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Date : 20171122


Dossier : IMM-1043-17

Référence : 2017 CF 1060

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

LUCRECIA GARCIA BALAREZO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Lucrecia Garcia Balarezo, est une citoyenne du Pérou de 60 ans qui est arrivée au Canada en 2009 en tant qu’étudiante internationale afin de suivre des cours d’anglais pour pouvoir acquérir le niveau de langue requis pour demander un permis de travail dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR). Depuis son arrivée, une série de permis de travail et d’études lui ont été délivrés, le dernier lui ayant permis de travailler comme aide familiale jusqu’au 5 mai 2016. La première demande de visa de résidente permanente de la demanderesse en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants a été rejetée dans une lettre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) datée du 7 juillet 2016. Après ce refus, la demanderesse a de nouveau demandé un visa de résident permanent de la même catégorie, mais un agent d’immigration a refusé cette deuxième demande dans une lettre datée du 21 février 2017, pour le motif que, contrairement à l’alinéa 112b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, en sa version modifiée (RIPR), elle n’avait pas demandé un permis de travail à titre d’aide familiale résidante avant d’entrer au Canada et ne faisait pas partie de la catégorie des aides familiaux résidants selon l’alinéa 113(1)d) du RIPR, puisqu’elle n’était pas entrée au Canada à titre d’aide familiale résidante. La demanderesse présente maintenant une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) visant le rejet de sa demande de résidence permanente par l’agent.

I.  Résumé des faits

[2]  Pendant que la demanderesse étudiait, Jose Alberto Castillo Balarezo et Rita Roxana Villanueva Meza, un couple marié avec deux jeunes enfants, ont pris en charge ses dépenses personnelles et scolaires ainsi que son hébergement et ses repas. À la fin des études de la demanderesse, M. Castillo a obtenu un avis favorable relatif au marché du travail (AMT) en date du 26 mars 2012 pour embaucher la demanderesse à titre d’aide familiale résidante sous le code et le titre de la Classification nationale des professions (CNP) « 6474 – aide à la famille en résidence familiale ». Par conséquent, la demanderesse a présenté une demande de permis de travail en ligne à partir du Canada le 22 avril 2012, en indiquant dans sa demande qu’elle avait l’intention de travailler comme aide familiale résidante. Le premier permis de travail a été délivré le 4 mai 2012 et a été prolongé pour une période de trois ans jusqu’au 4 mai 2015, par la délivrance d’un autre permis de travail le 22 octobre 2012. Ces permis ont été délivrés pour le code de la CNP 6474-000, soit des postes de Gardiens/gardiennes d’enfants, gouvernants/gouvernantes et aides aux parents, même si ce code n’était pas indiqué sur les permis de travail. Chacun des permis renvoyait à l’AMT par son numéro.

[3]  Le premier permis de travail de la demanderesse lui a été envoyé par la poste à son adresse à Toronto, malgré le fait qu’elle s’attendait à devoir quitter le Canada pour que son admissibilité dans le cadre du PAFR soit examinée. Le premier permis de travail délivré le 4 mai 2012 indiquait que la demanderesse devait subir un examen médical aux fins d’immigration dans les 90 jours et que les formulaires médicaux avaient été envoyés séparément. La demanderesse a par la suite reçu des instructions d’IRCC pour qu’elle se présente au cabinet d’un médecin autorisé à Toronto pour un examen médical et elle a respecté ces instructions. Selon la demanderesse, elle s’est renseignée précisément sur la possibilité de quitter le Canada pour subir un examen à titre d’aide familiale résidante et elle avait obtenu un visa américain à cette fin.

[4]  En avril 2015, la demanderesse a présenté une autre demande en ligne pour un permis de travail. Un troisième permis de travail a été délivré le 22 juin 2015. Le troisième permis de travail était valide jusqu’au 5 mai 2016 et il précisait que l’emploi de la demanderesse était celui [traduction] d’« aide familiale » sous le type de cas 57. La section des remarques du permis précisait ceci : [traduction] « PAFR, même employeur » et [traduction] « AMT # 7870215 » [traduction] « admissible pour une demande de résidence permanente après avoir satisfait aux exigences liées à l’emploi ».

[5]  Le défendeur a déposé un affidavit de l’agente d’immigration, Wendy Cannan, qui a refusé la première demande de la demanderesse pour un visa de résident permanent. Selon Mme Cannan, l’agent qui a délivré le troisième permis de travail le 22 juin 2015 n’aurait pas dû le délivrer. Mme Cannan indique dans son affidavit que la demanderesse [traduction] « n’était pas admissible pour un permis de travail dans le cadre du PAFR, puisqu’elle n’a pas présenté de demande de permis de travail dans le cadre du PAFR avant d’entrer au Canada, conformément à l’alinéa 112a) du RIPR ». Mme Cannan précise également que le PAFR a pris fin en novembre 2014 et que la classe d’emploi d’aides familiaux résidants du CNP 6474-200 a été supprimée. Mme Cannan indique également que le type de cas 57 renvoie à un permis de travail délivré dans le cadre du PAFR.

[6]   La demanderesse a présenté sa première demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants en avril 2016. Cette demande a été rejetée en juillet 2016 au motif que le permis de travail initial de la demanderesse n’avait pas été délivré dans le cadre du PAFR et que la demanderesse n’avait jamais été évaluée selon les critères du PAFR. Bien que la demanderesse ait demandé le réexamen du refus de sa première demande de résidence permanente, un deuxième agent a maintenu le refus. Par conséquent, la demanderesse a présenté une deuxième demande de visa de résident permanent en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants. IRCC a reçu cette deuxième demande le 18 août 2016.

II.  Décision

[7]  Dans une lettre datée du 11 octobre 2016, IRCC a informé la demanderesse qu’il n’y avait aucune indication qu’elle avait été examinée avant son entrée au Canada pour le PAFR ou qu’elle était entrée au Canada en tant qu’aide familiale résidante. Cette lettre indiquait que, si la demanderesse souhaitait présenter des observations sur la question, elle avait 60 jours pour le faire. L’avocat de la demanderesse a présenté des observations dans une lettre datée du 7 décembre 2016. Ces observations résumaient la raison pour laquelle il était raisonnable pour la demanderesse de s’attendre à ce que, après avoir satisfait à son exigence d’emploi, elle puisse présenter une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du PAFR. Elles indiquaient également que le rejet de la demande irait à l’encontre de ses attentes légitimes et de l’équité procédurale. Voici un extrait des observations de l’avocat de la demanderesse.

[traduction]
[...] une décision définitive rejetant cette demande aura des répercussions radicales sur les attentes de Lucrecia et sur sa qualité de vie. Elle devrait immédiatement retourner au Pérou sans emploi et tenter de présenter une nouvelle demande de résidence permanente dans le cadre d’un nouveau programme dont les exigences diffèrent de celles du PAFR. Demander la résidence permanente dans le cadre du nouveau programme causera d’importantes difficultés à Lucrecia, compte tenu de son niveau d’anglais, de son âge et de son niveau d’éducation. [...]

De plus, Lucrecia fait partie intégrante de la famille de ses employeurs et en est un membre précieux, à laquelle elle est attachée comme à la sienne [...]

[8]  Les observations de la demanderesse comprenaient une lettre signée par M. Castillo et Mme Villanueva, dont en voici des extraits :

[traduction]
[...] nous a aidés à surveiller nos deux filles, Camila et Micaela, avec amour et gentillesse.

[...] elle prend soin de nos filles pendant que nous sommes au travail avec amour, gentillesse, patience et bonne éthique. Nous voyons que nos enfants sont heureux et qu’elles se sentent en sécurité quand elles passent du temps avec elle.

[...] nos filles voient Lucrecia comme un membre de notre famille nucléaire. Ne pas l’avoir avec nous aurait certainement un effet grave sur le bien-être émotionnel de nos filles. Lucrecia a une relation chaleureuse et très étroite avec nos enfants; la voir quitter leur environnement nucléaire serait une expérience extrêmement triste et stressante.

[9]  Les observations du 7 décembre 2016 citaient également plusieurs décisions de tribunaux, dont la décision de la Cour dans Jacob c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1382, 423 FTR 1 [Jacob], une décision dans laquelle le demandeur demandait une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de l’exigence selon laquelle il devait être entré au Canada en tant qu’aide familial résidant.

[10]  L’avocat de la demanderesse a fourni des observations supplémentaires dans une lettre datée du 25 janvier 2017, y compris des documents prouvant que la demanderesse avait subi des examens médicaux au Canada conformément aux instructions d’IRCC. Ces observations comprenaient une copie de la lettre de la demanderesse, présentée avec sa demande visant la prolongation de son permis de travail jusqu’à avril 2015, dans laquelle elle demandait qu’on lui confirme si elle était tenue de subir un nouvel examen médical afin de prolonger son permis de travail.

[11]  Dans une lettre datée du 8 février 2017, un agent d’immigration a refusé la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse à titre de membre de la catégorie des aides familiales résidants aux motifs qu’elle n’avait pas demandé de permis de travail en tant qu’aide familiale résidante avant son entrée au Canada et qu’elle n’était pas membre de la catégorie des aides familiales résidants puisqu’elle n’était pas entrée au Canada en tant qu’aide familiale résidante. Bien que ce refus ait été réexaminé par un autre agent à la suite de la réception par IRCC des observations présentées le 25 janvier par la demanderesse, le refus a été maintenu dans une autre lettre adressée à la demanderesse le 21 février 2017.

[12]  Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent qui a délivré la lettre du 8 février 2017 a noté que la demanderesse avait subi un examen médical et avait fourni un avis relatif au marché du travail. Cet agent a également indiqué dans les notes du SMGC une lettre de M. Castillo et de Mme Villanueva datée du 3 septembre 2009 que la demanderesse avait présentée lorsqu’elle est entrée au Canada pour la première fois avec son permis d’études. L’agent a indiqué que cette lettre mentionnait que [traduction] « le seul but du voyage de Lucrecia est d’étudier l’anglais à plein temps afin qu’elle puisse passer le test nécessaire pour postuler un emploi d’aide familiale chez nous à l’avenir » et qu’il [traduction] « comprend aussi qu’avant l’expiration de son visa d’études, Lucrecia doit quitter le Canada ».

[13]  L’agent qui a réexaminé le refus a indiqué, dans la lettre datée du 21 février 2017, que la demande de la demanderesse avait été [traduction] « examinée quant à son bien-fondé ». Dans les notes du SMGC, l’agent a noté l’observation de la demanderesse selon laquelle [traduction] : « Demander la résidence permanente dans le cadre du nouveau Programme des aides familiaux causera des difficultés importantes à Lucrecia compte tenu de son niveau d’anglais, de son âge et de son niveau d’études. » L’agent a ensuite ajouté dans les notes du SMGC [traduction] : « Les autres observations citent des décisions judiciaires portant sur des motifs d’ordre humanitaire, mais elles ne semblent pas porter sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Puisqu’aucun nouvel élément de preuve n’indiquait que la cliente avait été examinée dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants avant d’entrer au Canada, la décision de refus a été maintenue. »

III.  Questions en litige

[14]  Bien que les arguments de la demanderesse soulèvent plusieurs questions, la seule question qui est déterminante pour la demande de contrôle judiciaire est celle de savoir s’il était raisonnable que l’agent ne tienne pas compte des facteurs d’ordre humanitaire présentés dans la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants.

IV.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[15]  La décision de l’agent des visas d’accorder ou non la résidence permanente dans le cadre du PAFR est une question de fait et de droit qui est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Jacob, au paragraphe 30, voir aussi Palogan c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 889, au paragraphe 9, 232 ACWS (3d) 1057).

[16]  Conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Toutefois, la Cour doit aussi se demander si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

B.  Était-il raisonnable que l’agent ne tienne pas compte des facteurs d’ordre humanitaire soulevés par la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants?

[17]  La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire en raison des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui lui seraient causées si elle était forcée de retourner au Pérou pour présenter une nouvelle demande de résidence permanente dans le cadre du nouveau programme d’aides familiaux. Selon la demanderesse, un retour au Pérou à l’âge de 60 ans après avoir quitté le pays depuis 2009 et sans perspective de travail aurait des répercussions considérables sur sa qualité de vie. De plus, la demanderesse affirme que son renvoi du Canada aurait des répercussions importantes sur la famille Castillo-Villanueva parce que la famille en est venue à compter sur elle pour s’occuper des enfants. La demanderesse précise que M. Castillo, Mme Villanueva et leurs deux filles la considèrent comme faisant partie de la famille et comme une « tante » pour les enfants, et qu’elle a également participé à des activités de bénévolat par l’entremise de son église et a contribué à l’économie canadienne grâce aux retenues du Régime de pensions du Canada sur son salaire. Selon la demanderesse, elle ne serait vraisemblablement pas admissible dans le cadre du nouveau programme des aides familiales ou du programme Entrée expresse en tant que travailleuse qualifiée compte tenu de son âge, de ses compétences linguistiques et de ses antécédents scolaires.

[18]  La demanderesse mentionne le paragraphe 5.27 du Guide sur le traitement des demandes au Canada IP 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, qui prévoit qu’un agent « peut […] de sa propre initiative, décider s’il convient d’accorder une dispense pour motif d’ordre humanitaire ». Selon la demanderesse, dans les décisions comme Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 691, au paragraphe 58, 391 FTR 192; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mora, 2013 CF 332, aux paragraphes 36 et 37, 430 FTR 90 [Mora]; Nascimento et al. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1424, aux paragraphes 17 à 20, 422 FTR 147, la Cour a interprété le paragraphe 5.27 comme exigeant l’obligation de tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire lorsque les faits ou les arguments impliquent une demande d’examen de ces facteurs.

[19]  Le défendeur affirme que la demanderesse a tort d’invoquer la décision Jacob. Même si le demandeur dans Jacob n’était pas admissible à la résidence permanente aux termes du PAFR puisqu’il n’était pas entré au Canada à titre d’aide familial résidant, M. Jacob, contrairement à la demanderesse en l’espèce, avait demandé explicitement une dispense des exigences légales pour des motifs d’ordre humanitaire. Selon le défendeur, en l’absence d’une demande expresse prévue par le paragraphe 25(1) de la LIPR pour une dispense des exigences légales pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent n’a aucune obligation d’examiner de tels motifs. De plus, le défendeur affirme que, à la lumière de la décision Kumari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 9, 127 ACWS (3d) 748, un agent n’est pas tenu d’examiner une demande implicite fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[20]  Il est vrai que la demanderesse n’a pas explicitement demandé que soient examinés des motifs d’ordre humanitaire dans sa demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Il est également vrai, comme l’a souligné le défendeur, que, en l’absence d’une demande expresse prévue par le paragraphe 25(1) de la LIPR pour une dispense des exigences légales pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent n’a aucune obligation d’examiner de tels motifs. Il y a cependant une exception à cet égard. La Cour s’est prononcée en ces termes dans Mora :

[36]  Dans Kumari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 9, le juge O’Reilly a expliqué la situation en ces termes :

9  Enfin, les demanderesses soutiennent que l’agent aurait dû tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire qui jouaient en leur faveur. Cependant, en l’absence d’une demande explicite en ce sens, l’agent n’était aucunement tenu d’examiner le dossier des demanderesses en se fondant sur des raisons d’ordre humanitaire : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 871 (QL) (1re inst.); Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 275 (QL) (1re inst.). Dans son entrevue avec l’agent des visas, M. Chand a décrit les circonstances qui auraient pu constituer le fondement d’un examen pour des raisons d’ordre humanitaire. Les demanderesses soutiennent que cela équivalait à une demande implicite à laquelle devait répondre l’agent. À mon avis, l’agent n’était pas tenu de répondre à une demande implicite.

[37]  Il y a cependant des exceptions à la règle. Le paragraphe 5.27 du Guide sur le traitement des demandes au Canada (IP 5) énonce qu’un agent :

[...] peut de sa propre initiative, décider s’il convient d’accorder une dispense pour motif d’ordre humanitaire.

Si l’étranger ne demande pas directement une dispense, mais que les faits dans la demande portent à croire qu’il demande la levée de l’interdiction de territoire, l’agent doit traiter la demande comme si une dispense avait été demandée. [Caractères gras dans l’original.]

[38]  Selon l’interprétation du paragraphe 5.27 donnée par le juge Russell au paragraphe 58 de Brar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 691, il faut tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire lorsque les faits ou les observations portent à croire que le demandeur demande qu’ils soient pris en considération.

[21]  En l’espèce, l’agent a indiqué dans les notes du SMGC, après avoir fait référence à l’observation de la demanderesse selon laquelle le fait de présenter une demande de résidence permanente dans le cadre du nouveau programme des aides familiaux lui causerait des difficultés importantes, que les [traduction] « autres observations citent des décisions judiciaires portant sur des motifs d’ordre humanitaire, mais elles ne semblent pas porter sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ». À mon avis, dans les circonstances de l’espèce, l’agent aurait dû tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire puisque les faits et les observations de la demanderesse en réponse à la lettre d’équité procédurale soulevaient de tels facteurs. Dans les observations de son avocat datées du 7 décembre 2016, la demanderesse a demandé à IRCC de tenir compte de ses [traduction] « circonstances particulières » et la lettre de M. Castillo et de Mme Villanueva a soulevé des préoccupations concernant le [traduction] « bien-être émotionnel » de leurs filles si la demanderesse devait être contrainte à quitter la famille. Les observations de la demanderesse étaient telles qu’elles ont incité l’agent à poser dans les notes du SMGC la question de savoir si la demanderesse demandait qu’on prenne en considération des motifs d’ordre humanitaire compte tenu de sa situation et, dans cet esprit, il n’était pas raisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire soulevés par la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse.

[22]  De plus, il semble que l’agent a mal compris ou n’a pas pleinement pris en compte les décisions judiciaires soumises par la demanderesse, notamment la décision rendue dans Jacob, une affaire dont les faits étaient semblables à la situation de la demanderesse. Bien que le demandeur dans Jacob ait explicitement demandé une dispense de l’exigence selon laquelle il devait entrer au Canada à titre d’aide familial résidant, l’agent dans cette affaire semble avoir négligé ou fait défaut de tenir compte des commentaires du juge Lemieux :

[33]  [...] Ce que le demandeur souhaitait, c’était d’être dispensé de la condition selon laquelle il devait être entré au Canada à titre d’aide familial. Il est entré au Canada légalement grâce à un visa d’étudiant, mais, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, l’institution d’enseignement qu’il fréquentait a fermé ses portes. Il a donc demandé l’autorisation de devenir aide familial et l’autorisation lui a été accordée. Il a rempli ses obligations suivant le RIPR, puis a été informé qu’il remplissait les conditions d’admissibilité au statut de résident permanent. En bref, l’agent a commis une erreur en traitant la demande de M. Jacob comme s’il s’agissait d’une simple demande de dispense de l’obligation de demander depuis l’étranger le statut de résident permanent au Canada. Le demandeur voulait obtenir depuis le Canada le statut de résident permanent parce que c’est ce à quoi il avait droit en tant qu’aide familial, mis à part qu’il était entré légalement au Canada, mais à titre d’étudiant. [Souligné dans l’original.]

[23]  En résumé, dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse ne demandait pas de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire et, par conséquent, de ne pas tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire soulevés par la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants. La deuxième demande de la demanderesse aurait dû être évaluée selon les facteurs d’ordre humanitaire présentés et non simplement [traduction« examinée quant à son bien-fondé ».

V.  Conclusion

[24]  La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc accueillie. Compte tenu de son caractère déraisonnable, la décision de l’agent est par conséquent annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux présents motifs du jugement. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1043-17

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; la décision de l’agent d’immigration, datée du 21 février 2017, est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1043-17

 

INTITULÉ :

LUCRECIA GARCIA BALAREZO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Alexander Munera

Susana Mijares Pena

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Munera Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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