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Date : 20171228


Dossier : IMM-2385-17

Référence : 2017 CF 1195

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

YESHIHAREG ALEMU MENGESHA

DINAH HAILU KEBEDE ET

NAZAWIT KEBEDE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Yeshihareg Alemu Mengesha (la demanderesse) et ses enfants mineurs Dinah Hailu Kebede et Nazrawit Hailu Kebede sont des citoyennes d’Éthiopie. La demanderesse occupait le poste de secrétaire générale à l’ambassade du Lesotho à Addis Ababa de 2009 à 2012.

[2]  Elle soutient que des agents de sécurité éthiopiens lui ont demandé en avril 2012 de récupérer des renseignements de l’ambassade à l’égard de deux personnes qui auraient des liens avec le parti Ginbot 7. Ce parti est un groupe d’opposition basé en Érythrée. La demanderesse a nié avoir les connaissances ou l’habileté nécessaires pour obtenir ces renseignements et elle a été détenue par la suite par les forces de sécurité pendant une nuit.

[3]  La demanderesse s’est enfuie avec ses enfants en août 2012 aux États-Unis, pays où la famille a présenté une demande d’asile six mois plus tard. En août 2013, avant que leur demande ne soit entendue, la demanderesse est retournée en Éthiopie avec ses enfants après le versement par son époux d’un pot-de-vin à un agent de sécurité éthiopien qui a offert des assurances pour sa sécurité.

[4]  La demanderesse soutient que, depuis son retour, des agents de sécurité l’ont harcelée en vue d’obtenir des renseignements qu’ils croient être en sa possession en raison de son ancien emploi. En 2014, la demanderesse a fait un voyage d’affaires à Dubaï. En 2015, elle s’est rendue à Bangkok en vue d’obtenir un traitement pour son époux qui était malade.

[5]  Le 25 mai 2016, elle a été emmenée au poste de police et il lui a été demandé d’identifier les personnes à partir de photographies fournies par des policiers. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier les personnes, elle a été menacée et accusée d’être en lien avec le parti Bleu (un parti de l’opposition également appelé le parti Semayawi) et d’avoir collaboré avec Ginbot 7. La demanderesse dit dans son témoignage que, craignant pour sa vie et sa sécurité, elle se préparait à fuir le pays et qu’elle a demandé et obtenu des visas canadiens pour elle-même et pour les demanderesses mineures.

[6]  La demanderesse a encore une fois été emmenée au poste de police le 20 juin 2016. Le service de police a exigé qu’elle lise à la télévision nationale un énoncé préparé par des agents de sécurité. Elle a été emmenée à la station de télévision et il lui a été montré de quelle manière lire l’énoncé. Il lui a été dit que l’énoncé devait être lu au moment propice du programme. La demanderesse a accepté de le faire parce qu’elle savait qu’elle s’enfuirait bientôt au Canada.

[7]  La demanderesse est arrivée au Canada le 7 juillet 2016. Son époux lui a dit que des policiers étaient venus la chercher à la maison les 14 et 16 juillet 2016 et que le ministre des Affaires étrangères lui avait envoyé une lettre pour lui demander de se présenter à l’ambassade la plus proche pour signer une déclaration de témoin.

[8]  Elle a déposé une demande d’asile fondée sur l’opinion politique qu’il lui était attribuée, son manque de collaboration avec les autorités et son appui au parti Bleu. La Section de la protection des réfugiés a rejeté cette demande. La Section de la protection des réfugiés avait beaucoup de doutes quant à la crédibilité des éléments de preuve que la demanderesse a présentés pour étayer ses allégations selon lesquelles elle serait recherchée par les autorités éthiopiennes. Elle a conclu, en outre, qu’elle n’avait pas établi qu’elle était une partisane active du parti Bleu ni qu’elle était recherchée en raison de son appui à ce parti.

[9]  L’appel interjeté par les demanderesses devant la Section d’appel des réfugiés a été rejeté. La Section d’appel des réfugiés a déclaré que [traduction] « après avoir examiné de manière indépendante l’ensemble du dossier de la procédure, la Section d’appel des réfugiés est du même avis que la Section de la protection des réfugiés, à savoir que la demanderesse et ses enfants n’ont pas établi les allégations importantes de leurs demandes ».

[10]  Les demanderesses demandent à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel des réfugiés pour deux raisons : 1) le rejet de la preuve documentaire qui corrobore sa demande était déraisonnable et 2) la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur à l’appréciation de sa crédibilité.

[11]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la Section d’appel des réfugiés ait commis une erreur ou ait tiré une conclusion déraisonnable et, par conséquent, la demande doit être rejetée.

[12]  Après avoir lu les décisions de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés, j’avoue que la décision de la Section de la protection des réfugiés semble être plus argumentée et plus convaincante. Toutefois, c’est la décision de la Section d’appel des réfugiés qui fait l’objet du présent contrôle et ma préférence à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés ne signifie pas que la décision de la Section d’appel des réfugiés est viciée ou devrait être annulée. Même si le point de vue de la Section d’appel des réfugiés relativement à certains des éléments de preuve diffère de celui de la Section de la protection des réfugiés, je ne vois rien de déraisonnable dans l’issue ou l’analyse.

[13]  La demanderesse se plaint du traitement réservé par la Section d’appel des réfugiés à trois documents, soit les lettres de la police datées du 25 mai 2016 et du 16 juillet 2016, la lettre du ministre des Affaires étrangères et la lettre de l’époux de la demanderesse.

[14]  La demanderesse soutient que la décision de la Section d’appel des réfugiés d’accorder peu de poids aux lettres de la police était déraisonnable. Selon elle, la Section d’appel des réfugiés n’a accordé aucun poids à la lettre du 25 mai 2016 parce que l’en-tête a été découpé dans le haut et que le nom de la demanderesse n’y figurait pas et n’a accordé aucun poids à la lettre du 16 juillet 2016 pour la seule raison que l’en-tête avait été découpé à l’époque. La demanderesse soutient que la Section d’appel des réfugiés ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de décider de n’accorder aucun poids à ces lettres. Elle note que la Section d’appel des réfugiés n’a pas déclaré qu’elle avait des connaissances spécialisées sur les caractéristiques des lettres issues par un service de police d’Éthiopie et que la Section n’avait pas non plus de spécimen de sommation ou de lettre émise par un service de police pour établir une comparaison. La demanderesse soutient que, même si la Section d’appel des réfugiés a une expertise pour établir l’importance d’éléments de preuve en matière d’authenticité, la Section d’appel des réfugiés n’a pas l’expertise pour établir elle-même l’authenticité des documents.

[15]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les préoccupations de la Section d’appel des réfugiés concernant la lettre du 25 mai 2016 étaient raisonnables et que la Section d’appel des réfugiés a donné une explication acceptable pour justifier le peu d’importance accordée à cette lettre. La Section d’appel des réfugiés ne pouvait d’aucune façon confirmer que la demanderesse était la destinataire de la lettre, car le nom de la demanderesse n’y figurait pas. Elle lui a accordé par conséquent une faible valeur probante, ce qui est raisonnable.

[16]  Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés d’accorder encore une fois peu d’importance à la lettre du 16 juillet 2016 parce que le haut de l’en-tête avait été découpé. La Section de la protection des réfugiés a écarté ces éléments de preuve pour deux motifs. La lettre visée était une sommation de police qui, selon l’époux, lui a été laissée le 16 juillet. À la question de savoir si les agents avaient donné des documents à son époux, la demanderesse a répondu deux fois par la négative avant d’être informée par le tribunal qu’une telle lettre figurait au dossier. Elle a alors répondu [traduction] « il s’agissait d’un avis. Il doit toujours y avoir un préavis ». La Section de la protection des réfugiés a déclaré qu’elle trouvait cette explication déraisonnable [traduction] « parce que le tribunal a posé une question directe à maintes reprises pour savoir si des agents de sécurité avaient donné un document quelconque à son époux et la demanderesse a répondu deux fois par la négative ». Elle a ajouté que [traduction] « non seulement la demanderesse a-t-elle omis de mentionner ce document des plus pertinents, mais de plus, au recto du document, l’en-tête a été découpé dans le haut ». Pris ensemble, ces facteurs ont mené la Section de la protection des réfugiés à n’accorder aucun poids à la lettre aux fins de corroborer ses allégations, à savoir qu’elle faisait l’objet d’une recherche active.

[17]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait [traduction] « fait preuve d’un zèle excessif en concluant que la demanderesse n’a pas mentionné la sommation, alors que celle-ci été déposée en preuve ». Néanmoins, elle a également conclu que la sommation ne pouvait pas se voir accorder [traduction] « une valeur probante importante à première vue, puisque l’en-tête avait été découpé ». Il n’est pas véritablement de contestation sur le fait que l’en-tête a été découpé. Le document était par conséquent incomplet. Malgré ses parties lisibles, on ne peut dire qu’il est déraisonnable d’en diminuer la valeur du fait qu’il est incomplet et qu’il est impossible de savoir ce qui lui manque.

[18]  Le deuxième document qui a été écarté était la lettre du ministre des Affaires étrangères. La demanderesse soutient que la seule raison que la Section d’appel des réfugiés a donnée pour écarter cette lettre est l’absence d’éléments identificateurs. La demanderesse soutient que [traduction] « l’absence d’éléments identificateurs » est un terme très vague, d’autant plus que la lettre a gardé son en-tête, a été signée et estampillée et semble être authentique à première vue.

[19]  Le défendeur soutient que la déclaration de la Section d’appel des réfugiés n’est pas vague. Au paragraphe 27 de ses motifs, la Section d’appel des réfugiés s’est exprimée comme suit : [traduction] « comme le nom et l’adresse de la demanderesse et la destination de la lettre du ministère des Affaires étrangères sont absents et que les questions de crédibilité susmentionnées demeurent, la Section de la protection des réfugiés a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que cette lettre n’offrait aucune nouvelle preuve corroborante qui soit crédible ».

[20]  C’est un fait que la lettre comporte le nom de la demanderesse et ce fait a été signalé par la Section de la protection des réfugiés. Voici les motifs de la Section de la protection des réfugiés qui l’ont conduite à écarter la lettre :

[traduction]
Elle indique qu’elle doit se présenter à un consulat ou à une ambassade où elle réside pour signer une déclaration de témoin. Même si le nom de la demanderesse y figure, ce n’est pas le cas de son adresse ni de la destination de la lettre. Vu les préoccupations susmentionnées relatives à la crédibilité du témoignage de la demanderesse, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre ne suffit pas à réfuter toutes les préoccupations en matière de crédibilité déjà exprimées.

[21]  Bref, la seule différence entre les décisions de la Section d’appel des réfugiés et de la Section de la protection des réfugiés sur ce point semble reposer sur le fait que la lettre comporte ou non le nom de la demanderesse. Je suis d’avis que l’erreur commise par la Section d’appel des réfugiés ne suffit pas à réfuter le caractère autrement raisonnable de l’évaluation.

[22]  Le troisième document dont les deux tribunaux ont tenu compte était une lettre de l’époux de la demanderesse.

[23]  La demanderesse soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a accordé aucun poids à la lettre de son époux, car il s’agissait d’une lettre intéressée et n’ajoutait rien au contenu du témoignage et à ce qui figurait déjà dans le formulaire de fondement de la demande. La demanderesse fait valoir que cette conclusion passe à côté de l’objet de la lettre de son époux, car il ne s’agissait pas d’ajouter de nouveaux faits à la preuve, mais plutôt de corroborer les allégations de persécution de la demanderesse. La demanderesse fait valoir que les lettres doivent être prises en considération pour leur contenu et non pas pour ce qui n’y figure pas.

[24]  En ce qui concerne cette lettre, la Section d’appel des réfugiés a déclaré ce qui suit :

[traduction]
En toute déférence, la Section d’appel des réfugiés conclut que la [demanderesse] a perdu de vue les éléments manquants de la lettre de [son] époux. En gardant à l’esprit cet élément, la Section d’appel des réfugiés conclut qu’elle ne devrait accorder à cette lettre qu’un poids minimal, voire nul, pour établir qu’il existe des craintes chez cette famille, notamment de craintes à l’égard des enfants pour l’avenir.

[25]  Ce que la lettre n’indiquait pas, et qui faisait partie du témoignage de la demanderesse, était que l’époux a été obligé de déménager à maintes reprises depuis que la demanderesse a quitté l’Éthiopie par crainte des autorités. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont raisonnablement conclu qu’il était attendu que l’époux mentionne ce fait essentiel dans sa lettre. Je suis d’avis que, vu l’absence de toute mention de ce fait, il est raisonnable de réduire à zéro ou presque l’importance à accorder à cette lettre.

[26]  Je conclus également que la crédibilité générale de la demanderesse a été raisonnablement évaluée. Elle soutient s’être rendue aux États-Unis pour fuir la persécution, mais il lui a fallu six mois pour présenter une demande d’asile. Elle s’est rendue à l’étranger et est ensuite retournée en Éthiopie au moins deux fois sans subir de conséquences. Elle a soutenu être une partisane active du parti Bleu, mais n’avoir aucune connaissance de son idéologie, de sa plate-forme ou de la date de la dernière élection.

[27]  La demanderesse s’appuie sur une lettre du parti Bleu et des reçus pour les dons qu’elle a faits en guise de preuve corroborante. Je suis d’avis que les contradictions entre la lettre et le témoignage de la demanderesse quant à la façon dont elle a appuyé le parti sont suffisantes pour justifier que la Section d’appel des réfugiés lui accorde peu de poids. Par ailleurs, les contradictions constatées dans l’ensemble de son témoignage, comme il a été mentionné dans le paragraphe précédent, sont importantes au point où les reçus ne suffisent plus à prouver son allégation d’être une partisane du parti.

[28]  Ces difficultés relatives à son témoignage et l’absence d’éléments de preuve corroborants et solides pour sa demande rendent la décision globale de la Section d’appel des réfugiés raisonnable.

[29]  Aucune question de certification n’a été proposée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2385-17

LA COUR rejette la demande. Il n’y a aucune question à certifier.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-2385-17

INTITULÉ :

YESHIHAREG ALEMU MENGESHA ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 28 DÉCEMBRE 2017

 


COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

POUR LES DEMANDERESSES

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Tilahun Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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