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Date : 20171109


Dossier : T-83-17

Référence : 2017 CF 1023

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

GALDERMA CANADA INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un tribunal du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) a conclu qu’il avait compétence à l’égard du Differin, un médicament qui n’était plus protégé par l’objet de son propre brevet. Par conséquent, Galderma Canada Inc. (Galderma) a été enjointe à produire des renseignements sur les prix du Differin (également Differin à 0,1 % ou les brevets 0,1).

II.  Exposé des faits

A.  Contexte

[2]  Les parties conviennent en grande partie des faits exposés. Galderma, une société affiliée à une société pharmaceutique suisse, fabrique et commercialise des médicaments destinés principalement au traitement des affections dermatologiques.

[3]  Galderma était titulaire des brevets relatifs au Differin, un médicament antiacnéique composé d’adapalène à 0,1 %. Plus précisément, Galderma détenait les brevets canadiens nos 1 266 646 (brevet 646) et 1 312 075 (brevet 075). Ces brevets ont expiré en mars 2007 et en décembre 2009, respectivement.

[4]  À la demande du Conseil, Galderma a fourni des renseignements sur les ventes et les prix du Differin de janvier 1996 à décembre 2009 (la période de validité des brevets 0,1).

[5]  En mai 2009, Galderma a obtenu le brevet canadien no 2 478 237 (brevet 237 ou brevet 0,3), qui est venu à expiration le 14 mars 2016. Le brevet 237 visait le médicament Differin XP, composé de l’ingrédient actif adapalène à 0,3 % [Differin XP ou Differin à 0,3 %].

[6]  Les parties conviennent que le Differin à 0,1 % et le Differin à 0,3 % sont des médicaments distincts, dont les compositions et les utilisations sont différentes et distinctes.

[7]  Galderma a soumis au Conseil les renseignements requis à l’égard du Differin XP jusqu’à l’expiration de son brevet.

[8]  Sept ans après l’expiration des brevets 0,1, le personnel du Conseil a présenté une demande alléguant que Galderma avait omis de lui fournir des renseignements sur les médicaments Differin à 0,1 % et Differin XP (de même que sur d’autres médicaments n’ayant pas de rapport avec la présente affaire) puisque le brevet 237 était lié à ces médicaments. Le brevet 237 étant déjà inscrit auprès du Conseil à l’égard du Differin XP, il n’était pas contesté que Galderma devait fournir des renseignements concernant ce médicament.

[9]  Les parties ont convenu que le Conseil devait trancher la question essentielle du [traduction] « lien » entre l’invention revendiquée et décrite dans le brevet 237 et le Differin à 0,1 %, et que la question essentielle dans le présent contrôle judiciaire a trait au caractère raisonnable de la décision du Conseil.

[10]  Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets (LRC 1985 c P-4) pour ce qui concerne la compétence du Conseil sont les suivantes :

79 (2) Pour l’application du paragraphe (1) et des articles 80 à 101, une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins.

79 (2) For the purposes of subsection (1) and sections 80 to 101, an invention pertains to a medicine if the invention is intended or capable of being used for medicine or for the preparation or production of medicine.

[…]

80 (1) Le breveté est tenu de fournir au Conseil, conformément aux règlements, les renseignements et documents sur les points suivants :

80 (1) A patentee of an invention pertaining to a medicine shall, as required by and in accordance with the regulations, provide the Board with such information and documents as the regulations may specify respecting

a) l’identification du médicament en cause;

(a) the identity of the medicine;

b) le prix de vente — antérieur ou actuel — du médicament sur les marchés canadien et étranger;

(b) the price at which the medicine is being or has been sold in any market in Canada and elsewhere;

c) les coûts de réalisation et de mise en marché du médicament s’il dispose de ces derniers renseignements au Canada ou s’il en a connaissance ou le contrôle;

(c) the costs of making and marketing the medicine, where that information is available to the patentee in Canada or is within the knowledge or control of the patentee;

d) les facteurs énumérés à l’article 85;

(d) the factors referred to in section 85; and

e) tout autre point afférent précisé par règlement.

(e) any other related matters.

(La Cour souligne)

(Court’s underlining)

[11]  Il est bien établi que le critère applicable pour déterminer si un médicament vendu au Canada relève de la compétence du Conseil comporte trois volets.

  1. La partie est-elle le titulaire du brevet d’une invention?

  2. L’invention est-elle liée à un médicament?

  3. Le médicament est-il vendu au Canada?

Seul le deuxième volet du critère – le lien entre l’invention revendiquée et décrite dans le brevet 237 et le Differin à 0,1 % – était en litige relativement au brevet 237.

B.  Décision du Conseil

[12]  Un exposé détaillé du mandat et du rôle du Conseil, de même que de l’historique du contrôle des prix des médicaments brevetés est donné dans l’arrêt ICN Pharmaceuticals, Inc. c Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés) (1996), [1997] 1 CF 32, 138 DLR (4th) 71 (CAF) [ICN], et il n’est pas nécessaire de refaire l’exercice ici.

[13]  En résumé, le Conseil a été mis sur pied en 1987 pour protéger les Canadiens contre l’établissement de prix excessifs pour les médicaments brevetés. Le Conseil est régi par les articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets, ainsi que par le Règlement sur les médicaments brevetés (DORS/94-688). Le paragraphe 79(2) de la Loi sur les brevets établit la compétence du Conseil. Pour tout médicament relevant de la compétence du Conseil conformément à l’article 80 de la Loi sur les brevets, le breveté est tenu de lui fournir des renseignements sur le coût de réalisation et le prix de vente, notamment.

[14]  Les exigences du paragraphe 79(2) sont importantes puisque les médicaments ne relèvent pas tous de la compétence du Conseil. La jurisprudence a établi que, à titre d’office fédéral, le Conseil peut évincer la compétence provinciale en matière de propriété seulement pour les inventions brevetées liées à un médicament vendu au Canada.

[15]  Si les exigences relatives à la compétence sont remplies, le Conseil peut prendre les mesures qui s’imposent pour que les frais médicaux ne soient pas excessifs pour les Canadiens. Par exemple, le Conseil peut fixer un prix de vente maximal pour un médicament donné. Il peut aussi, s’il découvre qu’un médicament a été vendu à un prix excessif, ordonner le remboursement des recettes excédentaires au Canada. L’objectif de protection des consommateurs commande la déférence à l’égard des décisions du Conseil. Le lien « le plus ténu » peut suffire pour établir que les exigences du paragraphe 79(2) sont remplies (ICN, au paragraphe 46), même si la portée de ces mots n’a pas vraiment été précisée. Peu importe comment il est qualifié, l’important est qu’il existe un lien entre le médicament et le brevet en cause. Pour établir ce lien, il faut procéder à une analyse rigoureuse et appliquer les bons principes juridiques.

[16]  Le 19 décembre 2016, le Conseil a conclu que le brevet 237 visant le Differin à 0,3 % était lié au Differin à 0,1 %, et il a ordonné à Galderma de lui fournir les renseignements requis pour la période du 1er janvier 2010 au 14 mars 2016.

[17]  Le Conseil s’est appuyé sur une jurisprudence accordant une importance particulière aux enseignements de l’arrêt ICN selon lesquels le législateur a voulu exprimer la notion de « lien » en termes généraux, que le lien requis peut être « le plus ténu » entre l’invention et le médicament, et qu’il n’est pas demandé au Conseil « d’interpréter le brevet » pour établir ce lien.

[18]  Le Conseil a d’abord estimé que la question en litige consistait à déterminer s’il existait un lien entre le brevet 237 et le Differin à 0,1 %, mais il a par la suite précisé qu’il s’agissait de savoir si [traduction] « le brevet 237 s’applique ou peut s’appliquer au médicament Differin ».

[19]  Au regard du brevet 237, le Conseil a constaté que l’abrégé mentionne uniquement une teneur en poids d’adapalène de 0,3 %, mais qu’il n’y est indiqué nulle part qu’il est lié exclusivement à cette concentration. Le Conseil fait référence à certains éléments du brevet, mais il ne mentionne et n’examine aucune de ses revendications, pas même pour déterminer ce que visait à première vue le brevet 237.

[20]  Le Conseil a établi que l’unique ingrédient actif du Differin et du Differin XP est l’adapalène, que le brevet 237 porte sur l’utilisation de l’adapalène pour le traitement des troubles dermatologiques, et que le Differin est un médicament qui contient de l’adapalène, une substance utilisée pour traiter de tels troubles.

[21]  Ayant conclu que le brevet 237 pouvait s’appliquer au Differin, le Conseil a tranché qu’il existait un lien entre le Differin et le brevet.

[22]  La demanderesse met en doute la justesse de la décision du Conseil et soulève notamment une question portant sur l’équité procédurale. Elle affirme que le Conseil s’est prononcé sur un point qu’aucune des parties n’a soulevé et qu’il y a donc eu manquement à l’équité procédurale.

[23]  Dans ses observations orales, la demanderesse a cité un extrait du paragraphe 54 de la décision, dans lequel le Conseil conclut que le brevet 237 est lié exclusivement à une concentration de 0,3 % d’adapalène. Dans ses observations écrites, la demanderesse renvoie plus particulièrement au paragraphe 57 de la décision, où le Conseil fait valoir que [traduction] « la décision concernant le lien entre un brevet et un médicament est de nature discrétionnaire ».

[24]  Pour replacer le passage litigieux dans son contexte, le paragraphe 57 est reproduit au complet ci-dessous.

[traduction]
La décision concernant le lien entre un brevet et un médicament est discrétionnaire. Certes, le Conseil ne jouit pas d’un pouvoir absolu à cet égard; il doit procéder à une analyse du lien en tenant compte de l’ensemble des facteurs énoncés précédemment. En l’espèce, le Conseil estime que les éléments suivants revêtent une importance particulière pour trancher les questions soulevées :

i.  Lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un lien entre une invention et un médicament, il n’est pas demandé au tribunal d’interpréter le brevet (notamment en se livrant à des interprétations des revendications ou à une analyse de la contrefaçon). Le brevet 237 est intitulé « Emploi d’adapalène pour le traitement de troubles dermatologiques ». De prime abord, rien ne permet d’affirmer qu’il s’applique exclusivement à l’adapalène à 0,3 %.

ii.  L’adapalène est le seul ingrédient actif du Differin et du Differin XP.

iii.  Le brevet 237 prévoit l’emploi de l’adapalène pour traiter des troubles dermatologiques, et le Differin est un médicament contenant de l’adapalène pour traiter les troubles dermatologiques.

iv.  Le brevet 237 est lié au Differin XP, un médicament contenant de l’adapalène, une substance utilisée pour traiter des troubles dermatologiques.

[Souligné dans l’original.]

III.  Questions en litige

[25]  La demanderesse soulève deux questions :

  1. Le Conseil a-t-il manqué à l’équité procédurale en tenant compte dans sa décision d’éléments qu’aucune des parties n’a soulevés?

  2. La conclusion du Conseil est-elle entachée d’erreurs de droit?

IV.  Norme de contrôle

[26]  La demanderesse soutient que les deux questions en litige sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Selon elle, la compétence du Conseil est en jeu puisqu’il se prononce notamment sur les définitions des termes « invention » et « brevet » dans la Loi sur les brevets, une mesure législative d’une grande importance dans le système juridique et qui dépasse grandement le domaine d’expertise du Conseil.

[27]  Il est aujourd’hui bien établi que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle des questions de justice naturelle ou d’équité procédurale (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[28]  Pour ce qui a trait aux aspects de la décision mettant en cause le mandat du Conseil – en l’espèce, l’établissement du « lien » entre une invention et un brevet –, ils font intervenir des questions mixtes de fait et de droit. Selon divers jugements (ICN; Celgene Corp. C Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 RCS 3; Canada (Procureur général) c Sandoz Canada Inc., 2015 CAF 249, 390 DLR (4th) 691), la norme de la décision raisonnable s’applique dans ces cas.

[29]  Cependant, si le Conseil interprète les modalités générales de la Loi sur les brevets, ou lorsqu’il interprète ou applique les principes plus généraux du droit relatif aux brevets, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique, pour les motifs présentés par la demanderesse. Cette norme s’impose d’autant plus lorsque le Conseil fait une analyse ou dresse des constats faisant intervenir des questions constitutionnelles ou les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 55 de l’arrêt ICN.

[TRADUCTION]
Le fait qu’il doit y avoir un lien rationnel ou un nœud entre l’invention présentée dans un brevet et le médicament vendu au Canada ne peut pas être remis en doute. Sans une telle exigence prévue par la législation, l’autorité constitutionnelle du Parlement d’adopter une législation de contrôle des prix serait en cause. La compétence du Parlement d’adopter une législation qui tente de réglementer le prix des biens, alors que cette législation empiéterait autrement sur la compétence législative des provinces de légiférer en matière de biens et de droits civils est soulevé par la compétence du Parlement de légiférer en matière de brevets voir Manitoba Society of Seniors Inc. c Canada (Attorney General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485 (Man. Q.B.); affd (1992), 96 D.L.R. (4th) 606 (Man. C.A.). La question à trancher par la Cour est de déterminer si le lien rationnel est requis et, en particulier, si le nœud soit être établi sans dépasser le texte des brevets 264 et 265. Selon moi, la réponse réside dans le sens ou la portée à attribuer au terme pertaining utilisé dans le texte anglais du paragraphe 83(1) de la Loi et le sens étendu de lié établi au paragraphe 79(2).

[Souligné dans l’original.]

V.  Discussion

A.  Équité procédurale

[30]  Dans son mémoire, la demanderesse soulève la question du défaut de désigner un avocat consultant, qu’elle n’a pas débattue devant la Cour. Si j’en juge par les plaidoiries devant la Cour, je suppose que la question de la désignation a été abandonnée, sans doute pour le mieux.

[31]  Par ailleurs, la demanderesse ne cite aucune jurisprudence à l’appui de son allégation voulant que la prise en compte dans la décision d’éléments que les parties n’ont pas soulevés constitue un manquement à l’équité procédurale.

[32]  J’estime que ce manquement sera réparé s’il est établi à l’issue du contrôle judiciaire que les décideurs ont incorrectement ou déraisonnablement tenu compte de certains éléments.

[33]  Non seulement il serait nuisible au travail des décideurs de leur imposer de s’en tenir aux éléments soulevés par les parties, mais on les empêcherait par ailleurs de remplir leur obligation de rendre des décisions au regard des faits et du droit, au mieux de leur connaissance. Comme l’a fait observer la Cour suprême, le contrôle d’une décision tient aux motifs qu’un tribunal a donnés ou aurait pu donner au vu du dossier à sa disposition (Dunsmuir, au paragraphe 48; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 52 et 53, [2011] 3 RCS 654).

[34]  Une décision qui fait entrer en ligne de compte un élément qui n’a pas été soulevé par les parties ou dont elles n’ont pas eu l’occasion de débattre peut se révéler inéquitable, mais c’est rare et ce n’est pas le cas ici. Comme cette obligation n’existait pas, il n’y a pas eu d’entorse à l’équité procédurale.

B.  Contrôle de la décision

[35]  Quand elle procède au contrôle d’une décision du Conseil selon la norme applicable, la Cour doit avoir relevé plusieurs irrégularités dont l’effet est isolément et globalement assez grave pour en ordonner l’annulation.

[36]  Dans le cas qui nous occupe, le Conseil devait se prononcer sur la question importante de l’existence d’un lien entre le brevet 237 et le Differin à 0,1 %. Le Conseil a droit à la déférence pour ce qui concerne la portée du mot « lien » si la question posée est juste et s’il n’en déforme pas le sens au point d’invoquer des motifs inadmissibles sur le plan constitutionnel de réglementer le prix de médicaments insuffisamment liés à un domaine de compétence fédéral (les brevets).

[37]  D’un bout à l’autre de sa décision, le Conseil semble utiliser les mots « brevet » et « invention » de manière interchangeable. Ce parti-pris ne poserait pas problème s’il était clair que la décision porte essentiellement sur l’invention visée par le brevet et que le Conseil avait simplement interchangé les deux mots par souci de concision.

[38]  Ce n’est pas ce que je constate ici. Le Conseil ne mentionne jamais l’invention elle-même.

[39]  L’article 2 de la Loi sur les brevets donne les définitions suivantes des notions d’« invention » et de « brevet » :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

[…]

brevet Lettres patentes couvrant une invention. (patent)

patent means letters patent for an invention; (brevet)

[40]  Le Conseil n’a pas circonscrit l’invention visée par le brevet 237. Le paragraphe 79(2) impose au Conseil de définir l’invention pour décider si elle est destinée à des « médicaments » ou si elle est susceptible d’être utilisée à de telles fins. L’une des questions centrales ici était de savoir si l’invention revendiquée dans le brevet 237 était destinée au Differin à 0,1 % ou si elle était susceptible d’être utilisée à cette fin.

[41]  Le Conseil s’est arrêté au fait que les deux médicaments contiennent le même ingrédient actif, sans chercher à savoir si le Differin XP, composé d’adapalène à 0,3 %, pouvait être destiné à la préparation du Differin à 0,1 % ou s’il était susceptible de l’être. Il n’existe aucune preuve que ce serait le cas. Le Conseil semble avoir présumé qu’il suffisait de diluer le médicament composé d’adapalène à 0,3 % pour obtenir un médicament en contenant 0,1 % et destiné au même usage. Or, la preuve révèle qu’il s’agit de deux médicaments distincts, et rien ne permet d’affirmer que l’invention liée à une concentration de 0,3 % d’adapalène pourrait être destinée à la production du médicament à 0,1 % ou qu’elle est susceptible d’être utilisée à de telles fins.

[42]  Le Conseil a axé son examen sur la possibilité que le brevet 237 s’applique également au Differin à 0,1 %, alors qu’il aurait dû se demander si le Differin XP à 0,3 % était destiné à la production du Differin à 0,1 % ou était susceptible de l’être.

[43]  Le Conseil a examiné le [traduction] « brevet de prime abord » et a conclu à l’existence d’un lien entre le brevet 237 et le Differin à 0,1 %. Bien que la première partie de son examen du brevet « de prime abord » soit juste, le Conseil a erré dans la seconde, pour les motifs exposés précédemment.

[44]  Qui plus est, il s’est déraisonnablement arrêté à ce que le brevet révèle « de prime abord ». Certes, il ne lui était pas demandé d’interpréter les revendications du brevet, mais il n’en examine même pas l’objet « de prime abord » et il ne fournit pas non plus de description de l’invention ou de sa portée. Il se réfère à l’abrégé et à un paragraphe introductif du brevet 237 pour conclure que l’un de ses objets est l’adapalène à 0,3 %, mais qu’il n’est pas lié exclusivement à cet ingrédient actif.

[45]  En omettant de tenir compte de la totalité du brevet 237, le Conseil a manqué à l’obligation que lui confère le paragraphe 79(2), ou à tout le moins n’a pas raisonnablement effectué [traduction] « l’examen de prime abord du brevet », dérogeant ainsi à sa propre politique intitulée « Compétence du CEPMB : Quand un brevet est-il lié à un médicament? », La Nouvelle Juillet 2006, vol. 10, no 3, pages 8 à 9 :

Pour établir le lien requis ou logique entre l’invention décrite dans un brevet et un médicament, il faut en premier lieu lire en totalité le brevet en portant une attention particulière aux revendications pour déterminer l’invention décrite dans le brevet.

[46]  Il est difficile de concevoir comment le Conseil aurait pu, s’il avait lu en totalité le brevet 237 et porté une attention particulière à ses revendications, conclure qu’il visait autre chose que l’adapalène à 0,3 %. C’est pourtant la conclusion à laquelle il parvient, et elle va à l’encontre du principe énoncé dans l’arrêt Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 42, [2000] 2 RCS 1067, selon lequel « ce qui n’est pas revendiqué [doit être] considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation ».

La teneur du mémoire descriptif d’un brevet est régie par l’article 34 de la Loi sur les brevets. La première partie prend la forme d’une « divulgation ». Le breveté doit y fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole » (Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 RCS 504, à la page 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif. » (paragraphe 34(2)). L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation.

[47]  Même si le concept de « revendiqué » n’est pas le même que celui de « lié », le Conseil a fait une analyse déraisonnable et son omission de parties essentielles du brevet lui-même est tout aussi déraisonnable.

[48]  Dans son analyse, le Conseil formule des commentaires qui, s’ils sont envisagés conjointement avec les questions déjà soulevées, font en sorte que la décision est transparente qu’elle aurait dû l’être. Au paragraphe 57 de sa décision, le Conseil fait valoir que [traduction« la décision concernant le lien entre un brevet et un médicament est de nature discrétionnaire ».

[49]  Il affirme ensuite qu’il faut faire une [traduction] « analyse de l’ensemble des facteurs », ce qui est sans doute une démarche raisonnable, mais sa prétention comme quoi il dispose d’un pouvoir discrétionnaire ne cadre pas avec le paragraphe 79(2) ou les obligations de fournir des renseignements prévues à l’article 80.

[50]  Le Conseil a conclu déraisonnablement (et inutilement) que, de prime abord, le brevet 237 est lié au Differin puisqu’il est susceptible d’être destiné à ce médicament. Il n’explique pas comment le brevet 237, qui vise un médicament composé d’adapalène à 0,3 %, pourrait être destiné à un médicament qui en contient 0,1 %.

[51]  En toute déférence, le Conseil a mal compris la question à trancher et il s’est livré à une analyse déraisonnable de l’affaire dont il a été saisi.

VI.  Conclusion

[52]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision du Conseil sera annulée. La demanderesse a droit à ses dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-83-17

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire avec dépens, et elle annule la décision du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-83-17

 

INTITULÉ :

GALDERMA CANADA INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Malcolm N. Ruby

R. Scott Jolliffe

Charlotte McDonald

 

Pour la demanderesse

 

Victor J. Paolone

Abigail Browne

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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