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Date : 20170718


Dossier : T-2045-16

Référence : 2017 CF 697

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ANDRÉ GAUTHIER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, André François Gauthier, a déposé une plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans laquelle il allègue que son employeur, Services publics et Approvisionnement Canada [SPAC], a fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur la déficience en mai 2012 en refusant de lui octroyer une avance sur ses congés de maladie et en ne prenant pas de mesures d’adaptation pour tenir compte de ses déficiences, à savoir en ne le mutant pas à un autre ministère. Après que SPAC eut répondu à la plainte, une agente des droits de la personne a recommandé, dans un rapport produit le 3 août 2016, que la Commission ne donne pas suite à la plainte parce que celle-ci était fondée sur des actes survenus plus d’un an avant son dépôt et que le demandeur n’avait pas expliqué de manière raisonnable son retard à la déposer. Le demandeur et son employeur ont tous deux répondu au rapport et, par la suite, dans une lettre datée du 1er novembre 2016, la Commission a fait savoir qu’elle suivait la recommandation de l’agente de ne pas statuer sur la plainte. Le demandeur a maintenant présenté une demande conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, en vue de soumettre la décision de la Commission à un contrôle judiciaire.

I.  Le contexte

[2]  Dans sa plainte en matière de droits de la personne, le demandeur a décrit sa demande d’avance de crédits de congé de maladie ainsi que sa demande de mutation à un autre ministère. Il a produit des courriels pour confirmer le refus de sa demande de crédits de congé de maladie et il a résumé la preuve médicale, qui montrait, notamment, qu’il souffre de diabète sucré, d’hypertension et de cardiopathie, de même que d’autres affections. La preuve comprenait aussi un billet de médecin indiquant qu’il devait être muté à un autre ministère en raison de ses rapports difficiles avec ses supérieurs.

[3]  Dans une lettre datée du 17 mai 2016, SPAC a répondu à la plainte en précisant que le dernier acte discriminatoire allégué remontait au 11 mai 2012, date à laquelle une avance de congé de maladie payé avait été refusée au demandeur à la discrétion de SPAC. SPAC a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une pratique courante puisque le refus remontait à mai 2012. SPAC a fait remarquer que le demandeur avait laissé s’écouler près de quatre ans avant de déposer sa plainte après que l’acte discriminatoire allégué avait eu lieu, en mai 2012, et il a informé la Commission que, même si le demandeur avait déposé trois griefs (dont un lié à la présente affaire) le 24 mai 2012, il avait décidé de les retirer le 11 décembre 2013. SPAC a informé la Commission que le demandeur, bien qu’en congé de maladie pendant des périodes prolongées au cours de la période de près de quatre ans qui avait suivi la date à laquelle on lui avait refusé une avance de congé de maladie payé, avait été en mesure de prendre part à des réunions avec la direction pour discuter de sa situation et avait tenté de revenir graduellement au travail à plusieurs reprises.

[4]  SPAC a informé la Commission que le demandeur était un employé représenté à l’époque du refus et qu’il était représenté par un syndicat depuis. Quant à la question de savoir si SPAC savait que le demandeur entendait déposer une plainte, il a déclaré que ce dernier avait mentionné à diverses reprises au cours des dernières années qu’il s’adresserait au commissaire à la protection de la vie privée, à la Commission ou même aux médias si la direction ne concluait pas avec lui une entente au sujet du refus de lui accorder une avance sur ses congés de maladie payés. SPAC a informé la Commission que la direction savait que le demandeur était insatisfait de sa décision, mais qu’elle n’était pas officiellement au courant du type de recours qu’il choisirait d’exercer, le cas échéant. SPAC a déclaré que le demandeur avait eu amplement l’occasion et le temps de déposer sa plainte dans le délai prescrit d’un an et que le fait qu’il avait attendu près de quatre ans après le refus de lui accorder une avance de congé de maladie avant de la déposer était déraisonnable. Selon SPAC, la Commission n’était pas tenue de donner suite à la plainte et il lui a demandé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas statuer sur la plainte, conformément à l’alinéa 4l(l)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 [la Loi].

II.  La décision de la Commission

[5]  Le rapport établi aux termes des articles 40 et 41 qu’a produit l’agente des droits de la personne [l’agente] recommandait que la Commission ne statue pas sur la plainte du demandeur en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi. L’agente a résumé la plainte du demandeur selon laquelle SPAC avait fait preuve de discrimination envers lui en refusant sa demande d’avance de crédits de congé de maladie et aussi que SPAC n’avait pas tenu compte de ses déficiences en ne le mutant pas à un autre ministère. Après avoir signalé que les déficiences du demandeur étaient attribuables à une coronaropathie chronique, à de l’hypertension et au diabète, l’agente a entrepris d’analyser si la Commission ne devait pas statuer sur la plainte, en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, dont le texte est le suivant :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[…]

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[6]  L’agente a passé en revue les facteurs se rapportant à la décision de la Commission de ne pas instruire une plainte parce que celle-ci avait été déposée plus d’un an après que l’acte discriminatoire allégué avait eu lieu, et elle a ensuite examiné la plainte ainsi que les observations de SPAC. Elle a fait état de la déclaration du demandeur selon laquelle il lui avait été impossible d’exposer raisonnablement sa plainte à la Commission [traduction« dans le délai prescrit » et [traduction« conformément aux normes » pendant qu’il souffrait de manière incontrôlable du diabète, d’hypertension, de coronaropathie, ainsi que de plusieurs nouvelles affections. L’agente a fait remarquer que, d’après le demandeur, son diabète non maîtrisé lui occasionnait des dysfonctions cognitives affectant ses aptitudes de mémorisation et de rappel, ce qui l’avait empêché de déposer sa plainte jusqu’à ce que ses problèmes de santé soient mieux maîtrisés. L’agente a noté par ailleurs l’observation du demandeur selon laquelle, pendant qu’il était absent du travail du 11 mai 2012 au 26 octobre 2015, il était trop dysfonctionnel du point de vue cognitif pour déposer une plainte auprès de la Commission.

[7]  L’agente a ensuite entrepris d’analyser si la Commission ne devrait pas statuer sur la plainte, en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Elle a conclu que les actes discriminatoires allégués étaient survenus en mai 2012 et n’avaient plus cours et que le demandeur n’avait fait état d’aucun acte discriminatoire antérieur ou ultérieur. Elle a ajouté qu’il était entré en contact pour la première fois avec la Commission le 4 janvier 2016 et que le délai d’un an prévu par la Loi l’obligeait à déposer sa plainte avant mai 2013. Elle a conclu de ce fait que le demandeur avait déposé sa plainte trois ans après l’expiration du délai d’un an prescrit par la loi.

[8]  L’agente a par ailleurs conclu que les problèmes de santé du demandeur, ainsi que les effets connexes sur ses aptitudes de mémorisation et de rappel, n’expliquaient pas tout à fait le retard avec lequel il avait déposé sa plainte. Elle a déclaré :

[traduction] Il ne fait aucun doute que le plaignant a été malade de mai 2012 à octobre 2015 et que ses problèmes de santé ont eu une incidence sur ses aptitudes de mémorisation et de rappel, mais cela n’explique pas complètement son retard à déposer sa plainte. Il a bien fonctionné dans sa vie personnelle au cours de cette période et, d’après l’intimé, il a pu prendre part à des réunions avec la direction pour discuter de sa situation personnelle et il a essayé de revenir graduellement au travail à plusieurs reprises au cours de cette période. Certes, ses déficiences sont graves, mais le plaignant n’a fourni à la Commission aucune information dénotant qu’il était médicalement incapable de déposer une plainte au cours du délai prévu par la loi ou avant son premier contact avec la Commission. Il n’a pas expliqué non plus pourquoi il n’aurait pas pu communiquer avec la Commission avant janvier 2016. Si, à cause de ses déficiences, il avait besoin d’aide pour déposer une plainte la Commission aurait pu la lui fournir. Il est évident qu’il était au courant de la Commission durant tout ce temps […] Il semble que le retard n’était pas un fait indépendant de sa volonté et qu’il aurait pu communiquer plus tôt avec la Commission à propos du dépôt d’une plainte.

Par ailleurs, il ne semble pas que le plaignant ait mis tout en œuvre pour déposer sa plainte dès que possible après qu’on l’eut déclaré apte à revenir au travail le 6 octobre 2015. Il a attendu trois (3) mois avant d’entrer en contact avec la Commission le 4 janvier 2016 et il a ensuite attendu jusqu’au 5 avril 2016, soit quatre (4) mois plus tard, pour déposer une plainte en une forme acceptable pour la Commission […] Le délai total qui s’est écoulé entre le moment où il a été déclaré apte à revenir au travail et celui où il a déposé la présente plainte est de sept (7) mois, ce qui dénote un manque de diligence de sa part.

[9]  L’agente a fait remarquer que la plainte était un litige privé entre le demandeur et SPAC et que cette plainte ne soulevait pas de questions systémiques qui auraient un effet sur l’intérêt du public. Elle a reconnu que le demandeur n’était pas représenté par un conseiller juridique et que, bien que représenté au départ par un représentant syndical dans le cadre du processus de règlement des griefs, il avait appris, après un changement de personnel syndical, que le syndicat ne soutiendrait pas son grief. L’agente a jugé que le demandeur aurait pu continuer de poursuivre le processus de règlement des griefs jusqu’au troisième et dernier palier sans le soutien de son syndicat. Elle a admis que SPAC ne subirait pas un préjudice grave du fait d’avoir tardé à répondre à la plainte, mais elle a fait remarquer que l’absence de préjudice n’est qu’un facteur, parmi d’autres, dont il faut tenir compte quand on analyse le respect des délais relatifs au dépôt d’une plainte et qu’une absence de préjudice ne veut pas dire que la Commission est tenue de statuer sur une plainte tardive. Par ailleurs, l’agente a fait remarquer que le demandeur avait expliqué le retard en disant que celui-ci était attribuable à ses problèmes de mémorisation et de rappel. Cependant, à son avis, le demandeur n’avait pas [traduction« montré qu’à l’époque ces dysfonctions étaient invalidantes au point d’être incapable de déposer une plainte ». Elle a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué de manière raisonnable pourquoi le dépôt de sa plainte accusait un retard de trois ans et elle a donc recommandé que la Commission ne statue pas sur la plainte.

[10]  En réponse au rapport établi aux termes des articles 40 et 41 que l’agente a produit, SPAC a déposé une lettre datée du 11 août 2016, disant qu’il souscrivait aux conclusions de l’agente. Le 6 septembre 2016, le demandeur a fourni des observations écrites à la Commission, indiquant qu’il ne fallait pas suivre la recommandation formulée dans le rapport établi aux termes des articles 40 et 41 parce que, entre autres choses, ses affections exceptionnelles justifiaient que l’on renvoie sa plainte à l’arbitrage et que le fait d’avoir déposé plus tôt sa plainte l’aurait exposé à un risque de représailles de son employeur ou d’expulsion de son syndicat. Par la suite, la Commission a informé les parties, dans une lettre datée du 1er novembre 2016, qu’elle avait examiné le rapport établi aux termes des articles 40 et 41 et les observations des parties et qu’elle avait décidé, conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi, de ne pas statuer sur la plainte, car celle‑ci reposait sur des faits survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte et que le demandeur n’avait pas expliqué de manière raisonnable le retard.

III.  Questions en litige

[11]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle appropriée?

  2. La décision de la Commission était-elle raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Question préliminaire

[12]  Le défendeur est d’avis que la Cour ne devrait pas prendre en considération les documents déposés par le demandeur qui ne font pas partie du dossier certifié du tribunal, invoquant à cet égard l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19, 428 NR 297, dans lequel la Cour d’appel fédérale écrit : « le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission ». Le défendeur soutient de plus qu’il n’y a lieu d’accorder aucun poids à l’affidavit du demandeur, car il contient des arguments plutôt que des faits, ce qui est contraire à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Le défendeur ne précise toutefois pas quels documents figurant dans le dossier du demandeur ou quelles parties de son affidavit devraient être radiées.

[13]  Peu avant l’audition de la présente affaire, le demandeur a déposé une requête en vertu de l’article 359 des Règles afin de soumettre à la Cour des courriels que l’employeur et lui s’étaient récemment échangés. Le défendeur s’est opposé au délai de présentation de cette requête dans une lettre datée du 21 juin 2017 et il a demandé que la requête soit rejetée, car les nouvelles preuves que le demandeur souhaitait présenter débordaient le cadre de sa demande de contrôle judiciaire puisque la Commission ne les avait pas en mains lorsqu’elle a rendu sa décision. J’ai rejeté la requête du demandeur au début de l’audience parce que la Commission ne disposait pas de ces nouvelles preuves au moment où elle a rendu sa décision et qu’elles n’avaient pas trait à un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle commis par la Commission en rendant sa décision.

B.  Norme de contrôle

[14]  Dans les cas où la Commission fait siennes les recommandations d’un agent et ne fournit pas de motifs ou ne fournit que de brefs motifs (comme c’est le cas en l’espèce), le rapport de cet agent est réputé constituer les motifs de la Commission (voir Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, paragraphe 37, [2006] 3 RCF 392).

[15]  La décision que rend la Commission en application de l’article 41 de la Loi est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, paragraphe 9, 327 DLR (4th) 292; Gardner c Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, paragraphe 21, 142 ACWS (3d) 132; Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117, paragraphe 44, 214 ACWS (3d) 529)). Dans l’arrêt Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37, au paragraphe 14, 380 DLR (4th) 737, la Cour d’appel fédérale a expliqué que si les conclusions de fait de la Commission sont raisonnables « la question est alors de savoir si la décision de rejeter la plainte [est] raisonnable, en ayant à l’esprit que la décision a clos l’affaire, ce qui pourrait rendre plus restreint l’éventail des issues possibles acceptables ».

[16]  Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision doit s’attacher à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »; et il n’est pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339).

C.  La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[17]  Le demandeur est d’avis que la décision de la Commission est déraisonnable. Il affirme plus précisément que cette dernière a rejeté déraisonnablement son explication concernant le dépôt tardif de sa plainte. Selon lui, ce sont les actes de SPAC et de son syndicat qui sont responsables du retard et, de pair avec ses affections, ils expliquent pourquoi sa plainte à la Commission n’a pas été déposée dans le délai prescrit d’un an. Il se plaint aussi d’avoir été [traduction« contraint de rester fidèle au syndicat dans l’espoir qu’il finisse par faire son devoir et […] s’oppose au refus de lui accorder ses crédits de congé de maladie au titre de l’article 35.04 […], mais [le syndicat] ne l’a jamais fait ». Il remet également en question une lettre de la Commission datée du 12 décembre 2016 et à laquelle était jointe le dossier certifié du tribunal, qui indique que [TRADUCTION« les documents obtenus dans le cadre de la collecte de faits et de preuves liés au processus de plainte n’ont pas été soumis à la Commission ». Il met en doute la véracité de cette déclaration, étant donné qu’il a envoyé le 6 septembre 2016 à la Commission une lettre à laquelle étaient notamment joints des rapports de son médecin et de son pharmacien.

[18]  Le défendeur maintient quant à lui que les conclusions de fait de la Commission sont raisonnables, tout comme sa décision de ne pas statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Il dit que la Commission a tiré deux conclusions de fait principales. Premièrement, la plainte du demandeur repose sur des faits survenus plus d’un an avant le dépôt de cette plainte, et le demandeur n’a pas déposé sa plainte avant 2016, soit quatre ans après les actes discriminatoires reprochés. Deuxièmement, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas expliqué le retard de façon raisonnable. Selon le défendeur, les autres conclusions de la Commission, à savoir que le demandeur était représenté par un syndicat, qu’il aurait pu poursuivre son grief, que SPAC n’était pas au courant de l’intention qu’avait le demandeur de déposer une plainte et que l’absence de préjugé contre la capacité de SPAC de défendre la plainte n’était pas déterminante, étaient toutes raisonnables. Compte tenu de ces conclusions, le défendeur dit que la Commission a adopté de manière raisonnable la recommandation, formulée dans le rapport établi aux termes des articles 40 et 41, de ne pas statuer sur la plainte.

[19]  Selon moi, le demandeur n’a pas démontré en quoi la décision de la Commission de souscrire à la recommandation formulée dans le rapport établi aux termes des articles 40 et 41 et de ne pas statuer sur la plainte, conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi, est déraisonnable. La Commission a conclu raisonnablement que le demandeur avait déposé sa plainte trois ans après l’expiration du délai d’un an prévu par la loi. La Commission a examiné l’explication que le demandeur a donnée pour ce retard, et il était raisonnable qu’elle ne souscrive pas à son explication, car il ressortait de la preuve qu’il fonctionnait bien dans sa vie personnelle, qu’il prenait part à des réunions avec la direction et que, durant tout ce temps, il avait même tenté de revenir graduellement au travail. On ne peut pas dire en l’espèce que la Commission n’a pas pris en considération l’explication du demandeur quant au retard. Au contraire, en adoptant essentiellement le rapport que l’agente avait établi aux termes des articles 40 et 41, la Commission a examiné en détail les observations et les preuves du demandeur et elle a conclu raisonnablement que les preuves ne corroboraient pas la prétention du demandeur selon laquelle il lui avait été impossible de déposer une plainte avant un délai de quatre ans après les présumés actes discriminatoires. Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la Commission, et la Cour ne devrait pas intervenir.

[20]  La Commission a reconnu qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire d’instruire une plainte déposée après le délai prévu d’un an et elle a passé plusieurs facteurs en revue pour déterminer s’il était justifié de le faire en l’espèce, notamment : le genre de questions relatives aux droits de la personne que soulevait la plainte, si les questions soulevées dans la plainte avaient un effet sur l’intérêt public, la durée du retard à déposer la plainte et les motifs connexes, si le demandeur était représenté à l’époque où les actes discriminatoires allégués avaient eu lieu ou au cours de l’année qui les avait suivis, si SPAC savait que le demandeur avait l’intention de déposer une plainte, et si SPAC subirait un grave préjudice advenant l’instruction de la plainte. À mon avis, la Commission a examiné les facteurs présentés en l’espèce avec soin et de manière équitable et impartiale. Sa décision de souscrire à la recommandation formulée dans le rapport établi aux termes des articles 40 et 41 appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits pertinents et du droit.

V.  Conclusion

[21]  Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

[22]  Le défendeur a sollicité ses dépens dans son mémoire des faits et du droit. Comme la demande est rejetée, il a droit à ce que le demandeur lui paie ses dépens, au montant dont les deux conviendront. S’il leur est impossible de s’entendre sur ce montant dans les 20 jours suivant la date du présent jugement, il sera loisible par la suite à l’un ou à l’autre de demander qu’un officier taxateur procède à la taxation des dépens conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2045-16

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire du demandeur, CONDAMNE le demandeur à payer les dépens au défendeur et DÉCLARE que le défendeur a droit à des dépens dont le demandeur et lui conviendront du montant. S’il leur est impossible de s’entendre sur le montant des dépens dans les 20 jours suivant la date du présent jugement, il sera loisible à l’un ou à l’autre de demander qu’un officier taxateur procède à la taxation des dépens conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2045-16

 

INTITULÉ :

ANDRÉ GAUTHIER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

André Gauthier

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Diya Bouchedid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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