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Date : 20171222


Dossier : IMM-5352-16

Référence : 2017 CF 1191

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

GHULAM HASSAN HAJI ALIKHANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, qui est citoyen d’Iran, demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un délégué du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (le délégué), datée du 13 septembre 2016, dans laquelle le délégué a conclu, lorsqu’il a réexaminé la demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) du demandeur présentée en 2009 aux termes des articles 112 et 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qu’il est peu probable qu’il soit confronté à plus qu’une simple possibilité d’être personnellement exposé à une menace à sa vie, à un risque de torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Iran.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur a maintenant 57 ans. Il vit au Canada depuis plus de 30 ans. Il n’a actuellement pas de statut dans son pays et il est frappé d’une mesure de renvoi. Ses antécédents en matière d’immigration au Canada menant à la présente demande d’ERAR peuvent être résumés en ces termes.

  • a) Le demandeur est entré au Canada en octobre 1986, moment auquel il a fait part de son désir de présenter une demande d’asile, craignant de subir des représailles de la part des autorités iraniennes en raison de son association avec la Mujahedin-e-Khalq, également connue sous le nom d’Organisation des moudjahidin du Peuple iranien (MEK ou OMPI), un groupe musulman de gauche fondé en 1965 qui a d’abord pris part à la manifestation qui a mené à la chute du shah d’Iran et à la mise en place de la République islamique d’Iran en 1979, mais qui, peu après la mise en place de ce régime, a lancé une lutte armée pour renverser la République islamique.

  • b) Il a présenté sa demande d’asile le 1er janvier 1989. Depuis, il a reçu un permis ministériel lui permettant de rester au Canada. Alors qu’il détenait le permis ministériel, le demandeur a voyagé deux fois à un camp pro-MEK situé en Iraq (le camp Ashraf).

  • c) En avril 1992, le demandeur était présent à l’ambassade iranienne à Ottawa lorsque l’ambassade a été attaquée par un groupe de dissidents opposés au régime iranien. Peu après l’attaque, il a été intercepté alors qu’il tentait de quitter le Canada pour aller au camp Ashraf en se servant du passeport d’une autre personne.

  • d) En conséquence de ces incidents, le demandeur a été reconnu coupable d’un certain nombre d’infractions au Code criminel et, le 27 septembre 1995, une mesure d’expulsion a été prise contre lui en raison de sa criminalité.

  • e) Le 24 juin 1997, le demandeur a été jugé comme étant un réfugié au sens de la Convention par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission). La Commission a conclu que les activités du demandeur depuis son arrivée au Canada l’avaient clairement exposé à un risque de persécution s’il devait retourner en Iran. Du même coup, elle a rejeté l’affirmation du défendeur selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à la protection accordée aux réfugiés prévue par l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés en raison de son implication, tant en Iran qu’au Canada, auprès d’une organisation, la MEK, qui a été reconnue coupable de crimes contre l’humanité pendant la période de cette implication. La Commission a jugé qu’il n’y avait pas de preuve selon laquelle le demandeur avait été personnellement impliqué dans la perpétration de tels crimes.

  • f) Le défendeur a contesté avec succès la décision de la Commission devant la Cour. Le 1er septembre 2000, la Commission, lors du réexamen, a jugé que, même s’il y avait une chance raisonnable que le demandeur fasse l’objet de persécution à son retour en Iran, il n’avait pas droit, comme l’affirmait le défendeur, à la protection conférée aux réfugiés en raison de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le demandeur a contesté sans succès le nouvel examen de la Commission.

  • g) En août 2001, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Aux fins de cette demande, le défendeur a demandé à l’unité d’ERAR un avis quant aux risques. Le 24 février 2003, l’unité d’ERAR a jugé qu’il était fort probable que les autorités iraniennes connaissaient le demandeur en tant que partisan de la MEK et donc en tant que personne opposée au régime en Iran. Elle a conclu que, si le demandeur devait retourner en Iran, il serait accusé d’avoir [traduction] « agi contre la sécurité de l’État » et d’être [traduction] « membre d’une organisation interdite », deux infractions punissables de la peine de mort en Iran. Finalement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité de refuge intérieur pour le demandeur en Iran.

  • h) En août 2004, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur a été rejetée; sa tentative subséquente pour que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire a également été rejetée.

  • i) De 2004 à 2011, le renvoi du demandeur a été empêché par le fait qu’il lui manquait des documents de voyage.

[3]  La demande d’ERAR du demandeur a été présentée en 2009. Elle a été rejetée le 29 avril 2011, mais cette décision a été infirmée le 26 octobre 2011 lors d’un contrôle judiciaire, avec le consentement du défendeur. Par conséquent, ladite demande a été renvoyée pour réexamen. Lors du réexamen, des évaluations ont été menées conformément aux alinéas 172(2)a) et b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), puisque le demandeur était une personne décrite à l’alinéa 112(3)c) de la Loi, c’est-à-dire un demandeur dont la demande d’asile a été rejetée en application de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

[4]  Ces évaluations examinaient, d’une part, si le renvoi du demandeur en Iran lui ferait courir un danger conformément à l’article 97 de la Loi et, d’autre part, si le demandeur, dans le cas où de tels risques seraient découverts, devait néanmoins ne pas être autorisé à demeurer au Canada en raison de la nature et de la gravité des actes qu’il a commis concernant son implication auprès de la MEK ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[5]  L’évaluation prévue par l’article 97 a été effectuée en décembre 2011. L’agent qui a effectué l’évaluation a jugé que, même si les activités du demandeur au Canada ont eu lieu il y a 19 ans, il était possible que son nom soit encore affiché sur une liste gouvernementale de dissidents iraniens possibles. L’agent était également persuadé que l’allégeance du demandeur à la MEK lui fait courir des risques conformément à ce que prévoit l’article 97. Par conséquent, il était plus probable qu’improbable, selon l’agent, qu’il serait exposé à une menace à sa vie, ou qu’il subirait un traitement ou une peine cruels et inusités s’il retournait en Iran.

[6]  Le 26 mars 2014, l’évaluation du danger a été effectuée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’ASFC a conclu que le demandeur ne présentait pas de danger pour la sécurité du Canada, mais que les actes qu’il a commis étaient particulièrement graves. Ces actes comprenaient le fait de se joindre volontairement à la MEK en 1979, de la soutenir une fois arrivé au Canada par l’intermédiaire du bureau de l’organisation situé à Toronto, de voyager à deux occasions vers un camp pro-MEK en Iraq et de tenter d’aller dans ce camp une troisième fois, d’avoir été présent et d’avoir joué un rôle important dans l’attaque contre l’ambassade iranienne à Ottawa, et d’avoir recueilli des fonds pour la MEK auprès d’autres ressortissants iraniens au Canada. L’ASFC a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[Le demandeur] était membre de la MEK, une organisation qui a commis des crimes contre l’humanité et des actes de terrorisme. Il en a été membre pendant au moins 21 ans, de 1979 jusqu’à au moins le moment de son audience [à titre de réfugié au sens de la Convention devant la Section du statut de réfugié de l’époque] en 2000. [Le demandeur] est venu au Canada en 1986 et, alors qu’il y était, il a continué de participer aux activités du groupe pendant au moins les 14 années suivantes.

Alors qu’il demandait sa protection, [le demandeur] a utilisé le Canada comme base opérationnelle d’où il a pu recueillir des fonds pour la MEK et voyager au camp Ashraf, sa base militaire, en Iraq à deux occasions entièrement financées par l’organisation et à une autre occasion, il a utilisé les documents de voyage d’une autre personne pour tenter de voyager en Iraq une autre fois. De plus, [le demandeur] a pris part à une attaque violente contre l’ambassade iranienne à Ottawa, dans le cadre d’attaques coordonnées internationalement par la MEK. Ses activités au nom de la MEK indiquent un haut niveau de dévouement et de participation à l’avancement des objectifs de l’organisation et, à ce titre, [le demandeur] a fait une contribution volontaire, en toute connaissance de cause, et importante aux activités criminelles de la MEK au sein de la MEK.

Compte tenu des renseignements disponibles à ce moment, l’ASFC ne croit pas que [le demandeur] présente un danger pour la sécurité du Canada. Cependant, l’ASFC estime en fonction de ce qui précède que « les actes [du demandeur] ont atteint un niveau élevé quant à la nature et la gravité ».

[7]  En avril 2014, le demandeur a reçu une copie des deux évaluations et il a eu l’occasion de répondre, ce qu’il a fait en mai 2014.

[8]  En juillet 2016, le demandeur a été informé par le délégué que sa décision définitive relative au réexamen ferait référence aux documents d’information sur le pays les plus récents qui peuvent être consultés sur le site Web de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et aux autres documents publiés annuellement et accessibles au public. Étant donné que les observations du demandeur les plus récentes remontaient à mai 2014, on lui a offert l’occasion de mettre à jour ces observations, ce qu’il a fait le 26 août 2016.

[9]  Comme il a été indiqué au début des présents motifs, le délégué a rendu sa décision sur le réexamen le 13 septembre 2016, dans laquelle il a rejeté la demande d’ERAR du demandeur. Dans une décision de 25 pages, le délégué a d’abord énoncé la tâche à accomplir, soit d’examiner et d’accueillir ou de rejeter la demande d’ERAR du demandeur et d’évaluer si le demandeur était une personne qui, compte tenu de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il représente pour la sécurité du Canada, ne devrait pas être autorisée à rester au Canada. Il a souligné qu’il n’était lié par aucune des conclusions antérieures selon lesquelles le demandeur serait à risque s’il retournait en Iran, y compris l’évaluation effectuée en application de l’article 97 en décembre 2011, qui, a-t-il dit, était le [traduction] « déclencheur de la phase actuelle du processus d’ERAR aux termes de l’alinéa 113d) ».

[10]  Après avoir établi les faits de l’affaire, le délégué a procédé à l’évaluation du risque que présenterait pour le demandeur son retour en Iran. Il a noté que le demandeur avait quitté le Canada deux fois après avoir demandé le statut de réfugié pour voyager au camp Ashraf en Iraq et que sa troisième tentative de se rendre au camp a échoué lorsqu’il a été intercepté avec le passeport d’une autre personne après l’attaque de l’ambassade. Il a noté que toutes les dépenses pour ces voyages ont été payées par la MEK. Le délégué a souligné que l’histoire du demandeur selon laquelle il a visité l’Iraq pour trouver son frère qui, selon lui, était un prisonnier de guerre, n’était pas crédible.

[11]  Le délégué a également indiqué que le gouvernement iranien peut être au courant de la participation du demandeur à la MEK, en raison de la publicité entourant son arrestation au Canada en 1992. Cependant, il a souligné que le demandeur a omis de fournir une preuve de la menace (appel téléphonique) qu’il a prétendument reçue en raison de sa participation à l’attaque de l’ambassade. Le délégué a jugé que, en ce moment, quelque 24 ans plus tard, il ne restait aucune trace permettant d’associer publiquement le demandeur à l’attaque de l’ambassade et aucune indication qu’il faisait l’objet de l’attention des autorités iraniennes depuis 1992.

[12]  Le délégué a également précisé que les membres de la famille du demandeur qui vivent en Iran semblaient vivre des vies normales malgré leur affiliation passée avec la MEK.

[13]  Le délégué s’est alors demandé s’il y avait un risque de persécution en raison du fait que le demandeur peut être interrogé à son retour en Iran au sujet de son association passée avec la MEK. Après un examen de la preuve documentaire, le délégué a conclu que le demandeur n’avait pas le profil d’un membre de la MEK qui serait persécuté à son retour en Iran, puisqu’il n’occupait pas un rang élevé dans l’organisation. Par conséquent, il était peu vraisemblable que le demandeur soit sur une liste noire. Qui plus est, le délégué a observé qu’il y avait des moyens pour le demandeur de s’assurer que son retour en Iran soit aussi harmonieux que possible.

[14]  Même s’il a fait remarquer qu’il y avait des rapports sur le mauvais traitement des prisonniers politiques en Iran et qu’une mention de la MEK est associée à une accusation de type [traduction] « ennemi de l’État », le délégué a jugé que les cas de mauvais traitement soulignés semblaient liés à d’autres crimes comme la communication de secrets d’État à la MEK ou l’organisation de manifestations par des fonctionnaires. Il ne s’agissait pas simplement de cas d’appartenance actuelle ou passée à la MEK. Par conséquent, ces rapports présentaient une valeur limitée pour le cas du demandeur.

[15]  En bref, le délégué a reconnu que l’Iran a un bilan médiocre en matière de droits de la personne et que de nombreuses personnes sont exécutées chaque année pour divers crimes. Il a remarqué que les statistiques relatives au mauvais traitement des prisonniers ne sont pas claires en raison du manque de suivi permis dans le système judiciaire ou pénitentiaire. Cependant, il a également conclu que la MEK n’est pas vue d’un œil favorable actuellement parmi la population en Iran et que, par conséquent, elle représente seulement une menace limitée pour le régime. D’autres groupes comme les Kurdes présentent un bien plus grand intérêt pour les autorités.

[16]  Le délégué a observé que les membres non combattants de la MEK ont été rapatriés et ne semblaient pas avoir été persécutés à leur retour en Iran.

[17]  En fin de compte, le délégué a conclu que le demandeur pouvait être interrogé à son retour en Iran concernant son implication dans la MEK et l’attaque de l’ambassade en 1992, mais qu’étant donné le rôle limité du demandeur, rien n’indiquait que ce serait d’intérêt pour les procureurs iraniens quelque 24 années plus tard. Il a également conclu qu’il y avait encore moins de chance que le demandeur soit persécuté en conséquence. Après avoir indiqué que les membres de la famille du demandeur pourraient l’aider à minimiser l’interrogatoire, le délégué a souligné que le demandeur ne ferait vraisemblablement pas face à plus qu’une simple possibilité d’être exposé aux risques énoncés à l’article 97 de la Loi.

[18]  Le demandeur affirme essentiellement que le délégué a commis une erreur fatale lorsqu’il a évalué s’il était à risque, lors de son retour en Iran, en raison de son association passée avec la MEK. Il affirme que, ce faisant, le délégué a fait fi de la preuve de sa participation continue et de son engagement envers l’organisation et n’a donc pas envisagé le risque auquel il fait réellement face s’il retourne en Iran où la MEK est toujours considérée comme un [TRADUCTION] « ennemi de Dieu ».

III.  Question en litige et norme de contrôle

[19]  La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le délégué a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a évalué le risque auquel ferait face le demandeur s’il retournait en Iran.

[20]  À mon avis, la norme de contrôle applicable à la décision du délégué est celle de la décision raisonnable (Belaroui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863, aux paragraphes 9 et 10; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 4, Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11). Cette norme est respectée lorsque la décision contestée cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Analyse

[21]  Ayant été exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, le demandeur, conformément à l’alinéa 112(3)c) de la Loi, ne peut obtenir cette protection au moyen d’un ERAR. Sa demande d’ERAR, par conséquent, peut seulement être examinée de la manière prévue à l’alinéa 113d) de la Loi et à l’article 172 du Règlement, soit en fonction des facteurs énoncés à l’article 97 de la Loi et dans le but d’évaluer si ladite demande devrait être refusée en raison de la nature et de la gravité des actes que le demandeur a commis ou en raison du danger que présente le demandeur pour la sécurité du Canada.

[22]  Une décision d’ERAR favorable dans un tel contexte fournirait au demandeur un sursis de la mesure de renvoi à laquelle il est confronté; elle ne donnerait pas lieu, conformément à l’alinéa 114(1)b) de la Loi, à l’octroi de l’asile.

[23]  En résumé, une personne dans la position du demandeur ne peut bénéficier d’un sursis que si elle est jugée, selon la prépondérance des probabilités, en danger pour l’un des motifs énumérés à l’article 97 de la Loi, soit, un risque de torture ou une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités, et, lorsque ce risque est établi, s’il est déterminé qu’elle ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada ou si la nature et la gravité des actes qu’elle a commis ne sont pas telles que sa demande d’ERAR devrait être refusée.

[24]  En l’espèce, le délégué, ayant jugé que le demandeur n’était pas exposé à un risque aux termes de l’article 97 de la Loi, n’a pas procédé à la deuxième étape de l’analyse. Sa conclusion relative à l’article 97 était-elle alors raisonnable? Je ne crois pas.

[25]  Comme cela a été indiqué plus tôt, le demandeur se plaint que le délégué a, de manière erronée, fondé sa décision sur sa participation passée avec la MEK, en faisant fi par conséquent de la preuve de sa participation et de son engagement continus avec la MEK. En d’autres mots, le demandeur affirme que le délégué n’a pas examiné ce qui était le plus important, c’est-à-dire le risque auquel il était exposé s’il retournait en Iraq, compte tenu du fait qu’il soutient toujours la MEK et que la MEK est toujours considérée comme un ennemi de Dieu dans ce pays.

[26]  Le demandeur indique également que, lorsqu’on lui a demandé, à la question 52 de son formulaire de demande d’ERAR, sous l’intitulé « Raisons de la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) », de présenter tous les incidents importants qui ont fait en sorte qu’il demande la protection en dehors de son pays de nationalité, il a répondu en ces termes :

[TRADUCTION]

J’ai été expulsé de l’université (activités politiques)

Je n’ai pas fait le service militaire (pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq)

J’ai été emprisonné pour (activités politiques) – ma famille était impliquée et soutenait l’OMPI et je soutenais aussi un autre groupe et l’OMPI (ma sœur et mon frère soutenaient l’OMPI)

Je soutiens l’OMPI (actuellement)

J’ai été impliqué dans une manifestation à Ottawa en 1992 (mon nom est apparu dans les journaux).

Tous les dossiers se trouvent au ministère de l’Immigration.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  À la question suivante du formulaire de la demande – la question 53 – le demandeur devait expliquer pourquoi il n’a pas demandé la protection de son pays de nationalité. Le demandeur a répondu [traduction] « comme à la case 52 ».

[28]  Ce formulaire a été rempli en 2009, mais le demandeur indique que les réponses n’ont pas changé pendant les huit années qui ont suivi.

[29]  Le défendeur affirme que les simples déclarations du demandeur selon lesquelles il continue de soutenir la MEK, sans plus, ne peuvent simplement pas permettre d’établir de manière concluante une implication avec la MEK et que le délégué a jugé de manière déraisonnable que ce n’était pas le cas. Il ajoute que, mis à part les réponses aux questions 52 et 53 du formulaire de demande d’ERAR et les observations faites par l’avocat du demandeur en 2009 dans le cadre desquelles il précisait l’état actuel de son engagement pour s’opposer au gouvernement iranien, aucune des observations écrites présentées par lui ou son avocat dans le cadre de son parcours d’immigration (une observation de sa part, quatre de la part de son avocat) ne précisait qu’il était impliqué avec la MEK ou la soutenait.

[30]  Il était donc raisonnablement loisible au délégué de conclure qu’il n’y a aucune preuve que le demandeur a été impliqué avec le MEK depuis l’attaque de l’ambassade iranienne en 1992 ou qu’il serait considéré comme un leader ou un membre bien en vue de cette organisation et d’être [traduction] « mis sur la liste noire » en conséquence. Après tout, le défendeur indique qu’il avait le fardeau de présenter une demande qui était claire, détaillée et complète et de fournir une preuve à l’appui de ses allégations (Borbon Marte c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 930, aux paragraphes 39 et 40). Selon le défendeur, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[31]  La position du défendeur serait convaincante si elle ne visait pas le résultat de l’évaluation prévue par l’article 97 effectuée en 2011, dans le cadre du réexamen de la demande d’ERAR, qui estimait que le demandeur serait à risque s’il était déporté en Iran. Cette évaluation faisait partie intégrante du réexamen de la demande d’ERAR du demandeur. Comme le délégué l’a lui-même reconnu, il s’agissait [traduction] « du déclencheur de la phase actuelle du processus d’ERAR en application de l’alinéa 113d) ». C’était prescrit par la loi. À moins qu’il s’agisse d’un exercice dénué de sens, un résultat que le législateur n’avait probablement pas prévu, il ne pouvait pas être écarté. Il se peut que le délégué, comme il le prétend dans sa décision, n’ait pas été juridiquement lié par cette évaluation, mais étant donné la conclusion à laquelle est parvenu l’agent qui a procédé à cette évaluation, je conclus que le délégué avait l’obligation de renvoyer aux éléments de preuve du demandeur concernant son soutien continu à la MEK et d’expliquer pourquoi il ne leur a accordé aucun poids et pourquoi il s’est distancé des conclusions de l’évaluation prévue par l’article 97.

[32]  La nécessité d’une référence à cette preuve et d’une explication quant à la raison pour laquelle elle n’a pas été conservée était d’autant plus importante dans les circonstances de l’espèce que, selon les conclusions précédentes du dossier, de même que selon l’évaluation prévue par l’article 97, ainsi que selon un récent avis de danger, les activités du demandeur au nom de la MEK témoignaient d’un haut niveau de dévouement et d’implication dans la poursuite des objectifs de l’organisation et, par conséquent, d’une contribution volontaire, en toute connaissance de cause, et importante aux activités criminelles de la MEK.

[33]  Selon moi, dans un tel contexte, et en étant entièrement conscient que la MEK est toujours considérée comme un ennemi de Dieu en Iran, ce qui est punissable de la peine de mort, il revenait au délégué d’examiner et de pondérer explicitement la preuve du demandeur relativement à son soutien continu à la MEK. Il ne lui était pas loisible de procéder autrement et de se concentrer sur la participation antérieure du demandeur aux activités de la MEK sans miner irrémédiablement l’intelligibilité, la transparence et la justification de sa décision. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12, la Cour a indiqué que, pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit d’abord chercher à la compléter avant de tenter de la contrecarrer. Cependant, en l’espèce, le défaut du délégué d’évaluer la preuve du soutien continu à la MEK par le demandeur est une lacune à laquelle la Cour ne peut pas remédier en la complétant. Puisque c’est le cas, le défendeur ne peut pas contourner cette lacune dans la décision du délégué en complétant les motifs de décision dans ses observations écrites dans le cadre du contrôle judiciaire.

[34]   Le délégué a également conclu que le demandeur avait démontré un manque de crainte objective de retourner en Iran puisqu’il a voyagé deux fois en Iraq, et voulait y retourner une troisième fois, pour aller au camp Ashraf. Le défendeur souligne que ces conclusions avaient peu, voire pas, d’importance pour la décision ultime. Je partage cet avis. Néanmoins, je suis également d’accord avec le défendeur qui affirme que cette conclusion est illogique et donc déraisonnable, compte tenu des circonstances particulières du dossier.

[35]  Le demandeur a également présenté un certain nombre d’arguments, fondés en grande partie sur l’interprétation des directives opérationnelles de Citoyenneté et Immigration Canada en ce qui concerne la [traduction] « compétence » des délégués. Ces arguments ont été soulevés pour la première fois à la présente audience. Sans surprise, l’avocate du défendeur s’y est opposée, affirmant qu’elle n’était pas en position d’y répondre adéquatement. En toute équité, tout débat sur ces arguments devrait être reporté à un autre jour, lorsque la Cour aura un dossier approprié devant elle.

[36]  Cela dit, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera accueillie et la question sera renvoyée au défendeur aux fins de réexamen par un délégué différent.

[37]  À la fin de l’audience, l’avocat du demandeur a proposé les cinq questions suivantes aux fins de certification :

  1. Si le ministre demande l’exclusion d’une demande d’asile en raison d’une participation à une organisation terroriste et a gain de cause, le ministre peut-il alors, à l’examen des risques avant renvoi, juger que le demandeur n’est pas membre de l’organisation terroriste?
  2. Si un demandeur décrit au paragraphe 112(3) de la Loi fait une demande d’examen des risques avant renvoi et qu’un agent d’examen des risques avant renvoi conclut que le demandeur est exposé à un risque, un décideur principal est-il limité à déterminer, aux termes de l’alinéa 113d) de la Loi, si la nature et la gravité des actes commis ou du danger pour le public ou la sécurité pour le Canada l’emportent sur le risque pour le demandeur?
  3. Si la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou son prédécesseur, la Section du statut de réfugié, a jugé qu’un demandeur présentait un risque, une décision relative à l’examen des risques avant renvoi peut-elle être prise en fonction d’un changement de circonstances sans respecter la norme prévue par la loi pour la perte d’asile énoncée à l’alinéa 108(1)e) de la Loi?
  4. Si la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou son prédécesseur, la Section du statut de réfugié, a jugé qu’un demandeur présentait un risque, une décision relative à l’examen des risques avant renvoi peut-elle être prise en fonction d’un changement de circonstances sans informer le demandeur qu’un changement de circonstances sera pris en compte?
  5. Un décideur principal peut-il, lorsqu’il prend une décision relative à l’examen des risques avant renvoi, après une divulgation anticipée avec possibilité de réponse, s’appuyer sur des informations non divulguées sur les conditions régnant dans le pays pour prendre une décision?

[38]  Le défendeur s’oppose à la certification.

[39]  Comme cela est bien établi, le critère de certification consiste à déterminer s’il existe une question ayant des conséquences importantes et de portée générale qui serait déterminante quant à l’issue de l’appel et qui transcenderait les intérêts des parties au litige (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, 176 NR 4, au paragraphe 4, [1994] ACF no 1637).

[40]  Afin d’évaluer s’il y a lieu de certifier une question, la Cour doit tenir compte du fait que le processus de certification ne doit pas être utilisé pour obtenir des jugements déclaratoires de la Cour d’appel sur des questions qui n’ont pas à être tranchées afin de statuer sur l’affaire.

[41]  En l’espèce, je conclus qu’aucune de ces questions ne permettrait de disposer de l’appel. En particulier, je remarque que les questions 2, 3 et 5 proposées portent sur des questions qui ont été soulevées pour la première fois à l’audience et qui n’ont pas, par conséquent, fait l’objet d’un débat complet. Je remarque également que rien, dans cette affaire, ne porte sur la question 4 proposée. En ce qui concerne la question 1 proposée, elle porte sur les faits de la présente cause et ne constitue pas, par conséquent, une question grave d’importance générale.

[42]  Aucune des questions proposées, par conséquent, ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision d’un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, datée du 13 septembre 2016, est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour un nouvel examen par un délégué différent.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5352-16

 

INTITULÉ :

GHULAM HASSAN HAJI ALIKHANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juillet 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Nalini Reddy

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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