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Date : 20171107


Dossier : IMM-1039-17

Référence : 2017 CF 1007

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ZSUZSANNA MATA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une Rom de la Hongrie. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent (l’agent) des examens des risques avant renvoi (ERAR) qui a conclu qu’elle n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L’agent a conclu que la demanderesse pouvait compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que l’agent n’a pas appliqué le bon critère en évaluant la disponibilité de la protection de l’État.

I.  Résumé des faits

[2]  La demanderesse est arrivée au Canada en provenance de la Hongrie en février 2011, et elle a présenté une demande d’asile en mars 2011. En avril 2011, suivant les conseils d’un avocat, Jozsef Farkas (qui a depuis été reconnu coupable d’inconduite professionnelle), la demanderesse a retiré sa demande d’asile. Par la suite, la demanderesse a demandé le rétablissement de sa demande d’asile, mais la Section de la protection des réfugiés a rejeté cette demande. En novembre 2011, la demanderesse a été renvoyée du Canada.

[3]  Elle soutient que, dès son retour en Hongrie, plusieurs incidents ont donné lieu à une crainte de persécution. En décembre 2013, le frère de la demanderesse (Roland) a été agressé par un groupe, en pleine nuit. La mère de la demanderesse a appelé la police à deux reprises et les policiers lui auraient répondu qu’ils étaient occupés. Un deuxième incident est survenu en juin 2014, lorsque des néonazis auraient agressé la mère de la demanderesse qui était enceinte. La demanderesse soutient que des personnes ont été témoins de l’agression, mais qu’aucune d’entre elles n’est intervenue. Par suite de l’agression, la demanderesse soutient que sa mère a perdu le bébé, faute de soins médicaux adéquats.

[4]  La demanderesse fait état d’autres incidents, notamment le fait que des policiers l’ont expulsée de force en août 2015 ainsi qu’une agression dont elle et son amie ont été victimes tandis qu’elles utilisaient les transports en commun à l’été 2015. Elle a également décrit une agression subie par la conjointe de son frère (Alexandra) de la part d’un Hongrois de race blanche en décembre 2015, au cours de laquelle elle a perdu son enfant, de même qu’une autre agression subie par Roland et Alexandra en mars 2016 à la suite de laquelle la police n’a rien consigné et n’a mené aucune enquête à l’hôpital. Enfin, en mai 2016, la police a été informée d’une autre agression à l’endroit de la mère et du beau-père de la demanderesse aux mains des néonazis, mais aucun policier ne se serait présenté à l’hôpital après l’agression.

[5]  Ces incidents ont poussé la demanderesse à fuir la Hongrie. Elle est revenue au Canada le 8 septembre 2016 et a présenté une demande d’asile. Le 11 septembre 2016, il a été conclu que la demanderesse ne pouvait pas demander l’asile en raison du retrait de sa demande antérieure, présentée en 2011. La demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en octobre 2016.

II.  Décision de l’agent chargé de l’ERAR

[6]  L’agent a reconnu que la demanderesse était Hongroise d’origine rome, même s’il a indiqué que ses documents étaient des photocopies, mettant ainsi en doute leur valeur probante. L’agent a tenu compte des éléments de preuve objectifs tirés du [traduction] « Rapport sur la situation à Miskolc » qui indiquait que les demandeurs étaient victimes du processus d’élimination des logements insalubres. Toutefois, comme le rapport n’était pas daté et était photocopié, l’agent a conclu qu’il ne permettait pas, à lui seul, d’appuyer une demande aux termes de l’article 96 ou 97 de la LIPR.

[7]  L’agent a tenu compte des affidavits d’Alexandra et de la demanderesse, en soulignant leurs forces et leurs faiblesses relatives. L’agent a également tenu compte des éléments de preuve médicaux portant sur les membres de la famille. Il a conclu qu’un poids limité devait être accordé à l’ensemble des rapports médicaux puisqu’il s’agissait de photocopies. L’agent a néanmoins souligné que, selon les rapports médicaux, l’accès aux soins médicaux n’a pas été refusé à la famille.

[8]  L’agent a finalement pris en compte les éléments de preuve sur la situation en Hongrie, en mentionnant l’exclusion des Roms et la discrimination à leur endroit. Cependant, l’agent a conclu que la protection offerte par l’État était adéquate en Hongrie et que le gouvernement hongrois s’efforçait d’améliorer la situation à l’égard des Roms hongrois.

III.  Question en litige

[9]  Bien que la demanderesse soulève plusieurs questions, l’application, par l’agent, du critère servant à évaluer la protection de l’État permet de disposer de la demande.

IV.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle applicable à l’application du critère approprié pour évaluer la protection de l’État est celle de la décision correcte (G.S. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 599, au paragraphe 11). En ce qui concerne la norme de contrôle de la décision correcte, la Cour ne s’en remettra pas à la décision de l’agent si le mauvais critère en matière de protection de l’État a été appliqué (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50).

V.  Discussion

[11]  La demanderesse soutient que l’agent n’a pas appliqué le bon critère en matière de protection de l’État. Elle affirme que l’agent n’a pas tenu compte de l’efficacité réelle des efforts déployés par l’État.

[12]  Il existe une présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, un demandeur doit fournir des éléments de « preuve claire et convaincante » qu’il ne peut obtenir la protection de l’État (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 724 [Ward]). Les éléments de preuve doivent être proportionnels au degré de démocratie atteint chez l’État en cause (Kadenko c Canada (Solliciteur général), [1996] ACF no 1376, à la page 534). La demanderesse doit démontrer qu’elle ne peut pas obtenir la protection de l’État ou qu’elle craint de la réclamer par peur d’être persécutée (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 30 [Ruszo]).

[13]  Le caractère adéquat de la protection de l’État dépend de son efficacité réelle, et non des efforts déployés ou des meilleures intentions de l’État (Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 11). L’agent commet une erreur susceptible de révision s’il met l’accent sur les « efforts déployés » sans évaluer l’efficacité réelle de ces efforts (Kotlarova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 444, aux paragraphes 21 et 22).

[14]  En l’espèce, même si l’agent énonce correctement le principe général applicable à la protection de l’État (protection adéquate de l’État), il ne ressort pas de la décision que l’agent a réellement tenu compte de l’efficacité réelle des efforts déployés par l’État. Par exemple, l’agent indique que [traduction] « la Hongrie déploie des efforts sérieux en vue de régler les problèmes auxquels font face les Roms dans ce pays ». En l’absence d’une analyse concernant le caractère adéquat de ces « efforts sérieux », l’agent n’a pas appliqué le bon critère en matière de protection de l’État.

[15]  Il s’agissait de l’erreur commise dans la décision Ruszo, au paragraphe 27, où la Cour a conclu que, même si la Section de la protection des réfugiés avait correctement formulé la norme permettant d’établir le caractère suffisant, elle n’avait pas évalué si les diverses étapes mises en œuvre assuraient réellement une protection adéquate, sur le plan opérationnel, aux Hongrois d’origine ethnique rome.

[16]  Comme le juge en chef l’a fait remarquer dans la décision Ruszo, au paragraphe 28, la mauvaise application du critère de la protection de l’État n’est pas nécessairement fatale s’il peut être établi qu’un demandeur n’a pas épuisé tous les recours disponibles dans son pays d’origine. Toutefois, en l’espèce, l’agent n’a pas analysé les éléments de preuve de la demanderesse selon lesquels elle et sa famille avaient demandé la protection de l’État à maintes reprises. Un certain nombre de ces allégations figurent dans la preuve par affidavit, que l’agent soutient avoir examiné attentivement. Cependant, l’agent n’a traité que d’un seul incident concernant plus particulièrement la demanderesse.

[17]  L’agent aurait dû tenir compte des expériences vécues par les membres de la famille de la demanderesse, en tant que personnes qui sont « dans une situation semblable » à celle de la demanderesse (Ward, aux paragraphes 724 et 725). La décision de l’agent ne comporte pourtant aucune analyse de ce facteur. Cela s’ajoute à l’erreur commise par l’agent dans son application du mauvais critère en matière de protection de l’État.

[18]  La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1039-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée en l’espèce.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1039-17

INTITULÉ :

ZSUZSANNA MATA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

Pour la demanderesse

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker Weinstock Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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