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Date : 20171214


Dossier : T-1906-16

Référence : 2017 CF 1144

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

BARRY GROUP INC., PRIDE VENTURES INC., 67108 NEWFOUNDLAND & LABRADOR INC. ET GAUVIN AND NOEL COMPAGNIE LTEE

demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) du 14 octobre 2016 de fermer la pêche du maquereau dans l’Atlantique de 2016 et le 21 octobre 2016 de maintenir cette fermeture (la décision).

[2]  Conformément aux explications détaillées qui figurent ci-dessous, la présente demande est rejetée, car les demanderesses n’ont pas démontré que la décision, de nature législative selon la Cour, a été prise de mauvaise foi ou a été fondée sur des considérations non pertinentes ou erronées, de sorte qu’il s’agit d’une décision déraisonnable.

II.  Résumé des faits

[3]  Barry Group Inc., Pride Ventures Inc., 67108 Newfoundland & Labrador Inc., et Gauvin and Noel Compagnie Ltee. (les demanderesses) sont titulaires de permis de pêche commerciale qui les autorisent à pêcher le maquereau de l’Atlantique au moyen d’engins à senne coulissante sur des navires de plus de 65 pieds de long.

[4]  La pêche du maquereau consiste en la pêche commerciale, la pêche récréative, la pêche comme appâts pour usage personnel, ainsi que la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles. La gestion de ces pêches par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) est appuyée par les commentaires du Comité consultatif du maquereau bleu (CCMB), un comité composé de représentants de l’industrie des pêches, de l’industrie de la transformation, de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard, du Ecology Action Centre et du MPO. Une réunion du CCMB se tient au moins une fois tous les deux ans et les intervenants de la pêche du maquereau fournissent des commentaires sur les considérations liées à la gestion qui concernent les pêches. La dernière réunion du CCMB a eu lieu le 20 avril 2016 et des représentants des demanderesses y ont participé.

[5]  En 2007, le ministre a adopté un document de politique intitulé le Plan de gestion intégrée des pêches (PGIP) qui concerne la gestion de la pêche du maquereau. Le PGIP est qualifié de document évolutif ne comportant aucune date d’échéance.

[6]  Le maquereau est un stock migratoire présent dans différentes régions du Canada atlantique et du Québec à différentes périodes. Le volume du stock présent peut aussi varier d’une année à l’autre. La pêche commerciale du maquereau, à laquelle les demanderesses participent, a lieu dans quatre régions concernées du MPO (les régions du Golfe, des Maritimes, de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec) et il s’agit d’une pêche concurrentielle, c’est-à-dire qu’aucun quota et aucune allocation ou limite de captures n’est assigné aux permis individuels, par des conditions de permis ou autrement. Cependant, un total autorisé des captures (TAC) établi par le ministre chaque année, à la suite d’une consultation avec le CCMB, s’applique à la pêche commerciale du maquereau. Bien que la pêche commerciale soit gérée par zones géographiques appelées zones de pêche du maquereau (ZPM), étant donné que la saison de la pêche ouvre à différentes périodes dans les différentes ZPM, le TAC commercial s’applique à l’ensemble de la pêche commerciale du maquereau et n’est pas divisé entre les zones. Les demanderesses pêchent dans la ZPM 4R, le long de la côte ouest de Terre-Neuve.

[7]  La pêche commerciale du maquereau est effectuée par deux flottilles, une composée de bateaux d’une longueur inférieure à 65 pieds (la flottille de moins de 65 pieds) et l’autre composée de bateaux d’une longueur supérieure à 65 pieds (la flottille de plus de 65 pieds). (Les parties conviennent que, bien que la flottille de moins de 65 pieds et la flottille de plus de 65 pieds pêchent dans ce qui serait considéré comme une zone côtière et que les deux utilisent des engins mobiles, la flottille de moins de 65 pieds est parfois appelée flottille côtière ou avec engins fixes et la flottille de plus de 65 pieds est parfois appelée flottille hauturière ou avec engins mobiles.) Les demanderesses sont les seules membres de la flottille de plus de 65 pieds. Le PGIP envisage un partage du TAC commercial entre ces deux flottilles, 60 % allant à la flottille de moins de 65 pieds et 40 % à la flottille de plus de 65 pieds. La portée juridique du partage 60-40 et la question de savoir si ce partage s’appliquait d’une façon quelconque aux pêches de 2016 sont les principaux points litigieux entre les parties. Ils feront l’objet d’un examen dans la section de l’analyse des présents motifs.

[8]  Entre 2007 et 2016, le TAC concernant la pêche commerciale du maquereau a été réduit de 75 000 tonnes métriques (tm) à 8 000 tm. Jusqu’en 2015, le TAC n’avait jamais été atteint. Toutefois, cela a changé en 2016. La flottille de moins de 65 pieds a commencé à pêcher le maquereau lorsque la saison de pêche commerciale a ouvert dans les différentes ZPM aux différentes périodes de l’année, de mai à septembre. Les demanderesses ont décidé d’attendre jusqu’en octobre pour commencer à pêcher, dans le but d’obtenir un produit de qualité supérieure, puisque la teneur en gras du maquereau est meilleure plus tard en saison, entraînant un prix plus élevé par livre.

[9]  Les moyens par lesquels le MPO surveille les débarquements par la flottille de moins de 65 pieds ainsi que l’exactitude et la rapidité des données connexes varient selon les différentes régions. Au début d’octobre 2016, le MPO a constaté que les débarquements de maquereau dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador étaient étonnamment élevés. Par la suite, le ministère a commencé à rassembler les données sur les débarquements pour les autres régions (Golfe, Maritimes et Québec).

[10]  En date du 14 octobre 2016, le MPO avait déterminé que les débarquements par la flottille de moins de 65 pieds étaient sur le point d’atteindre le TAC de 8 000 tm. À cette date, des représentants du MPO des quatre régions ont tenu une conférence téléphonique pour discuter de ces circonstances et, par la suite, ils ont recommandé que les directeurs généraux régionaux (DGR) du MPO émettent des ordonnances de modification visant la fermeture de la pêche dans leur région respective. Les ordonnances de modification ont été émises aux termes de l’article 6 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le Règlement), pris en application de la Loi sur les pêches, LRC (1985), c F-14 (la Loi), et les participants du secteur des pêches, y compris les représentants des demanderesses, ont été informés de la fermeture de la pêche. Les représentants du MPO ont ensuite examiné les données sur les débarquements reçues des diverses régions et celles-ci ont toutes révélé que l’ensemble du TAC avait déjà été atteint et, par la suite, un avis a été émis à tous les membres du CCMB, y compris les demanderesses, le 21 octobre 2016, en vue de confirmer la décision du MPO selon laquelle la pêche commerciale du maquereau demeurerait fermée toute l’année.

[11]  La fermeture de la pêche commerciale du maquereau n’a pas touché la pêche récréative ou la pêche à l’appât dont les captures ne sont pas comprises dans le TAC commercial. Le MPO n’enregistre pas les débarquements de la pêche récréative. En ce qui concerne la pêche à l’appât, les pêcheurs qui sont titulaires d’un permis peuvent pratiquer la pêche du maquereau qui sera utilisé comme appât dans d’autres pêches à grande valeur telles que le homard. Les captures réalisées pour la pêche à l’appât ne peuvent pas être vendues légalement. Bien que la conformité des pêcheurs d’appâts qui ont des exigences de rapports soit faible, ce qui soulève des questions quant à la fiabilité des données du MPO en ce qui concerne la pêche à l’appât, le MPO estime que les débarquements dans cette pêche atteignent environ 20 000 tm par année.

[12]  Les ordonnances de modification et la confirmation subséquente que la pêche commerciale de maquereau demeurerait fermée représentent la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire dans la présente demande. Alors que la fermeture de la pêche le 14 octobre 2016 a été mise en œuvre à la suite de quelques ordonnances de modification et qu’ensuite, la fermeture a été confirmée le 21 octobre 2016, les deux parties conviennent qu’elles peuvent en fait être caractérisées comme étant une seule décision et, par conséquent, elles peuvent être prises en considération dans le cadre d’une seule demande de contrôle judiciaire.

[13]  En date de la fermeture de la pêche, le 14 octobre 2016, la flottille de plus de 65 pieds n’avait capturé que 150 tm de maquereau. Les arguments des demanderesses qui remettent en question la décision découlent du fait que, peu importe l’entente de partage 60-40 envisagée par le PGIP, presque l’ensemble du TAC a été capturé par la flottille de moins de 65 pieds. Elles estiment que, puisqu’elles n’ont pas été en mesure de capturer 40 % du TAC, elles ont subi des pertes de l’ordre de trois à quatre millions de dollars.

III.  Questions en litige

[14]  Les demanderesses formulent à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

  1. S’agit-il d’une décision législative ou d’une décision administrative?

  2. S’il s’agit d’une décision législative, est-elle raisonnable, c.-à-d. pouvait-on constater ce qui suit :

  1. de la mauvaise foi?

  2. le non-respect du principe de justice naturelle imposé par le législateur?

  3. la prise en considération de facteurs non pertinents ou qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif?

  1. S’il s’agit d’une décision administrative, l’application de la norme de contrôle judiciaire qui convient suivante :

  1. La décision de fond est-elle raisonnable?

  2. La justice naturelle a-t-elle été appliquée correctement?

[15]  Le défendeur énonce les questions suivantes :

  1. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

  2. La décision de fermer la pêche était raisonnable.

  3. La réallocation alléguée de quota n’était pas une décision pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire;

  4. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

  5. Il n’existe aucun recours.

[16]  J’estime que ces questions, telles qu’elles sont formulées par les demanderesses, représentent un cadre convenable pour la prise en considération des arguments respectifs des parties, c.-à-d. déterminer si la décision contestée est de nature législative ou administrative, ce qui touche la norme de contrôle judiciaire, et ensuite appliquer la norme de contrôle judiciaire déterminée aux arguments des parties qui sont pertinents pour cette norme. Si cela entraîne une conclusion selon laquelle une erreur susceptible de contrôle a été commise, j’ajouterais la dernière question soulevée par les défendeurs, c.-à-d. de savoir si la Cour, même si elle découvre une erreur susceptible de révision, devrait refuser d’accorder la demande, étant donné qu’il n’existe aucun recours en ce qui concerne une saison de pêche qui est maintenant fermée.

IV.  Preuve

[17]  À l’appui de leur thèse dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demanderesses ont déposé un affidavit présenté par William Barry, le directeur et président/directeur général d’une des demanderesses, Barry Group Inc., qui a témoigné au sujet de sa connaissance de la pêche du maquereau, du PGIP et des événements entourant la décision de fermer la pêche en octobre 2016, avec documentation à l’appui.

[18]  Les défendeurs s’appuient sur un affidavit de Brian Lester, directeur adjoint, Gestion intégrée des ressources au MPO, dont les responsabilités comprennent la surveillance de la pêche du maquereau. M. Lester est aussi président du CCMB. Il fournit de l’information sur la nature et l’histoire des pêches, la façon dont elles sont gérées, le rôle du CCMB en 2015 et en 2016, ainsi que les événements liés à la décision de fermer la pêche en octobre 2016 avec, là encore, des documents à l’appui.

[19]  Les deux déposants ont été contre-interrogés à propos de leur affidavit respectif et les transcriptions ont été versées au dossier présenté devant la Cour. Les détails des éléments de preuve qui sont importants pour la décision de la Cour sont étudiés dans la partie de l’analyse des présents motifs.

V.  Discussion

A.  S’agit-il d’une décision législative ou d’une décision administrative?

[20]  Les demanderesses soutiennent qu’il s’agit d’une décision de nature administrative, et non législative. Les défendeurs ne sont pas de cet avis. Il est nécessaire que la Cour traite de cette question, puisqu’elle a des incidences sur la norme de contrôle judiciaire à appliquer à la décision.

[21]  Les demanderesses s’appuient sur le critère qui permet de déterminer si un acte est de nature législative ou administrative, conformément à ce que la Cour a établi dans Ecology Action Centre Society c Canada (Procureur général), 2004 CF 1087 [Ecology Action Centre], au paragraphe 50 :

[50]  La décision contestée en l’espèce est une décision législative. Un acte législatif est de nature différente d’un acte administratif, différence qui est expliquée comme suit dans De Smith Judicial Review of Administrative Action (S.A. De Smith & J.M. Evans, 4th ed. (Londres, Angleterre : Stevens, 1980)), à la page 71 :

[traduction] Une distinction qui est souvent faite entre les actes législatifs et les actes administratifs est une distinction entre les mesures générales et les mesures particulières. Un acte législatif est un acte qui consiste à créer et à promulguer une règle de conduite générale sans faire allusion à des cas particuliers; un acte administratif ne peut être défini avec exactitude, mais il comprend l’adoption d’une politique, la formulation et l’adoption d’une directive précise et l’application d’une règle générale à un cas particulier conformément aux exigences liées à la politique, à la convenance ou à la pratique administrative.

[22]  En appliquant ce critère, les demanderesses soutiennent que la décision dans le présent cas était de nature administrative, car de tous les participants dans la pêche commerciale du maquereau, seules les demanderesses ont été touchées par cette fermeture. Elles sont de cet avis parce qu’au moment de la décision, la flottille de moins de 65 pieds avait déjà excédé son allocation de 60 % du TAC, conformément à l’objectif du PGIP. Elles affirment que la seule décision que devait prendre le MPO le 14 octobre 2016 était de déterminer comment composer avec les intérêts de la flottille de plus de 65 pieds et s’il fallait permettre aux demanderesses de pêcher leur allocation de 40 %. Par conséquent, elles estiment que la décision a été prise en référence à un cas en particulier et qu’elle devrait être caractérisée comme une décision de nature administrative.

[23]  La jurisprudence citée par les parties, cependant, soutient largement (mais pas entièrement) la conclusion que les ordonnances modificatives sont des actes législatifs. Dans la décision Ecology Action Centre, au paragraphe 52, la juge Heneghan s’est appuyée sur la décision rendue dans l’affaire Gulf Trollers Assn. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1987] 2 CF 93 (CAF), au paragraphe 102, pour conclure qu’une ordonnance de modification représente l’exercice d’un pouvoir délégué aux DGR par le Règlement et est de la nature d’une législation déléguée. De même, dans la décision Spinney c Canada (Procureur général), 183 FTR 71 (CF 1ere inst.), au paragraphe 60, le juge Blais a décrit une ordonnance de modification comme une mesure législative.

[24]  À l’appui de la thèse contraire, selon laquelle les ordonnances de modification peuvent être de nature administrative, les demanderesses invoquent la décision de la Cour suprême de Terre-Neuve, Section de première instance, dans l’arrêt R c Corcoran (1999)181, Nfld & PEIR 341 [Corcoran], dans laquelle la demanderesse a renvoyé la Cour à la décision R c Drake (EJ) et al (1996), 139 Nfld & PEIR 136 (CPTNL) [Drake], et R c Brown, [1989] NSJ no 134, Action C.Sb. 2664B, Cour de comté de N.-É. (non publiée) [Brown]. La Cour dans l’arrêt Corcoran a pris en considération cet argument, mais après avoir appliqué le même critère tel qu’il est décrit ci-dessus dans la décision Ecology Action Centre, elle a conclu que l’ordonnance de modification en question était une promulgation d’une règle de conduite générale sans référence à des cas en particulier et, par conséquent, il s’agissait d’une mesure législative.

[25]  Les demanderesses affirment qu’il est nécessaire d’examiner les faits d’un cas en particulier afin de déterminer si une ordonnance de modification est une mesure législative ou administrative dans ce cas. Elles s’appuient sur le fait que la Cour a entrepris une telle analyse dans la décision Corcoran, au lieu d’accepter tout simplement le fait que les ordonnances de modification sont, par leur nature, automatiquement législatives. Il semble que l’autorité à l’appui d’une conclusion selon laquelle une ordonnance de modification est une mesure administrative soit très limitée, à la suite de l’application du critère convenable, et qu’une ordonnance de modification soit une mesure administrative. Il semble que la décision Drake ne contienne aucune analyse de cette question. Bien que la décision Brown ait conclu que les ordonnances de modification en question étaient des mesures administratives, Brown est une décision de la Cour de comté et ne semble pas avoir appliqué le critère décrit dans la décision Ecology Action Centre et dans l’arrêt Corcoran. Néanmoins, je conviens que, lorsque la question est soulevée dans un cas en particulier, il est approprié pour la Cour de mener une analyse selon le critère applicable, plutôt que d’adopter automatiquement la position selon laquelle une ordonnance de modification est de nature législative.

[26]  Je souligne également la présentation des demanderesses selon laquelle les intérêts des demanderesses ont été cités de façon précise au cours de la conférence téléphonique du 14 octobre 2016 qui a entraîné la délivrance des ordonnances de modification. Les notes des participants à la conférence téléphonique du 14 octobre qui ont été jointes à l’affidavit de M. Lester appuient cette présentation, étant donné qu’elles comportent des références aux demanderesses et les coordonnées de leurs représentants. Ces notes comportent également des références au partage 60-40 du TAC et, dans les notes de M. Lester, à la « flottille avec engins fixes » (c’est-à-dire la flottille de moins de 65 pieds) qui a dépassé son quota. Les demanderesses soulignent également qu’on peut déduire de certaines des notes relatives à l’appel du 14 octobre qu’une option prise en considération au cours de l’appel était de fermer la pêche commerciale seulement pour la flottille de moins de 65 pieds.

[27]  La preuve appuie clairement une conclusion selon laquelle l’effet de la fermeture sur la flottille de plus de 65 pieds a fait l’objet d’une discussion au cours de l’appel du 14 octobre 2016. En fait, cela serait inhabituel si ce point n’avait pas été abordé, puisque la preuve comprend une lettre envoyée par M. Barry à M. Lester le jour précédent, dans laquelle il était précisé que la flottille de plus de 65 pieds devait commencer à pêcher bientôt et qu’elle espérait récolter 3 200 tm (c.-à-d. 40 % du TAC). Bien que cela ne soit pas clair, il se peut également que la possibilité que la pêche commerciale ferme uniquement pour la flottille de moins de 65 pieds ait été abordée.

[28]  Cependant, en appliquant le critère établi dans la décision Ecology Action Centre, je ne suis pas en mesure de conclure que la décision en l’espèce peut être qualifiée de mesure administrative. La décision qui a été prise a entraîné la fermeture de la pêche commerciale du maquereau pour tous les participants, soit environ 15 000 pêcheurs commerciaux selon la description des demanderesses, dans les quatre régions dans lesquelles la pêche est gérée. Je reconnais que la décision avait un effet particulier sur les demanderesses, puisque la pêche venait tout juste de commencer pour la flottille de plus de 65 pieds. Cependant, les membres de la flottille de moins de 65 pieds ont également été touchés par la décision, étant donné que la pêche qu’ils pratiquaient a été restreinte en même temps que celle des demanderesses. À mon avis, le fait qu’une ordonnance de modification d’application générale entraîne une conséquence particulière sur un participant en particulier ou un ensemble de participants à la pêche, ou entraîne des conséquences sur certains participants plus que d’autres, ne change pas en soi la nature de la décision de sorte qu’elle puisse être qualifiée de mesure administrative.

[29]  J’en conclus que la décision est de nature législative et, par conséquent, susceptible de révision en conformité avec la norme de contrôle judiciaire applicable aux mesures législatives, selon le point abordé dans la prochaine partie des présents motifs.

B.  S’il s’agit d’une décision législative, est-elle raisonnable?

1)  Norme de contrôle

[30]  Les parties conviennent que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable et que dans le contexte des décisions de nature législative, cette norme nécessite d’être examinée afin de déterminer si la décision a été prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs non pertinents ou qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif (voir Maple Lodge Farms c Canada, [1982] 2 RCS 2). Je suis d’accord avec cette formulation de la norme à appliquer par la Cour dans le présent cas.

[31]  Bien que les demanderesses aient présenté des arguments selon lesquels la décision a été rendue d’une manière non équitable sur le plan de la procédure, car elle a entraîné des répercussions sur leurs intérêts sans la tenue d’une consultation, ces arguments étaient fondés sur la conclusion de la Cour selon laquelle la décision est de nature administrative. Elles ont reconnu que dans le contexte d’une décision législative, la seule raison de soulever des questions de nature procédurale était que le décideur n’a pas respecté les exigences liées à la justice naturelle imposées par le législateur. Les demanderesses ne contestent pas l’existence d’un tel manquement à de telles exigences dans le présent cas.

[32]  Cependant, les demanderesses affirment que, même s’il est déterminé qu’il s’agit d’une décision de nature législative, celle-ci était déraisonnable, car elle a été prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs non pertinents ou erronés. Les demanderesses n’allèguent pas que le MPO a agi par malveillance et reconnaissent que l’erreur qu’ils allèguent implique de la mauvaise foi [traduction] « minimale » et il serait peut-être préférable de la qualifier d’erreur fondée sur des facteurs non pertinents ou qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif. Le sens de la thèse des demanderesses est que la décision de fermer la pêche commerciale du maquereau représente essentiellement une réattribution d’un droit de la flottille de plus de 65 pieds à la flottille de moins de 65 pieds effectuée en réponse à un problème du MPO qu’il a lui-même provoqué, car il n’a ni surveillé ni géré la pêche suffisamment pour éviter que la flottille de moins de 65 pieds capture l’ensemble du TAC.

2)  Gestion de la pêche commerciale du maquereau par le MPO en 2016

[33]  Le fait que l’ensemble du TAC n’a jamais été atteint avant 2016 est contesté. Il est également contesté que les méthodes du MPO pour surveiller les niveaux de capture du maquereau dans la pêche commerciale varient selon la région, Terre-Neuve étant la seule région à employer un programme de vérification à quai qui fournit des données sur le débarquement au MPO chaque jour. Comme l’explique M. Lester dans son affidavit, la région de Terre-Neuve représente traditionnellement environ 80 % de l’ensemble des débarquements de maquereau. Les débarquements dans d’autres régions sont surveillés par d’autres méthodes (une combinaison de surveillance des journaux de bord des pêcheurs, de surveillance des bordereaux d’achat des acheteurs et des avis de retour des bateaux de façon périodique ou saisonnière). Par conséquent, le délai nécessaire pour la présentation des données au MPO varie et passe presque du temps réel, dans le cas de la vérification à quai, à la disponibilité après la fin de la saison seulement. M. Lester soutient que puisque les débarquements du maquereau issu de la pêche commerciale ne s’étaient jamais approchés du TAC au complet, l’avis du MPO est qu’il n’avait jamais été nécessaire de changer de type ou de fréquence de surveillance. Puisque le MPO n’était pas préoccupé par des niveaux trop élevés de débarquements en 2016, il a maintenu les pratiques de surveillance déterminées cette année-là.

[34]  Selon la thèse des demanderesses, le MPO aurait dû être vigilant à l’égard de la possibilité qu’un problème se produise en 2016 et aurait dû surveiller la pêche de plus près. Les demanderesses font allusion à la note adressée au ministre datée du 25 mai 2016 (la note de 2016) qui présentait des options à prendre en considération pour le niveau auquel il fallait établir le TAC de 2016, ainsi que la recommandation du MPO qui était de réduire le TAC à 6 000 tm par rapport au niveau de 8 000 tm de 2015. Cependant, la note soulignait que les captures dans l’ouest de Terre-Neuve étaient à la baisse en 2015 en raison du manque de poissons et précisait qu’il serait difficile de s’assurer que même le TAC réduit serait respecté si les poissons étaient présents dans l’ouest de Terre-Neuve, étant donné que les captures de certaines flottilles ne sont signalées qu’après la fin de la saison de pêche. Le ministre a finalement pris la décision de maintenir le TAC au niveau de 2015, soit 8 000 tm comme l’avait recommandé le CCMB. Néanmoins, les demanderesses soutiennent que la note prouvait que le MPO savait que, si les poissons avaient été présents dans les eaux de l’ouest de Terre-Neuve en 2016, le TAC pouvait être dépassé et le MPO aurait de la difficulté à gérer l’observation du TAC en raison des lacunes dans ses méthodes de surveillance.

[35]  Les demanderesses font également allusion à la preuve des niveaux de captures au cours des années qui ont précédé la saison de 2016, ce qui démontre qu’au cours des huit des neuf années précédentes, les débarquements de la flottille de moins de 65 pieds excédaient le niveau de 4 800 tm représenté par 60 % du TAC de 8 000 tm de 2016. Elles soutiennent que, bien que le MPO ait clairement déterminé la nécessité de surveiller de près les débarquements de maquereau advenant la présence de poissons au large de la côte ouest de Terre-Neuve, il ne l’a pas fait.

[36]  En ce qui concerne les événements qui se sont déroulés en octobre 2016, il semble incontestable que c’est le 5 octobre 2016 que le MPO a appris pour la première fois que la flottille de moins de 65 pieds connaissait des niveaux de capture favorables, lorsqu’il a reçu un courriel de l’Union des pêcheurs de Terre-Neuve lui demandant une rencontre pour discuter d’une augmentation possible du TAC. L’affidavit de M. Lester comprend un courriel en pièce jointe reçu d’une employée du MPO dans la région de Terre-Neuve à cette date, Erin Dunne, transmettant la demande de l’Union des pêcheurs de Terre-Neuve et précisant qu’en date du matin même, 1 216 tm de maquereau avaient été débarquées. M. Lester a ensuite demandé des prévisions pour la région de Terre-Neuve en fonction des captures actuelles, et Mme Dunne a répondu le 6 octobre 2016 en fournissant un chiffre de 1 472 tm depuis le début de l’année pour 2016, comparativement aux 690 tm capturés par la flottille de moins de 65 pieds à Terre-Neuve en 2015.

[37]  M. Lester précise que ces renseignements l’ont surpris et qu’il a informé la gestion du MPO à l’administration centrale, à Ottawa, de la nécessité d’assurer un suivi minutieux des débarquements de maquereau à Terre-Neuve. Le 11 octobre 2016, l’administration centrale du MPO demandait aux régions de fournir leurs données sur les débarquements de maquereau. Ce jour-là, Mme Dunne a fourni un rapport indiquant que 3 240 tm avaient été débarquées à Terre‑Neuve, mais elle a également mentionné dans un courriel que plus de 3 400 tm avaient été débarquées. Le 12 octobre 2016, un autre employé du MPO a combiné le chiffre de 3 240 tm de Terre-Neuve avec les chiffres des régions du Golfe et du Québec pour produire un chiffre total de 4 607 tm. Un courriel du 13 octobre 2016 de M. Lester fait état des renseignements des régions indiquant que les débarquements de la flottille de moins de 65 pieds atteignaient 5 600 tm.

[38]  À 8 h 30, le 14 octobre 2016, les débarquements commerciaux de maquereau ainsi que les estimations des débarquements qui n’étaient pas encore saisis dans le système du MPO atteignaient environ 7 829 tm pour toutes les régions, dont 4 166 tm provenaient de Terre-Neuve. À la suite de la conférence téléphonique à cette date, la recommandation a été faite aux DGR de fermer la pêche à compter de 22 h ce soir-là et les ordonnances de modification en ce sens ont été émises. La flottille de plus de 65 pieds n’avait capturé que 150 tm de maquereau au moment de la fermeture. Au cours de la semaine qui a suivi, la gestion des ressources du MPO a examiné les données sur les débarquements reçues des régions et a conclu que le TAC avait été atteint. Par conséquent, le 21 octobre 2016, le MPO a confirmé que la pêche resterait fermée.

[39]  Les demanderesses sont d’avis que cette série d’événements a démontré que le MPO [traduction] « dormait aux commandes ». Elles affirment que les méthodes de surveillance des captures du MPO sont inadéquates et qu’il a omis d’entreprendre une surveillance active de la pêche du maquereau durant la saison de 2016, avant le 5 octobre, et qu’il n’a pas recueilli les données assez rapidement ou n’a pas pris une décision assez rapidement pour éviter que la flottille de moins de 65 pieds capture le TAC au complet. Cela a eu pour effet de transférer à la flottille de moins de 65 pieds l’allocation de 40 % du TAC, pourcentage qui, selon les demanderesses, leur revenait.

[40]  Les défendeurs reconnaissent que les méthodes de surveillance du MPO varient selon la région et que certains des signalements de niveaux de captures n’étaient pas faits en temps opportun, mais ils contestent l’allégation des demanderesses selon laquelle cela constitue une gestion inadéquate de la pêche. Les défendeurs soutiennent que le niveau de ressources à consacrer à la gestion de cette pêche en particulier est une question de politique qui relève du MPO. Ils affirment que les taux de captures ont été étonnamment élevés en 2016 et que lorsqu’ils ont pris connaissance de la situation, le MPO a recueilli les données et fermé la pêche une fois le TAC atteint. Les défendeurs sont d’avis que l’espoir des demanderesses de capturer 40 % du TAC est fondé entièrement sur le PGIP que les défendeurs qualifient de document de politique qui ne conférait aucun droit juridique aux demanderesses. Les documents d’octroi de permis des demanderesses ne fournissent pas aux membres de la flottille de plus de 65 pieds une allocation ou un quota particulier. Ils fournissent uniquement un droit de participer à la pêche commerciale concurrentielle du maquereau avec la flottille de moins de 65 pieds jusqu’à ce que le TAC soit atteint. Les défendeurs soutiennent par conséquent que le MPO a géré la pêche en 2016 en respectant le TAC et le partage 60-40 n’était pas pertinent sur le plan juridique dans ce processus.

[41]  À mon avis, il est juste pour les demanderesses d’affirmer que les événements d’octobre 2016 ont pris le MPO par surprise. M. Lester le reconnaît. Bien que la méthodologie et le moment de la surveillance du MPO de la pêche commerciale du maquereau en 2016 aient été adéquats pour lui permettre de fermer la pêche à peu près au même moment que le TAC a été atteint, ils n’ont pas permis au MPO de gérer la pêche de façon à ce qu’un partage 60-40 entre la flottille de moins de 65 pieds et la flottille de plus de 65 pieds soit possible. La question de savoir si cet enjeu est important pour le résultat de la présente demande est abordée ci-dessous.

3)  Portée juridique du Plan de gestion intégrée des pêches

[42]  Examinons maintenant la portée juridique du PGIP et l’allocation 60-40 qu’il décrit afin de déterminer si cela appuie une conclusion selon laquelle la décision était déraisonnable. La portée juridique de la politique de gestion des pêches a été abordée directement dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans Arsenault c Canada (Procureur général), 2009 CAF 300 [Arsenault]. Dans cette affaire, le ministre avait émis un plan de gestion qui annonçait que le TAC pour la pêche du crabe des neiges serait partagé entre les pêcheurs de crabe traditionnels, les Premières Nations et les nouveaux arrivants dans la zone de pêche, ce qui signifiait une réduction du pourcentage du TAC auquel les pêcheurs de crabe traditionnels avaient droit les années précédentes. Le plan de gestion envisageait aussi une aide financière aux pêcheurs de crabe traditionnels afin de compenser leur part du TAC qui était transférée aux Premières Nations. Cependant, pour mettre en œuvre ces dispositions, le MPO devait demander aux pêcheurs de crabe traditionnels de signer un accord qui comportait une renonciation aux réclamations contre la Couronne. Les pêcheurs de crabe traditionnels ont refusé de signer cette renonciation et ont déposé une demande devant la Cour fédérale pour l’obtention d’un bref de mandamus obligeant le ministre à leur verser l’aide financière envisagée dans le plan de gestion.

[43]  La Cour fédérale a accordé la demande en partie en concluant que le ministre était légalement tenu de mettre en œuvre le plan de gestion. Dans le cadre de l’appel, le juge Nadon, s’exprimant au nom de la majorité, a décrit la question que devait trancher la Cour d’appel fédérale, à savoir si le plan de gestion avait entraîné une obligation légale exécutoire. Le juge Nadon a conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur en traitant le plan de gestion comme s’il s’agissait de l’octroi d’un permis aux termes de l’article 7 de la Loi, de sorte que le ministère avait l’obligation légale de mettre en œuvre le plan conformément à l’annonce qu’il avait faite, à moins qu’il soit révisé ou révoqué selon les conditions prescrites à l’article 9. La Cour d’appel fédérale a soutenu que le plan ne constituait pas un document juridique contraignant et qu’il n’était pas applicable (au paragraphe 33). Le juge Nadon a décrit le plan de gestion comme une expression par le ministre de la politique et de la pratique qu’il avait décidé d’adopter ou qu’il avait l’intention d’adopter au cours de l’année suivante (au paragraphe 34), et comme une expression de l’intention du ministre ou comme une ligne directrice qui concerne les questions qui étaient traitées dans le plan (au paragraphe 38). La Cour a accueilli l’appel en précisant que rien ne permettait de conclure que le ministre avait l’obligation de mettre en œuvre le plan de gestion (aux paragraphes 44 et 45).

[44]  Je constate que le juge Pelletier a émis des motifs concordants dans l’arrêt Arsenault, concluant que, dans la mesure où le plan de gestion représentait les décisions prises, il ne s’agissait pas d’une politique, c.-à-d. un guide pour le processus décisionnel à venir. Puisque les décisions avaient été prises et qu’il ne restait qu’à les mettre en œuvre, il était impossible de dire que le plan de gestion n’entraînait aucune obligation juridique (au paragraphe 49). Le juge Pelletier est tout de même arrivé à la même conclusion que la majorité, c’est-à-dire que l’appel devait être accordé, mais pour le motif que le plan de gestion ne pouvait pas être interprété comme la solution à toutes les conditions du plan de compensation de sorte qu’il n’y avait aucun fondement quant à l’introduction d’une condition pour que les bénéficiaires de l’indemnisation signent une renonciation (aux paragraphes 54 et 55).

[45]  Évidemment, je suis tenu de respecter la décision de la majorité dans l’arrêt Arsenault. Le raisonnement de la majorité correspond à celui de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd c Canada (Ministère des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12 [Comeau], qui a examiné une situation dans le cadre de laquelle le ministère avait autorisé l’octroi de permis de pêche hauturière du homard à la demanderesse, mais avait fini par ne pas les octroyer. La Cour suprême a conclu que l’autorisation d’octroyer le permis ne conférait pas à la demanderesse le droit juridique irrévocable à un permis et, jusqu’à ce que le permis soit délivré, le ministre avait toujours le droit de revenir sur sa décision antérieure de l’octroyer (au paragraphe 43). En fait, dans ces motifs concordants dans l’arrêt Arsenault, le juge Pelletier a cité l’explication, dans l’arrêt Comeau, de la nature hautement discrétionnaire des permis de pêche, concluant que les pêcheurs de crabe traditionnels n’avaient aucun droit juridique à un quota en particulier.

[46]  Cependant, je dois aborder un aspect de la présente affaire qui, à mon avis, s’écarte quelque peu des circonstances prises en considération dans les arrêts Arsenault ou Comeau. Selon ma lecture des deux autorités, après avoir fait l’annonce sur laquelle le litige portait, le ministère a expressément pris une décision supplémentaire ou différente, c.-à-d. d’exiger l’exécution des renonciations dans l’arrêt Arsenault et de ne pas octroyer les permis de pêche du homard dans l’arrêt Comeau. Dans le présent cas, il est plus difficile de déterminer une décision, du moins une décision expresse au niveau ministériel, de s’écarter de l’allocation 60-40 envisagée par le PGIP.

[47]  Les défendeurs s’appuient sur le fait que la note de 2016 qui constituait le fondement de la décision du ministre d’établir le TAC de 2016 à 8 000 tm ne fait aucune allusion au PGIP ou au partage 60-40. Ils soutiennent que cela démontre qu’il n’était pas question de mettre en œuvre un partage 60-40 pour la saison de 2016. J’ai de la difficulté avec cette observation, puisqu’il est clair que le partage 60-40 était le sujet de discussion au cours de la conférence téléphonique du 14 octobre 2016 qui s’est soldée par la fermeture de la pêche. Comme le soulignent les demanderesses, les notes des participants lors de cet appel comprennent des références telles que [traduction] « 8 000 t TAC Atlantique 60/40 divisé <65 pi côtière 4 800 t au large des côtes >65 pi 3 200 t »; [traduction] « FG a dépassé son quota de 4 200 t »; [traduction] « 120 t débarquées par Barry à ce jour ont été allouées à 40 % »; et [traduction] « la flotte fixe a dépassé son quota ». Les demanderesses font également allusion à une note d’un des employés du MPO qui disait [traduction] « nous sommes responsables de ce problème ». Cela correspond à la position des demanderesses selon laquelle la façon de faire du MPO et le moment auquel il a recueilli et analysé les données sur les débarquements commerciaux de maquereau ont fait en sorte qu’il s’est retrouvé dans la situation inattendue dans le cadre de laquelle, peu importe le partage 60-40 envisagé par le PGIP, la flottille de moins de 65 pieds avait capturé plus de 60 % du TAC.

[48]  Les demanderesses mettent l’accent sur le témoignage de M. Lester selon lequel le PGIP a été adopté et mis en œuvre en 2007 et n’a pas été modifié depuis. Le PGIP est décrit comme un programme évolutif sans date d’échéance. Je constate également qu’après avoir fait référence au PGIP, l’affidavit de M. Lester cite le TAC pour la pêche commerciale du maquereau comme une pêche faisant l’objet d’un partage 60-40 entre la flottille de moins de 65 pieds et la flottille de plus de 65 pieds. Compte tenu de la mesure dans laquelle les employés du MPO qui participent à la gestion de la pêche du maquereau semblent avoir considéré le partage 60-40 comme la politique actuelle, il est difficile de conclure que la note de 2016 met en évidence une décision du ministre de s’écarter de cette politique.

[49]  D’autre part, il semble que l’allocation 60-40 du TAC n’ait jamais été mise en œuvre en ce qui a trait aux permis octroyés pour la pêche commerciale du maquereau, ni en 2016 ni avant. Les demanderesses ne contestent pas le fait que leurs documents de permis ne font aucunement état d’une telle allocation. Comme l’a reconnu M. Barry au cours du contre-interrogatoire, le fait qu’il s’attende à ce que la flottille de plus de 65 pieds se voit allouer 40 % du TAC provient du PGIP, et non du permis applicable. On peut supposer que la politique d’une allocation 60-40 n’a jamais été mise en œuvre, car avant 2016, les niveaux de captures n’avaient jamais atteint le TAC. En conséquence, le partage 60-40 n’était pas particulièrement pertinent jusqu’en 2016, lorsque la combinaison d’un TAC relativement bas et d’une augmentation de l’abondance de la ressource a permis à la flottille de moins de 65 pieds de capturer presque l’ensemble du TAC avant que la flottille de plus de 65 pieds commence à pêcher. Cependant, la Cour ne possède aucun renseignement sur la raison pour laquelle la politique n’a pas été mise en œuvre au moment d’octroyer des permis aux demanderesses.

[50]  Les demanderesses affirment que, même si aucune allocation de quota ne figure sur leurs documents de permis, la décision de 2016 du ministre d’établir le TAC à 8 000 tm représente une allocation de 3 200 tm à la flottille de plus de 65 pieds en raison de la nature évolutive du PGIP et du fait que le ministre n’a pas signalé son intention de s’écarter du PGIP. Il est clair, dans les arrêts Comeau et Arsenault, que les politiques n’obligent le ministre à rien; il peut décider de s’écarter de telles politiques. Toutefois, les demanderesses soutiennent que le ministre n’a pas pris une telle décision et que les DGR qui ont émis les ordonnances de modification n’avaient pas l’autorisation de modifier l’allocation du TAC. Elles font valoir que c’est exactement ce qu’ont donné les ordonnances de modification, en sanctionnant rétroactivement le fait que la flottille de moins de 65 pieds avait capturé presque l’ensemble du TAC et en empêchant la flottille de plus de 65 pieds de capturer sa part.

[51]  J’ai examiné l’argument des demanderesses visant à soulever un point qui n’a pas été abordé précisément dans la jurisprudence sur laquelle les parties s’appuient, c.-à-d. si une politique traitant de l’allocation de quota, politique à laquelle le ministre n’a pas expressément renoncé, peut créer un droit juridiquement exécutoire à cette allocation. Je suis d’avis que cela n’est pas le cas. Conformément à l’explication qui figure dans l’arrêt Arsenault, une politique demeure une expression d’intention non contraignante. Il est certain qu’il serait contraire à l’arrêt Arsenault de considérer l’allocation de quota envisagée par le PGIP au même titre que l’octroi d’un permis en application de l’article 7 de la Loi. Elle traiterait également d’un résultat aux termes duquel le PGIP a été traité comme conférant un droit juridiquement exécutoire à l’allocation envisagée, ce qui serait équivalent à l’application de la théorie des attentes légitimes pour faire appliquer des attentes de fond. Comme le soutiennent les défendeurs, il s’agit d’une proposition que la Cour d’appel fédérale a expressément examinée dans le contexte des pêches et dont elle a conclu qu’elle était interdite par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (voir Canada c 100193 P.E.I. Inc., 2016 CAF 280, au paragraphe 18, renvoyant à l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 RCS 525, à la page 557, et Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au paragraphe 97).

[52]  Par conséquent, je suis d’accord avec la position des défendeurs selon laquelle le PGIP et l’allocation 60-40 dont il fait allusion représentent une politique qu’il faut considérer comme une déclaration d’intention non contraignante et qui ne donne lieu à aucune obligation juridiquement exécutoire.

4)  Caractère raisonnable de la décision

[53]  En évaluant le caractère raisonnable de la décision, il est important de se concentrer sur la décision particulière qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans la présente cause et sur la norme de contrôle judiciaire applicable, c.-à-d. si la décision n’a pas été prise de mauvaise foi ou a été prise en fonction de considérations non pertinentes ou erronées. Conformément à ce qui figure ci-dessus, les demanderesses affirment que la décision équivaut à l’allocation rétroactive du quota de maquereau de la flottille de plus de 65 pieds à la flottille de moins de 65 pieds. Comme on l’a expliqué précédemment, j’ai estimé que les demanderesses n’étaient pas juridiquement admissibles à 40 % du TAC. Toutefois, indépendamment de cette conclusion, j’ai de la difficulté avec la thèse des demanderesses selon laquelle la décision prise le 14 octobre 2016, confirmée ensuite le 21 octobre 2016, est qualifiée convenablement de décision en matière d’allocation de quota. Je comprends que la pêche commerciale du maquereau de 2016 a eu comme résultat que la flottille de moins de 65 pieds a capturé une quantité de poissons atteignant le TAC presque au complet. Cependant, au moment de la décision, les débarquements par la flottille de moins de 65 pieds avaient déjà eu lieu. À ce moment, le MPO ne prenait pas la décision de réattribuer le quota, mais prenait plutôt une décision, fondée sur les circonstances auxquelles il faisait face, de fermer la pêche pour éviter toute capture supplémentaire de la ressource par les flottilles commerciales. L’article 6 du Règlement autorise clairement les DGR à modifier la date de fermeture établie pour la pêche au maquereau, en application du Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985 (DORS/86-21). Les arguments des demanderesses selon lesquelles la gestion par le MPO de la pêche a contribué aux circonstances qui se sont produites en octobre 2016 ne modifient pas la nature de la décision qui était de fermer la pêche afin d’arrêter la capture du maquereau par tout titulaire de permis de pêche commerciale.

[54]  Je ne suis également pas en mesure de conclure que ces arguments appuient une conclusion selon laquelle la décision était déraisonnable, c.-à-d. qu’elle a été prise de mauvaise foi ou qu’elle était fondée sur des considérations non pertinentes. La preuve des considérations sous-jacentes de la décision figure dans certaines des notes qui ont été émises au DGR après la conférence téléphonique du 14 octobre qui recommandent de fermer la pêche. La demande dans la région des Maritimes qualifie la raison de la demande d’ordonnance de modification de [traduction] « contrôle de gestion » et formule la justification suivante :

[traduction]

La pêche du maquereau est fermée dans l’ensemble de l’Atlantique parce que nous approchons du total autorisé des captures (TAC) alloué pour cette pêche. Ce TAC a été déterminé en partie dans le cadre d’un examen des conseils formulés par l’industrie des pêches et d’autres intervenants, et par les représentants des Autochtones par l’intermédiaire du Comité consultatif du maquereau de la région des Maritimes et du Comité consultatif du maquereau bleu. Une conférence téléphonique a été organisée par l’administration centrale avec des représentants du MPO de chaque région de l’Atlantique le 14 octobre afin de discuter des débarquements à ce jour et d’une fermeture possible, et il a été convenu de fermer toutes les pêches ce soir (avec la possibilité d’une réouverture limitée lorsque nous aurons eu l’occasion d’évaluer de près le total des débarquements jusqu’à maintenant et si le quota est épuisé).

Cette fermeture sera appliquée à toutes les pêches du maquereau par bateau, conformément à ce qui est prévu à l’annexe X du Règlement de pêche de l’Atlantique, aux alinéas a), b), c) et d) de la colonne II pour les points 17 à 21. L’ordonnance ne s’appliquera pas aux pêches récréatives ni aux pêches à l’appât pour usage personnel durant lesquelles des maquereaux sont capturés.

[55]  La demande d’ordonnance de modification dans la région du Golfe qualifie les raisons de la demande de [traduction] « conservation » et de [traduction] « contrôle de gestion » et précise ce qui suit :

[traduction]

Conformément au plan de gestion, 40 % du quota devrait être alloué aux engins mobiles. Les engins mobiles n’ont pas encore commencé à pêcher et nous devons connaître la quantité de poissons capturés avant d’ouvrir cette pêche.

[56]  Les défendeurs sont d’avis que les ordonnances de modification ont été émises parce que le TAC avait été atteint. Les demanderesses sont en désaccord avec cette affirmation, soutenant que les demandes d’ordonnances de modification démontrent que le MPO ne fermait pas la pêche parce que le TAC avait été atteint, mais bien parce que la flottille de moins de 65 pieds avait excédé son allocation de 60 % du TAC et le MPO voulait connaître la quantité de maquereaux capturés et déterminer comment composer avec le fait que la flottille de moins de 65 pieds avait dépassé son quota.

[57]  Selon le témoignage de M. Lester, à 8 h 30, le 14 octobre, les dossiers du MPO indiquaient que les débarquements ainsi que les estimations de débarquements qui n’étaient pas encore entrés dans le système atteignaient environ 7 829 tm pour toutes les régions. Il précise que la recommandation de fermer la pêche était fondée sur des préoccupations de conservation et de protection de la ressource, que la hausse des débarquements à Terre-Neuve au cours des jours précédents et l’approche de la fin de semaine auraient rendu impossible l’analyse des nouveaux débarquements avant le lundi suivant; qu’étant donné le mauvais état du stock par rapport à la dernière évaluation scientifique, il n’aurait été ni prudent ni responsable de permettre que les débarquements dépassent le TAC établi antérieurement. M. Lester a également expliqué qu’au cours de la semaine qui a suivi la fermeture, le MPO a examiné les résultats de débarquements reçus des régions et déterminé que l’ensemble du TAC avait été atteint.

[58]  Habituellement, la Cour ne se fie pas aux éléments de preuve des personnes qui prennent part au processus décisionnel, en ce qui concerne la raison pour laquelle la décision a été prise, lorsque cet élément de preuve est donné après les faits dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cependant, les demanderesses n’ont pas contesté l’introduction de cette preuve dans l’affidavit de M. Lester et j’estime que son témoignage est conforme aux documents décrits ci-dessus qui expliquent les raisons des demandes d’ordonnance de modification. Selon l’information fournie par le MPO, les niveaux de capture s’approchaient du TAC. Étant donné que les débarquements s’étaient accumulés rapidement, le MPO voulait arrêter la pêche pour avoir la possibilité de mieux évaluer ses données. Les documents de la demande soulèvent la possibilité d’une réouverture de la pêche, ou une réouverture pour la flottille de plus de 65 pieds, après l’évaluation des données. Par conséquent, que les défendeurs affirment que les ordonnances de modification ont été émises parce que le TAC avait été atteint peut constituer une simplification à outrance. Cependant, il semble clair que la raison de la fermeture du 14 octobre était d’éviter que les débarquements dépassent le TAC avant que le MPO ait l’occasion de mieux évaluer ses données de débarquements et que la fermeture a été maintenue le 21 octobre parce que l’évaluation a révélé que le TAC avait été atteint au complet.

[59]  Conformément aux motifs indiqués sur les documents de la demande d’ordonnance de modification, les considérations sous-jacentes de la décision étaient la conservation et la gestion de la ressource. Il s’agissait là de considérations clairement pertinentes et rien ne me permet de conclure que la décision n’a pas été prise de bonne foi. Les demanderesses soulignent que la fermeture de la pêche commerciale n’a pas eu de répercussions sur la pêche récréative ou la pêche à l’appât. Compte tenu de l’élément de preuve selon lequel la pêche à l’appât a entraîné des débarquements annuels d’environ 20 000 tm, les demanderesses soutiennent que le fait que la pêche à l’appât soit demeurée ouverte va à l’encontre du fait que la conservation puisse être la raison de la fermeture de la pêche commerciale. Cet argument n’a guère de fondement. La note de 2016 faisait état de facteurs à prendre en considération par le ministre, y compris des préoccupations quant à l’état du stock et à l’incertitude en ce qui concerne l’importance des captures provenant de la pêche récréative et de la pêche à l’appât, au moment de décider du niveau pour le TAC de 2016 pour la pêche commerciale. Une fois que le TAC pour la pêche commerciale a été établi à ce niveau, cela est entièrement conforme à l’objectif de conservation que le MPO s’inquiète de la possibilité que le TAC soit dépassé, bien que le maquereau ait pu tout de même être capturé dans le cadre de la pêche récréative et de la pêche à l’appât.

[60]  Finalement, je souligne une fois de plus l’argument des demanderesses selon lequel on peut déduire de certaines des notes relatives à l’appel du 14 octobre que les discussions tenues au cours de l’appel traitent entre autres de la possibilité de fermer la pêche commerciale seulement pour la flottille de moins de 65 pieds. Même si cela a fait l’objet de discussions en tant que solution de rechange, je ne crois pas que ce point mine le caractère raisonnable de la décision qui était de fermer complètement la pêche commerciale pour éviter que les débarquements liés à cette pêche dépassent le TAC.

[61]  Étant donné que les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer que la décision avait été prise de mauvaise foi ou était fondée sur des considérations non pertinentes ou erronées, j’estime que la décision est raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[62]  Ayant conclu qu’il s’agissait d’une décision de nature législative, et non administrative, il est inutile que la Cour examine les arguments des demanderesses qui reposent sur la décision qualifiée d’administrative. Ayant déterminé que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée, il est également inutile d’examiner l’argument des défendeurs selon lequel, même si la Cour avait décelé une erreur susceptible de révision, elle devrait refuser la demande, car il n’existe aucun recours en ce qui concerne une saison de pêche qui est maintenant fermée.

VI.  Dépens

[63]  Les parties informent la Cour à l’audience qu’ils allaient présenter des observations écrites après l’audience sur les dépens, après une tentative de convenir d’un montant des dépens à payer à la partie qui a gain de cause. Les parties ont ensuite fourni ces observations qui indiquent qu’elles ont convenu que, si la demande de contrôle judiciaire est rejetée, les demanderesses devraient payer les dépens qui s’élèvent à 6 230 $ plus 4 012,11 $ pour les débours. Mon jugement tiendra compte de ces montants.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1906-16

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et les demanderesses doivent payer des dépens de 6 230 $ plus 4 012,11 $ pour les débours.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1906-16

INTITULÉ :

BARRY GROUP INC., PRIDE VENTURES INC., 67108 NEWFOUNDLAND & LABRADOR INC. ET GAUVIN AND NOEL COMPAGNIE LTEE c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

CORNER BROOK (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 14 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Jaime Merrigan

Pour les demanderesses

Paul Marquis

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poole Atlhouse Law

Corner Brook (Terre-Neuve-et-Labrador)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour les défendeurs

 

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