énoncé exact de Su, la Section de la protection des réfugiés n’a pas tiré de conclusions d’invraisemblance en l’espèce, et le témoignage sous serment de Mme Guven n’est pas incompatible avec la preuve non plus. De plus, il existe d’autres principes pertinents dans la jurisprudence que la Section de la protection des réfugiés aurait dû examiner avant de tirer ses conclusions relatives à la crédibilité.

A.  Principes pertinents de la jurisprudence

[34]  Le rôle de la Cour, lorsqu’elle examine les conclusions sur la crédibilité, est limité. Comme l’a souligné la juge Mary Gleason (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42, 213 ACWS (3d) 1003 [Rahal], le tribunal a, entre autres, l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve, et possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision.

[35]  Malgré son rôle limité, la Cour doit quand même s’assurer que les conclusions relatives à la crédibilité sont raisonnables. Pour évaluer le caractère raisonnable des conclusions sur la crédibilité, la juge Gleason a souligné plusieurs indices dans Rahal, aux paragraphes 43 à 46, y compris :

  • Les contradictions relevées dans la preuve, plus précisément dans le témoignage du demandeur d’asile, constituent un motif raisonnable de conclure à la non-crédibilité de ce demandeur, à condition toutefois qu’elles soient réelles, et non pas illusoires ou insignifiantes.
  • Le témoignage sous serment du demandeur d’asile est présumé véridique s’il n’est pas entaché de contradictions, mais la Section de la protection des réfugiés peut raisonnablement le rejeter si elle l’estime invraisemblable. Toute conclusion d’invraisemblance doit être logique, sensible aux différences culturelles et clairement formulée.
  • Le décideur peut prendre en considération le comportement du témoin, y compris ses hésitations, le manque de précision de ses propos et le fait qu’il ait modifié ou étoffé sa version, mais il est préférable que d’autres faits, de caractère objectif, viennent aussi justifier la conclusion sur la crédibilité.
  • Le décideur doit exposer clairement ses conclusions sur la crédibilité et les motiver de manière suffisamment détaillée.

[36]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés ne signale aucune contradiction dans le témoignage de Mme Guven devant la Section de la protection des réfugiés et dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, et ne signale pas non plus d’invraisemblance, de précision et d’hésitation dans son témoignage.

[37]  Dans Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, [2013] ACF no 473 (QL) [Ndjavera], le juge Donald Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a abordé la question de la nécessité d’une corroboration, soulignant, aux paragraphes 6 et 7, ce qui suit :

[6] Dans ces circonstances, la demanderesse n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité qui soit uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 à 22). 

[7] Si elle a une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse, la Commission peut alors tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre. La décision dépend en grande partie du type de preuve requise et de la mesure dans laquelle elle se rapporte à un élément central de la demande. La preuve corroborante est particulièrement utile lorsqu’elle provient d’une source neutre. Il pourrait être déraisonnable de s’attendre d’un demandeur d’asile de produire ou de rassembler des documents qui ne sont pas facilement accessibles avant de s’enfuir. [...]

[38]  Dans Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84, 22 Imm LR (4th) 276 [Ismaili], invoqué par le défendeur, la juge Strickland a également examiné plusieurs principes applicables dans la jurisprudence en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité et leur relation. Les principes applicables à l’espèce soumis par la juge Strickland peuvent se résumer comme suit :

  • Quand un demandeur affirme sous serment que certaines allégations sont vraies, on présume que celles-ci le sont, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, au paragraphe 5, 31 NR 34 (CAF) [Maldonado]).
  • C’est au demandeur qu’il incombe d’établir les éléments essentiels de sa demande d’asile.
  • Le décideur (la Section de la protection des réfugiés) a le droit de tenir compte du peu d’efforts que le demandeur avait déployés pour établir les éléments essentiels de sa demande ‒ dans le cas où une preuve corroborante serait disponible ‒ et de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité compte tenu du manque d’éléments de preuve corroborants.
  • Quand il existe une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, ou quand le récit du demandeur est invraisemblable, l’absence d'éléments de preuve documentaire peut être un facteur valable à prendre en compte aux fins de l’appréciation de la crédibilité. Toutefois, des conclusions défavorables relativement à la crédibilité peuvent seulement être tirées lorsque le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il n’a pas fourni de documents corroborants (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, au paragraphe 22, [2007] ACF no 1326 (QL) [Dundar]; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10, [2004] ACF no 62 (QL)).
  • Les conclusions au sujet de la crédibilité ne doivent pas être uniquement fondées sur l’absence de preuves corroborantes (Ndjavera, aux paragraphes 6 et 7).

[39]  En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les formulaires et les notes au PDE, la jurisprudence met en garde contre les contradictions dans le témoignage entre les notes au PDE et les témoignages et documents ultérieurs, à moins que ces contradictions concernent les « éléments centraux » de la demande d’un demandeur.

[40]  Dans Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102, [2010] ACF no 1388 [Wu], le juge O’Reilly souligne de nombreuses réserves au sujet de la crédibilité du demandeur d’asile, incluant des contradictions dans le récit du demandeur concernant le passeport qu’il a utilisé, l’itinéraire qu’il a emprunté pour voyager au Canada, et son aveu selon lequel il a délibérément tenté d’induire en erreur l’agent au PDE. En dépit de ces réserves bien fondées, le juge O’Reilly a également examiné la nature des renseignements recueillis à l’étape du PDE, et a souligné, au paragraphe 16, que les décideurs doivent s’abstenir de ne pas « trop s’appuyer » sur les incohérences qui découlent de la preuve des notes au PDE :

[16] En ce qui a trait au fait que la Commission s’appuie sur les différences entre les déclarations de M. Wu au PDE et son témoignage à l’audience, j’admets que la Commission devrait prendre soin de ne pas trop s’appuyer sur les déclarations au PDE. Les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes. En l’espèce, M. Wu soutient qu’il n’a pas compris l’interprète à différents moments et que c’est ce qui explique les différences entre ses déclarations au PDE et son témoignage devant la Commission.

[41]  Dans la même veine, dans Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, 403 FTR 46 [Cetinkaya], le juge Russell fait une mise en garde contre le fait de s’appuyer sur les notes au PDE pour tirer des conclusions relatives à la crédibilité, et déclare, au paragraphe 51 :

La Section de la protection des réfugiés commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité du demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d’entrée ne sont pas détaillés. L’entrevue effectuée au point d’entrée sert à déterminer si une personne peut présenter une demande d’asile. Elle ne fait pas partie de la demande d’asile proprement dite, de sorte qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle contienne tous les détails de celle‑ci (voir aussi Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382, aux paragraphes 43 à 48, et Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25) (non souligné dans l’original). Dans d’autres affaires, on a également jugé que les divergences entre la déclaration au PDE et un témoignage ultérieur peuvent fonder les conclusions relatives à la crédibilité seulement lorsqu’elles « tirent à conséquence » ou portent sur les « éléments centraux d’une demande » (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 767, au paragraphe 12, [2005] ACF no 959, et Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25, 295 FTR 149). Les faits dans chaque cas seront différents, mais le principe n’en demeure pas moins que le décideur fait preuve de prudence en tirant des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur des incohérences ou des omissions découlant des déclarations au PDE. Le PDE ne fait pas partie de la demande d’asile, et on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il comprenne tous les détails de la demande. L’objet du formulaire est d’établir si une personne peut présenter une demande d’asile. De plus, les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies « sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes » (Wu, au paragraphe 16).

[42]  En résumé, la jurisprudence fait une mise en garde contre le fait de s’appuyer sur les notes au PDE en ce qui concerne les omissions et le manque de détails comme seul fondement pour tirer des conclusions défavorables relatives à la crédibilité. Quand un demandeur affirme sous serment que certaines allégations sont vraies, on présume que celles-ci sont vraies, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité (Maldonado, au paragraphe 5 (CA)). S’il existe une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, les décideurs peuvent chercher à obtenir une preuve corroborante, et peuvent tirer des conclusions défavorables de l’absence de corroboration. Toutefois, l’explication du demandeur pour avoir omis de fournir des éléments de preuve corroborants doit d’abord être évaluée avant de tirer de telles conclusions (Dundar, Ismaili, au paragraphe 36; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10, [2004] ACF no 62 (QL)).

B.  La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en fondant ses conclusions relatives à la crédibilité sur l’omission au PDE

[43]  En l’espèce, il n’est pas tout à fait clair si la Section de la protection des réfugiés a mis l’accent sur l’absence d’éléments de preuve corroborants, sans motifs valables pour douter de la crédibilité de Mme Guven, ou si elle a jugé que l’omission dans le formulaire du PDE était une raison valable, mais dans un cas ou dans l’autre, la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur.

[44]  Si la Section de la protection des réfugiés a douté du témoignage de Mme Guven en raison de son omission de mentionner son statut de membre du mouvement Hizmet au PDE, cela est déraisonnable. Comme il a été souligné dans Cetinkaya, le PDE ne fait pas partie de la demande et on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il ait tous les détails. La preuve de Mme Guven ne comprenait aucune contradiction ou incohérence. Au PDE, elle a demandé l’asile parce que son époux était recherché par la police. Alors qu’elle n’a pas précisé la raison pour laquelle son époux était recherché par la police et n’a pas non plus déclaré qu’elle était exposée à un risque en raison de sa participation ou de sa participation perçue au mouvement Hizmet, elle a fourni des précisions ultérieures dans son formulaire Fondement de la demande d’asile qui n’étaient pas incompatibles avec ses éléments de preuves soumis précédemment; son époux était recherché par la police en raison de sa participation au mouvement Hizmet, et Mme Guven a expliqué que sa propre participation était largement attribuable à la participation de son époux. Il ne s’agit pas d’une incohérence concernant un élément central de sa demande. Une fois qu’il a été examiné, l’ensemble de la preuve révèle que sa demande était fondée sur son affiliation avec le mouvement Hizmet ou sa participation à celui-ci par l’intermédiaire de son mari, et qu’elle a été impliquée dans le mouvement après son mariage.

[45]  Comme il a été souligné, il y a des préoccupations quant à la fiabilité inhérente et à l’exactitude dans les formulaires du PDE (voir Wu, au paragraphe 16, et Cetinkaya, aux paragraphes 49 à 51). En l’espèce, l’annexe A semble avoir été remplie de façon abrégée et à l’aide d’un interprète. En plus des erreurs signalées par les demanderesses, les questions 9 à 11 sont demeurées vides, même si le formulaire oblige explicitement les demandeurs à écrire « Néant » où il n’y a aucun détail à fournir. Les notes de l’entrevue sont tout aussi brèves.

[46]  À mon avis, l’omission de Mme Guven dans les notes et le formulaire de l’entrevue au PDE n’est pas suffisamment importante pour mettre en doute sa crédibilité. Mme Guven était par ailleurs cohérente dans l’ensemble de sa preuve.

[47]  Alors que le défendeur soutient que l’omission des demanderesses dans les formulaires et les notes de l’entrevue au PDE concernant son statut de membre du mouvement Hizmet était un « élément central » de sa demande, la Section de la protection des réfugiés n’en a pas tiré une telle conclusion. Il s’agit seulement du raisonnement du défendeur. La Section de la protection des réfugiés ne reconnaît même pas que la jurisprudence met en garde contre le fait de tirer des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les incohérences ou le manque de détail au PDE, et tente encore moins de distinguer cela comme une omission au sujet d’un élément central de la demande.

[48]  La Section de la protection des réfugiés a également commis une erreur en rejetant les explications des demanderesses pour l’absence d’éléments de preuve corroborants.

[49]  La Section de la protection des réfugiés a souligné que Mme Guven n’avait pas fourni d’éléments de preuve corroborants de son affiliation avec le mouvement Hizmet et a jugé qu’elle avait eu suffisamment de temps pour rassembler de tels éléments de preuve avant de s’enfuir de la Turquie. Toutefois, comme il a été mentionné ci-dessus, il n’est pas clair si la Section de la protection des réfugiés a demandé une corroboration en raison de l’omission dans le formulaire au PDE ou une corroboration prévue – quelle que soit la raison, la Section de la protection des réfugiés n’avait aucune raison valide de douter de sa crédibilité.

[50]  Le fait que le défendeur se fonde sur Bhagat pour le principe selon lequel la présomption de véracité peut être réfutée par l’absence de corroboration lorsqu’il est raisonnable de s’attendre à une corroboration n’est pas contesté. Dans Bhagat, la Section de la protection des réfugiés avait conclu que le récit du demandeur était invraisemblable. La question n’était pas une omission dans le formulaire ou l’entrevue au PDE. La Cour a conclu que dans les circonstances particulières, la Section de la protection des réfugiés s’était raisonnablement attendue à la corroboration.

[51]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés n’a pas conclu que le témoignage était invraisemblable, elle s’attendait simplement à la corroboration et a ensuite rejeté les explications des demanderesses pour l’absence de corroboration, même si – comme il a été expliqué ci-dessus ‒ les explications étaient bien étayées par les documents faisant état de la situation dans le pays et par la preuve de Mme Guven.

[52]  Le défendeur a eu tort de se fonder sur Shoor pour appuyer le rejet par la Section de la protection des réfugiés des explications pour l’absence de corroboration. Dans cette décision, la Cour a souligné des incohérences et des contradictions dans le Formulaire de renseignements personnels (maintenant remplacé par le formulaire Fondement de la demande d’asile) et a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait le droit de rejeter les explications de ces incohérences et contradictions qu’elle ne jugeait pas crédibles. En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a simplement rejeté les explications sans aucune analyse ou mention concernant les documents faisant état de la situation dans le pays qui appuyaient les explications.

[53]  La Section de la protection des réfugiés a déraisonnablement conclu que la présomption de véracité avait été réfutée. Par conséquent, les éléments de preuve corroborants n’auraient pas été nécessaires en premier lieu. Le fait que la Section de la protection des réfugiés s’attendait à ce que Mme Guven présente des éléments de preuve corroborants était également déraisonnable, compte tenu des documents faisant état de la situation dans le pays concernant les risques auxquels sont exposés les membres du mouvement Hizmet en Turquie et des explications de Mme Guven.

[54]  Mme Guven a expliqué qu’elle n’était pas en mesure d’obtenir des éléments de preuve corroborants de la part des autres membres du mouvement Hizmet ou de sa famille vivant en Turquie en raison du niveau accru de surveillance en Turquie, plus précisément pour les membres du mouvement Hizmet. La Section de la protection des réfugiés a conclu que cela n’expliquait pas la raison pour laquelle elle « n’a pas tenté d’obtenir des éléments de preuve auprès des personnes avec qui elle avait fait du bénévolat et participé à des groupes de discussion religieuse » (paragraphe 24). La preuve de Mme Guven était, à son avis, qu’elle exposait sa famille et ses amis à un danger en leur demandant de confirmer son affiliation avec le mouvement Hizmet, qui est considéré comme un groupe terroriste en Turquie. La Section de la protection des réfugiés a également souligné que Mme Guven n’avait fourni aucun élément de preuve corroborant concernant la descente de police à son domicile, le 10 août 2016, et qu’elle avait expliqué qu’elle n’avait pas pensé en fournir puisqu’elle avait peur. Les éléments de preuve documentaire dont disposait la Section de la protection des réfugiés révèlent que la surveillance en Turquie est courante, plus précisément en ce qui concerne les membres du mouvement Hizmet, et que toute personne ayant un lien perçu avec le mouvement, incluant les membres de la famille, peut en être la cible. La Section de la protection des réfugiés ne semble pas avoir tenu compte des documents faisant état de la situation dans le pays en ce qui concerne ce risque puisqu’elle a simplement rejeté l’explication de Mme Guven sans aucune analyse.

[55]  La Section de la protection des réfugiés n’a pas non plus tenu compte de la façon dont la demande d’asile accueillie de M. Guven était corroborée par la demande des demanderesses. Alors que la Section de la protection des réfugiés n’a pas complètement fait fi de cette décision, elle a simplement déclaré qu’elle n’était pas liée par celle-ci. La jurisprudence a établi que chaque demande d’asile doit être jugée selon son propre bien-fondé, et que la Section de la protection des réfugiés n’est pas liée par les décisions favorables des membres de la famille (Uygur, aux paragraphes 28 et 29, Mantilla Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254, au paragraphe 10, [2008] ACF no 323 (QL); Rahmatizadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 578, au paragraphe 8, 48 ACWS (3d) 1427 (TD)). Toutefois, les demanderesses n’ont pas soumis la décision de M. Guven pour soutenir qu’elle était [traduction] « contraignante ». Elle a été soumise comme corroboration – dans la mesure ou une corroboration était nécessaire‒ des risques pour les demanderesses. La Section de la protection des réfugiés aurait dû examiner la mesure dans laquelle la décision corroborait les risques encourus par Mme Guven en tant que membre perçue du mouvement Hizmet ou personne affiliée à un membre du mouvement Hizmet et sa demande en général.

[56]  La décision de la Section de la protection des réfugiés au sujet de M. Guven est brève, mais elle souligne que son épouse l’avait averti que les autorités turques le cherchaient. Elle confirme qu’il avait inscrit son épouse et sa fille comme des personnes à sa charge en Turquie. Elle confirme que la Section de la protection des réfugiés a reconnu que M. Guven était un membre du mouvement Hizmet, a évalué s’il pouvait obtenir la protection de l’État et s’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable, et a conclu qu’il ne pouvait pas. Bien que la décision de la Section de la protection des réfugiés au sujet de M. Guven ne parle pas de Mme Guven comme étant un membre du mouvement Hizmet, elle étaye certainement que M. Guven ‒ son époux ‒ en était un membre et que la police était à sa recherche en Turquie et qu’il en avait été informé par Mme Guven.

[57]  En conclusion, la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant que la présomption de véracité sous serment avait été réfutée, que ce soit comme résultat de l’omission mineure des demanderesses au PDE ou comme absence d’éléments de preuve corroborants auxquels s’attendait la Section de la protection des réfugiés. Même à supposer que la Section de la protection des réfugiés s’attendait raisonnablement aux éléments de preuve corroborants, elle a commis une erreur en rejetant l’explication de Mme Guven pour l’absence de tels éléments de preuve, qui étaient bien étayés par les documents faisant état de la condition dans le pays. La Section de la protection des réfugiés a également commis une erreur en n’évaluant pas dans quelle mesure la demande d’asile accueillie de M. Guven a fourni une corroboration pour sa demande.

VIII.  La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant que les demanderesses ne risqueraient pas la persécution à leur retour en Turquie.

[58]  La Section de la protection des réfugiés a reconnu que les documents faisant état de la condition dans le pays démontrent que les conjoints des présumés membres du mouvement Hizmet peuvent être arrêtés et que leurs passeports sont révoqués. La Section de la protection des réfugiés n’a pas douté que Mme Guven était l’épouse d’un membre du mouvement Hizmet ou qu’une descente de police avait eu lieu à son domicile le 10 août 2016, malgré le commentaire de la Section de la protection des réfugiés concernant le manque de corroboration de la descente policière.

[59]  Néanmoins, la Section de la protection des réfugiés a conclu que Mme Guven n’était pas exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée en Turquie en raison de son opinion politique parce qu’elle n’avait pas été arrêtée ou menacée durant les sept mois qui ont suivi la descente policière à son domicile, et parce qu’elle avait été en mesure de quitter la Turquie avec son propre passeport.

[60]  La conclusion de la Section de la protection des réfugiés que les demanderesses ne sont pas exposées à un risque parce que « le gouvernement turc ne s’intéresse pas à elles » ne peut pas être justifiée. Les demanderesses ont invoqué les documents devant la Section de la protection des réfugiés, incluant des extraits d’un rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui déclare que les autorités turques se livrent à des mesures qui [traduction] « visent directement ou sont responsables d’affecter les membres de la famille des suspects de façon automatique », incluant [traduction] « les évictions, les résiliations de bail et le gel des biens », ainsi que [traduction] « la révocation du passeport des conjoints » et « l’accès illimité aux données personnelles des membres de leur famille ». Il a également mis en relief un rapport du Département d’État des États-Unis qui mentionne [traduction] qu’« après la tentative de coup d’État, le gouvernement a ciblé des membres de la famille pour exercer de la pression sur les suspects recherchés », incluant la révocation des passeports. Il s’est aussi référé à des rapports d’Amnistie Internationale qui soulignaient, par exemple, que [traduction] « toute personne ayant un lien perçu avec le mouvement […] a été ciblée » et de Human Rights Watch, qui mentionnaient que [traduction] « les personnes visées […] y étaient prises parce qu’il y avait une preuve claire de leur implication dans le coup d’État, mais simplement en raison de leur association perçue ».

[61]  Compte tenu de la documentation cohérente, incontestée et objective sur le pays établissant, entre autres, que [traduction] « toute personne avec un lien perçu [avec le mouvement Hizmet] peut être ciblée » et que les conjoints des membres du mouvement Hizmet peuvent être arrêtés, il était déraisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés de conclure que les demanderesses n’étaient pas exposées à une possibilité sérieuse de persécution – que ce soit en tant que membre du mouvement Hizmet ou en tant qu’épouse d’un membre du mouvement Hizmet – simplement parce qu’elles ont vécu sept mois en Turquie sans avoir subi de persécution.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La demande des demanderesses sera réexaminée par un tribunal constitué différemment de la Section de la protection des réfugiés.

  3. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2684-17

 

INTITULÉ :

FERIDE CELIK GUVEN et MIRAY GUVEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

John Cintosun

 

Pour les demanderesses

 

Nicole Paduraru

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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