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Date : 20170929


Dossier : IMM-1843-17

Référence : 2017 CF 867

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

DWAYNE WINSTON GAYLE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Dwayne Winston Gayle (le demandeur) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision rendue par un agent d’immigration principale (l’agent), datée du 13 mars 2017, dans laquelle l’agent a refusé d’accueillir la demande de résidence permanente du demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire (CH) [demande CH].

II.  Résumé des faits

A.  Question préliminaire

[2]  Selon l’intitulé, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est le défendeur. Même s’il s’agit du nouveau nom pour ce ministre et ce ministère, l’appellation légale du défendeur devant la Cour fédérale est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. En conséquence, l’intitulé est par les présentes modifié et le défendeur devient « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque qui est né dans ce pays le 21 janvier 1985.

[4]  Le demandeur est arrivé au Canada à l’âge de deux ans avec sa mère, Charmaine Gayle, qui a été parrainée par le père du demandeur, Winston Gayle, le 15 juillet 1987, qui avait obtenu le statut de résident permanent du Canada et qui s’y trouve depuis ce temps.

[5]  Le demandeur a grandi avec son père et son frère, puisque sa mère les avait abandonnés en raison de problèmes de toxicomanie. Ayant grandi sans la présence d’une mère et n’ayant pas bénéficié d’un encadrement parental suffisant, le demandeur, comme sa mère, est également tombé sous l’emprise des drogues et de l’alcool.

[6]  Le demandeur s’est réconcilié avec sa mère il y a 12 ans et habite maintenant avec elle et son neveu, Janoy Gayle (4 ans), qui sont tous deux citoyens canadiens. Le demandeur demande et obtient actuellement des traitements auprès du Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto.

[7]  Le demandeur a un fils, Wesley Gayle, né en 2006, d’une relation précédente avec Deborah Grenier. Au moment de sa demande, Wesley vivait avec le demandeur, ce dernier étant son principal fournisseur de soins, bien que Wesley n’habite plus chez le demandeur. Le demandeur affirme qu’il entretient toujours des liens étroits avec Wesley, participant à son quotidien et lui apportant un soutien financier et émotif.

[8]  Le demandeur est également père d’une fille, Zaniah Gayle, née en 2014, de sa relation actuelle avec Sheriece Jackson. Le demandeur et Mme Jackson attendent également un deuxième enfant. Mme Jackson est sa conjointe de fait et dans sa lettre d’appui pour la demande CH, elle déclare être sa fiancée. Le demandeur déclare qu’ils prévoient de vivre ensemble. Cependant, il n’est pas en mesure de le faire à l’heure actuelle, car Mme Jackson habite dans un logement subventionné et ils hésitent à déménager ensemble dans un nouveau logement de crainte que le demandeur soit renvoyé du Canada et que Mme Jackson ne soit plus en mesure de payer le loyer d’un logement non subventionné. Mme Jackson a également deux autres filles (âgées de 9 et 13 ans) avec lesquelles le demandeur entretient des liens étroits, car leur père a été renvoyé en Jamaïque.

[9]  Bien que le demandeur et Mme Jackson ne vivent pas ensemble, le demandeur passe beaucoup de temps avec sa fille et les deux autres filles de Mme Jackson. Le demandeur affirme qu’il est leur [traduction]« figure paternelle », qu’[traduction]« elles dépendent de [lui] » et qu’il [traduction]« leur apporte un soutien émotif et financier ».

[10]  Le demandeur est vendeur de voitures chez Richmond Hill Toyota depuis le 11 novembre 2015 et affirme être un membre actif de son église.

[11]  La grand-mère du demandeur, qui vivait en Jamaïque et qui est décédée en 2012, était la seule personne en Jamaïque sur laquelle il aurait pu compter pour obtenir du soutien à son retour pour s’établir en Jamaïque.

[12]  Le 12 septembre 2012, le demandeur a été reconnu coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un jour, à 139 jours de détention préventive, à une ordonnance de probation d’une durée de deux ans, à une ordonnance de prélèvement d’ADN au titre d’une infraction primaire, ainsi qu’à une ordonnance d’interdiction et de saisie d’une durée de 10 ans.

[13]  L’infraction concernait Mme Jackson (la mère de son deuxième enfant) et avait entraîné la perte de ses dents de devant. Il y a désaccord quant à ce qui s’est réellement produit, ce qui a été plaidé devant le tribunal et ce qui figurait dans le rapport de police. Mme Jackson a déclaré dans son témoignage devant la Section d’appel de l’immigration qu’elle était tombée et qu’elle les avait cassées en heurtant la table, alors que le demandeur a affirmé devant la Section d’appel de l’immigration que c’était avec sa main (en légitime défense), et avec son coude (accidentellement), dans les observations écrites antérieures. À la Section d’appel de l’immigration, le commissaire a accepté la preuve que constituait le rapport de police (selon lequel le demandeur lui avait cassé les dents d’un solide coup à la bouche, car elle lui avait demandé de faire ses valises et de ne pas rester là, et qu’il l’avait également étranglée et giflée) au sujet du témoignage du demandeur et de son témoin.

[14]  Avant cette infraction, le demandeur avait un dossier volumineux comprenant six déclarations de culpabilité, y compris fuite et vol de plus de 5 000 $; voies de fait, entrée par effraction et vol, omission de se conformer à un engagement et résistance, ainsi qu’entrave à un agent et omission de se conformer à un engagement.

[15]  En raison de la déclaration de culpabilité de 2012 pour voies de fait causant des lésions corporelles, le demandeur a fait l’objet d’un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR le 6 novembre 2012, et le 16 mars 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada a examiné son dossier, puis recommandé une enquête. L’affaire a ensuite été déférée en application du paragraphe 44(2) de la LIPR à la Section de l’immigration (SI) qui a mené une enquête relative à l’interdiction de territoire le 14 mai 2013, après quoi une mesure de renvoi a été prise à l’encontre du demandeur étant donné qu’il a été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[16]  Le demandeur a interjeté appel de cette mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration et a été représenté par un avocat à l’audience (le 28 septembre 2015 et le 21 janvier 2016).

[17]  À l’audience devant la Section d’appel de l’immigration, l’avocat du demandeur n’a pas contesté la validité de la mesure de renvoi, mais a présenté des arguments voulant que le demandeur soit autorisé à rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, notamment l’intérêt supérieur de ses enfants (ISE). Le 29 février 2016, la décision de la Section d’appel de l’immigration a confirmé que le demandeur n’avait pas établi des motifs d’ordre humanitaire suffisants, tenant également compte de l’ISE, pour justifier une dispense spéciale. Dans le cadre de la présente décision, le commissaire a tenu compte de ce qui suit :

  • la gravité des infractions antérieures du demandeur et la possibilité de réadaptation (concluant que le demandeur minimise sa responsabilité);
  • l’établissement du demandeur au Canada (concluant qu’il s’agissait d’un facteur neutre, car même s’il se trouvait au Canada depuis très longtemps, il avait donné une preuve d’emploi insuffisante, etc.);
  • la difficulté éventuelle à laquelle il serait exposé à son retour en Jamaïque (concluant qu’il s’agissait d’un facteur neutre, car même s’il est possible qu’il y ait de la violence armée et [traduction]« que ses enfants lui manqueraient », le commissaire n’a pas relevé des éléments de preuve suffisants pour justifier un manque d’aide communautaire et a déclaré que l’expulsion ne serait [traduction]« pas plus importante que pour tout autre résident à long terme du Canada posant le même geste »);
  • les liens familiaux au Canada (concluant que cela n’était pas en faveur du demandeur étant donné que ses parents n’ont pas fourni de lettres d’appui ou n’ont pas agi à titre de témoins, qu’il vivait avec des membres de la famille lorsqu’il a commis quelques-unes des infractions criminelles, et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que sa mère, ses enfants ou sa petite-amie comptent sur lui);
  • l’ISE (concluant qu’[traduction]« il n’est pas dans l’intérêt supérieur des enfants d’être exposés à son comportement ou d’établir un lien plus étroit avec leur père uniquement pour le voir emprisonné pour des infractions criminelles futures ou être renvoyé du Canada » et [traduction]« que l’intérêt supérieur des Canadiens en matière de sécurité l’emporte sur l’intérêt supérieur d’un enfant dans la présente affaire »).

[18]  En conséquence, la Section d’appel de l’immigration a confirmé la mesure de renvoi et la décision de la Section d’appel de l’immigration n’a pas été portée en appel.

[19]  Le demandeur a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], qui a été refusée. Cette décision n’a pas été portée en appel non plus.

[20]  Bien que la décision relative à l’ERAR n’ait pas été incluse dans le dossier certifié du tribunal (DCT), l’agent mentionne expressément les motifs de l’ERAR pour justifier le refus de l’un des arguments du demandeur, à savoir que parce que des membres de sa parenté avaient été tués en Jamaïque dans des attaques violentes dans le passé, il est exposé à un risque et il éprouvera des difficultés à son retour en Jamaïque.

[21]  Après la décision de la Section d’appel de l’immigration, le représentant du demandeur a déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 28 avril 2016. C’est la décision relative à la présente demande CH qui fait l’objet du contrôle.

[22]  L’agent a tenu compte des membres de la famille et des personnes à charge du demandeur, soit le père et la mère du demandeur, les deux enfants du demandeur et le frère du demandeur. L’agent a conclu que les facteurs à prendre en considération dans la demande CH, comme ils ont été formulés par le demandeur, étaient le niveau d’établissement, l’ISE et les difficultés liées au retour en Jamaïque.

1)  Établissement

[23]  Des lettres d’appui des parents du demandeur, de sa cousine Karaine, de son fils Wesley, de la mère de son premier enfant, de la mère de son enfant la plus jeune et de son pasteur ont été prises en compte.

[24]  L’agent a reconnu que le demandeur avait atteint un niveau d’établissement par le truchement de l’éducation, de l’emploi et des amis, et a reconnu qu’il s’agissait de facteurs positifs. L’agent a conclu que même si le demandeur a de la famille au Canada, la lettre d’appui de sa mère est axée sur le passé du demandeur et les préoccupations quant à son avenir s’il retournait en Jamaïque et ne donne aucune précision sur la nature de leur relation. Pour ce motif, l’agent n’était pas convaincu que les relations au Canada sont de nature suffisamment étroite et que les relations pourraient se poursuivre par d’autres moyens (téléphone, poste, voie électronique) s’il devait retourner en Jamaïque.

2)  Intérêt supérieur de l’enfant (ISE)

[25]  L’agent a observé que même si le demandeur a indiqué dans sa demande l’adresse de son fils comme étant la sienne, le demandeur n’a fourni qu’une copie d’une lettre qui n’était pas remplie entièrement qu’il, selon lui, a remise à l’école, et aucun autre élément de preuve provenant de l’école ou de la mère de Wesley, dont la lettre ne faisait aucune mention du fait que Wesley vivait avec son père. L’agent a reconnu que la lettre établit que le demandeur aide à prendre Wesley à l’école et à fournir des médicaments, des chaussures, de la nourriture et des vêtements pour Wesley. L’agent a également mentionné la lettre de Wesley et [traduction]« reconnaît que Wesley aime son père et ne veut pas qu’il parte ».

[26]  Peu d’éléments de preuve ont été présentés à l’égard de la fille du demandeur pour illustrer l’étendue de l’implication du demandeur dans sa vie, hormis le fait qu’il joue un certain rôle. L’agent a effectivement souligné qu’une lettre de Mme Jackson mentionne le fait que le demandeur offre à sa fille, et à ses demi-sœurs, le transport à l’école, la préparation de repas, l’aide aux devoirs, et qu’il agit comme une figure paternelle. L’agent semble ensuite écarter la lettre, car Mme Jackson se désigne elle-même comme une fiancée dans une partie de la lettre, puis comme une mère célibataire dans une autre partie, en plus de confirmer qu’ils ne vivent pas ensemble.

[27]  L’agent a conclu que même si le demandeur joue [traduction] « un certain rôle » dans la vie des enfants, les éléments de preuve présentés n’illustrent pas de manière suffisante l’étendue de ce rôle.

[28]  L’agent a également conclu qu’il y avait très peu de renseignements qui indiquaient que d’autres moyens de communication (téléphone, poste, courriel) ne permettraient pas au demandeur et à sa famille au Canada de demeurer en contact et d’entretenir une relation s’il retournait en Jamaïque.

[29]  L’agent a effectivement reconnu que le demandeur aime ses enfants, et que ses enfants et lui éprouveront des difficultés d’ordre émotif s’ils sont séparés.

3)  Le risque et les conditions défavorables dans le pays

[30]  Le demandeur a soulevé le même risque dans sa demande CH qu’il avait soulevé dans son ERAR, à savoir le meurtre de trois membres de sa famille en Jamaïque. Étant donné que l’agent est le même agent qui a refusé l’ERAR, il a conclu, comme il l’a fait dans l’ERAR, que même si la Jamaïque présente des taux élevés de criminalité et de violence des gangs, il y a peu d’éléments de preuve objectifs montrant que le demandeur est ciblé en raison des liens de parenté avec les hommes assassinés. Pour ce motif, l’agent n’a pas estimé que c’était une difficulté.

[31]  En outre, l’agent n’a pas reconnu le fait que le demandeur sera exposé à des difficultés en raison du chômage généralisé ou de l’absence d’aide à la subsistance, uniquement du fait qu’il n’a pas de connaissances en Jamaïque. Son expérience professionnelle au Canada l’aiderait à trouver du travail à son retour en Jamaïque.

4)  Autres considérations

[32]  L’agent a également souligné l’historique des déclarations de culpabilité du demandeur à l’adolescence et à l’âge adulte, et le fait que la Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur n’a pas assumé la responsabilité de ses actions, mais a plutôt minimisé sa culpabilité.

5)  La décision générale

[33]  Après avoir examiné les questions susmentionnées, l’agent, même si elle a souligné l’amour entre le demandeur et ses enfants et le fait qu’il assure [traduction] « un certain niveau de soins », a conclu que l’ISE ne suffisait pas en soi à justifier l’octroi d’une dispense CH, étant donné les antécédents criminels du demandeur.

[34]  L’agent a également reconnu que même si le demandeur devra passer à travers une période d’ajustement économique et social à son retour en Jamaïque qui pourrait donner lieu à certaines difficultés, de telles difficultés n’atteignent pas le niveau justifiant l’octroi d’une dispense CH.

[35]  Pour ces motifs, l’agent a rejeté la demande CH le 13 mars 2017.

III.  Questions en litige

[36]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent était-elle raisonnable?
  2. L’appréciation par l’agent des difficultés éventuelles lors du retour en Jamaïque, des liens familiaux et de la criminalité du demandeur était-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[37]  La norme de contrôle à l’égard de la décision d’un agent de refuser la demande CH du demandeur est celle de la décision raisonnable.

V.  Discussion

A.  Question préliminaire

[38]  Le défendeur souligne, à juste titre, que le bon défendeur doit être le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et l’intitulé est par les présentes modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avec prise d’effet immédiate.

B.  L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent était-elle raisonnable?

[39]  L’article 25 de la LIPR autorise le ministre à faciliter l’admission d’une personne au Canada, ou de l’exempter de tout critère ou obligation prévu par la LIPR, s’il est convaincu qu’une telle exemption ou facilitation devrait être accordée en raison de l’existence de considérations humanitaires.

[40]  Un examen CH englobe la prise en compte de circonstances spéciales et supplémentaires afin d’octroyer une dispense de l’application des lois d’immigration canadiennes qui seraient par ailleurs appliquées. C’est toujours le cas depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans la décision Kanthasamy (Liang c Canada (MCI), 2017 CF 287 (Liang); Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 41 [Kanthasamy]).

[41]  Le demandeur fait valoir que l’agent a utilisé le mauvais critère et que, même s’il n’a pas utilisé les mots exacts « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », c’est un critère des difficultés qu’il a appliqué plutôt qu’un critère de l’intérêt supérieur. Lorsqu’une personne interprète expressément le raisonnement de la décision de la majorité dans Kanthasamy, il s’agit d’une dispense à la lumière de la considération importante et de l’examen de tous les faits et facteurs pertinents portés à la connaissance du décideur (Kanthasamy, aux paragraphes 21 et 25). La Cour devrait tenir compte du critère énoncé dans Chirwa comme s’il coexistait avec les Lignes directrices (Kanthasamy, aux paragraphes 30 et 31).

[42]  Le demandeur affirme également que l’agent a écarté ou a mal interprété des éléments de preuve, car même s’il y avait des lettres du fils du demandeur, et des mères de ses deux enfants, l’agent, en reconnaissant que [traduction]« le demandeur joue un “certain rôle” dans leur vie, [a déclaré] que l’étendue de ce rôle n’a pas été démontrée dans les observations présentées ».

[43]  En dernier lieu, le demandeur fait également valoir que l’agent a à la fois minimisé l’ISE et n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants. Le demandeur soutient que les éléments de preuve démontrent clairement qu’il entretenait une relation très étroite avec les enfants et que tout ce que l’agent a fait avait été de reconnaître l’ISE [traduction] « pour la forme ».

[44]  Je conclus que les motifs de l’agent montrent qu’il n’a pas appliqué le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, contrairement à l’affirmation du demandeur, mais qu’il a plutôt tenu compte des difficultés comme il était tenu de le faire. Qui plus est, l’agent n’a pas minimisé l’intérêt des enfants, ou n’a pas mal interprété ou écarté des éléments de preuve examinés à l’égard des enfants. Dans la mesure où un agent procède à une appréciation appropriée de la situation de l’enfant dans son ensemble et qu’il accorde un poids important à l’intérêt supérieur de l’enfant, la décision CH sera raisonnable (Kanthasamy, aux paragraphes 41 et 60).

[45]  La décision dans Liang, précitée, examine très bien l’incidence de la décision de la Cour suprême dans Kanthasamy :

[24] Dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a résumé les principes qui doivent guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent en ce qui concerne l’acceptation d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire. Elle a également déclaré que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais que cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (au paragraphe 23). Ce qui justifiera une dispense en vertu du paragraphe 25(1) dépendra des faits et du contexte du dossier, et l’agent appelé à se prononcer sur de telles considérations doit examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy aux paragraphes 25 et 33; voir également Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 33). La Cour suprême du Canada a réexaminé l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant exigée par le paragraphe 25(1) et a conclu que l’agent doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant en lui accordant un poids important, en les examinant à la lumière de tous les éléments de preuve et compte tenu de la portée des circonstances personnelles de l’enfant (Kanthasamy, aux paragraphes 23 à 27 et 35 à 39).

[25] En l’espèce, les demandeurs s’opposent principalement à l’analyse des motifs d’ordre humanitaire de l’agent parce qu’il n’a pas tenu compte de l’incidence du nouvel examen pendant de la demande d’asile de la demanderesse par la Section de la protection des réfugiés sur l’analyse des difficultés. À cet égard, ils soutiennent que Kanthasamy est importante parce qu’elle impose un critère plus large en ce que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire doit tenir compte de tous les facteurs et le nouvel examen pendant par la Section de la protection des réfugiés constitue un tel facteur. Par ailleurs, parce que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans Kanthasamy confirme que les enfants ne devraient être assujettis à aucune difficulté.

[26] En ce qui concerne ce dernier point, je ne suis pas du même avis des demandeurs selon lequel Kanthasamy établit que l’analyse des difficultés ne fait pas partie de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ou que tout degré de difficultés éprouvé par un enfant exigerait une décision favorable sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Dans Estephane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 851, le juge Southcott a déclaré que Kanthasamy interdit l’usage d’un seuil de « difficultés inhabituelles et injustifiées » dans l’examen de l’intérêt supérieur d’un enfant, exigeant ainsi de démontrer que les difficultés auxquelles un enfant fait face atteignent une certaine intensité. Cependant, Kanthasamy n’interdit pas de tenir compte des difficultés auxquelles l’enfant pourrait faire face en raison des circonstances à l’étude. En effet, ce sont souvent de telles difficultés que fait valoir un demandeur pour appuyer un résultat précis servant l’intérêt supérieur d’un enfant (au paragraphe 34).

[Non souligné dans l’original.]

Voir également Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 (Nguyen), aux paragraphes 27 et 28; Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, aux paragraphes 20 et 21).

[46]  Qui plus est, l’agent a tenu compte de l’implication du demandeur avec les enfants telle qu’elle est présentée dans les lettres et les arguments au dossier. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve. L’agent n’a pas écarté ces éléments de preuve et a conclu qu’il n’y en avait pas suffisamment pour conclure que l’intérêt supérieur des enfants était tel que la demande devrait être accueillie, indépendamment des autres facteurs pertinents, dont la criminalité du demandeur.

[47]  Je conclus également que l’agent n’a pas minimisé l’intérêt des enfants lorsqu’il a conclu que peu d’éléments de preuve avaient été présentés pour indiquer que sa relation avec les enfants prendrait fin à son départ ou qu’il ne serait pas en mesure de maintenir un contact par téléphone, par la poste et par Internet avec ceux-ci et continuer d’approfondir cette relation. Même s’il n’est certes pas idéal d’avoir une relation à distance avec un enfant en tout temps ou pour une raison quelconque, la difficulté inhérente qui en découle a été raisonnablement examinée par l’agent.

[48]  La question que la Cour doit trancher consiste à savoir si l’agent est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, l’agent s’est penché sur les préoccupations et les renseignements présentés par le demandeur, et a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur. La décision de l’agent était raisonnable (Nguyen, précitée, aux paragraphes 22 à 25).

C.  L’appréciation par l’agent des difficultés éventuelles lors du retour en Jamaïque, des liens familiaux et de la criminalité du demandeur était-elle raisonnable?

[49]  Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur en soutenant qu’elle n’examinerait pas le même risque que celui présenté dans l’ERAR, alors qu’elle aurait néanmoins dû examiner la difficulté éventuelle relative à la violence et à la discrimination en Jamaïque à l’égard de quelqu’un qui serait considéré un étranger.

[50]  Le demandeur soutient également que l’agente a écarté la preuve concernant les liens du demandeur avec sa famille adulte au Canada.

[51]  Enfin, le demandeur fait valoir que l’agente a déraisonnablement entravé son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur la décision de la Section d’appel de l’immigration en ce qui concerne la criminalité du demandeur et ce qui s’est passé dans le cadre de l’infraction qui l’a rendu interdit de territoire.

[52]  Il incombe au demandeur de soulever directement les questions liées aux difficultés et préoccupations alléguées relativement au retour en Jamaïque (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38).

[53]  Aucun argument n’a été avancé à propos des niveaux de discrimination ni aucun document sur les conditions dans le pays pour étayer ce qui, selon le demandeur, devrait maintenant être examiné. L’agent a raisonnablement examiné l’absence de liens familiaux, le chômage, les préoccupations économiques et le fait que le demandeur soit séparé de ses enfants, ainsi que les décès dans sa famille en raison de la violence. L’examen par l’agent portant sur les liens familiaux au Canada et le soutien offert à sa fiancée et à ses enfants témoigne également d’une évaluation raisonnable.

[54]  En ce qui a trait à la criminalité du demandeur, je conclus également que l’agent a adéquatement et raisonnablement tenu compte du long casier judiciaire du demandeur et de son absence de remords. En effet, le demandeur demande à la Cour de réapprécier les éléments de preuve dont dispose l’agent, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1843-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé est modifié afin d’indiquer que le défendeur est « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  2. La demande est rejetée.

  3. Aucune question aux fins de certification.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1843-17

 

INTITULÉ :

DWAYNE WINSTON GAYLE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

Pour le demandeur

David Joseph

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Société professionnelle

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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