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Date : 20171205


Dossier : IMM-2706-17

Référence : 2017 CF 1088

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

NUO YU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse attaque une décision du 29 mai 2017 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté, à l’issue d’une audience de novo, son appel d’une mesure d’exclusion prononcée par la Section de l’immigration. La mesure d’exclusion a été prise conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) au motif que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur des faits importants concernant un mariage de convenance.

[2]  Voici le résumé que dresse le commissaire de la Section d’appel de l’immigration du contexte factuel de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse :

[traduction]

L’appelante, âgée de 33 ans, est une citoyenne de la Chine. Elle est arrivée au Canada le 14 mars 2003 en tant qu’étudiante étrangère, et elle vit ici depuis. Elle a fait des études en éducation de la petite enfance en anglais au Collège Seneca. Elle a obtenu son diplôme et commencé sa carrière d’enseignante en 2007. Elle a épousé Ronald Dupuis le 24 octobre 2004 et une demande de parrainage à titre de conjoint a été déposée en 2005. Après avoir signé le formulaire de demande, l’appelante et son mari l’ont déposé auprès des autorités de l’immigration. Le 18 mai 2007, l’appelante a envoyé une lettre pour retirer la demande de parrainage. Dans une lettre datée du 11 août 2008, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a accusé réception de la lettre du 18 mai 2007 dans laquelle l’appelante indiquait qu’elle souhaitait retirer son appel. Le traitement de la demande de parrainage à titre de conjoint présentée au Canada n’étant pas terminé, l’appelante n’a pas obtenu qualité de résidente par ce processus. Le 20 juillet 2010, elle obtenu le statut de résidente permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne. Elle a soumis une demande de citoyenneté canadienne en 2013, réussi le test de langue anglaise et reçu une lettre de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concernant la présente affaire.

L’appelante et son ex-conjoint ont présenté une demande de divorce à un moment donné en 2009.

[...]

L’appelante a commencé à fréquenter Qing Wang en 2008. Elle vit actuellement en union de fait avec lui. Qing Wang est un citoyen canadien. Deux enfants d’âge mineur sont issus de la relation entre l’appelante et Qing Wang, soit une fille et un garçon, nés respectivement en 2009 et en 2013 au Canada.

(Décision, aux paragraphes 7 à 9)

[3]  Devant la Section d’appel de l’immigration, la demanderesse n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’exclusion, mais elle a demandé à la Section d’appel de l’immigration d’exercer sa compétence en équité pour lever cette mesure. Le commissaire de la Section d’appel de l’immigration qui a été saisi de l’appel de la demanderesse a rejeté sa demande après avoir conclu qu’elle avait fait une fausse déclaration [traduction] « flagrante et d’une gravité extrême » (décision, au paragraphe 60). Par conséquent, la Section d’appel de l’immigration a conclu que :

[traduction]

Dans le présent dossier, la fausse déclaration délibérée de l’appelante est grave et les remords exprimés sont pour le moins douteux, deux raisons qui freinent considérablement ma propension à exercer mon pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

[Non souligné dans l’original]

(Décision, au paragraphe 62)

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable parce que, pendant tout le processus, le commissaire a accordé une importance démesurée au mariage de convenance de la demanderesse et a occulté les éléments de preuve accompagnant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[5]  Dans celle-ci, la demanderesse met en relief le fait qu’elle a retiré la demande de résidence permanente liée à son mariage de convenance et que c’est après qu’elle a obtenu ce statut (décision, au paragraphe 17). Le commissaire n’a pas retenu l’argument de la demanderesse selon lequel le retrait de la demande atténuait passablement la gravité de sa fausse déclaration (décision, au paragraphe 37). Cette opinion découle en grande partie d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse.

[6]  Cette conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse s’est imposée notamment par suite des divergences entre les comptes rendus donnés par la demanderesse et M. Dupuis des événements survenus après leur mariage. Le commissaire a comparé les déclarations que lui a faites la demanderesse lors des audiences qu’il a instruites le 16 février et le 15 mai 2017 à celles que M. Dupuis a faites à l’ASFC lors de l’interrogatoire du 17 juillet 2007 dont fait état un rapport écrit. Les conclusions du commissaire sont les suivantes : [traduction] « L’appelante ne m’apparaît pas crédible. Selon la prépondérance des probabilités, j’accorde plus de crédibilité au témoignage de M. Dupuis. Je conclus que [la demanderesse] n’est pas crédible et qu’elle donne une version mensongère des faits pour faire pencher la balance en sa faveur dans le cadre de son appel » (décision, aux paragraphes 28 et 29).

[7]  À mon avis, le commissaire a tiré des conclusions sur la crédibilité sans tenir compte de son obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse. De toute évidence, il n’existait aucun moyen pour elle, ni pour le commissaire d’ailleurs, de vérifier l’exactitude et la fiabilité des déclarations de M. Dupuis au cours de l’interrogatoire. Je conclus qu’en suivant une démarche inappropriée, le commissaire a commis une erreur susceptible de révision.

[8]  Le commissaire a transposé des conclusions défavorables à la demanderesse à l’analyse de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sans la moindre hésitation et sans se soucier que c’était particulièrement injuste pour la demanderesse. La décision Dowers c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 593 (aux paragraphes 2 à 6), nous enseigne qu’il faut dissocier les préoccupations concernant le passé de celles concernant l’avenir :

Dans une situation comme celle de la demanderesse, c’est-à-dire lorsqu’une personne vient au Canada et reste au pays sans être conforme aux lois en matière d’immigration, mais qui, néanmoins, réussit à être un membre positif, productif et utile de la société, le décideur doit examiner attentivement cet élément. L’article 25 devient inutile si cette personne est condamnée facilement en fonction de son historique en matière d’immigration. L’historique d’une personne doit être vu comme un fait à considérer, mais à l’intérieur d’une exploration holistique et empathique de la totalité de la preuve, afin de découvrir s’il existe des raisons valables permettant d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Le processus d’interrogatoire préalable demande une attention complète :

La compassion passe par l’empathie. Pour être empathique, le décideur doit se mettre dans la peau du demandeur d’asile et se poser la question suivante : comment me sentirais-je si j’étais à sa place? Le décideur doit formuler sa réponse en écoutant son cœur aussi bien que son esprit analytique (Tigist Damte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1212, au paragraphe 34).

[Non souligné dans l’original]

[9]  Comme il a déjà été dit, la demanderesse vit en union de fait et elle a deux enfants nés au Canada. Elle a reconnu ses torts, et elle nous demande maintenant de faire preuve de compassion en décidant de son sort et de celui des membres de sa famille, qui sont complètement innocents.

[10]   La demanderesse a commis une erreur, mais il nous est demandé de ne pas les sanctionner, elle et sa famille, sans avoir pesé mûrement les conséquences. Force m’est de constater que le processus décisionnel du commissaire ne remplit pas du tout cette attente. Dans son analyse de la preuve, le commissaire indique clairement que l’opinion défavorable établie au sujet de la conduite de la demanderesse aurait une incidence sur l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire. Non seulement le commissaire choisit une approche critique, mais il est clair dès l’introduction de son évaluation qu’il fera peu de cas des conséquences sur la vie des personnes touchées :

[traduction]

La famille de l’appelante sera affectée. La gravité des conséquences sera déterminée par ce qu’elle et son conjoint de fait décideront de faire quand [elle sera] renvoyée du Canada. Il lui faudra prendre une décision concernant sa famille.

Les relations entre conjoints et les liens avec les enfants sont importants. Je suis conscient que la réunification des familles au Canada compte parmi les objectifs de la LIRP. Le rejet de cet appel pourrait entraîner la séparation des membres de la famille de la demanderesse. Qui plus est, son renvoi du Canada risque de plonger son conjoint de fait et ses enfants dans une situation financière précaire. Cependant, la famille possède des biens dont elle peut disposer à sa guise pour remplir ses obligations financières au Canada si le conjoint de fait et les enfants de l’appelante ne vont pas vivre en Chine. À mon avis, l’incidence sur la famille ne l’emporte pas sur les facteurs atténuants de cet appel.

[Non souligné dans l’original]

(Décision, aux paragraphes 47 et 48)

[11]  Le dernier commentaire de cette citation dénote une étroitesse d’esprit certaine. Il ne fait aucun doute que le commissaire a scellé le sort de la demanderesse et de sa famille sans la moindre compassion. Pour ce motif, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR annule la décision visée par le présent contrôle et renvoie l’affaire à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2706-17

 

INTITULÉ :

NUO YU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour la demanderesse

Suzanne M. Bruce

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEE & COMPANY

Services d’assistance judiciaire, d’avocats et de litiges en matière d’immigration

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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