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Date : 20180109


Dossier : IMM-2602-17

Référence : 2018 CF 15

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MING GUO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est résident permanent du Canada depuis 1993. En 2011, il a plaidé coupable à une accusation d’avoir utilisé sans autorisation une carte de crédit et a obtenu une sentence suspendue. En conséquence, une mesure de renvoi a été prise à son endroit le 9 juillet 2012 par la Section de l’immigration, puisqu’il était jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité.

[2]  Le 25 janvier 2013, la Section d’appel de l’immigration et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ont accepté de suspendre l’exécution de la mesure de renvoi du Canada le visant, pour une période de quatre ans, sous réserve de diverses conditions. En plus de l’obligation de se présenter aux autorités deux fois l’an, le demandeur était également tenu d’aviser l’ASFC et la Section d’appel de l’immigration, par écrit, de tout changement d’adresse. Cette obligation lui incombait, aux termes des conditions de l’ordonnance de sursis, durant une période de quatre ans (se terminant par un nouvel examen le 25 janvier 2017).

[3]  Le demandeur affirme que la dernière fois qu’il s’est présenté à l’ASFC en juillet 2016, un agent de l’ASFC lui a affirmé que le dossier était [traduction] « clos » et qu’il n’avait plus à se présenter à l’ASFC.

[4]  Cependant, après qu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le visant eut été ordonné, le demandeur a déménagé à deux reprises, sans toutefois aviser la Section d’appel de l’immigration de son changement d’adresse. Il a par contre signalé un de ses changements d’adresse à l’ASFC.

[5]  Le 15 décembre 2016, un avis de reprise de l’appel (l’avis) a été envoyé au demandeur, à sa dernière adresse connue, et à l’avocat qui avait représenté le demandeur lors de l’appel concernant la mesure de renvoi. L’avis indiquait au demandeur que la Section d’appel de l’immigration réexaminerait la mesure de renvoi le visant. L’avis informait également le demandeur qu’il devait fournir une déclaration écrite à l’ASFC et à la Section d’appel de l’immigration, confirmant son respect des conditions de l’ordonnance de sursis. L’avis indiquait en outre que tout défaut de fournir les renseignements à la SAI Section d’appel de l’immigration pourrait amener la Section d’appel de l’immigration à prononcer le désistement de l’appel du demandeur.

[6]  Aucune déclaration écrite n’a été reçue du demandeur.

[7]  Une audience de réexamen du sursis a été mise à l’horaire, et un avis de comparution a été envoyé au demandeur le 16 janvier 2017.

[8]  Le 27 janvier 2017, l’avocat du demandeur a demandé à être radié du présent dossier, en raison de son incapacité à retrouver le demandeur.

[9]  Le 3 février 2017, l’avis de comparution envoyé au demandeur a été retourné à la Section d’appel de l’immigration avec la mention « non distribuable ». Le demandeur n’a pas assisté à la conférence de sursis. La situation a conduit à la décision faisant l’objet du présent contrôle.

I.  Décision faisant l’objet du contrôle

[10]  La décision faisant l’objet du contrôle est la décision relative au désistement rendue le 24 février 2017.

[11]  Dans cette décision, la Section d’appel de l’immigration fait observer que le demandeur a omis de poursuivre l’affaire, parce qu’il n’a pas fourni à la Section d’appel de l’immigration ses coordonnées. Par conséquent, en application du paragraphe 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), la Section d’appel de l’immigration a prononcé le désistement de l’appel.

II.  Questions en litige

[12]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. Question préliminaire : Radiation du dossier certifié du tribunal
  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?
  3. Était-il raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas l’intention de poursuivre sa demande?

III.  Norme de contrôle

[13]  La présente affaire concerne l’interprétation et l’application, par la Section d’appel de l’immigration, des dispositions de sa loi constitutive, et commande l’application de la norme de la décision raisonnable : Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, aux paragraphes 22 et 23); Wilks c Canada Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2009 CF 306, aux paragraphes 25 à 27 [Wilks].

[14]  En ce qui concerne les questions d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la Cour d’appel fédérale a affirmé que, bien que l’entrave au pouvoir discrétionnaire soit habituellement assujettie à la norme de la décision correcte, une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est en soi déraisonnable (Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 23 et 24 [Stemijon]; Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643, aux paragraphes 25 à 28).

IV.  Discussion

A.  Question préliminaire : Radiation du dossier certifié du tribunal

[15]  À l’ouverture de l’audience, j’ai accueilli la requête du demandeur visant à faire radier les pages 74 à 214 du dossier certifié du tribunal, étant donné que les renseignements figurant à ces pages sont postérieurs à la décision faisant l’objet du contrôle et qu’ils ne sont visés par aucune exception justifiant leur recevabilité (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 13 et 14). Par conséquent, les renseignements figurant à ces pages n’ont pas été pris en considération aux fins des présents motifs.

B.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[16]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a entravé de manière déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en se concentrant sur sa [traduction] « politique de désistement en une étape » et sur l’article 168 de la LIPR. Une décision administrative qui « repose sur une autre source que la loi, par exemple une décision qui se fonde uniquement sur un énoncé de politique informel sans égard à la loi […] » est le fruit d’un pouvoir discrétionnaire limité (Stemijon, au paragraphe 24).

[17]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration aurait dû tenir compte d’autres dispositions de la LIPR au lieu de se concentrer uniquement sur l’article 168 de cette loi. Le demandeur soutient que l’article 164 de la LIPR permet qu’une audience de désistement soit tenue en l’absence d’un demandeur. Le demandeur soutient par ailleurs que l’article 67 de la LIPR permet qu’un appel soit accueilli ou qu’il y ait sursis à une mesure de renvoi sans la présence du demandeur. Qui plus est, le demandeur attire l’attention sur l’article 175, qui permet à la Section d’appel de l’immigration de fonder ses conclusions sur des éléments qu’elle juge « crédibles ou dignes de foi ».

[18]  En l’espèce, rien n’indique que la Section d’appel de l’immigration s’est simplement concentrée sur la politique de désistement en une étape, en excluant les dispositions directrices de l’article 168. La Section d’appel de l’immigration a fondé de manière appropriée sa décision sur l’article 168, dont le libellé, le contexte et l’objet permettent à la Section d’appel de l’immigration de prononcer le désistement d’une demande dans des circonstances telles que celles de l’espèce. On ne saurait affirmer qu’il s’agit d’une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[19]  Aucune des dispositions citées par le demandeur n’est utile à ce dernier. Comme le souligne le défendeur, l’article 164 de la LIPR permet simplement à la Section d’appel de l’immigration de tenir une audience en présence de la personne en cause ou par l’intermédiaire d’un moyen de télécommunication (Sundaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 291, au paragraphe 14). L’article 164 n’est pas pertinent pour l’audition d’une procédure de désistement alors que le demandeur n’a pas donné de réponse.

[20]  De plus, les articles 67 et 175 évoquent simplement les conditions selon lesquelles un appel sera accueilli et selon lesquelles la Section d’appel de l’immigration peut accepter des éléments de preuve. Ces dispositions ne sont pas utiles au demandeur.

[21]  En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration a fondé de manière raisonnable sa décision sur l’article 168 et sur ses propres politiques administratives, y compris le « processus de désistement en une étape ». Dans l’arrêt Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 568 et 569 [Prassad], la Cour suprême du Canada a conclu que les tribunaux comme la Section d’appel de l’immigration sont « maîtres chez eux » et que « [e]n l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure [...] ». L’arrêt Prassad portait sur la décision d’un arbitre de l’immigration de refuser un ajournement à un demandeur alors que ce dernier interjetait appel d’une décision d’un ministre. La Cour a conclu que l’arbitre avait le droit de le faire.

[22]  La présente affaire est analogue. En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration a adopté un processus de désistement en une étape dans le but de traiter les appels d’une manière équitable et expéditive. Elle a le droit de le faire aux termes du paragraphe 162(2) de la LIPR. Ce faisant, la Section d’appel de l’immigration oriente son pouvoir discrétionnaire en appliquant l’article 168.

[23]  La Section d’appel de l’immigration, aidée par la politique de désistement en une étape, a tenu compte du droit applicable énoncé à l’article 168. En ce qui concerne l’article 168, il est admis que la Section d’appel de l’immigration a le droit de prononcer le désistement d’un appel lorsque son courrier lui est retourné : Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 84, au paragraphe 21 [Jones]. Par conséquent, la Section d’appel de l’immigration n’a pas commis d’erreur en agissant ainsi en l’espèce.

[24]  Essentiellement, le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration aurait dû prendre des mesures proactives afin de connaître ses allées et venues. Cet argument est mal fondé, étant donné que cette obligation incombe au demandeur. Ce dernier avait l’obligation de tenir la Section d’appel de l’immigration informée de son adresse, à tout le moins durant la période de quatre ans, ce qu’il a omis de faire. Affirmer maintenant que cette omission entraînait une obligation positive de la part de la Section d’appel de l’immigration ne constitue pas un argument crédible.

C.  Était-il raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas l’intention de poursuivre sa demande?

[25]  Notre Cour a affirmé que le paragraphe 168(1) « fait peser une certaine obligation » sur le demandeur, surtout celle de communiquer des coordonnées à jour à la Section d’appel de l’immigration (Wilks, au paragraphe 40). L’article 168 permet à la Section d’appel de l’immigration de prononcer le désistement d’une demande si un demandeur n’est pas à la hauteur du degré de responsabilité requis.

[26]  Le demandeur s’appuie sur plusieurs décisions dans le contexte de demandes d’asile pour soutenir que pour affirmer qu’un demandeur a omis de poursuivre l’affaire, il doit être clair « que la conduite [d’un demandeur] fai[t] montre, en termes clairs, de son désir ou de son intention de se désister » (Peredo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 390; Emani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 520, au paragraphe 20). Le demandeur soutient qu’on aurait dû lui donner l’occasion d’expliquer sa situation lors d’une audience de justification.

[27]  Cependant, ces décisions sont régies par l’article 65 des Règles de la section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256), qui impose des règles spéciales pour les procédures relatives à des demandes d’asile, y compris l’obligation, par la Section de la protection des réfugiés, de donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. La Section de la protection des réfugiés doit également tenir compte de cette explication et de tous les autres facteurs pertinents au moment de rendre une décision de désistement.

[28]  En l’espèce, il n’y a pas de règles semblables qui s’appliquent à la Section d’appel de l’immigration, surtout en ce qui concerne les audiences de justification. La Section d’appel de l’immigration a élaboré un processus de désistement en une étape qui décrit les facteurs que la Section d’appel de l’immigration prendra en considération afin de déterminer si une audience de justification peut être convoquée. Un de ces facteurs est que [TRADUCTION] « [r]écemment, l’appelant avait tendance à répondre à la Section d’appel de l’immigration, et son défaut de répondre cette fois-ci ne reflète pas la façon dont il poursuivait l’appel depuis le début de la procédure ».

[29]  La Section d’appel de l’immigration a raisonnablement conclu que l’article 168 devrait être appliqué en l’espèce sans audience de justification. La Section d’appel de l’immigration avait lieu de croire que le demandeur n’avait pas une intention claire de poursuivre sa demande, vu son défaut de réponse systématique. L’avocat du demandeur n’était pas en mesure de communiquer avec ce dernier, et il s’est par la suite récusé pour cette raison. Il n’a pas comparu à son audience de nouvel examen. On n’a reçu aucune réponse à une demande de déclaration écrite de conformité. Fait critique, le demandeur n’a pas avisé la Section d’appel de l’immigration de deux changements d’adresse distincts.

[30]  Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la loi prévoit que « [l]a SAI a tout à fait le droit de prononcer le désistement d’un appel lorsque son courrier lui est retourné […] » (Jones, au paragraphe 21). La Section d’appel de l’immigration peut à sa discrétion analyser les faits et déterminer s’il y a eu désistement de l’appel du demandeur, et qu’il n’est plus nécessaire de procéder à une audience de justification.

[31]  La Section d’appel de l’immigration n’est pas tenue de localiser le demandeur. Comme il est souligné dans la décision Dubrézil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 142, au paragraphe 12, [Dubrézil] :

S’il fallait suivre le raisonnement du demandeur, cela impliquerait qu’à chaque fois qu’une personne omettrait de se présenter, manquerait de diligence ou aurait un comportement pouvant clairement laisser croire à un désistement d’appel, la SAI serait tenue de faire enquête pour retrouver cette personne, de lui rappeler ses obligations et de la convoquer pour tenir une nouvelle audience avant de prononcer le désistement. Je ne peux retenir pareille interprétation, d’autant plus qu’en l’espèce, le demandeur n’a pas communiqué ses changements d’adresse à la SAI, de sorte que celle-ci n’aurait de toute façon pas pu le joindre pour convoquer une nouvelle audience si elle avait eu pareille obligation.

[32]  Cette conclusion formulée dans la décision Dubrézil s’applique également en l’espèce.

[33]  Au moment où le sursis de la mesure de renvoi a été accordé, le demandeur a confirmé qu’il comprenait les conditions et qu’il acceptait d’y être lié. En outre, le délai de quatre ans n’a pas pris fin avant janvier 2017. Il n’est pas raisonnable, pour le demandeur, de soutenir qu’à compter de juillet 2016 – soit la dernière date à laquelle il a communiqué avec l’ASFC – il s’était acquitté de toutes les obligations de l’ordonnance de sursis.

[34]  À ce titre, la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle le demandeur n’avait pas l’intention de poursuivre sa demande fait partie des issues acceptables au regard des faits et du droit.

V.  Question certifiée

[35]  Le demandeur a proposé une question certifiée se rapportant aux obligations qui incombent à la Section d’appel de l’immigration lorsqu’elle réexamine un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Plus précisément, le demandeur demande si la Section d’appel de l’immigration devrait être tenue de se demander si des mesures spéciales devraient être accordées aux termes des articles 67 et 68 de la LIPR avant de prononcer le désistement d’un appel en application de l’article 168.

[36]  Je refuse de certifier cette question, puisqu’elle est bien établie en droit, comme je l’ai indiqué précédemment (Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 36).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2602-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2602-17

INTITULÉ :

MING GUO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 9 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Samuel Loeb

Pour le demandeur

Amina Riaz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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