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Date : 20171221


Dossier : IMM-2510-17

Référence : 2017 CF 1186

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ZUOWEN GAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Lin Gan et son épouse, Mme Xiaowen Chen, se considèrent comme les parents de fait de Zuowen Gan (Zuowen ou la demanderesse). Bien qu’ils aient tenté de l’adopter légalement en Chine, ils n’ont pas été en mesure de le faire en raison du fait que M. Gan est citoyen canadien, même s’ils résidaient en Chine. Les parents de Mme Chen l’ont donc plutôt adoptée et M. et Mme Gan ont ensuite obtenu des documents de naissance falsifiés.

[2]  Au nom de la demanderesse, M. Gan a présenté une demande, entre autres, de permis de séjour temporaire au titre du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La demande a été rejetée pour des motifs comprenant un manque de crédibilité. La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision et le défendeur a accepté de rouvrir la demande de permis de séjour temporaire.

[3]  Dans une décision datée du 29 mai 2017, le premier secrétaire (Immigration) a rejeté la deuxième demande de permis de séjour temporaire, encore pour des raisons liées à un manque de crédibilité. La demanderesse demande maintenant à notre Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision datée du 29 mai 2017 qui, selon elle, est déraisonnable et a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

[4]  Je rejette la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[5]  En 2008, M. Gan et Mme Chen souhaitaient adopter une petite fille à Foshan, au Guangdong. Même s’ils résidaient en Chine, ils n’étaient pas en mesure de le faire légalement à ce moment-là parce que M. Gan n’est pas un citoyen chinois et est un citoyen canadien naturalisé. Les parents de Mme Chen, sachant que M. Gan et Mme Chen élèveraient le bébé en tant que parents de fait, ont plutôt procédé à l’adoption et le nom du bébé a été changé pour Zuowen Gan.

[6]  Selon M. Gan et Mme Chen, les autorités civiles chinoises étaient au courant de la situation et de [traduction] l’« entente » d’adoption. À l’appui de cette observation, Mme Liuhua Tang (la directrice de l’Institut de la protection de l’enfance de Nanhai de 2003 à 2013) a produit une déclaration solennelle indiquant qu’elle comprenait la situation. De plus, M. Gan a fourni une déclaration solennelle selon laquelle, le 25 mai 2009, le ministère de la Santé de la République populaire de Chine a donné aux parents de fait un nouveau certificat de naissance pour Zuowen. Ce nouveau certificat de naissance falsifié indiquait que M. Gan et Mme Chen étaient les parents biologiques de Zuowen. Le certificat de naissance indiquait également une nouvelle date de naissance, ainsi qu’un nouveau lieu de naissance de Zuowen.

[7]  En 2014, la famille a décidé de retourner au Canada. M. Gan fut le premier à quitter la Chine et est arrivé au Canada le 30 octobre 2014. Pendant qu’il était au Canada, il a reçu un diagnostic de lymphome à cellules du manteau avancé, étendu et incurable (stade IV). À la date du présent contrôle judiciaire, il avait été établi qu’il avait une espérance de vie de moins de 22 mois.

[8]  M. Gan a présenté une demande de citoyenneté canadienne au nom de Zuowen. Il affirme qu’à la date à laquelle il a présenté la demande, il ne savait pas qu’il fallait qu’elle soit sa fille biologique ou adoptée. Il a été informé de cette exigence en avril 2015 lorsqu’on lui a demandé de produire un échantillon d’ADN comme preuve de citoyenneté de Zuowen.

[9]  Mme Chen a ensuite présenté une demande de visa de séjour temporaire au nom de Zuowen. Cette demande a été rejetée le 27 mai 2015 parce qu’elle n’avait pas divulgué tous les renseignements sur l’adoption de Zuowen. M. Gan a présenté une deuxième demande de visa de séjour temporaire au nom de Zuowen et, cette fois-ci, il a divulgué tous les faits pertinents. Il a également présenté une demande de permis de séjour temporaire dans l’éventualité où le visa de résidence temporaire serait de nouveau refusé. Ces deux demandes ont été rejetées. La deuxième demande de visa de résident temporaire a été rejetée le 3 mai 2016 et la demande de permis de séjour temporaire a été rejetée le 23 mai 2016.

[10]  Lorsque la demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision relative au refus de permis de séjour temporaire du 23 mai 2016, sur consentement, la demande de permis de résidence temporaire a été renvoyée pour nouvel examen. Le 15 mars 2017, la demanderesse a présenté d’autres éléments de preuve dans le cadre de cette deuxième demande de permis de séjour temporaire, notamment un rapport psychologique, un historique des événements, une explication du faux certificat de naissance et d’autres renseignements sur l’adoption de Zuowen.

[11]  Dans une décision datée du 29 mai 2017, le premier secrétaire a rejeté la demande de permis de séjour temporaire de la demanderesse en raison d’un manque de crédibilité. Les motifs de refus comprenaient des déclarations frauduleuses antérieures, une violation antérieure des lois internationales, chinoises et canadiennes et la conviction que la demanderesse ne quitterait probablement pas le Canada à l’expiration de son permis en raison de ses liens au Canada et de son intention déclarée de se réinstaller au Canada. Il s’agit de la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

  1. Le premier secrétaire a-t-il manqué à son obligation d’équité :

  2. La décision était-elle déraisonnable en raison d’une évaluation inadéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant?

    1. lorsqu’il a omis de donner à la demanderesse l’occasion de répondre à ses préoccupations en matière de crédibilité?
    2. lorsqu’il s’est fondé sur des connaissances extrinsèques?

IV.  Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Résident temporaire

Temporary resident

22 (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b), n’est pas interdit de territoire et ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1).

22 (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b), is not inadmissible and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1).

Double intention

Dual intent

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

Permis de séjour temporaire

Temporary resident permit

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

Droit du résident temporaire

Right of temporary residents

29 (1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

29 (1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.

Obligation du résident temporaire

Obligation — temporary resident

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

b) ses enfants à charge;

(b) a dependent child of the sponsor;

c) ses parents;

(c) the sponsor’s mother or father;

d) les parents de l’un ou l’autre de ses parents;

(d) the mother or father of the sponsor’s mother or father;

V.  Norme de contrôle

[12]  La norme de la décision correcte s’applique aux questions relatives à l’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]). Puisque la décision de délivrer un permis de séjour temporaire est hautement discrétionnaire, le contenu de l’obligation d’équité se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 621, au paragraphe 24).

[13]  Les décisions concernant des demandes de permis de séjour temporaire sont examinées selon la norme de la décision raisonnable (Vaguedano Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 18; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 784, au paragraphe 9 [Ali]).

VI.  Analyse

A.  Le premier secrétaire a-t-il manqué à son obligation d’équité lorsqu’il a omis de donner à la demanderesse l’occasion de répondre à ses préoccupations en matière de crédibilité?

[14]  La demanderesse soutient que l’obligation d’équité établie par la jurisprudence exige la tenue d’une entrevue lorsque la crédibilité d’un demandeur est remise en question. La demanderesse soutient que sa crédibilité était en cause puisque la question fait l’objet de discussion tout au long de la décision et des notes du premier secrétaire. Par exemple, les notes indiquent explicitement [traduction] « les préoccupations ayant trait à la crédibilité sont trop nombreuses et trop sérieuses et je ne suis donc pas convaincu que des conditions imposées seraient respectées ». Par ailleurs, le premier secrétaire ne croyait pas les énoncés des déclarations solennelles. Par conséquent, la demanderesse soutient que, comme l’enseigne la jurisprudence, une entrevue était requise.

[15]  Les étrangers qui sont interdits de territoire ou qui ne répondent pas aux exigences de la LIPR peuvent présenter une demande de permis de séjour temporaire. Un permis de séjour temporaire est délivré en application de l’article 24 de la LIPR et uniquement dans des cas exceptionnels. Dans l’affaire Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, au paragraphe 22 [Farhat], le juge Shore a expliqué qu’un permis de séjour temporaire a pour objet de « permet[tre] aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada ». Par conséquent, la décision de délivrer un permis de séjour temporaire est hautement discrétionnaire.

[16]  La demanderesse a invoqué la décision César Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880 [César] pour soutenir que l’obligation d’équité procédurale exige une entrevue dans le cadre de sa demande de permis de séjour temporaire.

[17]  La décision César illustre qu’il n’existe aucune obligation de donner aux demandeurs une entrevue ou un « résultat intermédiaire » dans toutes les circonstances. Comme le juge Bédard l’a expliqué au paragraphe 62 :

J’estime que la jurisprudence développée en matière de visa, qui reconnaît clairement que le fardeau appartient au demandeur de soumettre des éléments de preuve suffisants au soutien de sa demande, est transposable en matière de PST. Cette jurisprudence a établi qu’il n’appartient pas à l’agent d’informer le demandeur de l’insuffisance de sa preuve ou de lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations qui découlent d’une demande qui manque de clarté, qui est incomplète où dont les éléments de preuve sont insuffisants. L’obligation d’équité peut, par ailleurs, exiger que l’agent communique ses préoccupations au demandeur et lui donne une occasion d’y répondre lorsqu’elles découlent de la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des éléments de preuve soumis par le demandeur ou lorsqu’elles découlent de renseignements dont le demandeur n’a pas pu avoir connaissance. L’obligation d’équité ne s’étend toutefois pas un devoir de fournir au demandeur un résultat intermédiaire ou une occasion de bonifier une demande qui est incomplète ou qui n’est pas suffisamment étayée.

[Non souligné dans l’original].

[18]  Il n’existe pas non plus une obligation de donner une entrevue pour une preuve insuffisante. En l’espèce, la demanderesse savait qu’il existait des préoccupations quant à la crédibilité puisque la crédibilité constituait la raison du rejet de la demande de permis de séjour temporaire antérieur. La décision précédente contenait également des notes sur le fait que l’adoption n’était pas conforme à la Convention de La Haye et des notes sur le fait qu’ils avaient contourné les lois en matière d’adoption en Chine. Par ailleurs, la décision indique :

[traduction] Il semble ressortir clairement des observations que l’intention est que la demandeure (demandeure principale ou DP) demeure au Canada de manière permanente (en dépit de l’affirmation selon laquelle elle [traduction] « ferait des aller-retour ») […] Toutefois, étant donné l’âge de l’enfant, les liens familiaux au Canada et en Chine, ainsi que toutes les autres circonstances (y compris les faits que les parents ont demandé d’obtenir la citoyenneté canadienne pour elle en guise d’effort visant à la réinstaller au Canada et le fait qu’ils ont, à maintes reprises, fait une présentation erronée de faits importants dans une demande antérieure).

[19]  Une entrevue ne permettrait pas de mieux comprendre les éléments de preuve. Il n’existait pas une preuve crédible suffisante et l’obligation d’équité n’exigeait pas une entrevue. Il incombe à la demanderesse, si elle est interdite de territoire ou ne s’est pas conformée à la LIPR, de fournir des raisons convaincantes d’être autorisée à entrer au Canada en application du paragraphe 24(1), et la demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[20]  Une entrevue n’apporterait rien puisque la demanderesse ne peut que présenter de nouveau des renseignements dont nous sommes déjà au courant; ils ont contourné les lois internationales, chinoises et canadiennes et ils ont présenté des documents frauduleux. Le juge Roy a discuté de l’obligation d’un demandeur de prouver qu’il retournera après l’expiration de son permis ou de son visa dans l’affaire De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784, au paragraphe 9 : « il n’existe aucune obligation d’entretenir un dialogue pour suggérer des éléments supplémentaires ». Le décideur n’est pas tenu non plus de donner un résultat intermédiaire lorsque des questions surviennent. On n’a pas porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux questions concernant la crédibilité. Elle était au courant du fait que la crédibilité représentait une préoccupation puisque, dans sa demande précédente, le décideur ne croyait pas que la demanderesse quitterait le Canada à l’expiration de son visa. Il lui incombait de présenter sa meilleure preuve et d’établir qu’elle retournera dans son pays à la fin de son séjour autorisé.

B.  Le premier secrétaire a-t-il manqué à une obligation d’équité en invoquant une preuve extrinsèque?

[21]  La demanderesse soutient que, si un décideur invoque une preuve extrinsèque, l’obligation d’équité exige la divulgation de cette preuve afin que le demandeur puisse y répondre. À l’appui de cette proposition, la demanderesse invoque les décisions Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720 (CF) et Level c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 227, au paragraphe 19.

[22]  En l’espèce, la demanderesse fait valoir que les propres connaissances du premier secrétaire au sujet du processus d’adoption disponible en Chine constituent une preuve extrinsèque. Selon ce que la demanderesse comprend, les motifs semblent indiquer que la famille pouvait légalement adopter un enfant dans le cadre de ce nouveau processus et un permis de séjour temporaire n’est donc pas nécessaire. Elle soutient également que l’obligation d’équité exige la possibilité de faire une recherche quant à l’exactitude de cet énoncé et de donner une réponse, surtout puisqu’aucune source n’a été citée. La demanderesse soutient que cela a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

[23]  La demanderesse a convenu que le premier secrétaire peut utiliser [traduction] « son expertise et ses connaissances générales » pour rendre une décision, mais elle a distingué sa situation de la jurisprudence invoquée par le défendeur. La demanderesse soutient que ces affaires diffèrent parce que les renseignements sur les nouvelles lois en matière d’adoption n’étaient pas disponibles au public et elle ne pouvait pas en être au courant.

[24]  Puisqu’un permis de séjour temporaire se situe à l’extrémité inférieure du spectre de l’équité, les décideurs peuvent utiliser leurs propres expériences et expertises pour formuler une conclusion. En l’espèce, l’expertise du premier secrétaire est fondée sur l’obligation que la loi lui impose en application de l’article 117 de la LIPR, soit de connaître les lois en matière d’adoption. Par exemple, selon le paragraphe 117(3), le premier secrétaire doit tenir compte de critères particuliers, comme la question de savoir si l’adoption était légale et si elle était conforme à la Convention de La Haye. L’obligation du premier secrétaire est de connaître les lois locales en matière d’adoption et cela n’a pas porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale puisqu’il ne s’agit pas d’une preuve extrinsèque comme l’affirme la demanderesse. Au contraire, elle fait partie de l’expertise du premier secrétaire.

[25]  En outre, les motifs du premier secrétaire indiquent que c’est la China Center for Children’s Welfare and Adoption Act (CCCWA) qui évolue afin de modifier le processus d’adoption. Les motifs énoncent également : [traduction] « Après avoir été informés de l’irrecevabilité de la preuve, les parents de fait de la demanderesse ne semblent pas avoir communiqué avec le [CCCWA] pour obtenir des conseils ». Mme Chen et Zuowen résident en Chine et la réunification de la famille constitue l’objectif de la famille. Ce n’est pas déraisonnable de présumer que la famille, qui affirme que le gouvernement chinois les a aidés au cours de l’adoption fictive, chercherait et serait au courant de toutes les façons d’adopter l’enfant, y compris la communication avec le CCCWA. Les notes mentionnent qu’un médecin a indiqué qu’il se peut que les parents de fait n’aient eu aucune discussion avec le Ministry of Children and Family Development ou avec les autorités chinoises ou canadiennes en raison d’un trouble cognitif. Le premier secrétaire a indiqué que le médecin n’avait pas examiné les parents pendant cette période et n’a pas jugé que ce fait constituait un facteur déterminant ou utile de quelque façon. La preuve indique que le premier secrétaire a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[26]  Je ne suis pas d’avis que, en l’espèce, la capacité de la demanderesse de participer réellement a été atteinte par les connaissances du premier secrétaire au sujet du processus d’adoption du CCCWA. Le premier secrétaire a dit que [traduction] « vu les préoccupations énoncées ci-dessus, la présente demande est refusée » (Non souligné dans l’original). La décision, dans son ensemble, démontre que les renseignements sur les lois en matière d’adoption constituaient un énoncé et non une préoccupation. Puisqu’il ne s’agissait pas d’une préoccupation, cela n’a pas été inclus dans le processus de pondération. Puisque la loi en matière d’adoption ne faisait pas partie du processus décisionnel et ne constituait pas une preuve extrinsèque, il n’y a eu aucun manquement au droit de la demanderesse à l’équité procédurale.

[27]  Même si j’ai tort, la demanderesse, dans la présente situation, vit en Chine et est tenue de connaître les lois chinoises en matière d’adoption et les modifications apportées à celles-ci et ne peut pas invoquer l’ignorance en tant qu’excuse pour ne pas avoir régularisé l’adoption fictive dès qu’elle était en mesure de le faire légalement.

C.  Intérêt supérieur de l’enfant

[28]  La demanderesse soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue une question primordiale, conformément à ce que la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CSC 61, aux paragraphes 36, 37 et 41. La demanderesse soutient également que, pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme un facteur important, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75.

[29]  Selon la demanderesse, le premier secrétaire a évalué de manière inadéquate les facteurs liés à son intérêt supérieur. La demanderesse soutient qu’une analyse appropriée de l’intérêt supérieur de l’enfant exige que le décideur détermine et définisse l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il évalue la façon dont l’enfant sera touché. La demanderesse affirme que la jurisprudence enseigne que cela comprend habituellement : 1) l’âge de l’enfant; 2) son niveau de dépendance; 3) ses besoins médicaux ou spéciaux.

[30]  Elle fait valoir que le premier secrétaire a uniquement énuméré les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant et soutient qu’une liste ne constitue pas un substitut suffisant à l’exigence établie par la Cour suprême du Canada d’une analyse bien déterminée et définie de l’intérêt supérieur de l’enfant. De plus, la demanderesse soutient qu’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait au moins évaluer la relation, son âge, son niveau de dépendance et son avenir en Chine.

[31]  Le paragraphe 24(1) de la LIPR, contrairement au paragraphe 25(1), ne contient aucune exigence expressément prévue par la loi d’inclure des facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant. Au contraire, une demande de permis de séjour temporaire en application du paragraphe 24(1) exige que la situation d’un demandeur justifie la délivrance d’un permis de séjour temporaire. Ces situations peuvent inclure des facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant s’ils sont pertinents (Ali). En l’espèce, la demanderesse est une enfant de neuf ans et le premier secrétaire a tenu compte à bon droit des facteurs convaincants liés à l’intérêt supérieur de l’enfant présentés par la demanderesse.

[32]  Il incombe à la demanderesse d’établir sa demande et les motifs d’ordre humanitaire, y compris les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant, au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5; Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133, au paragraphe 62). En ce qui concerne les demandes de permis de séjour temporaire, dans l’affaire Farhat, le juge Shore a expliqué qu’il incombe aux demandeurs de démontrer l’existence de motifs impérieux (au paragraphe 32). Lorsque les motifs impérieux comprennent des facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est le demandeur qui est le mieux placé pour connaître ces facteurs. Comme l’a conclu le juge Shore, je conclus qu’il incombe à la demanderesse d’établir les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant en application du paragraphe 24(1) de la LIPR.

[33]  En l’espèce, les motifs du premier secrétaire ont cerné et analysé tous les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant présentés par la demanderesse, comme l’âge de la demanderesse et l’importance de la réunification de la famille, le fait que la demanderesse réside avec ses grands‑parents et sa mère à la même adresse et que son père a été en mesure de rester en Chine à long terme, malgré le fait qu’il n’est pas un citoyen chinois. De plus, même si les motifs n’indiquent pas explicitement que la demanderesse a neuf ans, le premier secrétaire a reconnu sa jeunesse et l’a décrite comme une [traduction] « enfant mineure ». Son âge est par ailleurs indiqué dans les notes détaillées numérisées portant sur cette situation. Les motifs décrivent en détail les facteurs favorables, y compris l’état de santé de M. Gan, son emploi, son état mental, ses déplacements antérieurs en Chine et à Seattle, les rapports médicaux déposés et la relation de la demanderesse avec ses parents de fait. Toutefois, les motifs décrivent également les facteurs défavorables, y compris les actions frauduleuses, les tentatives de violer les lois internationales et canadiennes en matière d’immigration et la nécessité de préserver l’intégrité du programme d’immigration canadien.

[34]  Selon les renseignements fournis au premier secrétaire, son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est raisonnable. Les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant sont impérieux, mais le premier secrétaire a exercé un pouvoir discrétionnaire considérable et a raisonnablement conclu que les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables.

[35]  La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau et notre Cour ne peut pas maintenant soupeser de nouveau la décision du premier secrétaire en se fondant sur les éléments de preuve figurant au dossier certifié du tribunal. Le fait que la demanderesse ne souscrit pas à la décision et à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du premier secrétaire ne constitue pas un fondement justifiant une intervention de notre Cour en l’espèce.

[36]  Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Khosa. La décision du premier secrétaire cadre avec le spectre du caractère raisonnable et, par conséquent, je rejetterai la présente demande.

[37]  Aucune question n’a été présentée aux fins de certification et aucune n’a été soulevée à l’audience. Je ne certifierai aucune question.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2510-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2510-17

 

INTITULÉ :

ZUOWEN GAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Laura Best

Pour la demanderesse

 

Brett J. Nash

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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