Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180116


Dossier : T-1698-16

Référence : 2018 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

demandeur

et

ROBIN BEASSE

défendeur

ET ENTRE :

ROBIN BEASSE

demandeur reconventionnel

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, SQUAMISH MARINE SERVICE LTD. ET CHRIS TAMBURRI

défendeurs reconventionnels

et

VALLEY TOWING LIMITED

mise en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente porte sur une requête en jugement sommaire et les dépens engagés pendant les travaux de dépollution attribuables au naufrage d’un remorqueur près de Squamish, en Colombie-Britannique, dont le montant s’élève à 82 512,70 $, plus les intérêts avant et après jugement, au taux de 3 %, courus entre le 14 janvier 2014 et la date du paiement, en application des articles 213, 216 et 218 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles des Cours fédérales] et des articles 77, 103, 105, 106 et 116 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001. ch. 6 [LRMM].

I.  Contexte

[2]  Le remorqueur Elf (le « remorqueur »), construit en 1902, avait été immatriculé aux États-Unis, mais on ne l’avait jamais immatriculé au Canada. Christine Beasse, épouse du défendeur Robin Beasse, en a fait l’acquisition en 2012, puis le défendeur l’a lui-même acheté de son épouse.

[3]  En janvier 2014, le remorqueur a été toué le long d’une barge appartenant à M. Steen Larken, laquelle se trouvait dans le bras mort de Mamquam, à Squamish, en Colombie‑Britannique.

[4]  Le remorqueur a coulé le 14 janvier 2014 et, ce faisant, a pollué les lieux (le « premier naufrage »). Le défendeur a été informé du naufrage ce matin-là. Avant le naufrage, il n’avait pas vu le remorqueur depuis sept à quatorze jours.

[5]  Au moment du premier naufrage, le remorqueur n’était pas branché au système d’alimentation électrique à quai.

[6]  La Garde côtière canadienne (« GCC ») a été informée du premier naufrage au début de la matinée du 14 janvier 2014 et elle s’est présentée sur les lieux afin d’éliminer la pollution causée par le remorqueur. Après avoir entouré d’un barrage flottant le lieu où des hydrocarbures du remorqueur coulé remontaient à la surface, elle a installé des matelas absorbants.

[7]  Le défendeur savait le 14 janvier 2014 que le remorqueur avait coulé; il était également au courant que les deux énormes réservoirs de carburant qui se trouvaient à bord avaient causé de la pollution; cependant, ce jour-là il n’a rien fait pour éliminer la pollution, car il n’avait ni l’expérience ni le matériel requis pour le faire et parce qu’il savait que la GCC s’en occupait.

[8]  La GCC a informé M. Larsen que le propriétaire du remorqueur devrait assumer tous les coûts de dépollution. Même si le défendeur était le propriétaire du remorqueur, M. Larsen a faussement déclaré à la GCC que le remorqueur lui appartenait.

[9]  M. Larsen a été avisé que des réunions auraient lieu tous les soirs afin de discuter des efforts requis pour éliminer la pollution. Il a assisté à la première réunion, le 14 janvier 2014; cependant, au moment de s’en aller, il a déclaré qu’il n’aurait pas de plongeurs disponibles le 15 janvier 2014.

[10]  Le 15 janvier 2014, le défendeur a rencontré M. Philip Murdock, de la GCC, sur le site du naufrage, mais il ne s’est pas identifié comme étant le propriétaire du remorqueur. Il a laissé la GCC s’occuper de la pollution provoquée par le remorqueur.

[11]  M. Larsen a informé la GCC que ni lui ni le défendeur n’allaient retenir les services d’un entrepreneur pour nettoyer la pollution par les hydrocarbures. Par la suite, ni le défendeur ni ses représentants n’ont fait quoi que ce soit pour assurer la dépollution ou l’élimination des conséquences de cette pollution.

[12]  Puisque la personne qui était alors perçue comme étant le propriétaire (M. Larsen) ne prenait aucune mesure concernant la pollution, la GCC a donc eu recours le 16 janvier 2014 à une large barge munie d’une grande grue (la Delcat) de Vancouver pour remonter le remorqueur à la surface. La barge est arrivée sur les lieux au cours de la matinée du 16 janvier 2014; les plongeurs ont disposé des élingues et ont préparé la remontée du remorqueur.

[13]  Après que la GCC a terminé la préparation du remorqueur en vue de sa remontée, le défendeur et M. Larsen ont tenté de la convaincre d’interrompre la remontée; cependant, comme tout était prêt pour la remontée du remorqueur, la GCC a effectué la remontée et a ensuite asséché le remorqueur. Ni M. Larsen ni aucun de ses représentants n’ont fait quoi que ce soit pour minimiser ou nettoyer la pollution causée par le remorqueur.

[14]  Comme unique défense, le défendeur a allégué que la petite porte arrière (la « porte ») de la superstructure du remorqueur avait été arrachée de ses charnières et que cela constituait une preuve qu’un tiers était monté à bord du remorqueur et en avait provoqué le naufrage. Cependant, le défendeur a reconnu que le fait d’enlever la porte n’aurait pas causé le naufrage.

[15]  Immédiatement après la remontée du remorqueur, le défendeur et M. Larsen se sont emparés de la porte; celle-ci a été confiée en l’état à M. J. Spears, qui était alors l’avocat du défendeur.

[16]  M. Spears a permis à toutes les parties d’inspecter la porte le 17 mai 2017. À l’exception d’une seule charnière, elle ne présentait aucun signe de dommage. Le mécanisme de verrouillage à pêne dormant de la porte était rentré ou déverrouillé. Le moraillon sur l’écoutille au-dessus de la porte, lequel peut être fixé à l’anneau porte-cadenas sur la porte, était intact tout comme d’ailleurs l’anneau porte-cadenas.

[17]  Les plongeurs ont inspecté la coque avant et après la remontée du remorqueur et n’ont rien trouvé qui puisse expliquer le naufrage. À la suite de la remontée et de l’assèchement du remorqueur, celui-ci a été inspecté par M. J. Small, un expert maritime représentant la Garde côtière canadienne (GCC), par M. D. Holonko, un expert maritime représentant le demandeur, ainsi que par le défendeur et M. Larsen. Aucune des personnes ayant inspecté la coque n’y a relevé de dommage ou une raison expliquant le naufrage du remorqueur.

[18]  Le défendeur savait que la superstructure autour de la porte était extrêmement pourrie.

[19]  À la suite de l’inspection du remorqueur par toutes les parties dans le bras mort de Mamquam, celui-ci a été remorqué sur une courte distance, à la pointe Watts (Shannon Falls) où il a de nouveau été inspecté par M. Holonko et par un représentant de la GCC; ni l’un ni l’autre n’ont pu constater un dommage à la coque ou une source d’infiltration d’eau pouvant avoir causé le naufrage.

[20]  Après avoir été amarré à la pointe Watts, le remorqueur a été toué derrière la Delcat à proximité de Point Atkinson, où il a été transféré à un autre remorqueur exploité par la Valley Towing Ltd. (« Valley »). Au moment du transfert, le 17 janvier 2014, le remorqueur semblait flotter normalement et rien n’indiquait qu’il prenait l’eau.

[21]  Cependant, peu après son transfert à Valley, il a coulé rapidement en eau profonde (le « second naufrage »).

[22]  M. Holonko était d’avis que les premier et second naufrages avaient été causés par la défaillance de la boulonnerie ou par la détérioration du bois entourant la boulonnerie, de sorte qu’une planche de la coque aurait pu s’ouvrir.

[23]  Le demandeur et la GCC sont d’avis que le premier naufrage s’est produit spontanément et que, comme la LRMM établit un régime de responsabilité stricte, la seule façon dont le défendeur peut éviter sa responsabilité est d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, le naufrage a été causé par un acte délibéré d’un tiers.

[24]  Le 12 août 2014, la GCC a présenté au demandeur une demande de remboursement des dépenses engagées. Après enquête et évaluation de la demande de la GCC, le 4 août 2016, le demandeur a versé à la GCC la somme de 82 512,70 $, plus des intérêts de 6 190,22 $ conformément à l’article 116 de la LRMM, soit un total de 88 702,92 $.

[25]  Les intérêts courus du 4 août 2016 au 31 octobre 2017 s’élèvent à 3 299,70 $, auxquels s’ajoutent les intérêts imputés à partir du 1er novembre 2017 à un taux de 3 % ou 7,29 $ par jour.

[26]  Le défendeur soutient que cette affaire ne se prête pas à un procès sommaire en raison des circonstances entourant le second naufrage. Même si l’enquête en est à ses premières étapes, les éléments de preuve étaient sous la garde et le contrôle de l’institution sous laquelle le demandeur tente de faire sa réclamation en subrogation et ils ont été perdus dans des circonstances telles qu’un juge de première instance devrait envisager un recours approprié pour aider le défendeur, en raison de cette perte d’éléments de preuve par le demandeur. Le défendeur estime que le demandeur n’a pris aucune mesure pour remonter le remorqueur après le second naufrage.

[27]  En outre, il allègue que les plongeurs qui ont effectué la première inspection du remorqueur n’ont pas été cités à comparaître. Le défendeur est d’avis que le demandeur n’a pas produit les éléments de preuve cruciaux des [traduction] « membres de l’équipage » qui ont conduit le remorqueur de Squamish jusqu’à l’endroit où les pompes en attente n’étaient plus sous surveillance humaine.

[28]  Enfin, le défendeur déclare que les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyé le demandeur sont spéculatifs et ne reposent pas sur des éléments de preuve matérielle réels. Sans procéder à un procès sur le fond, on ne devrait pas pouvoir alléguer des infractions de responsabilité stricte en s’appuyant uniquement sur le rapport d’un expert fondé sur des hypothèses quant à la cause du premier naufrage du remorqueur, alors que l’on a admis qu’il n’y avait aucun indice évident après le premier remontage du remorqueur.

II.  Questions en litige

  1. Est-ce qu’un procès sommaire est approprié aux termes de l’article 216 des Règles des Cours fédérales?
  2. Est-ce qu’un jugement sommaire peut être accordé?

III.  Analyse

A.  Procès sommaire

[29]  Les dispositions pertinentes de la LRMM se trouvent à l’annexe 1 des présentes. Le paragraphe 216(6) des Règles des Cours fédérales est libellé ainsi :

Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête.

[30]  La Cour a confirmé que l’application de la jurisprudence pertinente de la Colombie‑Britannique concernant l’article 18A des anciennes Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, BC Reg 221/90, sur lequel repose les articles 213 et 216 des Règles des Cours fédérales, est éclairante (0871768 B.C. Ltd. c. Aestival (Navire), 2014 CF 1047, aux paragraphes 57 à 61; Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, aux paragraphes 92 à 98).

[31]  La Cour devrait prendre en considération les faits suivants :

  • i) La partie requérante s’est acquittée de son fardeau en démontrant qu’un procès sommaire est approprié.

  • ii) Les points en litige et les faits nécessaires pour les régler sont décrits clairement dans la preuve.

  • iii) Même s’il existe une ou plusieurs véritables questions litigieuses et qu’il n’y a aucune question liée à la crédibilité, les questions peuvent être tranchées si le juge des requêtes conclut qu’il existe néanmoins suffisamment d’éléments de preuve pour rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier, à moins qu’il ne soit injuste de le faire.

  • iv) Les parties sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments (article 214) et, si une partie ne le fait pas, cela ne devrait pas empêcher la Cour de procéder par procès sommaire.

  • v) Les règles visant les jugements sommaires doivent être interprétées au sens large.

[32]  Les parties conviennent généralement que les faits pertinents ne sont pas contestés, sauf la seule question clé de savoir quelle était la cause du premier naufrage, et si les faits entourant le second naufrage sont ou non pertinents d’une manière quelconque au moment de déterminer la responsabilité de tierce partie en vertu de l’alinéa 77(3)b) de la LRMM. L’alinéa 77(3)b) de la LRMM prévoit que si le défendeur peut démontrer que le naufrage et la pollution subséquente ont été causés par un acte ou une omission d’une tierce partie, avec l’intention de causer des dommages, il peut être exempté de responsabilité.

[33]  Le seul élément de preuve fourni par le défendeur, en ce qui concerne l’éventuelle responsabilité d’une tierce partie, réside dans le fait que, lorsque le remorqueur a été remonté, la porte avait été arrachée de ses charnières et un cadenas avait apparemment disparu ce qui, de l’avis du défendeur, indique un acte de sabotage par une tierce partie.

[34]  En outre, le défendeur avance les éléments de preuve suivants :

  • i) M. Larsen s’occupait régulièrement du remorqueur et, à diverses occasions, il était allé vérifier que les batteries étaient chargées. Il est monté pour la dernière fois à bord du remorqueur quelques jours à peine avant le naufrage. Les pompes de cale du remorqueur étaient alimentées au moyen d’un puissant système d’alimentation électrique dont la charge pouvait tenir jusqu’à deux semaines sans autre forme de maintenance. M. Larsen est monté à bord du remorqueur au cours des deux à cinq jours qui ont précédé le naufrage et tout était en ordre. Il a vu le remorqueur pour la dernière fois la veille de son naufrage, alors qu’il marchait le long du canal. Il a vu le remorqueur à une certaine distance et celui-ci était bien assis sur l’eau.

  • ii) M. Larsen a cru que le naufrage du remorqueur avait été provoqué par une tierce partie, en raison d’un litige en cours entre lui et Chris Tamburri, maintenant décédé, qui était un directeur de Squamish Towing Inc.

  • iii) Le défendeur a pensé que s’il inspectait le remorqueur correctement, il trouverait des éléments permettant de déterminer qu’une tierce partie était responsable du naufrage. Il n’a pas cru que le remorqueur avait coulé de manière spontanée.

  • iv) M. Larsen mentionne que le remorqueur était muni d’une entrée à la poupe qui donnait accès à la salle des moteurs côté tribord, comme le montre la photographie portant la mention Pièce A de son affidavit. La porte était fermée à clé pour empêcher l’accès et était en bon état. M. Larsen a pensé que la porte de la salle des moteurs avait été forcée, que le système de pompes de cale avait été arrêté et que le remorqueur avait été sabordé par une tierce partie.

[35]  Le défendeur soutient que, puisque le demandeur a perdu le contrôle du seul élément de preuve qui lui permettait d’étayer son cas (à savoir le remorqueur) et vu la nature spéculative du rapport d’expert de M. Holonko, rendre un jugement sommaire sur cette demande de procès sommaire constituerait un abus de pouvoir de la part de la Cour.

[36]  L’avocat du défendeur a fait largement référence à Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 RCS 363, à la page 392 et aux suivantes, et à McDougall v Black & Decker Canada Inc, 2008 ABCA 353 [Black & Decker], pour alléguer qu’il y a eu destruction d’éléments de preuve, vu la perte du remorqueur en raison des actions téméraires de la GCC et que, par conséquent, la question des recours dont pourrait disposer le demandeur devrait être tranchée à la suite d’un procès complet, au cours duquel le juge de première instance pourra examiner tous les faits et préparer la réponse la plus appropriée.

[37]  Toutefois, comme l’a déclaré la Cour d’appel de l’Alberta dans Black & Decker, au paragraphe 18 :

[traduction]
St. Louis, par conséquent, appuie la proposition ci-après. En droit, le délit de destruction d’éléments de preuve ne découle pas du simple fait que des éléments de preuve ont été détruits. Ce délit implique qu’une partie ait détruit intentionnellement des éléments de preuve pertinents à un litige, en cours ou envisagé, dans des circonstances où il est raisonnable de croire que cette destruction visait à influer sur le litige en question. Une fois que le caractère intentionnel a été démontré, il naît une présomption selon laquelle l’élément de preuve détruit aurait nui à la cause de la partie qui l’a détruit. Toutefois, le prétendu destructeur peut réfuter cette présomption en présentant d’autres éléments de preuve pour démontrer que sa conduite, bien qu’intentionnelle, ne visait pas à avoir une incidence sur le litige, ou encore que sa cause est bien fondée ou que celle de son adversaire ne l’est pas.

En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve donnant à penser que le demandeur a intentionnellement détruit des documents ou qu’il s’est conduit de façon téméraire en ce qui concerne le second naufrage du remorqueur de sorte que celui-ci ne puisse plus servir d’élément de preuve, ou qu’il visait à avoir une incidence sur le litige.

[38]  Il est vrai que l’inspection de la coque à la suite du premier naufrage, par l’expert du demandeur, le défendeur et M. Larsen, n’a pas permis d’établir de motifs factuels concluants pour le naufrage, ni de motifs factuels concluants pour le second naufrage ou pour la perte du remorqueur, ce qui a empêché toute autre inspection.

[39]  Toutefois, contrairement à ce qu’avance le défendeur, les éléments de preuve dont la Cour est saisie démontrent ce qui suit :

  • i) Ni les plongeurs, ni les employés de la GCC, ni l’expert M. Small, ni l’expert retenu par le demandeur, M. Holonko, ni M. Beasse, ni M. Larsen n’ont trouvé de preuve d’un acte délibéré de la part d’une tierce partie pour endommager la coque du remorqueur ou pour permettre l’infiltration d’eau d’une manière quelconque.

  • ii) En ce qui concerne la porte :

  • a) La porte elle-même a été jugée en bon état, et aucun signe n’indiquait que l’on ait eu recours à la force physique pour l’ouvrir par effraction.

  • b) La superstructure entourant l’ouverture de la porte était extrêmement pourrie.

  • c) Directement au-dessus de la porte se trouve une écoutille qui peut être assujettie au moyen d’un moraillon, lequel recouvre l’anneau porte-cadenas sur la porte dans lequel on peut insérer un cadenas. L’écoutille et l’anneau porte-cadenas étaient intacts, ce qui indique clairement que l’écoutille n’avait pas été fermée à clé au moment du naufrage.

  • d) Peu après le premier naufrage, la porte a été remise à M. J. Spears, qui était l’avocat du défendeur à ce moment-là. Il l’a conservée jusqu’au moment de la produire à des fins d’examen par les parties au présent litige en mai 2017. À ce moment, on a constaté que le mécanisme de verrouillage était en position rentrée, ce qui indique que la porte n’était pas fermée à clé au moment du naufrage.

  • e) Au moment d’émettre son opinion professionnelle, M. Holonko a déclaré que la porte s’était brisée pendant le naufrage, sous la pression de l’air qui était expulsé de la superstructure ou de l’eau qui s’infiltrait rapidement dans la superstructure.

[40]  De plus, toute animosité présumée entre un employé de Squamish Marine Services et le défendeur n’est pas pertinente, en ce qui concerne les services de remorquage fournis par Valley, qui était responsable du remorquage au moment du second naufrage du remorqueur. La GCC ne nourrissait pas non plus d’hostilité à l’égard du défendeur et, au regard des faits, elle a fait tout son possible pour que l’on puisse inspecter le remorqueur, dès sa remontée après le premier naufrage et en tout temps jusqu’au second naufrage.

[41]  Il convient d’analyser les faits selon une norme décrite avec justesse dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, aux paragraphes 44 à 46 :

[44] Autrement dit, il semblerait incongru qu’un juge conclue qu’il est probable, mais pas assez probable suivant une norme non précisée, qu’un événement ait eu lieu et, par conséquent, que cet événement ne s’est pas produit. Comme l’explique lord Hoffmann dans l’arrêt In re B, par. 2 :

[traduction] Lorsqu’une règle de droit exige la preuve d’un fait (le « fait en litige »), le juge ou le jury doit déterminer si le fait s’est ou non produit. Il ne saurait conclure qu’il a pu se produire. Le droit est un système binaire, les seules valeurs possibles étant zéro et un. Ou bien le fait s’est produit, ou bien il ne s’est pas produit. Lorsqu’un doute subsiste, la règle selon laquelle le fardeau de la preuve incombe à l’une ou l’autre des parties permet de trancher. Lorsque la partie à laquelle incombe la preuve ne s’acquitte pas de son obligation, la valeur est de zéro et le fait est réputé ne pas avoir eu lieu. Lorsqu’elle s’en acquitte, la valeur est de un, et le fait est réputé s’être produit.

À mon avis, la seule façon possible d’arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement a eu lieu.

[45] Laisser entendre que lorsqu’une allégation formulée dans une affaire civile est grave, la preuve offerte doit être examinée plus attentivement suppose que l’examen peut être moins rigoureux dans le cas d’une allégation moins grave. Je crois qu’il est erroné de dire que notre régime juridique admet différents degrés d’examen de la preuve selon la gravité de l’affaire. Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[42]  Le demandeur a déterminé les frais engagés en raison de la pollution causée par le premier naufrage. Je conviens avec le demandeur qu’il incombe alors au défendeur de démontrer, dans sa défense, sa responsabilité de tierce partie conformément à l’alinéa 77(3)b) de la LRMM. Le défendeur n’a pas réussi à soulever de véritable question litigieuse en s’appuyant sur une théorie purement spéculative voulant qu’une tierce partie soit à l’origine du premier naufrage, alors les faits montrent que, selon la prépondérance des probabilités, une telle activité n’a pas eu lieu.

[43]  Le remorqueur était impropre à la navigation et il a coulé; le défendeur n’a pas exposé dans ses éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur l’alinéa 77(3)b) de la LRMM, en ce qui concerne la responsabilité d’une tierce personne relativement au premier naufrage. Il ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait, à savoir présenter ses meilleurs arguments. En tant que propriétaire du remorqueur, il incombe au défendeur de prendre les mesures de dépollution requises.

[44]  La tenue d’un procès complet ne servirait aucune fin utile – les éléments de preuve ne feront pas davantage la lumière sur le fait concernant le premier naufrage que ce dont la Cour a été saisie. Aucun élément de preuve n’appuie une conclusion d’implication d’une tierce personne permettant de justifier une défense en vertu de l’alinéa 77(3)b) de la LRMM. En rendant un jugement sommaire dans cette affaire, la Cour sert les intérêts de la justice.

IV.  Conclusions

[45]  La requête est accueillie. Les dépens sont adjugés en faveur du demandeur. Les parties disposeront de dix (10) jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens ou pour soumettre leurs observations écrites à ce sujet, en cinq (5) pages au maximum.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1698-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Le jugement sommaire est prononcé en faveur du demandeur.

  2. Le défendeur versera au demandeur la somme de 82 512,70 $, plus les intérêts avant jugement et les intérêts après jugement à un taux de 3 % à compter du 14 janvier 2014 jusqu’à la date du versement.

  3. Dépens du demandeur : si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles disposeront de dix (10) jours à compter de la date du présent jugement pour soumettre des observations écrites de cinq (5) pages maximum.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1698-16

INTITULÉ :

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES c. ROBIN BEASSE ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2018

COMPARUTIONS :

David McEwen

POUR LE DEMANDEUR

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES

DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

James Straith

POUR LE DÉFENDEUR

DEMANDEUR RECONVENTIONNEL

ROBIN BEASSE

Personne n’a comparu

POUR LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

Personne n’a comparu

POUR LA MISE EN CAUSE

VALLEY TOWING LIMITED


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander, Holburn, Beaudin + Lang

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

James Strait

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

DEMANDEUR RECONVENTIONNEL

ROBIN BEASSE

Le procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

Whitelaw Twining Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS SQUAMISH MARINE SERVICE LTD.

ET CHRIS TAMBURRI

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA MISE EN CAUSE

VALLEY TOWING LIMITED

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.