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Date : 20171221

Dossier : T-293-17

Référence : 2017 CF 1178

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2017

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

DJILANI, ZOHRA, TRABELSI, SOUFIA, TRABELSI, ZEIN, TRABELSI, ASMA, ET TRABELSI, MOHAMED

demandeurs

et

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                        INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 février 2017 par la Ministre des Affaires étrangères [la Ministre] refusant de recommander au gouverneur en conseil la radiation des noms des demandeurs de la liste se trouvant à l’annexe 1 du Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Tunisie) DORS/2011-78 [le Règlement]. La Ministre conclut alors essentiellement que les demandeurs sont toujours des « étrangers politiquement vulnérables » tel que défini à l’article 2 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, LC 2011, ch10 [la Loi] et que les critères de l’article 4 de la Loi ne sont pas satisfaits.

[2]               Cette décision de la Ministre répond à la demande soumise par les demandeurs le 18 avril 2016, en vertu de l’article 13 de la Loi, pour voir leurs noms radiés de cette liste. Le texte des articles pertinents de la Loi, du Règlement et de l’annexe 1 du Règlement est reproduit en annexe.

[3]               Au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soumettent essentiellement que (1) la Loi et le Règlement violent leur droit à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte]; (2) la Loi et le Règlement violent l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44 [la Déclaration]; (3) la décision de la Ministre est déraisonnable; (4) la Ministre a outrepassé sa compétence; et (5) le processus de demande sous l’article 13 de la Loi viole les principes d’équité procédurale. Le texte de l’article 7 de la Charte et de l’article 2 de la Déclaration est reproduit en annexe.

[4]               Le défendeur, (le Ministère ou la Ministre), répond essentiellement que (1) la Loi et le Règlement ne portent pas atteinte au droit à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte; (2) la Loi et le Règlement ne violent pas l’article 2 de la Déclaration; (3) la décision de la Ministre est raisonnable; (4) l’argument concernant la compétence est infondé; et (5) le processus d’examen d’une demande sous l’article 13 de la Loi respecte les principes d’équité procédurale.

[5]                En bref, et pour les motifs exposés ci-après, la Cour rejettera la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                      CONTEXTE FACTUEL

[6]               Les demandeurs, Mme Zohra Djilani et quatre de ses enfants, Asma, Soufia, Zein et Mohamed Fares, sont citoyens de la Tunisie et membres d’une même famille. Ils sont respectivement l’épouse et également les enfants de M. Belhassen Trabelsi, lui-même citoyen de la Tunisie et frère de Mme Leila Trabelsi, épouse du président déchu de la Tunisie, M. Zine El Abidine Ben Ali.

[7]               En janvier 2011, dans la foulée de la chute du régime de M. Ben Ali, M. Trabelsi, son épouse et quatre de leurs enfants fuient la Tunisie, arrivent au Canada et y demandent l’asile. Les demandeurs fondent leur crainte de retour en Tunisie essentiellement sur le fait qu’ils sont des membres de la « famille » Trabelsi, reconnue proche du président déchu et à cet égard, craignent certains éléments de la population civile et le gouvernement (décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 19 février 2016). Vu la possibilité que M. Trabelsi soit exclu aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés LC 2001, ch 27 [LIPR], la demande d’asile de ce dernier et celle des demandeurs sont séparées.

[8]               En mars 2011, le gouvernement de la Tunisie publie un décret-loi et confisque les avoirs de la famille de Mme Leila Trabelsi, dont ceux de son frère, M. Trabelsi, ainsi que ceux de certains membres de la famille.

[9]               En mars 2011, la Loi est adoptée au Canada. Son article 4 permet au gouverneur en conseil la prise de décret ou de règlement afin de restreindre ou d’interdire certaines activités à l’égard des biens d’une personne et de saisir, bloquer ou mettre sous séquestre tout bien situé au Canada et détenu par celle-ci. Il faut d’abord qu’une demande écrite ait été présentée au gouvernement du Canada par un État étranger et que les conditions prévues à l’article 2 de la Loi soient satisfaites. Ces conditions exigent en outre que la personne soit, relativement à l’État étranger, un « étranger politiquement vulnérable ».

[10]           Selon l’article 2 de la Loi, l’étranger politiquement vulnérable est une personne qui occupe ou a occupé une des charges listées, incluant la charge de chef d’État ou chef de gouvernement (alinéa a). Y est alors assimilée « toute personne qui lui est ou était étroitement associée pour des raisons personnelles ou d’affaires, notamment un membre de sa famille » (nos soulignés).

[11]           Le 23 mars 2011, le gouverneur en conseil prend le Règlement, conformément à l’article 4 précité. Le nom de M. Trabelsi figure à l’annexe 1 au titre des « étrangers politiquement vulnérables ».

[12]           Le 16 décembre 2011, le Règlement est modifié et les noms des demandeurs sont ajoutés à l’annexe 1 au titre des « étrangers politiquement vulnérables ». Les activités énumérées au paragraphe 4(3) de la Loi et à l’article 3 du Règlement, leurs deviennent donc interdites.

[13]           En février 2012, les demandeurs soumettent une première demande au Ministre aux termes des articles 13 et 14(2) de la Loi pour être exclus de l’application du Règlement. Ils joignent alors une demande sous l’article 15 de la Loi afin de soustraire un montant de 178 040 $ de l’application du Règlement. Le 14 juin 2012, les demandeurs sont avisés que ces demandes sont rejetées, et ils n’ont pas contesté ces décisions.

[14]           Le 17 décembre 2012, les demandeurs soumettent une nouvelle demande au Ministre aux termes de l’article 15 de la Loi afin qu’un montant de 109 680 $ soit soustrait de l’application du Règlement pour payer certaines dépenses de la vie courante, y compris les honoraires de leurs procureurs. Le 26 juin 2013, le Ministre refuse cette demande. Le 27 juin 2014, notre Cour rejette la demande de contrôle judiciaire, jugeant la décision du Ministre raisonnable. La Cour note alors au passage que le père de la demanderesse principale n’est pas visé par le Règlement et qu’il transfère des fonds dans les comptes en fidéicommis des procureurs des demandeurs.

[15]           Le 30 janvier 2015, la SPR exclut M. Trabelsi, ayant conclu qu’il est une personne visée par la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. En effet, la SPR conclut alors qu’il existe des raisons sérieuses de penser que M. Trabelsi a commis des crimes graves de droit commun tels la fraude contre le gouvernement (article 121 du Code criminel du Canada [Code criminel]), fraude (article 380 du Code criminel) et le recyclage des produits de la criminalité (article 462.31 du Code criminel). Il n’est pas sans intérêts de mentionner d’emblée que les motifs de la décision de la SPR font état de malversations caractérisées par l’utilisation de prête-noms et d’entreprises coquilles permettant au clan Trabelsi/Ben Ali d’empocher de colossales sommes d’argent.

[16]           Le 11 mars 2016, le gouverneur en conseil prolonge de cinq ans la période de validité du Règlement, à compter du 24 mars 2016.

[17]           Le 19 février 2016, la SPR accueille la demande d’asile des demandeurs, reconnaissant qu’ils ont la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR. La SPR conclut que les demandeurs ont établi qu’il avait une possibilité raisonnable de persécution en raison de leurs liens familiaux.

[18]           Le 18 avril 2016, les demandeurs déposent une nouvelle demande aux termes de l’article 13 de la Loi qui prévoit la possibilité pour une personne visée par le décret ou règlement de demander par écrit de cesser d’être visée au motif qu’elle n’est pas un étranger politiquement vulnérable. Ainsi, si la Ministre a des motifs raisonnables de croire que le demandeur n’est pas un étranger politiquement vulnérable, elle recommande alors au gouverneur en conseil de modifier ou d’abroger, selon le cas, le décret ou règlement de façon à ce que le demandeur n’y soit plus assujetti.

[19]           Dans leur demande sous l’article 13 de la Loi, les demandeurs invoquent alors essentiellement (1) n’avoir eu aucune participation dans les affaires de M. Trabelsi; (2) n’être nullement accusés de crimes économiques dans quelque pays que ce soit; et (3) subir des difficultés exorbitantes résultant du maintien de leurs noms sur la liste, le tout alors qu’ils ont été acceptés comme réfugiés au sens de la Convention (pièce P-6 du dossier des demandeurs). Ils soumettent avec leur demande une documentation relativement volumineuse totalisant quelques 150 pages, incluant en outre deux affidavits de la demanderesse principale, dont le plus récent est daté du 14 avril 2016, des déclarations de membres de la famille et d’un avocat étranger, ainsi que des documents faisant état d’actifs et de transactions à l’étranger. Par ailleurs, la demanderesse principale confirme dans son affidavit du 14 avril 2016 être bien l’épouse de M. Trabelsi.

[20]           Le 10 février 2017, la Ministre rejette la demande, décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire et détaillée plus bas.

[21]           Le 31 mai 2016, M. Trabelsi devait être renvoyé du Canada, mais il ne s’est pas présenté aux autorités et reste introuvable.

III.                   DÉCISION CONTESTÉE

[22]           Tel que mentionné précédemment, le 10 février 2017, la Ministre rejette la demande des demandeurs et décide de ne pas recommander au gouverneur en conseil de radier leurs noms de la liste se trouvant à l’annexe 1 du Règlement. La Ministre considère aussi la demande en fonction des critères définis à l’article 4 de la Loi, mais conclut que les critères ne sont pas rencontrés.

[23]            La Ministre approuve alors les recommandations énoncées dans une note de service et son annexe A, toutes deux préparées par le sous-ministre des Affaires étrangères à son intention. Les motifs décrits dans cette note de service et son annexe A correspondent donc à la décision de la Ministre et il parait opportun d’en reprendre la substance.

[24]           Dans le cadre de la demande sous l’article 13 de la Loi, le sous-ministre considère essentiellement que les demandeurs sont toujours visés par la définition « d’étranger politiquement vulnérable » de l’article 2 de la Loi, ayant eux-mêmes affirmé leurs liens familiaux dans leur demande. Il conclut qu’il n’y a donc pas de fondement pour accorder la demande sous l’article 13 de la Loi.

[25]            Dans le cadre de l’examen sous l’article 4 de la Loi, le sous-ministre mentionne que le ministère a consulté les autorités tunisiennes, qui ont demandé de maintenir les noms des demandeurs sur la liste. Elles ont alors noté que les liens familiaux des demandeurs n’avaient pas été rompus, que ces derniers avaient profité injustement de leurs relations avec l’ancien président Ben Ali, que le décret de la Tunisie pris en 2011 à l’égard de la saisie et la confiscation de biens de M. Trabelsi et de la demanderesse principale était toujours en vigueur et que la radiation des noms des demandeurs de la liste aurait probablement un impact négatif sur les relations bilatérales.

[26]           Dans l’annexe A, sous la partie relative à une demande aux termes de l’article 13 de la Loi, le sous-ministre relève les éléments qui démontrent que les demandeurs sont toujours visés par la définition « d’étrangers politiquement vulnérables » prévue à l’article 2 de la Loi.

[27]           Toujours dans l’annexe A, sous la partie portant sur la question de soustraire les demandeurs de l’application de l’article 4 de la Loi, le sous-ministre énonce les facteurs pertinents qui doivent être pris en compte.

[28]           Le 14 février 2017, le Directeur du droit criminel, du droit de la sécurité et du droit diplomatique [le Directeur] informe donc les demandeurs que la Ministre a décidé de ne pas recommander au gouverneur en conseil de radier leurs noms de la liste de l’annexe 1 du Règlement sous l’article 13 de la Loi, ayant conclu qu’ils demeurent des « étrangers politiquement vulnérables » et que la Ministre a aussi décidé de ne pas présenter de recommandation aux termes de l’article 4 de la Loi.

[29]           Le Directeur signale aux demandeurs la possibilité de présenter une demande en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi pour la délivrance d’attestations soustrayant de l’application du Règlement certains biens nécessaires pour leurs dépenses raisonnables.

IV.                   POSITIONS DES PARTIES

A.                 Demandeurs

[30]           Les demandeurs soutiennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de la Ministre.

[31]           Ils soulèvent cinq arguments, soit (1) la Loi et le Règlement violent leur droit à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte; (2) la Loi viole l’alinéa 2e) de la Déclaration; (3) la décision de refuser la demande n’est pas justifiée et intelligible et le processus et motifs ne sont pas transparents au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; (4) le Ministre n’avait pas la compétence pour renouveler le Règlement en mars 2016; et (5) l’obligation d’agir équitablement envers eux n’a pas été respectée.

(1)               La Loi et le Règlement violent leur droit à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte

[32]           Les demandeurs réfèrent à la décision de la Cour suprême dans Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 [Carter] et affirment qu’une analyse en deux étapes doit être effectuée afin de démontrer une violation de l’article 7 de la Charte. Ainsi, les demandeurs doivent d’abord démontrer que la Loi porte atteinte « à leur vie, à leur liberté ou à la sécurité de leur personne » et ils doivent ensuite démontrer que la privation en cause opère à l’encontre des « principes de justice fondamentale ».

[33]           Quant à la première étape, les demandeurs soutiennent que la Loi et le Règlement violent leur droit à la liberté et à la sécurité, à cause de certains effets sur leur vie, soit :

                     i.              ils sont empêchés d’ouvrir un compte de banque en leur nom personnel;

                    ii.              ils ont l’obligation de faire transiter tout paiement (loyer, frais de scolarité, épicerie, etc.) par un compte en fidéicommis d’une tierce personne;

                  iii.              ils ont de la difficulté à se trouver un emploi;

                  iv.              ils subissent une atteinte à leur vie privée en raison de la médiatisation de leur dossier d’immigration;

                   v.              ils ressentent une souffrance extrême causée par le stress et de la détresse psychologique;

                  vi.              ils subissent l’humiliation d’être traités de « corrompus », sans aucun fondement.

[34]           Les demandeurs soutiennent qu’il y a une atteinte au droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte s’ils « ne peuvent faire des choix personnels fondamentaux sans l’intervention de l’État » (Carter, au para 64), et qu’en l’espèce l’État intervient dans la possibilité qu’ils ont de faire de tels choix personnels fondamentaux, essentiellement en ne le leur permettant pas d’ouvrir des comptes bancaires, et que le fait de ne pas détenir leur propre compte de banque nuit à leur vie au quotidien.

[35]           Les demandeurs soutiennent aussi qu’il y a atteinte au droit à la sécurité prévu à l’article 7, non pas au regard de leur sécurité physique, mais au regard de leur intégrité psychologique (Carter, au para 64). En effet, s’appuyant sur les affidavits et les lettres (non assermentées) de la demanderesse principale et de ses filles, les demandeurs soutiennent être en grande détresse psychologique des suites de l’intervention de l’État. Au défendeur qui signale l’absence de preuve documentaire de cette grande détresse, les demandeurs répondent que les déclarations sous serment suffisent, qu’elles doivent être présumées vraies jusqu’à preuve du contraire (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) au para 5).

[36]           Quant à la deuxième étape, les demandeurs conviennent qu’il est parfois nécessaire d’adopter des lois qui portent atteinte aux droits prévus à l’article 7 de la Charte, toutefois ces atteintes ne peuvent pas déroger aux principes de justice fondamentale selon le texte même de l’article 7.

[37]           Les principes de justice fondamentale ont été développés par la jurisprudence et les atteintes ne doivent pas être arbitraires, avoir une portée excessive ou entraîner des conséquences totalement disproportionnées à leur objet  (Carter, au para 72). Les demandeurs cernent donc l’objet de la Loi, qui est, essentiellement de permettre de rapidement préserver des actifs prétendument détournés pour qu’ils ne soient pas dissipés pendant qu’un pays sort d’une situation politique incertaine, complète des enquêtes criminelles et obtienne la preuve requise pour appuyer une demande de saisie et recouvrir les biens volés.

[38]           Selon les demandeurs, la Loi n’a pas un caractère arbitraire, mais elle a une portée excessive, un caractère totalement disproportionné et elle est vague.

[39]           En effet, les demandeurs soutiennent que la Loi a une portée excessive, selon les paramètres établis par la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford], car, (1) par son article 2, elle pourrait viser un trop grand nombre de personnes; (2) elle a l’effet d’empêcher les demandeurs de gagner de l’argent au Canada; et (3) il n’y a aucun mécanisme pour démontrer que des biens ont été acquis sans lien avec la personne visée aux alinéas a) à j) de l’article 2 de la Loi.

[40]           Ils avancent que la Loi a un caractère totalement disproportionné essentiellement à cause des effets sur la vie des demandeurs alors que ces derniers ne sont accusés de rien.

[41]           Enfin, les demandeurs allèguent aussi que la Loi a un libellé trop vague, car elle ne donne pas de préavis légitime de ce qui est interdit et ne donne pas d’exigences claires aux individus chargés de son application. Au surplus, elle ne définit pas les notions « d’étroitement associés », de « famille », de « situation politique incertaine » et « d’État étranger » de sorte que le critère selon lequel une disposition doit constituer « un fondement adéquat pour un débat judiciaire » n’est pas respecté (R c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606 [Nova Scotia Pharmaceutical] à la p 639).

(2)               La Loi viole l’alinéa 2e) de la Déclaration

[42]           Les demandeurs plaident que la Loi viole l’alinéa 2e) de la Déclaration puisque les quatre conditions établies par la jurisprudence sont satisfaites. En effet, (1) les demandeurs sont des personnes au sens de l’alinéa 2e); (2) la décision prise par la Ministre correspond à une audition mettant en jeu les droits et obligations des demandeurs (Hassouna c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2017 CF 473 au para 73); (3) le processus enfreint les principes de justice fondamentale essentiellement puisque le décideur n’est pas impartial et indépendant; et (4) la Loi ne déclare pas qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration.

(3)               La décision de refuser la demande n’est pas justifiée et intelligible et le processus et motifs ne sont pas transparents au sens de l’arrêt Dunsmuir

[43]           Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable puisque (1) il est déraisonnable de conclure que les demandeurs, dont des enfants mineurs, sont étroitement associés au président Ben Ali pour des raisons familiales; (2) la preuve ne permettait pas de conclure que les conditions prévues au paragraphe 4(2) étaient remplies, particulièrement celle prévue à l’alinéa 4(2)b) relativement aux « troubles internes ou une situation politique incertaine »; et (3) la preuve ne permet pas de raisonnablement conclure que les biens des demandeurs constituent des biens détournés, car ils proviendraient des entreprises personnelles de la demanderesse principale ou de son père qui a été acquitté de toute accusation portée contre lui.

(4)               Le Ministre n’avait pas la compétence pour renouveler le Règlement en mars 2016

[44]           Les demandeurs soutiennent que le Ministre n’avait pas la compétence pour renouveler le Règlement en mars 2016, car il n’y avait aucune preuve que la Tunisie était dans une situation politique incertaine, conformément à l’alinéa 4(2)b) de la Loi.

(5)               L’obligation d’agir équitablement envers les demandeurs n’a pas été respectée

[45]           Les demandeurs soutiennent que l’impact de la décision et les droits en jeu militent en faveur d’un degré d’équité procédurale plus élevé et qu’en l’espèce, leur droit à l’équité procédurale n’a pas été respecté, car une décision par simple demande n’est pas équitable. Ils n’ont pas eu la possibilité de défier la preuve présentée à leur encontre, de présenter de la preuve à l’effet qu’ils ne sont pas corrompus et que leurs biens ont été acquis de façon licite.

B.                 Le Ministère (le défendeur ou la Ministre)

[46]           En réponse aux arguments des demandeurs, la Ministre soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision contestée et que (1) la décision est raisonnable; (2) la Loi et le Règlement sont conformes à la Charte; (3) la Loi et le Règlement sont conformes à la Déclaration; (4) l’argument concernant la compétence est infondé et (5) la décision de la Ministre est conforme à l’obligation d’équité procédurale.  

(1)               La décision est raisonnable

[47]           À l’égard de l’allégation de l’absence de compétence pour prolonger la validité du Règlement en 2016, la Ministre soutient que les demandeurs font fausse route sur la question de la compétence puisque c’est le gouverneur en conseil qui a prolongé la validité du Règlement en se disant convaincu que la situation en Tunisie était encore incertaine.

[48]           La Ministre soutient que la décision de ne pas recommander la radiation des demandeurs de la liste sur laquelle figurent les étrangers politiquement vulnérables est raisonnable en raison de leurs liens familiaux étroits avec le clan Ben Ali, ainsi que les nombreux bénéfices financiers obtenus grâce à leurs liens avec l’ex-président Ben Ali. Elle soutient que la Loi vise à prévenir le blanchiment et le recyclage de sommes d’argent par l’entremise de comptes bancaires canadiens de personnes liées au régime de Ben Ali et que la désignation des demandeurs comme étrangers politiquement vulnérables est donc justifiée, et ce, peu importe leur âge, en raison de leurs liens familiaux non rompus.

[49]           Le défendeur souligne également que les demandeurs peuvent recevoir des sommes d’argent de la Tunisie, ainsi que de pourvoir aux dépenses de la vie courante. Il soutient que l’ouverture d’un compte bancaire permettrait aux demandeurs d’y déposer des fonds détournés, ce qui serait contraire aux objectifs de la Loi et que la décision de la Ministre est donc justifiée pour répondre aux objectifs de la Loi.

(2)               La Loi et le Règlement sont conformes à la Charte

[50]            La Ministre reprend les deux étapes de l’analyse identifiées par les demandeurs et soutient que la Loi et le Règlement ne restreignent pas leur droit à la vie à la liberté et à la sécurité et qu’au surplus, on ne peut déterminer que la Loi ne respecte pas les principes de justice fondamentale. 

[51]           En lien avec la première étape, le défendeur soutient que l’article 7 de la Charte ne protège ni les droits de nature économique (sauf dans de rares exceptions), ni le droit de faire affaire toutes les fois qu’on veut, ni celui de générer un revenu par le moyen de son choix. Par conséquent, le défendeur soutient qu’être contraint de faire transiter de l’argent par l’entremise de comptes en fidéicommis d’un avocat ne viole pas l’article 7 de la Charte.

[52]           Le défendeur soutient d’ailleurs que les articles 5 et 15 de la Loi visent à assouplir l’incidence des restrictions sur les personnes visées par le Règlement pour éviter un effet arbitraire. Il souligne qu’il faut tenir compte de ces articles dans le cadre d’une analyse aux termes de l’article 7 de la Charte, ce que les demandeurs ont omis de faire dans leur argumentaire.

[53]           Le défendeur soutient qu’on ne peut déterminer que la Loi ne respecte pas les principes de justice fondamentale à la lumière du critère établi dans l’arrêt Carter. En effet, les parties conviennent que la Loi n’a pas un caractère arbitraire. Cependant, le défendeur soutient que la Loi n’a pas non plus une portée excessive, tel que le prétendent les demandeurs, puisqu’il y a un lien rationnel entre la définition « d’étrangers politiquement vulnérables » et l’objectif de la Loi, qui est de prévenir le détournement de capitaux par le biais du blanchiment d’argent.

[54]            De la même manière, le défendeur soutient que la Loi n’a pas d’effets disproportionnés puisque d’une part les demandeurs n’ont soumis aucune preuve de l’effet allégué de la Loi sur eux et que d’autre part les effets ont une assise rationnelle. Le défendeur relève à cet égard que la SPR a conclu qu’il était fort probable que M. Trabelsi ait commis différents crimes liés à la fraude et qu’il est nécessaire que les membres de sa famille immédiate soient inclus à titre d’étrangers politiques vulnérables pour éviter que l’argent acquis frauduleusement soit déposé dans des comptes canadiens leur appartenant.

[55]           Enfin, le défendeur soutient que le libellé de la Loi est précis. Le libellé « étroitement associée » est aisé à comprendre et la famille Trabelsi était étroitement associée au président Ben Ali en raison de ses liens familiaux. Pour ce qui est du terme « famille », le défendeur affirme qu’il n’est pas défini dans la Loi, car il s’agit d’un exemple. Il est question de personne « étroitement associée » […] notamment, un membre de la famille ». Pour ce qui est du terme « situation politique incertaine », le défendeur soutient que l’article cité par les demandeurs traite des preuves requises pour arriver à la conclusion qu’il y a une telle situation et non de l’imprécision du terme. Enfin, « État étranger » est défini clairement dans la Loi.

(3)               La Loi et le Règlement sont conformes à l’alinéa 2e) de la Déclaration

[56]           Le défendeur soutient que l’alinéa 2e) de la Déclaration ne s’applique pas puisque la troisième condition établie par la jurisprudence pour son application n’est pas satisfaite, la Loi respectant l’obligation imposée de tenir une audition impartiale. Il soutient que, dans le cadre d’une décision aux termes de l’article 13 de la Loi, le législateur a choisi un processus de décision informel de nature administrative. Il reconnait que la décision est importante pour le requérant, mais il précise que la Loi prévoit des dispositions qui visent à assouplir les répercussions sur les personnes visées. Il souligne que même si la Loi ne prévoit pas de droit d’appel, elle ne limite pas le nombre ou la fréquence des demandes qu’un requérant peut présenter aux termes de l’article 13. Le défendeur affirme que l’obligation d’équité procédurale aux termes de l’article 3 est limitée et qu’elle n’impose pas la tenue d’une audition orale.

[57]           Le défendeur réfute l’allégation des demandeurs selon laquelle la Ministre ne pourrait prendre de décision à leur égard en raison d’une crainte raisonnable de partialité. Il soutient qu’une telle conclusion irait à l’encontre du fonctionnement gouvernemental et que les demandeurs n’ont pas soumis de preuve à l’appui de leur allégation.

(4)               La décision est conforme à l’obligation d’équité procédurale

[58]           Le défendeur soutient que les demandeurs ont soumis un dossier comportant de nombreux documents, conformément à la procédure prévue, et que cette procédure est suffisante en raison des arguments liés à l’alinéa 2e) de la Déclaration.

V.                     QUESTIONS EN LITIGE

[59]           Selon les représentations des parties, la Cour doit d’abord déterminer la norme de contrôle applicable au contrôle de la décision de la Ministre et déterminer si :

                    Les articles 2 et 4 de la Loi et l’article 3 du Règlement violent, ou non, le droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 7 de la Charte;

                     Les articles 4 et 13 de la Loi violent, ou non, l’alinéa 2e) de la Déclaration;

                    Le processus décisionnel de la Ministre respecte les obligations d’équité procédurale;

                     La décision de la Ministre est, ou non, raisonnable;

                     Le Règlement a été validement prolongé en mars 2016.

VI.                   ANALYSE

A.                 La norme de contrôle

[60]           La Cour est d’accord avec les parties et contrôlera la décision de la Ministre selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 62;  Djilani c Canada (Affaires étrangères et Commerce international, 2014 CF 631 aux para 12 à 16).

[61]           Il existe une incertitude quant à la norme de contrôle applicable à l’évaluation du respect de l’obligation d’équité procédurale, mais la Cour est disposée à l’évaluer selon la norme la plus onéreuse, celle de la décision correcte (El-Helou v Canada (Courts Administration Service), 2016 FCA 273 au para 43).

B.                 Les articles 2 et 4 de la Loi et l’article 3 du Règlement violent, ou non, le droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 7 de la Charte

[62]             Tel que les parties l’ont exposé, l’analyse sous l’article 7 de la Charte comporte deux étapes. Il faut d’abord évaluer si les dispositions de la Loi et du Règlement portent atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne. Dans l’affirmative, il faut alors examiner si cette atteinte est conforme ou non aux principes de justice fondamentale (Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 au para 84; Carter, au para 55).

[63]           En l’espèce, puisque les demandeurs soutiennent que c’est précisément leur droit à la liberté et à la sécurité qui est restreint, la Cour examinera ces deux concepts.

(1)               Droit à la liberté et à la sécurité

[64]           Il est important de rappeler que les demandeurs avancent que leur droit à la liberté est violé essentiellement parce qu’ils ne peuvent ouvrir ou opérer de comptes bancaires en leur nom personnel, ce qui les oblige à faire transiter tout paiement (loyer, frais de scolarité, épicerie, etc.) par un compte en fidéicommis d’une tierce personne, rend difficile la recherche et l’occupation d’un emploi et rend aussi difficiles certaines tâches, comme faire l’épicerie (paragraphes 29 et 32 du mémoire des demandeurs).

[65]           Ainsi, le fait de ne pouvoir ouvrir ou opérer un compte bancaire personnel porterait atteinte à la liberté psychologique des demandeurs, par opposition à la liberté physique, les empêchant de « faire des choix personnels fondamentaux sans l’intervention de l’État » (Carter, au para 64).

[66]            La Cour ne peut souscrire à l’argument des demandeurs, ne pouvant conclure que l’opération d’un compte de banque constitue un « choix personnel fondamental » selon le sens développé par la jurisprudence. En effet, les décisions de la Cour Suprême mettant en jeu le droit à la liberté traitent de choix personnels tels que celui de recevoir de l’aide médicale pour mourir dans la dignité (Carter), celui pour une femme de mener à terme ou non une grossesse sans menace de sanctions criminelles (R c Morgentaler, [1988] 1 RCS 30 [Morgentaler]), celui du lieu de résidence d’une personne (Godbout c Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844), celui d’un parent de prendre des décisions au nom des enfants, concernant leur éducation et leur santé (B (R) c Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto – [1995] 1 RCS 315).  La Cour ne peut tout simplement pas conclure que l’opération d’un compte de banque personnel dans le contexte qui est celui des demandeurs, constitue un choix personnel fondamental mettant enjeu le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte.

[67]           Les demandeurs soutiennent que leur droit à la sécurité garanti par l’article 7 est violé puisque la Loi porte atteinte à leur intégrité psychologique, leur imposant des souffrances liées au stress et des humiliations, surtout en raison de la médiatisation de leur situation. Ils attribuent ces difficultés au fait d’être désigné comme étrangers politiquement vulnérables.

[68]           La Cour note que le droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 est en cause si le préjudice psychologique résulte d’un acte de l’État et s’il est grave. Dans l’arrêt Blencoe, il a été déterminé que la publicité incessante subie par le demandeur ne résultait pas des actes du gouvernement, mais bien de tiers dont les médias (Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, 2000 CSC 44 au para 59). En l’espèce, il n’a pas été prouvé que l’attention médiatique et les insultes dont font l’objet les demandeurs sont imputables à leur désignation à titre « d’étrangers politiquement vulnérables », et peuvent être plutôt le résultat de leurs liens avec le gouvernement déchu de Ben Ali. De plus, il est connu que M. Trabelsi a été reconnu coupable de crimes de fraude en Tunisie et exclu par la SPR.

[69]           Pour ce qui est de la gravité de la détresse psychologique invoquée par les demandeurs, il est pour le moins difficile de l’évaluer, car les demandeurs n’ont soumis aucune preuve médicale, objective ou documentaire à cet effet.

[70]           Au surplus, le défendeur soulève avec justesse que les « droits économiques » sont uniquement protégés par l’article 7 de la Charte s’ils ont une incidence fondamentale sur la vie et la sécurité d’une personne. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas prouvé souffrir de difficultés financières et la Loi leur permet de présenter des demandes afin de soustraire des sommes d’argent de l’application du Règlement aux termes de l’article 15 de la Loi, ce qu’ils n’ont pas fait en l’instance. Ils conviennent au contraire qu’ils peuvent payer leurs dépenses courantes à partir de fonds déposés dans le compte en fidéicommis de leur avocat.

[71]           Les demandeurs affirment également ne pas pouvoir se trouver d’emploi en raison de leur désignation, mais ils n’ont pas soumis de preuve au soutien de cet argument. Ils prétendent qu’ils ne pourraient pas déposer de salaire. Or, le paragraphe 5(1) de la Loi permet à une personne visée par le Règlement de demander un permis afin de réaliser une opération interdite ou restreinte et les demandeurs n’y ont pas eu recours.

[72]           La Cour conclut donc que la Loi et le Règlement ne portent pas atteinte au droit à la liberté et à la sécurité des demandeurs garanti par l’article 7 de la Charte.

(2)               Principes de justice fondamentale

[73]           Dans l’hypothèse où la Cour se trompe sur le premier volet et que la Loi et le Règlement portent atteinte au droit à la liberté et la sécurité des demandeurs, il devient nécessaire d’examiner si l’atteinte est en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ainsi, la Cour Suprême a établi que la Loi et le Règlement ne doivent pas avoir un caractère arbitraire, avoir une portée excessive ou entraîner des conséquences totalement disproportionnées à leur objet (Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, à la p. 584; R c Beare, [1988] 2 RCS 387, à la p. 401; Morgentaler, à la p. 53; Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, à la p. 212)

[74]            Tout d’abord, comme en conviennent les parties, la Loi et le Règlement n’ont pas un caractère arbitraire. Ils visent à lutter contre la corruption, à préserver les biens ou fonds possiblement détournés lorsqu’un État est placé dans une situation politique instable, jusqu’à que la situation se rétablisse, que l’État mène des enquêtes et obtienne les preuves nécessaires pour récupérer les biens volés le cas échéant. Ainsi, la Loi et le Règlement visent à éviter que des fonds potentiellement mal acquis soient déposés dans des institutions financières canadiennes.

[75]           Contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, la Cour est satisfaite que la Loi et le Règlement n’ont pas une portée excessive, car ils visent des actes qui sont en lien avec leur objet (Bedford, au para 112). La définition d’étranger politiquement vulnérable de l’article 2 est en harmonie avec l’objet de la Loi énoncé au paragraphe précédent.

[76]           Les demandeurs soutiennent que la définition est trop large et ne devrait inclure que les personnes occupant les fonctions prévues aux alinéas 2(1)a) à j) de la Loi. Comme l’affirme le défendeur, arriver à une telle conclusion nuirait grandement à la portée de la Loi, car elle ne permettrait pas la désignation de personnes n’occupant pas un poste officiel au sein du gouvernement de l’État et pourrait donc être facilement contournée. Il parait justifié que la Loi permette la désignation de personnes étroitement associées aux personnes décrites aux alinéas a) à j). En l’espèce, il est évident que les demandeurs sont étroitement associés au clan Ben Ali en raison de leurs liens familiaux et de l’influence qu’avait leur famille. D’ailleurs, les demandeurs se sont réclamés de ces liens familiaux et leur demande d’asile a été accordée sur la base de ces liens familiaux et des conséquences qu’ils entraîneraient pour les demandeurs advenant leur retour en Tunisie.

[77]           Les demandeurs prétendent également que l’article 3 du Règlement a une portée excessive, les empêchant de gagner de l’argent au Canada, car il leur serait impossible de déposer un chèque de paye dans un compte personnel. Or, tel que mentionné plus haut, le paragraphe 5(1) de la Loi prévoit justement la possibilité de demander un permis.

[78]            La Cour ne peut non plus conclure que la Loi et son Règlement entraînent des conséquences totalement disproportionnées à leur objet. La désignation des demandeurs à titre d’étrangers politiquement vulnérables parait nécessaire essentiellement pour éviter le blanchiment de fonds illicitement acquis et pour protéger les actifs à la demande d’un État étranger. On ne peut conclure que les effets de la Loi sur leur liberté et leur sécurité sont à ce point disproportionnés qu’ils ne peuvent avoir d’assise rationnelle. Au paragraphe 120 de l’arrêt Bedford, la Cour suprême donne l’exemple de conséquences totalement disproportionnées :

Pour illustrer cette idée, prenons l’hypothèse d’une Loi qui, dans le but d’assurer la propreté des rues, infligerait une peine d’emprisonnement à perpétuité à quiconque cracherait sur le trottoir. Le lien entre les répercussions draconiennes et l’objet doit déborder complètement le cadre des normes reconnues dans notre société libre et démocratique.

[79]           À la lumière de cet exemple, la Cour ne peut conclure qu’il y a une telle disproportion. Les effets de la Loi et du Règlement sur les demandeurs ne peuvent être qualifiés de draconiens. Ainsi, la Cour est satisfaite que l’atteinte, si elle existe, est en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[80]           Dans l’hypothèse où la Loi et le Règlement violent l’article 7 de la Charte, il faudra que l’État démontre que l’atteinte aux droits est justifiée aux termes de l’article premier de la Charte, car l’objet de la Loi est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à cet objet. Ni les demandeurs ni le défendeur n’ont présenté d’arguments à ce sujet, la Cour peut toutefois conclure à la lecture des arguments des parties que l’objet de la Loi est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à son objet.

[81]           La Cour ne peut non plus souscrire à l’argument des demandeurs selon lequel le paragraphe 2(1) de la Loi est imprécis et viole donc les principes de justices fondamentales aux termes de l’article 7 de la Charte. Les demandeurs soutiennent que termes « étroitement associés », « situation politique incertaine », « famille » et « État étranger » sont vagues et rendent cette disposition imprécise au point d’être inconstitutionnel.

[82]           Le critère pour démontrer qu’une loi est imprécise est très exigeant. Ainsi, une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire (Nova Scotia Pharmaceutical, à la p 609). Le critère a été peu retenu par les tribunaux, qui reconnaissent au surplus que les dispositions législatives doivent être suffisamment générales afin de s’appliquer à diverses situations (R c Hall, [2002] 3 RCS 309, 2002 CSC 64).

[83]           Les termes que les demandeurs jugent imprécis ou vagues sont au contraire assez faciles à comprendre et intelligibles. Le terme « État étranger » est clair et il est même défini dans la Loi. Le terme « famille » n’est fourni qu’à titre d’exemple dans la définition de l’article 2, mais il est néanmoins intelligible et les demandeurs l’ont eux-mêmes utilisé dans leur demande d’asile. Les termes « étroitement associés » et « situation politique incertaine » sont assez clairs pour être intelligibles et compréhensibles.

[84]            Ainsi, la Cour conclut que la Loi et le Règlement ne violent pas le droit à la liberté ou à la sécurité des demandeurs protégé par l’article 7 de la Charte.

C.                 Les articles 4 et 13 de la Loi violent, ou non, l’alinéa 2e) de la Déclaration

[85]           Les demandeurs allèguent que les articles 4 et 13 de la Loi contreviennent à l’alinéa 2e) de la Déclaration, leur niant la possibilité d’avoir une audition impartiale. Ils soutiennent d’abord que les quatre conditions fondamentales reconnues (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2007 CF 371 au para 22) sont respectées et que l’alinéa 2e) s’applique au processus décisionnel de la Ministre. Ces quatre conditions sont :

1.                   le demandeur doit être une « personne » au sens de l’alinéa 2e);

2.                  le processus de demande aux termes de l’article 13 de la Loi doit constituer une « audition […] pour la définition [des] droits et obligations [du demandeur] »;

3.                  il doit être conclu que le processus enfreint « les principes de justice fondamentale »;

4.                  le prétendu défaut dans le processus doit résulter d’une « Loi du Canada » à l’égard de laquelle il n’a pas été expressément déclaré qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits.

[86]           La première condition est remplie, car les demandeurs sont des personnes. Le défendeur ne s’oppose pas à la position des demandeurs qui affirment que la deuxième condition est aussi remplie et la Cour ne se prononcera donc pas sur cette question. Enfin la quatrième condition est aussi remplie.

[87]           Cependant, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la troisième condition est respectée et que le processus prévu dans la Loi ne respecte pas l’obligation d’audition impartiale selon les principes de justice fondamentale.

[88]           La Cour examine cette condition en considérant que, conformément à l’alinéa 2e) de la Déclaration, l’autorité fédérale doit « agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité » et doit donner à une partie l’occasion d’exposer adéquatement sa cause (Duke c La Reine, [1972] RCS 917 à la page 924). Au surplus, il est établi que le degré d’obligation en matière d’équité procédurale varie selon le contexte. La Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent être pris en compte pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale soit : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la Loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 à la p 819 [Baker]).

[89]           Les demandeurs allèguent d’abord que la Ministre est partiale puisqu’elle agit à titre de « juge » pour décider de leur demande et de « partie » à titre de membre du cabinet. Cependant, il ne parait pas anormal ou inhabituel pour le Parlement d’accorder un tel pouvoir décisionnel à un ministre et sa qualité de ministre n’entraîne pas une crainte de partialité. Les demandeurs n’ont d’ailleurs soumis aucune preuve de la soi-disant partialité de la Ministre et la Cour ne peut adhérer à leur proposition.

[90]           Les demandeurs plaident aussi que le degré d’équité procédurale doit être élevé vu l’importance de la décision pour eux et précisent que cette importance réside dans le fait que la décision met en jeu la perte de nombreux droits fondamentaux. Or, la Cour a déjà conclu que le régime législatif ne porte pas atteinte au droit à la liberté et à la sécurité des demandeurs protégé par l’article 7 de la Charte et aucun autre droit fondamental n’est invoqué.

[91]           Cependant, même si la Cour accepte que la décision revêt une grande importance pour les demandeurs dont les biens sont bloqués, le régime législatif permet certains assouplissements puisqu’il offre en outre aux personnes visées des possibilités de demander les permis ou les attestations prévus aux articles 5 et 15 de la Loi, dont ne se sont pas prévalus les demandeurs en l’instance. Comme le fait également valoir le défendeur, il n’y a pas de possibilité d’appel de la décision de la Ministre, mais les demandeurs peuvent soumettre un nombre illimité de demandes d’exceptions.

[92]           Dans le cadre de l’examen d’une demande aux termes de l’article 13 de la Loi, la Ministre doit déterminer si le requérant est un étranger politiquement vulnérable selon la définition prévue à la Loi en évaluant si ce dernier a occupé une des fonctions énumérées aux alinéas a) à j) ou s’il est étroitement associé à une personne qui a occupé une telle fonction. L’étendue de l’analyse est somme toute limitée.

[93]           Au surplus, l’article 13 ne prévoit pas d’obligation procédurale sauf l’envoi d’un avis au requérant. Il s’agit d’un processus de nature administrative qui n’entraîne donc pas des obligations d’équité et d’impartialité aussi importantes qu’un processus judiciaire.

[94]           Les demandeurs ont soumis à la Ministre un dossier volumineux, certes, mais ne contenant pas d’éléments pour réfuter la décision qu’ils sont des « étrangers politiquement vulnérables », ayant au contraire confirmé leurs liens familiaux avec le clan Trabelsi dans leur demande. 

[95]           La Cour ne peut conclure que les principes d’équité procédurale n’ont pas été respectés.

D.                 Le processus décisionnel de la Ministre respecte les obligations d’équité procédurale

[96]           Les demandeurs soutiennent que le processus décisionnel suivi par la Ministre enfreint l’équité procédurale, car ils ont seulement eu la possibilité de présenter une demande écrite et n’ont pas eu droit à une audition formelle. Or, ils ont eu la « possibilité de produire une documentation écrite complète » à la Ministre (Baker, à la p 819). La Cour tient compte du contexte factuel, de la définition d’étrangers politiquement vulnérables prévue à la Loi, du contexte de la Loi, du fait que la Tunisie a demandé au gouvernement du Canada de maintenir les demandeurs sur la liste, du fait que les demandeurs ont confirmé leurs liens familiaux dans leur demande et qu’ils ont eu l’opportunité de présenter un dossier volumineux. Ainsi, vu le libellé des articles en jeu et vu que la crédibilité des demandeurs n’est pas en jeu, je conclus qu’une audience formelle n’est pas nécessaire et que le processus d’examen d’une demande soumise à la Ministre sous l’article 13 respecte les obligations d’équité procédurale.

E.                  La décision de la Ministre est  raisonnable

[97]           Compte tenu du régime législatif en jeu et du contexte factuel, la Cour conclut que la décision de la Ministre de refuser de recommander au gouverneur en conseil de radier de la liste des étrangers politiquement vulnérables le nom des demandeurs aux termes de l’article 13 de la Loi est raisonnable.

[98]           Les demandeurs semblent effectivement « étroitement associés » à une personne occupant une charge prévue dans l’article 2 en raison de leurs liens familiaux avec le président déchu Ben Ali et des liens d’affaires de M. Trabelsi. L’âge des demandeurs ne peut être un motif pour les soustraire de la définition, surtout considérant la propension reconnue du clan Trabelsi à utiliser des prête-noms. Au surplus, d’après la preuve au dossier, les autorités canadiennes ont consulté les autorités tunisiennes qui ont aussi confirmé que les liens entre les demandeurs et M. Trabelsi n’étaient pas rompus et que la famille Trabelsi avait tiré parti de nombreux avantages financiers et privilèges en raison de ses relations étroites avec l’ex-président Ben Ali. La SPR est arrivée aux mêmes conclusions dans sa décision à l’égard de M. Trabelsi.

[99]           Si les demandeurs n’étaient plus désignés comme des étrangers politiquement vulnérables, ils seraient en mesure d’ouvrir des comptes bancaires au Canada et de recevoir des sommes d’argent potentiellement mal acquises. Ils pourraient également réaliser des transactions financières relatives à des biens au Canada qui pourraient éventuellement se trouver entre les mains de M. Trabelsi. Leur désignation à titre d’« étrangers politiquement vulnérables » est justifiée au regard des objectifs de la Loi. 

[100]       Les demandeurs prétendent aussi que la décision de la Ministre est déraisonnable, car les biens auxquels ils souhaitent avoir accès ont été acquis légitimement. Or, il n’incombe pas à la Ministre de vérifier la licéité des biens. La Loi a été adoptée afin de permettre à l’État aux prises avec une situation politique incertaine de demander au Canada de bloquer les biens possiblement détournés de certaines personnes en attendant que la situation se rétablisse et que l’État puisse obtenir des preuves et effectuer des enquêtes à l’égard de ces personnes ou biens. Il parait raisonnable que la Ministre n’ait pas examiné la licéité des biens pour rendre sa décision à l’égard de la demande soumise aux termes de l’article 13 de la Loi.

F.                  Prolongation du Règlement en mars 2016

[101]       Les demandeurs soutiennent ensuite que la décision de la Ministre en mars 2016 de prolonger la période de validité du Règlement pour une période de cinq ans n’était pas raisonnable, car elle ne disposait pas de preuve que la Tunisie se trouvait dans une situation politique incertaine. Or, le défendeur a valablement fait remarquer que ce n’est pas la Ministre, mais bien le gouverneur en conseil qui a prolongé le Règlement par l’adoption d’un décret le 11 mars 2016. Au surplus, dans les attendus du Règlement modifiant le Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Tunisie et Égypte) pris par le décret du 11 mars 2016, le gouverneur a d’ailleurs indiqué être convaincu qu’il y avait « toujours des troubles internes ou une situation politique incertaine en Tunisie » (Gazette du Canada, Partie II, Vol 150, no 6, SOR/DORS/2016-41 à la p 563).

VII.            CONCLUSION

Pour ces motifs, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT dans T-293-17

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucuns dépens n’est accordé.

« Martine St-Louis »

Juge


ANNEXE

Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, article 7

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act, 1982 (U.K.), 1982, c 11, section 7

 

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty and security of person

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

Déclaration canadienne des droits, SC 1960, ch 44), alinéa 2e)

Canadian Bill of Rights, SC 1960, c 44, paragraph 2e)

 

Interprétation de la législation

Construction of law

 

2 Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

2 Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to

 

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

(e) deprive a person of the right to a fair hearing in accordance with the principles of fundamental justice for the determination of his rights and obligations;

 

Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, LC 2011, ch 10, articles 2, 3, 4, 13, 14 et 15

Freezing Assets of Corrupt Foreign Officials Act, SC 2011, c 10, sections 2, 3, 4, 13, 14 and 15

 

Définitions

Definitions

 

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The following definitions apply in this Act.

 

bien Bien meuble, immeuble, personnel ou réel. (property)

Canadian means a person who is a citizen within the meaning of the Citizenship Act or a corporation incorporated or continued by or under the laws of Canada or of a province. (Canadien)

 

personne Personne physique ou entité; l’une et l’autre notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis. (person)

entity means a corporation, trust, partnership, fund, an unincorporated association or organization or a foreign state. (entité)

 

entité Personne morale, fiducie, société de personnes, fonds, organisation ou association non dotée de la personnalité morale ainsi qu’un État étranger. (entity)

foreign state means a country other than Canada, and includes

 

État étranger Pays autre que le Canada. Sont assimilés à un État étranger :

(a) any of its political subdivisions;

 

a) ses subdivisions politiques;

(b) its government and any of its departments, or the government or any department of any of its political subdivisions; and

 

b) son gouvernement et ses ministères ou ceux de ses subdivisions politiques;

(c) any of its agencies or any agency of any of its political subdivisions. (État étranger)

 

c) ses organismes ou ceux de ses subdivisions politiques. (foreign state)

Minister means the Minister of Foreign Affairs. (minister)

 

étranger politiquement vulnérable Personne qui occupe ou a occupé l’une des charges ci-après au sein d’un État étranger ou pour son compte :

person means an individual or an entity. (personne)

 

Y est assimilée toute personne qui lui est ou était étroitement associée pour des raisons personnelles ou d’affaires, notamment un membre de sa famille. (politically exposed foreign person)

politically exposed foreign person means a person who holds or has held one of the following offices or positions in or on behalf of a foreign state and includes any person who, for personal or business reasons, is or was closely associated with such a person, including a family member:

 

a) chef d’État ou chef de gouvernement;

(a) head of state or head of government;

 

b) membre du conseil exécutif de gouvernement ou membre d’une assemblée législative;

(b) member of the executive council of government or member of a legislature;

 

c) sous-ministre ou titulaire d’une charge de rang équivalent;

(c) deputy minister or equivalent rank;

 

d) ambassadeur, ou attaché ou conseiller d’un ambassadeur;

(d) ambassador or attaché or counsellor of an ambassador;

 

e) officier ayant le rang de général ou un rang supérieur;

(e) military officer with a rank of general or above;

 

f) dirigeant d’une société d’État ou d’une banque d’État;

(f) president of a state-owned company or a state-owned bank;

 

g) chef d’un organisme gouvernemental;

(g) head of a government agency;

 

h) juge;

(h) judge;

 

i) leader ou président d’un parti politique représenté au sein d’une assemblée législative;

(i) leader or president of a political party represented in a legislature; or

 

j) titulaire d’un poste ou d’une charge visés par règlement.

(j) holder of any prescribed office or position. (étranger politiquement vulnérable)

 

ministre Le ministre des Affaires étrangères. (Minister)

prescribed means prescribed by regulation. (Version anglaise seulement)

 

personne Personne physique ou entité; l’une et l’autre notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis. (person)

property means any real, personal, movable or immovable property. (bien)

 

Biens d’une personne

Property of a person

 

(2) Pour l’application de la présente loi, les biens d’une personne s’entendent notamment des biens qui sont directement ou indirectement sous son contrôle.

(2) For the purposes of this Act, the property of a person includes property controlled, directly or indirectly, by the person.

 

Obligation de Sa Majesté

Binding on Her Majesty

 

3 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada et des provinces.

3 This Act is binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

 

Décrets et règlements

Orders and Regulations

 

4 (1) Si un État étranger, par écrit, déclare au gouvernement du Canada qu’une personne a détourné des biens de l’État étranger ou a acquis des biens de façon inappropriée en raison de sa charge ou de liens personnels ou d’affaires et demande au gouvernement du Canada de bloquer les biens de la personne, le gouverneur en conseil peut :

4 (1) If a foreign state, in writing, asserts to the Government of Canada that a person has misappropriated property of the foreign state or acquired property inappropriately by virtue of their office or a personal or business relationship and asks the Government of Canada to freeze property of the person, the Governor in Council may

 

a) prendre tout décret ou règlement qu’il estime nécessaire concernant la restriction ou l’interdiction, à l’égard des biens de la personne, des activités énumérées au paragraphe (3);

(a) make any orders or regulations with respect to the restriction or prohibition of any of the activities referred to in subsection (3) in relation to the person’s property that the Governor in Council considers necessary; and

 

b) par décret, saisir, bloquer ou mettre sous séquestre, de la façon prévue par le décret, tout bien situé au Canada et détenu par la personne.

(b) by order, cause to be seized, frozen or sequestrated in the manner set out in the order any of the person’s property situated in Canada.

 

Conditions

Conditions

 

(2) Il ne peut toutefois prendre le décret ou règlement que s’il est convaincu que les conditions ci-après sont remplies :

(2) The Governor in Council may make the order or regulation only if the Governor in Council is satisfied that

 

a) la personne est, relativement à l’État étranger, un étranger politiquement vulnérable;

(a) the person is, in relation to the foreign state, a politically exposed foreign person;

 

b) il y a des troubles internes ou une situation politique incertaine dans l’État étranger;

(b) there is internal turmoil, or an uncertain political situation, in the foreign state; and

 

 

c) la prise du décret ou règlement est dans l’intérêt des relations internationales.

(c) the making of the order or regulation is in the interest of international relations.

 

Activités interdites

Restricted or prohibited activities

 

 

(3) Les activités qui peuvent être visées par le décret ou règlement pris en vertu de l’alinéa (1)a) sont les suivantes, qu’elles se déroulent au Canada ou à l’étranger :

(3) Orders and regulations may be made under paragraph (1)(a) with respect to the restriction or prohibition of any of the following activities, whether carried out in or outside Canada:

 

a) toute opération effectuée, directement ou indirectement, par une personne se trouvant au Canada ou par un Canadien se trouvant à l’étranger portant sur un bien de l’étranger politiquement vulnérable, indépendamment de la situation du bien;

(a) the dealing, directly or indirectly, by any person in Canada or Canadian outside Canada in any property, wherever situated, of the politically exposed foreign person;

 

b) le fait pour une personne se trouvant au Canada ou pour un Canadien se trouvant à l’étranger de conclure, directement ou indirectement, toute opération financière liée à une opération visée à l’alinéa a) ou d’en faciliter, directement ou indirectement, la conclusion;

(b) the entering into or facilitating, directly or indirectly, by any person in Canada or Canadian outside Canada, of any financial transaction related to a dealing referred to in paragraph (a); and

 

c) la prestation par une personne se trouvant au Canada ou par un Canadien se trouvant à l’étranger de services financiers ou de services connexes relativement aux biens de l’étranger politiquement vulnérable.

(c) the provision by any person in Canada or Canadian outside Canada of financial services or other related services in respect of property of the politically exposed foreign person.

 

Exclusions

Exclusions

 

(4) Le décret ou règlement pris en vertu du paragraphe (1) peut prévoir que sont soustraits à son application des personnes, opérations ou biens ou certaines catégories de personnes, opérations ou biens.

(4) An order or regulation made under subsection (1) may exclude, individually or by class, any person, property or transaction from the application of the order or regulation.

 

Permis

Permits

 

5 (1) Le ministre peut autoriser, par permis, une personne se trouvant au Canada ou un Canadien se trouvant à l’étranger à procéder à une opération ou catégorie d’opérations qui fait l’objet d’une interdiction ou d’une restriction au titre d’un décret ou règlement pris en vertu de l’article 4. Il peut délivrer un permis sous réserve des modalités qu’il estime compatibles avec la présente loi et tout décret ou règlement pris en vertu de cet article.

5 (1) The Minister may issue to any person in Canada or Canadian outside Canada a permit to carry out a specified activity or transaction, or any class of activity or transaction, that is restricted or prohibited by order or regulation made under section 4. The permit may be subject to any terms and conditions that are, in the opinion of the Minister, consistent with this Act and any order or regulations made under section 4.

 

Révocation

Suspension, revocation, etc.

 

(2) Il peut modifier, annuler, suspendre ou rétablir le permis.

(2) The Minister may amend, suspend, revoke or reinstate the permit.

 

[…]

[…]

 

Demande

Application

 

13 (1) Toute personne visée par un décret ou règlement pris en vertu de l’article 4 peut demander par écrit au ministre de cesser d’être visée par le décret ou règlement au motif qu’elle n’est pas un étranger politiquement vulnérable.

13 (1) A person who is the subject of an order or regulation made under section 4 may apply in writing to the Minister to cease being the subject of the order or regulation on the grounds that the person is not a politically exposed foreign person.

 

Recommandation

Recommendation

 

(2) S’il a des motifs raisonnables de croire que le demandeur n’est pas un étranger politiquement vulnérable, le ministre recommande au gouverneur en conseil de modifier ou d’abroger, selon le cas, le décret ou règlement de façon à ce que le demandeur n’y soit plus assujetti.

(2) If the Minister has reasonable grounds to believe that the applicant is not a politically exposed foreign person, the Minister must recommend to the Governor in Council that the order or regulation be amended or repealed, as the case may be, so that the applicant is no longer the subject of the order or regulation.

 

Avis

Notice if application rejected

 

(3) Le ministre donne sans délai au demandeur un avis de sa décision éventuelle de rejeter la demande.

(3) The Minister must give notice without delay to the applicant of any decision to reject the application.

 

Erreur sur la personne

Mistaken identity

 

14 (1) Toute personne qui affirme ne pas être un étranger politiquement vulnérable peut demander par écrit au ministre de lui délivrer une attestation portant qu’elle n’est pas un étranger politiquement vulnérable visé par un décret ou règlement pris en vertu de l’article 4.

14 (1) A person claiming not to be a politically exposed foreign person may apply to the Minister in writing for a certificate stating that they are not a politically exposed foreign person who is the subject of an order or regulation made under section 4.

 

Attestation — délai

Certificate — time frame

 

(2) S’il décide que le demandeur n’est pas un étranger politiquement vulnérable, le ministre lui délivre l’attestation dans les meilleurs délais.

(2) If the Minister determines that the person is not a politically exposed foreign person, the Minister must issue a certificate to the applicant as soon as feasible.

 

Dépenses

Reasonable expenses

 

15 (1) Toute personne qui est visée par un décret ou règlement pris en vertu de l’article 4 peut demander par écrit au ministre de délivrer une attestation soustrayant à l’application du décret ou règlement certains biens qui sont nécessaires pour ses dépenses raisonnables et celles des personnes à sa charge.

15 (1) A person who is the subject of an order or regulation made under section 4 may apply to the Minister in writing for a certificate to exempt property from the application of the order or regulation if the property is necessary to meet the reasonable expenses of the person and their dependants.

 

Attestation — délai

Certificate — time frame

 

(2) S’il décide que les biens sont nécessaires pour les dépenses raisonnables du demandeur et celles des personnes à sa charge, le ministre lui délivre l’attestation dans les meilleurs délais.

 (2) If the Minister determines that the property is necessary to meet the reasonable expenses of the applicant and their dependants, the Minister must issue a certificate to the applicant as soon as feasible.

 

Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Tunisie), DORS/2011-78, article 3 et annexe 1

Freezing Assets of Corrupt Foreign Officials (Tunisia) Regulations, SOR/2011-78, section 1 and schedule 1

 

Activités interdites

Prohibitions

 

Blocage des biens

Asset freeze

 

3 Il est interdit à toute personne se trouvant au Canada :

3 A person in Canada must not

 

a) d’effectuer toute opération, directement ou indirectement, portant sur un bien de tout étranger politiquement vulnérable, indépendamment de la situation du bien;

(a) deal, directly or indirectly, in any property, wherever situated, of any politically exposed foreign person;

 

b) de conclure, directement ou indirectement, toute opération financière liée à une opération visée à l’alinéa a) ou d’en faciliter, directement ou indirectement, la conclusion;

(b) enter into or facilitate, directly or indirectly, any financial transaction related to a dealing referred to in paragraph (a); or

 

c) de fournir des services financiers ou des services connexes relativement aux biens de tout étranger politiquement vulnérable.

(c) provide financial services or other related services in respect of any property of any politically exposed foreign person.

 

ANNEXE 1

SCHEDULE 1

 

(article 2)

(Section 2)

 

Étrangers politiquement vulnérables (Tunisie)

Politically Exposed Foreign Persons (Tunisia)

 

1 à 4 [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4]

1 to 4 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

5 Fahd Mohamed Sakher Ben Moncef ben Mohamed Hafiz EL MATRI (connu notamment sous le nom de Fahd Mohamed Sakher Ben Moncef Ben Mohamed Hfaiez MATERI), né le 2 décembre 1981 à Tunis, fils de Naïma BOUTIBA et marié à Nesrine BEN ALI

5 Fahd Mohamed Sakher Ben Moncef ben Mohamed Hafiz EL MATRI (also known among other names as Fahd Mohamed Sakher Ben Moncef Ben Mohamed Hfaiez MATERI), born on December 2, 1981, in Tunis, son of Naïma BOUTIBA and spouse of Nesrine BEN ALI

 

6 et 7 [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4]

6 and 7 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

8 Belhassen Ben Mohamed ben Rhouma TRABELSI (connu notamment sous le nom de Belhassen Ben Mohamed Ben Rehouma TRABELSI), né le 5 novembre 1962 à Tunis, fils de Saïda DHRIF

8 Belhassen Ben Mohamed ben Rhouma TRABELSI (also known among other names as Belhassen Ben Mohamed Ben Rehouma TRABELSI), born on November 5, 1962, in Tunis, son of Saïda DHRIF

 

9 à 17 [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4]

9 to 17 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

18 Moez Ben Moncef ben Mohamed TRABELSI (connu notamment sous le nom de Moez Ben Moncef Ben Mohamed TRABELSI), né le 3 juillet 1973 à Tunis, fils de Yamina SOUIAÏ

18 Moez Ben Moncef ben Mohamed TRABELSI (also known among other names as Moez Ben Moncef Ben Mohamed TRABELSI), born on July 3, 1973, in Tunis, son of Yamina SOUIAÏ

 

19 à 71 [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4] [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4]

19 to 71 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

72 Zohra Bent Hedi Ben Ali JILANI, épouse de Belhassen TRABELSI

72 Zohra Bent Hedi Ben Ali JILANI, spouse of Belhassen TRABELSI

 

73 [Abrogé, DORS/2016-41, art. 4]

73 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

74 Sofia Bent Belhassen Ben Mohamed TRABELSI, membre de la famille de Leila TRABELSI

74 Sofia Bent Belhassen Ben Mohamed TRABELSI, family member of Leila TRABELSI

 

75 Zine Bent Belhassen TRABELSI, membre de la famille de Leila TRABELSI

75 Zine Bent Belhassen TRABELSI, family member of Leila TRABELSI

 

76  Asma Bent Belhassen TRABELSI, membre de la famille de Leila TRABELSI

76 Asma Bent Belhassen TRABELSI, family member of Leila TRABELSI

 

77 Mohamed Fares Ben Belhassen TRABELSI, membre de la famille de Leila TRABELSI

77 Mohamed Fares Ben Belhassen TRABELSI, family member of Leila TRABELSI

 

78 à 123 [Abrogés, DORS/2016-41, art. 4]

78 to 123 [Repealed, SOR/2016-41, s. 4]

 

Remarques :

Notes:

 

1 Les lettres majuscules représentent le nom de famille.

1 Uppercase letters indicate the surname.

 

2 À moins d’indication contraire, le pays du lieu de naissance est la Tunisie.

2 Unless there is an indication to the contrary, the country of birth is Tunisia.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-293-17

INTITULÉ :

DJILANI, ZOHRA, TRABELSI, SOUFIA, TRABELSI, ZEIN, TRABELSI, ASMA, ET TRABELSI, MOHAMED c LA MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 21 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand

Me Annabel E. Busbridge

Pour les demandeurs

Me Daniel Latulippe

Me Lindy Rouillard-Labbé

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 

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